À l’ère de la mondialisation et de la régionalisation, les nations non souveraines cherchant à légitimiser leur identité distincte et leur statut de nation font des efforts soutenus de diplomatie, dont la nature est dictée par la relation avec l’État central. Justin Massie et Marjolaine Lamontage, directeurs du collectif Paradiplomatie identitaire : Nations minoritaires et politiques extérieures, se penchent ici à l’étude de cette diplomatie menée par des gouvernements non centraux. L'ouvrage s'inscrit dans une perspective comparative issue de la science politique et intéressera certainement ceux soucieux des relations internationales des nations minoritaires occidentaux.
Une introduction expose le bagage théorique employé à travers l'ouvrage, qui est ensuite divisé en sept chapitres. Après une réflexion terminologique robuste, Massie et Lamontage choisissent le terme « paradiplomatie identitaire » (initialement proposé par Stéphane Paquin) pour désigner cette pratique propre aux nations non souveraines. La paradiplomatie se distingue de la protodiplomatie, qui est ancrée dans un désir immédiat de sécession et l'incompatibilité avec l’État central.
Dans le chapitre 1, André Lecours examine la diplomatie des gouvernements sécessionnistes en Écosse et en Catalogne dans la foulée de leurs référendums respectifs, tout en les comparant au Québec post-référendaire. Le mouvement d'indépendance de la Catalogne revient dans le chapitre 2, signé par Caterina Garcia Segura. Elle examine comment la paradiplomatie identitaire catalane s'est transformée en protodiplomatie, et les relations parfois excessivement tendues avec l’État espagnol vis-à-vis de la diplomatie publique du Diplocat catalan. Malgré la crise constitutionnelle issue du référendum, la paradiplomatie identitaire de la Catalogne est de nouveau une activité normalisée. Le chapitre 3, de José Luis de Castro Ruano, se préoccupe de l’évolution de l'action extérieure d'une autre région sous l’égide de l'Espagne, le Pays basque. Très ambitieuse, la paradiplomatie basque est devenue moins symbolique et plus fonctionnelle, tout en préservant ses caractéristiques identitaires. Elle cherche à hausser la participation internationale de la région, sans pour autant entrer en conflit avec l’État central. Dans le chapitre 4, David Criekemans s'attarde au développement de ce qu'il nomme « diplomatie à paliers multiples, » issue de la coopération entre les différents paliers gouvernementaux en Belgique. Il observe le contexte historique ainsi que les changements aux orientations du parti sécessionniste flamand N-VA. Pour remporter les élections de 2014, le N-VA a mis de côté la sécession au profit de la restructuration économique et un État belge confédéral.
Les trois chapitres suivants traitent tous du Québec. Dans le chapitre 5, Stéphane Paquin s'interroge sur l'envergure remarquable de la paradiplomatie identitaire québécoise. Même les gouvernements non sécessionnistes demeurent nationalistes et cherchent à hausser les perspectives économiques du Québec. Selon Paquin, ce sont le nationalisme minoritaire et le type d’État qui dictent l'ampleur de la paradiplomatie identitaire. Les chapitres 6 et 7 sont signés par les directeurs du volume. Le chapitre 6 touche aux prises de position d’élus québécois lors de conflits internationaux, enjeux relevant habituellement des gouvernements centraux. Massie et Lamontagne rejettent l'hypothèse qu'il soit question de protodiplomatie ou encore d’électoralisme et concluent que ces prises de position relèvent de la paradiplomatie identitaire. Le chapitre ultime traite de la participation active du Québec dans les instances internationales que sont l'Organisation internationale de la Francophonie et l'UNESCO. Les auteurs démontrent que la retenue des « entrepreneurs » identitaires québécois sur la scène internationale est motivée plus par un désir de maintenir la réputation du Québec que par un souci de ne pas empiéter sur les compétences fédérales. Le nationalisme minoritaire ne sert donc que d'explication partielle quant au comportement de ces entrepreneurs.
L'avantage de produire la discussion théorique détaillée en début d'ouvrage est l'allègement du texte, ainsi qu'une méthodologie partagée par l'ensemble des auteurs. En revanche, un lecteur désireux de s'informer sur une étude de cas en particulier sentira vraisemblablement le besoin de lire le chapitre d'introduction pour en saisir les nuances. Malgré une discussion étoffée de la terminologie employée, les auteurs semblent tenir pour acquise l'homogénéité de la nation. De plus, Massie et Lamontagne s'appuient abondamment sur les travaux de Stéphane Paquin, qui est d'ailleurs l'auteur du chapitre 5 du volume. Il aurait peut-être été pertinent d'inviter Paquin à présenter sa propre méthodologie.
Nonobstant la variété des cas à l’étude, une vue d'ensemble de l'ouvrage montre une attention particulière pour le Québec, même dans les textes traitant d'autres régions. Nous ne mettons pas en doute la pertinence d’étudier la paradiplomatie identitaire québécoise, mais l'introduction aurait pu explicitement énoncer la centralité du Québec dans cet ouvrage. Finalement, une conclusion globale, rassemblant les résultats des diverses études de cas, aurait été la bienvenue, particulièrement puisque l'introduction du volume touchait directement à tout ce qui suivait. Cela aurait donc été une opportunité de boucler la discussion en proposant des pistes de réponses et de réflexion valables pour tous les cas à l’étude.
Néanmoins, cet ouvrage judicieusement structuré et bien documenté n'est pas sans pertinence. Sa contribution primaire se trouve dans sa présentation de plusieurs études de cas qui, prises ensemble, permettent d'approfondir notre compréhension de la diplomatie menée par les nations non souveraines occidentales, dans ses diverses formes et transmutations. Sans pour autant les répertorier dans une conclusion, le collectif présente également plusieurs axes de réflexions encore à poursuivre dans le but de brosser un portrait complet de la paradiplomatie identitaire. Cet ouvrage forme donc une base bien utile pour l’étude de nations minoritaires.