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Évidentialité ou modalité épistémique? Le cas de sans doute, un marqueur évidentiel inférentiel qui peut paraître épistémico-modal

Published online by Cambridge University Press:  07 February 2025

Patrick Dendale*
Affiliation:
University of Antwerp, GaP
Anne Vanderheyden
Affiliation:
University of Antwerp, GaP
*
Corresponding author: Patrick Dendale; Email: [email protected]
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Abstract

This article focuses on the problem of the categorization of the adverb sans doute as an epistemico-modal marker or an evidential marker. Starting from a critical appraisal of an analysis proposed by Bourmayan et Ashino, in which sans doute is considered fundamentally epistemico-modal, three hypotheses are presented, which depart from theirs. First, sans doute has as its main lexical element an inferential evidential value: it signals that the content qualified by the adverb is the result of a defeasible type of inference from clues/premises. Second, due to the defeasibility of the inference, the statement containing the adverb takes on, invariably, a pragmatic value of non-certainty, not lexically coded, however. Sans doute is thus not an epistemico-modal marker by itself in contemporary French. Third, the adverb combines these values with an epistemic value of what we call “posture of certainty”. Different from epistemic modality, which refers to an evaluation in terms of certainty, and/or to the epistemic cognitive state linked to that, posture of certainty refers to what can be called the tone or epistemic behavior of confidence the speaker shows. Sans doute therefore indicates without contradiction, a defeasible and, thus, uncertain hypothesis, presented with a tone of full confidence.

Résumé

Résumé

Cet article porte sur la question de la catégorisation de l’adverbe sans doute comme marqueur épistémico-modal ou comme marqueur évidentiel. Partant d’une évaluation critique d’une analyse par Bourmayan et Ashino, qui voient dans sans doute un marqueur fondamentalement épistémico-modal, trois hypothèses sont proposées qui s’écartent des leurs. Premièrement, sans doute a comme valeur lexicale première une valeur évidentielle inférentielle : il signale que le contenu qu’il qualifie est le résultat d’une inférence de type défaisable à partir d’indices/prémisses. Deuxièmement, de par le caractère défaisable de l’inférence, un énoncé avec sans doute prend invariablement une valeur pragmatique de non-certitude, qui n’est pas codée lexicalement. Sans doute n’est donc pas un marqueur épistémico-modal par lui-même en français contemporain. Troisièmement, l’adverbe combine sa valeur évidentielle avec une valeur épistémique appelée posture de certitude prise par le locuteur. Différente de la modalité épistémique, qui représente un jugement en termes de certitude et/ou une description de l’état cognitif épistémique afférent, la posture de certitude réfère au ton ou comportement épistémique d’assurance que montre le locuteur. Sans doute peut signaler ainsi, sans contradiction, une hypothèse, défaisable et donc incertaine, mais présentée avec un ton de pleine assurance ou confiance.

Type
Article
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Creative Common License - CCCreative Common License - BY
This is an Open Access article, distributed under the terms of the Creative Commons Attribution licence (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted re-use, distribution and reproduction, provided the original article is properly cited.
Copyright
© The Author(s), 2025. Published by Cambridge University Press

1. Introduction

Cette étude porte sur le sémantisme de l’adverbe sans doute et propose une analyse alternative à celleFootnote 1 de Bourmayan et Ashino (Reference Bourmayan and Ashino2021, désormais B & A), dans laquelle le fonctionnement de sans doute est comparé à celui de probablement.

La question théorique importante qui sous-tend l’étude de sans doute – comme pour tous les adverbes qui apparaissent comme modaux par leur composition morphologique – est de savoir s’il s’agit de marqueurs épistémico-modaux ou de marqueurs évidentiels. Les réponses données à cette question divergent. Pour B & A, sans doute est fondamentalement un adverbe épistémico-modal, mais qui a aussi une valeur évidentielle. Nous défendrons l’hypothèse inverse : sans doute, par son sens lexical, est fondamentalement un marqueur évidentiel en synchronie actuelle, mais a des effets épistémiques de divers types.

Notre focus est le seul adverbe sans doute. Aussi ne référerons-nous que marginalement à l’analyse de probablement de B & A. En revanche, nous proposerons un rapprochement entre sans doute et certainement (cf. Dendale Reference Dendale2020 ; Dendale et Kreutz Reference Dendale and Kreutz2022), deux adverbes dont le sémantisme semble avoir plus de points en commun avec celui de sans doute que ne l’a probablement avec sans doute.

L’article se compose de trois parties. Après une présentation de l’analyse de B & A (Section 2), nous relèverons un certain nombre de problèmes de celle-ci (Section 3), avant de présenter notre analyse alternative (Section 4). Les exemples qui serviront à étayer nos arguments proviennent principalement de bases textuelles intégrées à SketchEngine : frTenten12 (ftt12), frTenten17 (ftt17), frTenTen20 (ftt20) et Timestamped JSI web corpus 2014-2021 French (Tst).

2. L’analyse de sans doute selon B & A

Les éléments de l’analyse de B & A (Reference Bourmayan and Ashino2021) qui nous concernent ici et qui seront présentés en détail dans les Sections 2.1 à 2.3 peuvent être résumés en trois points :

  1. 1. Sans doute a un sens dit « littéral » (2021: 1), qui est de nature épistémico-modale (2021: 13) et non évidentielle (non médiative).Footnote 2

  2. 2. Le sens épistémico-modal de sans doute consiste à présenter une proposition « comme s’imposant selon une perspective restreinte » (2021: 2).

  3. 3. Sans doute a également un sens évidentiel, qui est « second, dérivé pragmatiquement » (2021: 15) ; c’est l’indication que l’assertion résulte « d’une inférence à la meilleure hypothèse » (2021: 15).

2.1. Le sens littéral de sans doute est épistémico-modal et non évidentiel

Dans le débat sur le statut de sans doute – évidentiel ou épistémico-modal ? – B & A prennent clairement position : pour eux, la valeur sémantique « de base » (Reference Bourmayan and Ashino2021: 11) ou « littérale » (Reference Bourmayan and Ashino2021: 13) de cet adverbe est épistémico-modale et non évidentielle ou médiative (Reference Bourmayan and Ashino2021: 13). D’où leur conclusion que cet adverbe « s’inscri[t] dans la catégorie des adverbes modaux épistémiques » (Reference Bourmayan and Ashino2021: 11). Deux arguments sont avancés pour soutenir cette conclusion. Le premier provient de la définition générale de la fonction des adverbes [épistémico-]modaux qui est « d’évaluer la vérité ou le degré de certitude, sur une échelle nécessairement positive, de la proposition qu’ils accompagnent sans être soumis à des restrictions de sélection particulières » (Molinier et Levrier, Reference Molinier and Levrier2000: 92, cité par B & A, Reference Bourmayan and Ashino2021: 11). Le second provient d’une double propriété, définitoire, des adverbes [épistémico-]modaux, décrite par Molinier et Levrier (Reference Molinier and Levrier2000: 91–92), à savoir que ceux-ci « sont capables de constituer seuls une réponse à une question totale », et qu’ils « peuvent toujours être accompagnés dans cet emploi par la proforme oui » (B & A, Reference Bourmayan and Ashino2021: 11). L’exemple (1) est censé montrer cela :

  1. (1) Est-ce que Luc est intéressé par ce projet ?

    (Oui,) sans doute. (emprunté à B & A, Reference Bourmayan and Ashino2021: 11)

Par ailleurs, B & A notent, en suivant en cela Miche et Lorda (Reference Miche and Lorda2014: 43), que sans doute « ne peut être utilisé pour présenter une proposition dont le locuteur (L) est certain qu’elle est vraie », ni dans « des contextes où le locuteur a pu établir la vérité de la proposition » (Reference Bourmayan and Ashino2021: 2). Cette contrainte est bien illustrée par (2) :

  1. (2)

    1. A : Combien as-tu vendu de livres ce matin ?

    2. B : J’ai vendu cinq romans et huit bandes dessinées, donc j’en ai ? sans doute vendu treize en tout. (emprunté à B & A, Reference Bourmayan and Ashino2021: 4)

Dans (2), la seconde proposition de l’énoncé de B est difficilement acceptable parce que son contenu présente le résultat d’un calcul simple (5 + 8), qui ne peut être incertain, ce qui empêche l’utilisation de sans doute. Puisqu’« une proposition qualifiée par sans doute ne peut être interprétée comme certaine pour le locuteur » (B & A, Reference Bourmayan and Ashino2021: 3), une proposition comme (3), a toujours une part d’incertitude :

  1. (3) Le texte est non daté. Il a sans doute été rédigé au début de l’année 1919, même si l’on ne peut en être complètement certain. (emprunté à B & A, Reference Bourmayan and Ashino2021: 3)Footnote 3

C’est pourquoi, selon B & A, elle peut toujours être complétée par une suite du type même si l’on ne peut en être complètement certain, alors qu’une suite comme j’en suis absolument convaincu serait « impossible ou pragmatiquement très étrange » (Reference Bourmayan and Ashino2021: 3).

2.2. Le sens épistémico-modal de sans doute et la « perspective restreinte »

Ce qui est novateur chez B & A, c’est que le sens épistémico-modal de sans doute n’y est pas défini – de façon classique – en termes de certitude ou de probabilité, comme par exemple dans la définition de Molinier et Levrier (Reference Molinier and Levrier2000: 92), mais au moyen d’un concept nouvellement créé, la « perspective restreinte ». Voici la définition épistémico-modale de sans doute au moyen de ce concept :

« Sans doute présente p comme une proposition qui s’impose selon une perspective restreinte. » (2021: 5)

Le terme de perspective restreinte réfère à l’ensemble des croyances et connaissances au moyen desquelles L décrit tel ou tel aspect du monde ou « à l’aune desquelles la proposition est évaluée » (2021: 6). Que ladite « perspective » soit qualifiée de « restreinte » signifie pour les auteurs que les informations dont dispose L quand il utilise sans doute sont « potentiellement lacunaires », ce qui « ouvr[e] la voie à une éventuelle erreur d’appréciation » (2021: 6).

Selon B & A, un des bénéfices de l’utilisation du concept de perspective [d’un individu] est que ce concept est compatible avec l’idée de la présence nécessaire d’un expérienceur dans la description du sémantisme de sans doute, c’est-à-dire une instance qui « ressent le doute » (Reference Bourmayan and Ashino2021: 5–6). Cela conduit les auteurs à attribuer à sans doute une autre propriété épistémico-modale, à savoir de « commente[r] la valeur de vérité de la proposition […] en décrivant l’état cognitif du locuteur » (2021: 13) et donc de présenter le degré de certitude attribué à la proposition à travers un locuteur qui « doute peu » (cf. 2021: 12). Cela oppose sans doute à probablement, ce dernier se contentant simplement d’évaluer le contenu de la proposition, sans passer par l’état cognitif du locuteur.

2.3. Une valeur évidentielle seconde : l’inférence à la meilleure hypothèse

En plus de cette valeur épistémico-modale, sans doute a une valeur évidentielle, qui n’est toutefois que seconde, pragmatiquement dérivée (B & A, Reference Bourmayan and Ashino2021: 11, 13, 15). Sans doute, évidentiellement, indique que « l’assertion effectuée résulte d’une inférence à la meilleure hypothèse » (Reference Bourmayan and Ashino2021: 15). Miche et Lorda (Reference Miche and Lorda2014: 46–48), elles, parlent d’« abductive reasoning » illustré par l’exemple (4), qui a deux occurrences de sans doute à valeur inférentielle abductive : « from an observed fact, the speaker tries to understand the causes of that fact » (Miche et Lorda 2014: 48).

  1. (4) Les deux individus demeurèrent immobiles, l’un près de l’autre. Ils n’osaient sans doute pas bouger devant le déploiement de forces qui les entourait. Ils avaient une forme allongée et une bouche avec des sortes de piques blanches à l’intérieur. Ils portaient des bouteilles métalliques sur le dos : des provisions de nourriture, sans doute. (exemple de Rivière 2012, cité par Miche et Lorda Reference Miche and Lorda2014: 47)

Ce que B & A (Reference Bourmayan and Ashino2021: 14–15) remarquent toutefois, et à juste titre, c’est que l’explication causale n’est pas la seule situation dans laquelle sans doute est utilisé inférentiellement. Ils notent les nombreux cas où sans doute apparaît dans des phrases décrivant des états de choses qui se réfèrent à l’avenir. Au lieu de parler d’« inférence à la meilleure explication » (Harman Reference Harman1965 ; Lipton Reference Lipton2004), B & A (Reference Bourmayan and Ashino2021: 14) proposent : « inférence à la meilleure hypothèse ». Meilleure signifie qu’il ne s’agit pas d’une hypothèse quelconque, parmi d’autres, mais d’une « hypothèse qui se démarque des hypothèses concurrentes en ce qu’elle est jugée la meilleure, la plus proche de la vérité » (2021: 4), la plus plausible. Il y a donc toujours avec sans doute un choix unique qui a été fait entre hypothèses concurrentes – tout comme avec devoir épistémique, selon l’analyse proposée par Dendale (Reference Dendale1994) – chose qui n’est pas nécessairement le cas, par exemple, avec un adverbe plus faible comme peut-être (B & A, Reference Bourmayan and Ashino2021: 4).

3. Problèmes que pose l’analyse de B & A

Il nous semble que l’analyse de B & A pose plusieurs problèmes. Ils concernent :

  1. A. La catégorisation de sans doute comme marqueur fondamentalement épistémico-modal et le statut second donné à l’évidentialité inférentielle, valeur dérivée pragmatiquement (Section 3.1).

  2. B. La définition idiosyncratique de la notion de modalité épistémique exprimée par sans doute en termes de perspective restreinte (Section 3.2).

  3. C. L’état cognitif du locuteur-expérienceur auquel sans doute est lié (Section 3.3).

Nous formulons dans cette Section 3 les problèmes que posent ces trois éléments, tout en complétant dans la Section 4 l’argumentation contre le statut comme marqueur épistémico-modal pour sans doute.

3.1. La catégorisation de sans doute comme marqueur fondamentalement épistémico-modal

L’hypothèse A. ci-dessus est l’hypothèse-cadre, que les deux autres hypothèses, B. et C., contribuent à étayer.

3.1.1 Les deux critères de catégorisation invoqués par B & A

Au coeur du débat sur le statut des expressions langagières qui paraissent épistémico-modales de par leur composition morphologique (certainement, sûrement, à coup sûr, pour sûr, devoir…), une question revient constamment : quels arguments permettent de les classer avec les marqueurs épistémico-modaux ou avec les marqueurs évidentiels ? Le fait que sans doute soit construit à partir du substantif épistémico-modal doute oriente a priori la catégorisation de cet adverbe vers les marqueurs épistémico-modaux. Et c’est ainsi que B & A le catégorisent effectivement et cela à partir de deux critères (Section 2.1).

Le premier critère est conceptuel. Il est emprunté à la fonction qu’ont pour Molinier et Levrier (Reference Molinier and Levrier2000: 92) les « marqueurs [épistémico-]modaux » et qui est d’« évaluer la vérité ou le degré de certitude, sur une échelle nécessairement positive, de la proposition qu’ils accompagnent ». Le critère est problématique, car il ne dit pas si cette évaluation de la vérité en termes de degré de certitude concerne la fonction première ou seconde de l’expression étudiée. Pour Molinier et Levrier, des adverbes comme visiblement, apparemment, manifestement, certainement, sûrement ou présumablement font partie des adverbes de phrase dits « modaux », avec sans doute. Or, ces autres adverbes doivent également être considérés comme évidentiels ou comme pouvant avoir au moins un emploi évidentiel : visiblement dans son emploi comme adverbe de phrase est évidentiel (Dendale et al. Reference Dendale, Vanderheyden, Izquierdo Alegría, Loureda, Rudka and Parodi2020), tout comme apparemment (Dendale Reference Dendale, Wiemer and Marín Arrese2022), manifestement (Dendale et Coltier Reference Dendale and Coltier2024) et certainement dans un de ses deux emplois (Dendale Reference Dendale2020 ; Dendale et Kreutz Reference Dendale and Kreutz2022). Quant à présumablement, il est construit sur présumer, un verbe d’acquisition du savoir dont la valeur première n’est sûrement pas « je juge probable », mais « je présume, je suppose » ; une étude rapprochée de cet adverbe montrerait qu’il est lui aussi évidentiel inférentiel.

Le second critère de B & A est syntactico-distributionnel. C’est le constat que les adverbes modauxFootnote 4 « sont capables de constituer seuls une réponse à une question totale » et qu’ils « peuvent toujours être accompagnés dans cet emploi par la proforme oui » (B & A Reference Bourmayan and Ashino2021: 11). Ces propriétés sont illustrées par (1) dans la Section 2.1. Or, rien n’empêche qu’un adverbe évidentiel se mette dans cette position. Tous les adverbes évidentiels cités ci-dessus peuvent y figurer, ainsi que d’autres, probablement aussi évidentiels, comme à coup sûr, pour sûr :

  1. (5) – Est-ce que Luc est intéressé par ce projet ?

  2. – (Oui,) apparemment/visiblement/sûrement/pour sûr.

Par conséquent, il n’est pas possible de considérer sans doute comme une expression à fonction épistémico-modale première sur la base des deux critères utilisés par B & A. Si B & A (Reference Bourmayan and Ashino2021: 8) observent que sans doute « ne donne pas d’information sur la nature du processus permettant au locuteur d’évaluer la proposition en jeu », c’est, pour nous, parce qu’il n’y a simplement pas de processus d’évaluation à observer pour sans doute (cf. Section 4.2).

3.1.2 Différentes façons dont l’évaluation épistémico-modale est signifiée

Un inconvénient de la définition de Molinier et Levrier est qu’elle ne précise pas comment l’évaluation du degré de certitude est signifiée. Cela n’est pas sans conséquences pour l’interprétation de l’expression dont on examine le statut épistémico–modal ou évidentiel.

Il n’y a aucun problème lorsque l’évaluation épistémico-modale se fait au moyen d’un adjectif attribut comme probable ou certain. L’évaluation est alors prédiquée (6a, b) et est explicite. Elle relève de ce que Ducrot (Reference Ducrot1984: 151) appelle la « véridiction » (voir aussi Kronning Reference Kronning, De Chanay, Colas-Blaise and Le Guern2013) : elle peut être contestée, niée par un interlocuteur (« Non ! C’est faux. C’est improbable »). On a alors clairement affaire à un marqueur épistémico-modal :

  1. (6)

    1. a. Que Jean ait oublié la réunion (c’) est probable.

    2. b. Il est probable que Jean a oublié la réunion.

    3. c. Probablement, Jean a oublié la réunion.

    4. d. Jean a probablement oublié la réunion.

    5. e. Jean a sans doute oublié la réunion.

Mais lorsque l’évaluation se fait au moyen d’un adverbe de phrase, comme probablement (6c, d) ou encore sans doute (6e), elle est signifiée d’une autre manière, à savoir par « monstration » (Kronning, Reference Kronning, De Chanay, Colas-Blaise and Le Guern2013: 165). Cela a pour conséquence qu’elle ne peut être contestée, mais aussi qu’il devient moins évident qu’il s’agisse encore d’une évaluation épistémico-modale. Dans ces cas, on observe en effet souvent un glissement vers une fonction évidentielle. Comparons les phrases suivantes :

  1. (7)

    1. a. Il est visible qu’ils ont mal dormi.

    2. b. Visiblement, ils ont mal dormi.

  2. (8)

    1. a. Il est certain qu’Alexei Navalny est mort.

    2. b. Alexei Navalny a certainement été tué.

S’il a été montré que il est visible que est « implicatif » (Lenepveux Reference Lenepveux2022: 29), c’est-à-dire que il est visible que p implique p, il a aussi été montré que visiblement adverbe de phrase n’amène pas la vérité de la proposition qu’il modifie, mais signale une hypothèse, plausible mais non certaine, que formule L (Dendale et al., Reference Dendale, Vanderheyden, Izquierdo Alegría, Loureda, Rudka and Parodi2020). De manière comparable, il est certain peut prédiquer la certitude dans (8a), alors que dans (8b), certainement est évidentiel et n’exprime pas une certitude, mais une hypothèse.

Un glissement similaire s’observe même pour probablement – traditionnellement considéré comme un adverbe épistémico-modal prototypique. Si dans (6d), probablement, intégré à la phrase, peut facilement être dit avoir une fonction épistémico-modale, paraphrasable par C’est probable, cela est moins évident dans (6c), où, en position initiale de phrase, il tend à glisser vers une fonction évidentielle et signifier que le contenu qualifié est le résultat d’une opération d’acquisition du savoir (Section 4.1) : une supposition, présomption, hypothèse, bref, une inférence basée sur des prémisses. Il y sert à expliquer un état de choses (en l’occurrence l’absence de Jean à la réunion).

Le problème se pose aussi et encore plus clairement pour sans doute dans (6e). Comme cet adverbe n’a aucun lien morphologique avec un adjectif épistémique, il est a priori impossible qu’il entre dans une construction où il prédiquerait l’évaluation épistémico-modale. Sans aucun doute n’a pas ce dernier problème, comme le montre (9) :

  1. (9) Vous êtes trop modeste pour être bon juge en la matière. Oui, certainement, tout cela est sans aucun doute (ftt17)/*tout cela est sans doute.

La question est alors de savoir si sans doute est la trace d’une évaluation épistémico-modale (dite « montrée », Kronning Reference Kronning, De Chanay, Colas-Blaise and Le Guern2013) ou la trace d’une opération d’acquisition d’un nouveau savoir par inférence, supposition, etc. Et si certains peuvent avoir l’impression de la présence simultanée d’une idée épistémico-modale d’évaluation en termes de degré de certitude et d’une idée évidentielle d’inférence ou d’hypothèse, la question importante est de savoir laquelle de ces deux est première. C’est un point qui sera abordé en détail dans les Sections 4.1 et 4.2. Contentons-nous comme premiers indices en faveur des hypothèses qui seront avancées dans la Section 4, d’imaginer deux cotextes (forgés) pour les phrases (6d) et (6e) :

  1. (10) [On constate l’absence de Jean à une réunion importante]

    1. a. Je viens de l’appeler et il ne répond pas au téléphone. Sur Playtomic, je vois qu’il s’est inscrit pour un match de padel à cette heure-ci. Il a probablement oublié la réunion.

    2. b. Je viens de l’appeler et il ne répond pas au téléphone. Sur Playtomic, je vois qu’il s’est inscrit pour un match de padel à cette heure-ci. Il a sans doute oublié la réunion.

Dans ces deux exemples, le cotexte gauche énumère des éléments qui pourraient être pris comme indices/prémisses d’un raisonnement (Je viens… cette heure-ci) – un indice étant une information provenant d’une perception sensorielle, une prémisse, une information pas nécessairement sensorielle (par exemple un savoir ou une croyance) qui entre dans un raisonnement ; un indice pouvant devenir une prémisse dans un raisonnement. Ce que l’on constate, c’est d’abord que sans doute dans (10b) est plus naturel que probablement dans (10a) et ensuite que donc probablement serait plus naturel dans (10a) que probablement seul. Une explication possible pourrait être que probablement a besoin d’être accompagné de donc – qui marque le rattachement de la conclusion aux prémisses données – parce que c’est par défaut un marqueur épistémico-modal plutôt qu’un marqueur évidentiel d’inférence. Probablement joue donc pleinement la fonction de marqueur épistémico-modal dans (10a), indiquant seulement que le contenu qu’il qualifie est évalué comme probable. Sans doute peut se passer de donc parce qu’il signale par son propre sens que le contenu qu’il qualifie est une conclusion inférée à partir des indices/prémisses qui précèdent. Il invite à prendre les informations qui précèdent comme prémisses de la conclusion qu’il introduit lui-même. On pourrait en conclure que sans doute est par nature un marqueur évidentiel d’inférence (cette hypothèse sera avancée dans la Section 4.1).

3.1.3 Deux définitions distinctes pour la modalité épistémique

Ce qui frappe dans la tentative de B & A de montrer que sans doute est un marqueur fondamentalement épistémico-modal, c’est que les auteurs ont recours à deux définitions fort différentes de la modalité épistémique : une pour définir la valeur épistémico-modale de probablement, une autre pour définir la valeur épistémico-modale de sans doute (cf. Section 2.2). Citons-les ici toutes deux :

Probablement présente une proposition comme probable, c’est-à-dire comme une proposition dont la vérité a plus de raisons d’être confirmée que d’être infirmée. (2021: 2, 7)

Sans doute présente p comme une proposition qui s’impose selon une perspective restreinte. (2021: 5)

Il n’y a rien de surprenant dans la définition de la valeur épistémico-modale de probablement. Les auteurs reprennent la définition proposée par le TLFi pour l’adjectif probable : « dont la vérité a plus de raisonsFootnote 5 d’être confirmée que d’être infirmée ». La valeur épistémico-modale de sans doute, en revanche, est définie au moyen d’un concept métalinguistique nouveau : la perspective restreinte. Citons quelques passages où ce concept est défini ou utilisé :

  1. (a) « Sans doute présente une proposition comme s’imposant selon une perspective restreinte » (2021: 5), « c’est-à-dire selon les informations qui sont disponibles. » (2021: 13)

  2. (b) « La perspective d’un individu définit les croyances et les connaissances qu’il ou elle a sur un aspect du monde. » (2021: 5).

  3. (c) C’est « à l’aune [de ces croyances et connaissances] que la proposition est évaluée. » (2021: 6).

  4. (d) « les connaissances du locuteur sont potentiellement lacunaires, ouvrant la voie à une éventuelle erreur d’appréciation. » (2021: 6).

  5. (e) « sans doute présente un jugement médiatisé par une perspective subjective » (2021: 1, 19).

  6. (f) C’est le concept de perspective « qui induit la subjectivité exprimée par sans doute » (2021: 17). (Cette propriété importante pour B & A sera commentée dans la Section 4.3).

Ce qu’on retient de ces citations, c’est que la perspective est un stock d’informations sur le monde (croyances et savoirs) disponibles pour L ((a) et (b)) ; que ce stock d’informations sert de base à une évaluation ou un jugement [épistémico-modal] de la proposition ((c) et (e)) ; que ce jugement est subjectif ((e) et (f)) ; et que ce stock d’information potentiellement lacunaire peut conduire à des erreurs d’appréciation ((d)).

Or, la question qui se pose est de savoir si le concept défini ainsi relève bel et bien de la modalité épistémique.

3.2. La perspective restreinte : est-ce bien un concept épistémico-modal?

Les propriétés conférées ci-dessus au concept de perspective restreinte ne sont pas des propriétés prototypiquement attribuées à la notion de modalité épistémique. Ce sont des propriétés qui caractérisent parfaitement en revanche l’inférence sous-jacente à l’évidentialité inférentielle, comme nous verrons dans la Section 4.1.3. Les éléments en italiques dans le passage suivant confirment cette interprétation :

Pour sans doute, « considérer qu’une proposition s’impose selon une perspective restreinte, c’est-à-dire selon les informations qui sont disponibles, revient à dire qu’à l’appui de connaissances qu’il sait potentiellement lacunaires, le locuteur a mené un raisonnement au terme duquel il a sélectionné une proposition qui lui est apparue meilleure que les autres. » (B & A, Reference Bourmayan and Ashino2021: 13, nos italiques)

Dans la citation, Il est question primo, de raisonnement mené par L, secundo, d’informations disponibles sur lesquelles s’appuie ce raisonnement, cette inférence, à savoir les prémisses, tertio, de proposition sélectionnée comme la meilleure des hypothèses possibles à l’issue de ce raisonnement et quarto, de caractère potentiellement lacunaire de la base du raisonnement (des prémisses), avec la possibilité que les conclusions qui en sont tirées soient également erronées (voir la citation (d) dans la Section 3.1.3).

Bref, ce sont des termes qui appartiennent plus à une caractérisation évidentielle inférentielle qu’à une caractérisation épistémico-modale. Le concept de perspective restreinte, qui définit le sens de sans doute, n’est donc pas un concept épistémico-modal, mais un concept évidentiel. Appliquons, pour le montrer, ces propriétés à l’exemple (6)e, que nous reprenons ci-dessous, anticipant sur les éléments qui seront développés dans la Section 4 :

  1. (6)e. Jean a sans doute oublié la réunion.

Grâce à la présence de sans doute, la proposition Jean a oublié la réunion « s’impose » – pour utiliser le terme de B & A – comme une hypothèse, basée sur (et inférée d’) un stock potentiellement lacunaire d’informations primaires, les prémisses, que sans doute invite à imaginer. Formuler une hypothèse n’est pas la même chose que formuler un jugement épistémique sur une proposition, c’est beaucoup plus. Cela consiste à signaler que cette proposition a été inférée par L comme une conclusion dite défaisable (Section 4.1.3) – au statut d’hypothèse – de par le fait qu’il se peut que cette conclusion soit basée sur un ensemble potentiellement incomplet de connaissances (prémisses) non certaines, voire potentiellement fautives. Erreur d’appréciation réfère dans ce contexte à « inférence défaisable ».

Si le concept de perspective restreinte est censé décrire, pour B & A, le sens premier de sans doute, ce sens premier ne peut être qu’évidentiel, vu ce à quoi il réfère. Nous apporterons d’autres arguments en faveur de cette conclusion dans la Section 4.2.

Notons ici qu’il y a des chercheurs pour qui l’évaluation épistémico-modale requiert tout aussi bien une base d’informations (i.e. des prémisses) et une opération inférentielle que l’inférence sous-jacente aux marqueurs évidentiels. C’est le cas aussi de B & A (voir dans la Section 3.1.3 le point (c)). Pour eux, des phrases comme (10a) et (10b) mobilisent toutes deux une base et une inférence. Le recours à une inférence à partir d’une base ne signifierait donc pas ipso facto que l’on est dans l’évidentialité inférentielle, mais que l’on est dans l’évaluation épistémico-modale. Nous reviendrons sur ce problème dans la Section 4.1.2, où nous opposerons les inférences à finalité évidentielle et à finalité épistémico-modale et indiquerons quelle différence il y a entre elles.

3.3. Sans doute et l’état cognitif de l’expérienceur

Un élément important dans l’analyse de sans doute par B & A (cf. Section 2.2) – un élément qui doit contribuer à montrer que sans doute est un marqueur épistémico-modal – est que cet adverbe ne porte sur le dit que de façon indirecte ; il qualifie en première instance les croyances de L, car il « commente la valeur de vérité de la proposition […] en décrivant l’état cognitif du locuteur » (2021: 13). Cette propriété distinguerait notamment sans doute de probablement.

Mais si sans doute réfère à un état cognitif, de quelle nature serait-il ? En synchronie actuelle, c’est clair, l’adverbe ne peut plus exprimer un état cognitif d’absence totale de doute, donc de certitude de L (voir la Section 2.2 et plus loin la Section 4.2). Le mot a perdu cette valeur forte. Nous paraissent difficiles également les expressions utilisées par B & A pour paraphraser (11) : je doute peu et j’ai peu de doute :

  1. (11) Cet homme est sans doute dangereux.

    • --> Je doute peu du fait que cet homme soit dangereux.

    • --> J’ai peu de doutes quant au fait que cet homme soit dangereux. (2021: 12)

Si elles permettraient de décrire des états cognitifs, elles paraissent peu adaptées au sens de sans doute de par la présence de peu et cela pour deux raisons. Premièrement, parce que peu donne à l’expression Je doute peu la même orientation argumentative ou le même cinétisme (Martin, Reference Martin1969: 80) que Je ne doute pas, qui, on l’a vu, est impossible comme paraphrase de sans doute. Deuxièmement, parce que peu dans je doute peu amène un présupposé (cf. Ducrot, Reference Ducrot1984: 18), en l’occurrence « L doute, L a des doutes »Footnote 6 , alors que sans doute, lui, ne dit nullement le doute de L, du moins si on comprend doute comme « incertitude orientée vers le faux » (cf. les Sections 4.1.3 et 4.3). Également difficile serait une description de l’état cognitif de L en termes de « L doute un peu », qui a une orientation négative, incompatible avec l’orientation positive vers la vérité que signalent les énoncés avec sans doute (Section 4.1.3). C’est pour cette même raison d’orientation négative qu’il est impossible que sans doute pointe vers un état cognitif de doute. Nous nous opposons sur ce point à la formulation utilisée par Berrendonner, pour qui sans doute « ne sert plus aujourd’hui qu’à marquer, justement, qu’il y a un doute » (1987: 292).

Ce qui pourrait décrire plus adéquatement l’état cognitif d’un L qui utiliserait un sans doute, serait pour nous quelque chose comme : « Je ne suis pas complètement certain », formule utilisée d’ailleurs par B & A comme enchaînement à une proposition en sans doute (cf. (3) dans la Section 2.1 et note Footnote 3). Nous verrons toutefois plus loin (Section 4.2) que cet état cognitif n’est pas signalé par le sens lexical de sans doute, mais apparaît dans l’interprétation pragmatique de l’énoncé contenant l’adverbe.

4. Une analyse alternative de sans doute

Pour résoudre les problèmes signalés dans la Section 3, nous nous sommes inspirés d’une analyse proposée pour certainement (Dendale Reference Dendale2020 ; Dendale et Kreutz Reference Dendale and Kreutz2022). Nous avancerons quatre hypothèses contra B & A. Elles portent sur trois éléments de sens qui doivent avoir une place dans une description du sémantisme de sans doute. Deux seulement appartiennent à son sens lexical :

  1. 1. En synchronie actuelle, sans doute est fondamentalement et en premier lieu un marqueur évidentiel inférentiel (et pas un marqueur épistémico-modal).

  2. 2. Ce marqueur évidentiel inférentiel signale une inférence d’un type particulier appelée « inférence évidentielle », qui a pour propriété principale d’être défaisable.

  3. 3. L’énoncé avec sans doute reçoit invariablement une interprétation épistémico-modale de non-certitude. Celle-ci est pragmatique et trouve son origine dans les propriétés de cette inférence évidentielle, donc dans l’élément de sens évidentiel.

  4. 4. Sans doute exprime par ailleurs ce qui sera appelé une « posture de certitude » que L prend (et montre) à l’égard du contenu propositionnel qualifié.

4.1. Premier élément de sens : l’élément évidentiel inférentiel

Nous avons montré (Sections 3.1 et 3.2) qu’il est difficile de maintenir, avec la définition qui est donnée au concept de perspective restreinte, que sans doute est un marqueur épistémico-modal. L’hypothèse centrale de notre analyse est que cet adverbe, après avoir perdu la fonction de marqueur épistémico-modal de certitude qu’il a eue à l’origine, ne remplit plus que la fonction de marqueur évidentiel inférentiel. Notons que sans doute a pu avoir sa valeur épistémico-modale de certitude totale jusqu’au début du XIXe siècle, comme semble le montrer l’exemple suivant, qui nous a été signalé par Amalia Rodríguez Somolinos :

  1. (12) Enfin une grande cour se présente, la voiture s’y arrête, notre voyage était fini. Il avait duré cinq jours. Mais que vous dirai-je de la séparation qui s’ensuivit ? Elle fut cruelle sans doute. Heureusement qu’il me parut que mon désespoir n’était pas suffisamment partagé, et grâce à cette circonstance, ainsi qu’aux préoccupations qui suivirent, il se dissipa assez promptement : je n’en fus pas trop incommodé. (Souvenirs de guerre (1812-15) du Lieutenant Martin, présenté par Jacques Jourquin, p. 24, Paris, Editions Tallandier).

Il s’agit sûrement d’un exemple tardif de sans doute avec cette valeur. Pour nous, en français contemporain, un sans aucun doute (avec l’adjectif aucun) conviendrait mieux dans ce contexte.

Un marqueur évidentiel est une expression langagière dont la fonction unique ou première est d’indiquer comment (et nous entendons par là « par quelle opération d’acquisition de savoir ») L a obtenu l’information qu’il transmet. Si on limite ici le champ des opérations d’acquisition de savoir (appelées aussi « sources d’information ») aux trois catégories classiques distinguées dans la littérature sur l’évidentialité (Willett Reference Willett1988) – la perception directe, l’inférence et l’emprunt à autrui (auxquelles Dendale et Schuring Reference Dendale, Schuring and Rouanne2023 proposent d’ajouter l’intuition comme quatrième catégorie), – on peut définir la fonction et la valeur de base de sans doute comme suit :

Sans doute signale que le contenu propositionnel sous sa portée a pour source d’information une opération d’inférence effectuée par L sur la base d’indices/prémisses, c’est-à-dire une forme de raisonnement constituée d’un input (les indices/prémisses), d’un output (la conclusion du raisonnement) et d’une opération inférentielle (qui instaure entre l’input et l’output une relation de « quasi-implication » (Gosselin Reference Gosselin2010: 450)). Cette inférence, que nous appelons « inférence évidentielle », est d’un type particulier, dont la caractéristique principale est la défaisabilité.

Dans ce qui suit, nous aborderons différents éléments importants pour la caractérisation évidentielle inférentielle de sans doute et la caractérisation de l’inférence évidentielle.

4.1.1 Évidentiel inférentiel et inférence évidentielle

Comme marqueur évidentiel, sans doute signale seulement et uniquement que le contenu qu’il qualifie a été obtenu par inférence. Il invite l’interprétant à chercher dans le cotexte ou contexte ou à imaginer ce que nous appellerons des « informations autres » – à comprendre comme les indices/prémisses – sur lesquelles L a pu baser son inférence.

L’analyse de nombreux exemples authentiques nous a montré que les contenus sur lesquels porte sans doute réfèrent systématiquement à des états de choses que L n’a pas pu observer directement ou qui ne constituent pas des savoirs mémorisés de L. Tout ce que L peut faire dans ces cas-là est de formuler des hypothèses. Concrètement, les types de contenus que nous avons trouvés combinés avec sans doute sont des états de choses :

  • internes à autrui (émotions, pensées…) (13) ou immatériels (par exemple des liens causaux) (14),

  • cachés ou pas encore repérés par L (15),

  • se déroulant ou s’étant déroulés ailleurs qu’au lieu d’énonciation (16),

  • passés et dont L n’a pas été témoin (17),

  • futurs (18), imaginés ou imaginaires (potentiels ou contrefactuels) (19) :

  1. (13) Vous êtes sans doute stressée, et surtout impatiente de tenir votre bébé dans les bras. (ftt20)

  2. (14) Il a l’air fatigué, boude sa gamelle, tousse, éternue. C’est sans doute le signe qu’il a attrapé un rhume. (ftt20)

  3. (15) Aux tables attenantes, des hommes plus larges et plus rustiques les observaient. Le service de protection. Les flics étaient sans doute là aussi, quelque part. (cité par Andersson Reference Andersson and Xiao2010: 11)Footnote 7

  4. (16) C’est la triste réalité que vivent depuis des mois les hôpitaux et centres de consultation liégeois, mais sans doute ailleurs aussi. (Tst)

  5. (17) L’auteur de ce dessin à la plume, réalisé en 1678, n’est autre que Jean Baptiste Patigny, le fils même du graveur de la grande carte. L’artiste n’avait alors que 11 ans et il a sans doute reçu l’aide de son père. (ftt20)

  6. (18) Le Camerounais avait déjà fait part de son intention de rester en Angleterre. On ne le reverra sans doute plus porter les couleurs de Lyon. (ftt20)

  7. (19) Ai-je agi comme il le fallait ? J’aurais dû le quitter sans doute. (ftt20)

La présence dans un énoncé de l’adverbe sans doute interdit que ce marqueur ait une interprétation évidentielle autre que l’interprétation inférentielle. Est exclue ainsi, d’une part, l’interprétation « perception directe » de l’état de choses décrit (cf. B & A, Reference Bourmayan and Ashino2021: 3). (20a) n’admet pas (#) une interprétation selon laquelle L a pu observer de ses propres yeux, sans entrave, que la joueuse de padel est plus grande que son partenaire. C’est quelque chose qu’accepteraient sans problème la même phrase sans marqueur évidentiel (20b) ou une phrase comme (20c), avec une expression qui peut avoir une interprétation comme marqueur de perception directe, à ce que je vois :

  1. (20)

    1. a. # Cette joueuse de padel-là est sans doute plus grande que son partenaire.

    2. b. Cette joueuse de padel-là est plus grande que son partenaire.

    3. c. Cette joueuse de padel-là est plus grande que son partenaire, à ce que je vois.

Est exclue aussi, d’autre part, une interprétation selon laquelle le contenu de l’énoncé proviendrait d’un emprunt à autrui. Pour signaler l’emprunt, un autre type de marqueur évidentiel – reportif – doit être utilisé, comme le conditionnel reportif, ou un marqueur parenthétique du type paraît-il, à ce qu’on chuchote, dit X… :

  1. (21)

    1. a. Son père serait le joueur de padel le plus âgé du club.

    2. b. Son père est, paraît-il, le joueur de padel le plus âgé du club.

    3. c. À ce qu’on chuchote, son père est le joueur de padel le plus âgé du club.

    4. d. #Son père est sans doute, paraît-il, le joueur de padel le plus âgé du club.

La combinaison d’un marqueur inférentiel avec un marqueur d’emprunt (21d) est par conséquent difficile aussi.

4.1.2 L’inférence évidentielle, créatrice d’une information nouvelle versus l’inférence dite « épistémico-modale »

Une propriété importante d’un énoncé avec sans doute est qu’il présente son contenu comme un contenu créé à partir d’informations autres – c’est-à-dire autres que le contenu de la proposition modifié par l’adverbe (à savoir des indices/prémisses). Il ne sert pas à requalifier un contenu qui avait déjà été constitué préalablement et tiré ensuite de la mémoire. Pour montrer cela, comparons (21d) et (21e) :

  1. (21)

    1. d. Son père est le joueur de padel le plus âgé du club.

    2. e. Son père est sans doute le joueur de padel le plus âgé du club.

La phrase sans l’adverbe sans doute (21d), se présente comme tiré de la mémoire du L (un savoir). Elle n’est pas marquée pour la façon dont L l’a acquise originellement (emprunt à autrui ou inférence ?). Elle aurait pu être marquée pour le degré de certitude qui y était attaché dans la mémoire du locuteur : c’est ce que montre probablement dans (21f). L’interlocuteur peut aussi appliquer à une information donnée une évaluation épistémico-modale, comme dans (21g) :

  1. (21)

    1. f. Son père est probablement le joueur de padel le plus âgé du club.

    2. g. – Son père est le joueur de padel le plus âgé du club.

      C’est probable/Probablement.

En revanche, (21e) avec sans doute signale que L vient de créer nouvellement cette information sur la base d’informations autres, comme l’âge connu du père, son apparence physique et l’âge connu ou deviné d’un grand nombre d’autres joueurs âgés du club, information qui a été ensuite généralisée, par inférence inductive, à tout le club.

L’exemple suivant, cité par Donaire (Reference Donaire and Camarero Arribas2023: 148), illustre la différence de fonctionnement entre un marqueur évidentiel et un marqueur épistémico-modal :

  1. (22) Ainsi donc, cet homme avait eu un enfant. Un enfant qu’il ne connaissait pas. Pourquoi ? De qui ? De cette femme, sans doute, sans aucun doute. Pourquoi ne le connaissait-il pas ? (Piat 2013, GBooks, cité par Donaire, Reference Donaire and Camarero Arribas2023: 148).

À la question De qui ?, L répond initialement par une hypothèse, que marque sans doute. Cette hypothèse constitue une information nouvelle (il avait eu un enfant de cette femme), inférée à partir d’informations autres (les prémisses), non explicitées ici. Le marqueur sans aucun doute qui suit a une autre fonction : il sert à réévaluer en termes épistémico-modaux la certitude d’une information déjà apportée (par la proposition contenant sans doute). Sans doute est un marqueur évidentiel inférentiel, alors que sans aucun doute est un marqueur épistémico-modal de certitude totale.

La propriété « contenu nouvellement créé à partir d’informations autres » versus « contenu déjà existant ou déjà donné » permet d’opposer aussi le marquage évidentiel au marquage épistémico-modal. Souvent, une évaluation épistémico-modale, ((21f) ou (21g)), est considérée dans la littérature comme le résultat d’une inférence, elle aussi, selon le raisonnement suivant : L ne peut évaluer le degré de certitude/probabilité d’un contenu, que s’il dispose d’informations autres (indices/prémisses) qui permettent et justifient cette évaluation. Voir par exemple Sanders et Spooren (Reference Sanders and Spooren1996: 255) : « Epistemic modals are evidential in the sense that they presuppose some evidence on which the speaker’s epistemically modified statement is based », Matthewson (Reference Matthewson, Alonso-Ovalle and Menéndez-Benito2015: 142) : « an ‘epistemic modal’ is a modal whose modal base relies on evidence », ou Langacker (Reference Langacker and Schmid2017: 19) : « A major reason for evidentiality and modality being hard to separate is that inference has an important role in both […]. Clearly, though, epistemic modality is also inferential » (partout, nos italiques).

4.1.3 Propriétés de l’inférence évidentielle

L’inférence à laquelle réfère un marqueur évidentiel inférentiel – et que nous appelons « inférence évidentielle » – a des propriétés spécifiques qui la distinguent d’inférences ayant d’autres finalités, comme par exemple l’inférence utilisée pour parvenir à un jugement épistémico-modal (mentionné dans la Section 4.1.2) ou pour calculer les implicatures.

D’autres propriétés la distinguent par sa nature interne. Ainsi, pour certains linguistes, en particulier pour Desclés et Guentchéva (Reference Desclés, Guentchéva, Dendale and Van der Auwera2001), l’inférence évidentielle relève nécessairement de l’abduction – une forme d’inférence, identifiée par Peirce (1935), qui remonte des conséquences à leur cause plausible (Guentchéva, Reference Guentchéva1990: 49 n.3). (Pour un aperçu des idées de Desclés et Guentchéva sur l’évidentialité inférentielle, voir Dendale et Miecznikowski Reference Dendale, Miecznikowski, Carretero, Marin-Arrese, Dominguez Romero and Martin de la Rosa2023).

Si l’abduction est certes la forme la plus commune ou connue d’inférence évidentielle (cf. aussi Miche et Lorda Reference Miche and Lorda2014: 46), ce n’est pas la seule possible. B & A mentionnent par exemple l’inférence qui va d’une cause à la conséquence et qui relève de la prédiction (Reference Bourmayan and Ashino2021: 14)Footnote 8 . Mais cela ne couvre pas encore tous les cas d’inférence que peut marquer un évidentiel inférentiel.

La caractéristique commune qu’ont pour nous toutes les formes d’inférence évidentielle est qu’elles sont non monotones, ce qui veut dire que leurs conclusions sont défaisables (Dubucs Reference Dubucs1995), parce que les prémisses pourraient s’avérer incomplètes ou fausses. Cette inférence non-monotone est connue dans la littérature sous des noms divers : defeasible reasoning (Pollock Reference Pollock1987), plausible reasoning (Polya Reference Polya1989), presumptive reasoning (Walton Reference Walton2001), conjecture (Ma et Pietarinen, Reference Ma and Pietarinen2018), etc. Les conclusions auxquelles aboutissent les inférences évidentielles, puisque défaisables, sont donc par nature non-certaines (cf. plus loin Section 4.2). Ce ne sont que des hypothèses plausibles (cf. B & A, Reference Bourmayan and Ashino2021: 13). Ce sont des énoncés orientés vers la vérité, candidats au statut de vérité, mais qui n’ont pas encore été établis vrais.

Émettre une hypothèse constitue un type d’assertion, plus faible qu’asserter, cf. le verbe performatif I hypothesize en anglais tout comme le verbe je jure mène une assertion plus forte qu’asserter. McDowell a baptisée ce type d’acte de langage « quasi-assertion » (1987 ; 1991: 311). Sa condition préparatoire est que L « is explicitly and overtly signalling that he does not know that P is true […] but only infers or deducesFootnote 9 that P is true » (1991: 325). Sa condition de sincérité est qu’elle dispense L « of [the] obligation for total belief and full commitment to the truth of P » (1991: 319). En d’autres termes, une quasi-assertion n’a pas pour propriété de se donner pour assertoriquement vraie. Elle se donne uniquement pour plausible.

L’inférence non monotone s’oppose à l’inférence monotone. La conclusion de cette dernière est nécessairement vraie si les prémisses sont vraies (c’est le cas par exemple de la déduction logique, du syllogisme dit « démonstratif » (Aristote, apud Gosselin Reference Gosselin2010: 130)). Donc et partant, par exemple, sont des connecteurs qui peuvent introduire non seulement des inférences non monotones, mais aussi des inférences monotones ; dans le dernier cas, ils ne sont donc pas à considérer comme des marqueurs évidentiels inférentiels. L’utilisation de sans doute, non monotone, instaure automatiquement ce qu’on pourrait considérer comme une marge d’erreur pour la conclusion qu’il introduit, au cas où une prémisse ignorée de L invaliderait la conclusion.Footnote 10

4.2. Deuxième élément de sens, dérivé : l’élément épistémico-modal

Dans les Sections 3.1 et 3.2, nous avons expliqué pourquoi nous ne considérons pas sans doute comme un marqueur épistémico-modal, c’est-à-dire comme une expression dont la fonction est de répondre à la question : « Quelle est la certitude, la probabilité que ce qui est asserté soit vrai ? » Nous ne contestons toutefois pas la nécessité de postuler un élément de sens épistémico-modal dans la description sémantique de sans doute. Dans la Section 4.1.3, nous avons vu que sans doute signale que l’énoncé dans lequel il apparaît correspond illocutoirement à une quasi-assertion de type hypothèse, conclusion d’une inférence non monotone. Un énoncé avec sans doute aura donc invariablement une valeur épistémico-modale de non-certitude. Cependant ce n’est pas là une valeur que le marqueur a par son sens lexical, mais une valeur seconde, qui émerge au niveau de l’interprétation de l’énoncé comme quasi-assertion et qui remonte en dernière instance aux propriétés de l’inférence évidentielle sous-jacente. L’implication « valeur évidentielle inférentielle non monotone => valeur épistémico-modale » ne vaut pas dans l’autre sens : une valeur épistémico-modale de non-certitude signalée par un item ou attribuée à un énoncé n’implique pas que cette valeur a été obtenue par inférence évidentielle non monotone et ne permet donc pas de conclure automatiquement au recours à une inférence. Elle peut provenir d’autres sources d’information : l’emprunt de propos à quelqu’un qui n’est pas expert ou une perception entravée (J’ai cru voir sa main toucher le ballon, mais je n’en suis pas sûr). Elle peut aussi n’être qu’une sorte d’étiquette épistémico-modale attachée depuis un certain temps à un savoir mémorisé. L’argument majeur en faveur de la primauté de la valeur évidentielle de sans doute et du caractère second de la valeur épistémico-modale de sans doute est donc qu’il est plus facile de prédire, en synchronie, une valeur épistémico-modale à partir d’une valeur évidentielle inférentielle que l’inverse. On a plus de chances d’être dans le vrai si on pose pour sans doute la primauté de la valeur évidentielle que si on pose la primauté de sa valeur épistémico-modale.

Une conséquence des propriétés évidentielles et épistémico-modales de sans doute est que les énoncés avec cet adverbe, à l’instar des énoncés avec certainement évidentiel, peuvent contenir ce qui a été appelé dans Dendale et Kreutz (Reference Dendale and Kreutz2022: 62) des « marqueurs d’aveu d’ignorance », comme (je n’ai) aucune idée (23)–(24) ou je ne sais pas (25). On peut en effet, sans contradiction, avouer ne pas savoir une chose et émettre immédiatement après une hypothèse à propos de cette chose :

  1. (23) Pour configurer le proxy Socks dans Firefox, je n’ai aucune idée de comment faire, sans doute dans les options réseaux. (ftt20)

  2. (24) Rappelle-moi qui a eu la bonne idée de nous faire couper par ici, déjà ? demandai-je à la brunette qui ouvrait la marche. Apparemment insensible à ma réplique qui sonnait plus comme un reproche, ses lèvres esquissèrent un sourire.

    Aucune idée, un crétin, sans doute. (ftt20)

  3. (25) J’aime beaucoup photographier les clôtures de jardin, les délimitations des champs, les fils barbelés… je ne sais pas pourquoisans doute parce que dans chacune d’elles, invariablement, il y a la main de l’homme qui l’a construite, et je trouve cela très photogénique…. (ftt20)

Dans tous ces cas, l’aveu d’ignorance précède le contenu qualifié par sans doute. Miche et Lorda (Reference Miche and Lorda2014: 45) présentent l’exemple suivant, où l’aveu d’ignorance suit, comme enchaînement :

  1. (26) Paul est sans doute dans son bureau ; mais je n’en suis pas sûr(e)/mais je n’en sais rien.

Des cas où sans doute précède je n’en sais rien sont bien attestés, comme nous le signale un des évaluateurs, qui nous en fournit un exemple pris sur Internet. Vérification faite, nous avons effectivement trouvé dans ftt20 une vingtaine d’exemples de je n’en sais rien suivant sans doute à intervalle maximal de 5 mots, tous parfaitement naturels, comme celui-ci :

  1. (27) Pour l’auteur tu as sans doute raison, je n’en sais rien, mais son nom ne figure pas sur le site. (ftt20)

On peut se demander si le fait d’ajouter je n’en sais rien à une hypothèse que l’on vient d’avancer moyennant sans doute ne constitue pas un argument de plus en faveur de notre hypothèse sur la posture de certitude, qui sera présentée dans la section suivante.

4.3. Troisième élément de sens : l’élément épistémique de posture de certitude

Si un énoncé avec sans doute acquiert invariablement une valeur de non-certitude, on n’a pas l’impression toutefois qu’il s’agit d’une affirmation faible. Cela vient d’un autre élément dont nous postulons l’existence dans le sens lexical de sans doute – un élément présent aussi dans celui de certainement évidentiel. Il a été appelé « posture de certitude » dans Dendale (Reference Dendale2020) et Dendale et Kreutz (Reference Dendale and Kreutz2022). Il permet, nous semble-t-il, d’expliquer de façon plus convaincante que le recours à la modalité épistémico-modale, certains faits de langue concernant sans doute. La posture de certitude ne désigne ni un état cognitif de L ni une évaluation épistémico-modale par L du contenu en termes de degré de certitude, mais une forme de comportement, de ton adopté par L,Footnote 11 d’air qu’il se donne en communiquant le contenu qualifié par sans doute.

Ainsi, lorsqu’un locuteur utilise l’adverbe certainement dans son emploi évidentiel inférentiel (et avec une posture de certitude), il se comporte comme quelqu’un qui trouve que le contenu qualifié peut très bien être présenté comme certain, quel que soit l’état cognitif du L (incertitude ou certitude) qui est derrière (Dendale et Kreutz Reference Dendale and Kreutz2022). Il est évident toutefois que quand L juge épistémico-modalement une information comme certaine, par exemple en utilisant certainement dans son emploi épistémico-modal fort, qui réfère à un état cognitif de certitude chez L, la posture que prendra L en sera évidemment aussi une de certitude. Ainsi, dans un exemple comme (22), on passe de la posture de certitude prise par L (exprimée par sans doute évidentiel) à un jugement épistémico-modal de certitude (exprimé par sans aucun doute épistémico-modal), lequel est plus fort que le premier, parce qu’un jugement de certitude pèse plus lourd qu’une posture de certitude. Cf. aussi l’exemple (28), où même souligne une gradation entre les deux adverbes, que nous interprétons comme le passage d’une hypothèse (donc d’une affirmation pas-tout-à-fait-certaine), mais avec une posture de certitude (sans doute) à un jugement de certitude (sans aucun doute) :

  1. (28) Selon l’auteur, la France de Fillon est sans doute, sans aucun doute même, plus dangereuse car plus pernicieuse que celle de Sarkozy, toujours capable de surprise, de contre-pied et même d’enthousiasme. (Tst)

Les cas intéressants sont ceux où L prend une posture de certitude par rapport à un contenu qu’il juge néanmoins non certain. Avec sans doute, L peut signaler, sans contradiction, qu’il tient le contenu qu’il transmet pour non certain, tout en le présentant avec un air, un ton, un comportement assurés ou confiants. La posture de certitude peut donc être ‘en rupture’ avec l’état cognitif du L, tout comme elle peut par ailleurs être en phase avec ce dernier, dans l’autre cas de figure. Cette possibilité de rupture est un trait important du sens lexical de sans doute, mais aussi, de façon plus générale, d’autres marqueurs modaux forts qui peuvent avoir une valeur évidentielle, comme certainement, sûrement, pour sûr, à coup sûr…

C’est entre autres par ce trait-là que sans doute s’oppose pour nous à probablement. Probablement ne peut jamais exprimer une posture de certitude, ni même ses variantes renforcées très probablement, fort probablement, plus que probablement, qui laissent tous entendre malgré tout un « mais ce n’est pas tout à fait certain », incompatible avec une posture de certitude de L, celle-ci étant incompatible avec la reconnaissance de non-certitude de L. C’est pourquoi un énoncé avec probablement (et même avec très probablement) paraîtra toujours globalement comme moins certain qu’un énoncé avec sans doute. Les différences entre probablement et sans doute ne correspondent donc pas, comme l’affirment certains auteurs (Guerry et al. Reference Guerry, Catelain and Caron1993: 216 ; Vlad Reference Vlad and Goes2005: 223Footnote 12 ), à des différences de position de ces adverbes sur l’échelle épistémique (ou de zones occupées sur l’échelle), où sans doute serait placé plus haut que probablement, tout comme très probablement est placé plus haut sur cette échelle, à raison d’ailleurs, que probablement.

Le concept de posture de certitude permet de rendre compte aussi de ce que B & A appellent la « dimension subjective » (Reference Bourmayan and Ashino2021: 17) de sans doute (Section 3.1.3, points (e)-(f)), qui manquerait à probablement, adverbe qui encoderait pour eux une « dimension objective ».

La posture de certitude explique en plus pourquoi par exemple la tournure la plus polie dans (29) est celle avec sans doute, sans doute étant la seule expression de toutes celles en gras à exprimer une posture de certitude. Elle permet à L de se montrer confiant en donnant son compliment, pour flatter ou rassurer ainsi son interlocuteur. Probablement et même très probablement (et évidemment aussi peut-être) y évoqueraient trop la non-certitude de L :

  1. (29)

    1. a. Vous avez sans doute raison, mais il faut aussi considérer que…

    2. b. Vous avez probablement raison, mais il faut aussi considérer que…

    3. c. Vous avez peut-être raison, mais il faut aussi considérer que…

    4. d. Vous avez très probablement raison, mais il faut aussi considérer que…

Les nombreuses exploitations pragmatiques possibles du trait de posture de certitude restent à découvrir. L’une d’elles en tout cas semble être que prendre une posture de certitude permet pour ainsi dire de clore le débat, de mettre fin à un échange d’idées, souvent avant même que celui-ci ne démarre vraiment, par exemple dans (30)–(31). C’est l’aplomb du L qui tue tout débat :

  1. (30) – Tu verras bien, il reviendra sur la discussion d’hier.

    Sans doute/Probablement. (Exemple forgé)

  2. (31) – Il est au courant, lui. – Sans doute. (Exemple forgé)

Comme adverbe exprimant la posture de certitude, sans doute ne porte ni sur le contenu de l’énoncé ni sur l’état cognitif du L : il porte, sur l’acte énonciatif de dire (« dire avec une posture, un air de certitude »), à l’instar de la manière dont le font des adverbes d’énonciation comme sincèrement, honnêtement (cf. B & A, Reference Bourmayan and Ashino2021: 12–13).

Différentes émotions et différents états d’esprit semblent pouvoir accompagner une posture de certitude prise par L, comme le désintérêt ou l’indifférence. C’est un effet qui semble jouer pour les exemples (23) et (24) plus haut. Dans (32), sans doute suggère que L accorde relativement peu d’importance à ce que soit creusée l’hypothèse de la mort précoce. La posture de certitude dispense de donner des hypothèses plus sophistiquées : L joue, en quelque sorte, la certitude et conduit donc à la clôture des débats. Un probablement dans ce contexte aurait suggéré que des recherches plus poussées ont peut-être été faites, qui ont pu établir avec une certaine probabilité (ou plausibilité) la mort précoce, mais cet adverbe aurait suggéré aussi, par son sens lexical, que l’on n’en est pas sûr ou que l’on ne sait pas au juste :

  1. (32) Elle lui avait donné au moins quatre enfants, Guillaume, Marie, Médard et Jeanne. Guillaume Ducamel II, qui se porte parrain à Notre-Dame le 28 juillet 1557, mais dont nous n’entendons plus parler ensuite : il est sans doute mort jeune. (frtt20)

On peut se demander si on pourrait expliquer ainsi l’étrange constat que dans les constructions de type né sans doute / sans doute né, le nombre de dates précises (jour, mois et année, ou année seulement) qui suivent est infiniment moins élevé que celui des dates précises qu’on trouve après probablement né / né probablement. Ce fait intéressant demanderait une étude plus détaillée.

5. Conclusions

L’adverbe sans doute pose le problème de la catégorisation comme marqueur épistémico-modal ou comme marqueur évidentiel inférentiel, d’expressions qui, par leur composition morphologique, semblent relever de la modalité épistémique. Clairement épistémico-modal à l’origine (de par le mot doute qui le compose), sans doute en est venu à être caractérisé en termes évidentiels ou médiatifs. Bourmayan et Ashino (Reference Bourmayan and Ashino2021) thématise explicitement cette problématique, prolongeant et amendant sur ce point l’analyse de Miche et Lorda (Reference Miche and Lorda2014). D’autres études sur sans doute ignorent cette problématique (Féron Reference Féron2002 ; Hermoso Mellado-Damas Reference Hermoso Mellado-Damas2006 ; Ducard Reference Ducard, Rabatel, Ferrara-Léturgie and Léturgie2015 ; Esteban Márquez Reference Esteban Márquez2017 ; Rossari Reference Rossari2018 ; Donaire Reference Donaire and Camarero Arribas2023) ou la traitent dans la marge d’autres phénomènes (Anderson Reference Andersson and Xiao2010). C’est à la catégorisation de sans doute que s’est intéressée notre étude. Nous y avons soumis à un examen critique les hypothèses de B & A et proposé une analyse alternative pour résoudre les problèmes qu’elles posent, nous inspirant d’études récentes sur certainement, un adverbe de composition morphologique clairement épistémico-modale. Nous avons avancé trois hypothèses.

Une première hypothèse est que sans doute n’est pas, en français contemporain, un marqueur épistémico-modal. Il ne signale plus par son sens lexical une position ou zone sur une échelle épistémique : ni la certitude, ni la quasi-certitude, ni la probabilité. Il ne réfère plus non plus à un état cognitif de l’expérienceur, en tout cas pas par son sens lexical. Le concept de « perspective restreinte », en termes duquel B & A définissent la valeur épistémico-modale première de sans doute a été montré ne pas être un concept épistémico-modal, mais un concept évidentiel. Aussi, sans doute est-il un marqueur fondamentalement évidentiel. Dans son emploi actuel, il signale, par son sens lexical, que la source de l’information – c’est-à-dire l’opération d’acquisition du savoir par laquelle le contenu qu’il qualifie en est venu à exister – est une inférence : sans doute indique que ce contenu relève de l’hypothèse la plus plausible, mais en même temps défaisable, inférée par L à partir d’une base d’informations dites autres, les indices/prémisses. Il s’oppose à des marqueurs exprimant les deux autres types de sources d’information reconnus – l’emprunt et la perception directe – que lui ne peut jamais exprimer, et ne permet pas de qualifier un savoir ou une croyance tirés tels quels de la mémoire.

La deuxième hypothèse avancée est qu’un énoncé contenant sans doute aura invariablement une valeur épistémique latente de non-certitude, du fait qu’il se présente comme une hypothèse défaisable, incertaine, une quasi-assertion et non une assertion standard. Mais c’est là non une valeur codée, mais une valeur pragmatique, liée aux propriétés spécifiques de l’acte de langage qu’est la quasi-assertion.

La troisième hypothèse que nous avons avancée est que sans doute a dans son sémantisme propre un trait appelé « posture de certitude », qui ne relève pas de la modalité épistémique, mais qualifie le comportement, le ton de certitude pris par L, un ton assuré, confiant (de façon vraie ou feinte). Celui-là n’est pas en contradiction avec le fait que le locuteur (et l’interprétant) savent que ce qui est énoncé n’est qu’une hypothèse, par nature non certaine. Ce trait sémantique relie le sens actuel du mot à son ancienne valeur épistémico-modale de certitude, qui est transformée en une certitude se manifestant à un autre niveau, celui du comportement ou du ton épistémiques du locuteur.

Acknowledgements

Cette recherche a bénéficié d’un soutien financier du Fonds Wetenschappelijk Onderzoek - FWO (ID 49773 - K802823N) et Bijzonder Onderzoeksfonds de l’Université d’Anvers (BOF-UA 2023-2024, ID 49969), tous deux dans le cadre d’un congé sabbatique accordé pour 2023-2024. Elle a bénéficié aussi du soutien du projet de recherche PID2020-113017GB-I00 “Énonciation et pragmatique historique du français”, du Ministerio de Ciencia, Innovación y Universidades, Espagne.

Competing interests

Patrick Dendale is handling editor for JFLS. No other conflicts of interest to declare. Anne Vanderheyden declares none.

Footnotes

1 La base bibliographique en ligne Lexicales (v. 22.2, Dendale Reference Dendale2024) recense douze études sur sans doute, dont deux directement sur la différence entre sans doute et probablement. Nous partirons de Bourmayan et Ashino (Reference Bourmayan and Ashino2021), tout en intégrant des points importants d’autres études sur l’adverbe.

2 B & A utilisent le terme de médiatif, employé fréquemment dans la littérature francophone comme équivalent « moins anglophone » de évidentiel. Pour une réflexion sur les différences notionnelles entre évidentiel et médiatif, voir Guentchéva (Reference Guentchéva2004, Reference Guentchéva, Anscombre, Oppermann-Marsaux and Somolinos2014). Pour des réflexions critiques concernant le terme médiatif, voir Dendale (Reference Dendale, Anscombre, Oppermann-Marsaux and Somolinos2014: 245, n. 3).

3 Signalons l’importance dans cet enchaînement de l’adverbe complètement (ailleurs dans l’article, c’est entièrement qui est utilisé (p.ex. 2021: 4)). Sans cet adverbe, la séquence nous paraît peu naturelle. Nous verrons dans les Sections 3.3 et 4.3 des explications possibles de la nécessité d’ajouter ces adverbes modifieurs.

4 Pour être plus précis, il s’agit dans la classification de Molinier et Levrier (Reference Molinier and Levrier2000), de la classe appelée « adverbes de phrase disjonctifs d’attitude », une sous-classe des « modaux ». Y sont rangés entre autres (p. 92) : apparemment, manifestement et visiblement, que nous classerions tous comme évidentiels, et supposément, dont le statut n’est pas évident non plus.

5 L’emploi de raisons dans cette définition de probablement peut étonner. Dans d’autres définitions de dictionnaire de probable(ment), c’est plutôt chances qui est utilisé : Probable : « Qui a plus de chances de se produire que de ne pas se produire » (Antidote 10, dictionnaire). Raisons suggère qu’il y a autre chose qui joue que des valeurs de probabilité, par exemple des arguments ou justifications. Formulée ainsi, cela définit pour nous davantage la notion de plausibilité que celle de la probabilité.

6 Cf. la formulation : « l’expérienceur […] qui ressent le doute » (2021: 5-6).

7 Quelque part suggère ici que l’endroit n’a pas (encore) été repéré visuellement.

8 Cf. Dendale et De Mulder (Reference Dendale, De Mulder and Guentchéva1996) pour un exemple analogue avec devoir.

9 Ce terme est impropre pour nous si on le comprend comme « déduire de façon monotone ».

10 Tout cela rejoint l’idée que B & A avaient introduite sous le couvert du concept de « perspective restreinte ».

11 Comme l’observe un des évaluateurs anonymes, notre notion de « posture » ressemble à celle de « ton » introduite par Lescano et définie comme « la manière de présentation du contenu » (2009: 47). Elle paraît aussi compatible avec l’idée que : « [c]hoisir un “ton”, c’est adopter un type de voix, une posture énonciative » (Lescano Reference Lescano2009: 47-48). Nous ne parvenons toutefois pas à déterminer si la posture telle que définie ici équivaudrait au « ton du locuteur » ou au « ton du témoin » de Lescano. La question reste donc pour le moment ouverte.

12 Vlad écrit : « Avec probablement et vraisemblablement le degré de certitude de l’énoncé augmente [par rapport à éventuellement], de sorte que la valeur de vérité de l’énoncé se rapproche du domaine modal du probable » et « avec sans doute et certainement le degré de certitude de l’énoncé est encore plus grand, la valeur de vérité de l’énoncé étant très proche de la valeur modale <certain> » (2005: 223).

References

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