Première partie
Pour m'acquitter d'une vieille dette envers W. G. Lambert et lui rendre un dernier hommage, j’édite les fragments sumériens du musée de Birmingham qu'il m'avait autrefois généreusement communiqués.Footnote 1 Les copies de Lambert sont aujourd'hui accessibles dans la publication de George et Taniguchi (Reference George and Taniguchi2019) sous les numéros 35 à 38. Ces fragments appartiennent à trois compositions différentes et ne prennent tout leur sens que si on les replace dans le contexte de ces compositions. Nous essaierons donc de remettre ces fragments dans leur contexte et de les traduire, dans la mesure du possible.
Le premier fragment (chapitre 1), plutôt bien conservé, est extrait d'un balag (ou mieux balaĝ), c'est à dire d'une composition liturgique sumérienne récitée en principe au son de la harpe balag (balaĝ/buluĝ5). Évidemment nous n'en avons que la partie orale, il nous manque la musique et surtout le noyau narratif et visuel, les actions évoquées par les chanteurs ou accomplies par les acteurs. Ce balag particulièrement intéressant, qui a dû faire partie d'une liturgie de la déesse Nin-isina, comportait au moins 70 sections (désignées par la rubrique ki-ru-gú + un nombre ordinal, ki-ru-gú I, II, III etc.), il reflète donc une cérémonie très longue qui a pu se dérouler sur plusieurs jours, et fait allusion à des épisodes mystérieux et dramatiques de la vie des dieux dont les compositions mythologiques ne nous disent presque rien. L'interprétation est particulièrement délicate.
Les fragments deux et trois (chapitre 2) ont été arrachés à deux grandes tablettes découvertes à Sippir vers la fin du XIXème siècle ; l'un des fragments ne peut encore être rattaché avec certitude à l'ensemble d'où il provient, tandis que le second comble une lacune dans une grande tablette qui peut maintenant être restaurée presque entièrement. Ces tablettes contenaient aussi des balag, même si elles n'en portent pas le titre, et sont divisées en sections qui ne sont pas désignées par le terme de ki-ru-gú mais sont marquées par un double trait de séparation. Leur caractère liturgique est beaucoup plus évident. Leur thème est l'apaisement de la colère des dieux, carmine di superi placantur, carmine manes. On peut dans une certaine mesure distinguer les voix humaines (chœur ou soliste) ou divines, puisque les dieux prennent souvent la parole, et imaginer dans ses grandes lignes le déroulement d'une cérémonie qui a pu ressembler par moments à une sorte d'opéra.
Chapitre 1) BCM 206′78. Extrait d'un grand balag.
La tablette copiée par Lambert (L) est une tablette im-gíd-da (haute et étroite, sans subdivisions verticales) qui contient les sections (ki-ru-gú) LXVII à LXIX d'une grande liturgie correspondant aux ki-ru-gú LXIII à LXV du balag BM 86535 (K) que Kramer appelait ‘a diversified balag-composition’ dans son édition de 1985.Footnote 2 La traduction de Kramer était une tentative héroïque car cette interminable liturgie ne peut encore aujourd'hui être complètement reconstruite ni comprise. Pour mon propre essai, plein d'incertitudes, spero trovar pietà nonché perdono.
Ce balag semble contenir dans un style très mouvementé et presque baroque un pot-pourri d'allusions à des actes rituels et à des thèmes mythologiques, dont le passage du ki-ru-gú K-XLV que nous allons citer et la traduction de Kramer (Reference Kramer, Durand and Kupper1985) pouvaient déjà donner une idée. Même dans les passages où on comprend le mot à mot, le texte reste difficile, car il y a sans doute des échanges de répliques, parfois dans la même ligne, sans que le changement de locuteur soit indiqué. On a le même style dans la partie commune à K et L qui devrait se situer vers la fin de la cérémonie.Footnote 3 Abstraction faite des divergences sur le nombre des ki-ru-gú, les deux témoins sont si proches l'un de l'autre qu'ils doivent provenir de la même école.
Šamaš-muballiṭ, qui signe comme auteur de notre im-gíd-da pourrait être identique au Šamaš-muballiṭ fils de Warad-Sîn qui dicta BM 96933Footnote 4, une très grande tablette contenant un balag d'Inana avec 28 ki-ru-gú et un finale ki-šú. Cependant l'identité devrait être confirmée par d'autres données. Un certain Šamaš-muballiṭ a aussi écrit l'eršahuĝa L 1493 (ISET 1, 223), qui pourrait provenir de Larsa (v. Löhnert Reference Löhnert2009: 70); c'est peut-être encore notre homme.
Le premier morceau intelligible que nous puissions attribuer à cette liturgie est la col. v d'une grande tablette (CBS 2249 = HAV 449, 13 = P259294), contenant un parallèle au ki-ru-gú K-XLV. Il est question de Nin-Isina, avec un passage remarquable, mais bien difficile à comprendre et à rendre (l. 11’ sqq.)Footnote 5:
Je reprends brièvement la paraphrase de Kramer, en insérant mes collations (sur la photo publiée par Kramer) et interprétations: il est encore question de Nin-Isina jusqu'au ki-ru-gú K-XLIX; au ki-ru-gú K-XLVII il est question d'une constructionFootnote 8 et d'un tissuFootnote 9, mais qui ne peut servir à habiller (la déesse ? K58 : gú *nam-mi-ib-è), ce qui inspire la crainte au tisserand (K59 : túg-tuku5-ra ní ba-e-lá). Toujours selon Kramer, le ki-ru-gú K-XLIX contient un dialogue entre la déesse et une personne qui lui apporte de l’étable lait et graisse :
« Il est venu de l’étable. ― Apportes-tu avec toi de la graisse ? ― Elalu ! Il est venu de la bergerie. ― Apportes-tu avec toi du lait ? » (K60–61). Elle (la déesse ?) ajoute « Tu n'es pas une bonne servante (? ama-subur) Tu ne m'as pas fait de sac (lu-ub ≃ lu-úb?) pour les porter (? K62) : quelqu'un (a-subur = le bon serviteur ?) est assis pour jouer de la harpe. La déesse(?) lui(?) demande d'apporter huile et orge. Il est encore question de tissu : e-la-lu túg-TAG ge en-na ra-*dé « Elalu! Le bon tissu une fois apporté (≃ túg tuku5 ge-na a-ra-de6?), elalu, moi la servante(?) je le (le tissu?) placerai dans le ‘lieu extérieur’. Moi, Gašantiluba, je le placerai dans le ‘lieu extérieur’. ― Gašantiluba, ton épeautre (ud-duru5-zu) l'eau va l'emporter (a-*e? àm-ri?-e). ― Cet épeautre (ud-duru5-bi) commence à pointer (? igi im-dù), tu me le donneras aussi ?» (K75–79). Le ki-ru-gú se termine sur une note positive : « Gašantiluba, je vais couvrir ton corps d'orge ― Tu me feras aussi de l'auvent de la maison une demeure stable » (K80–81). On semble donc avoir affaire aux préparatifs d'un rituel.
La suite du texte (ki-ru-gú K-L à K-LIX) évoque l'arrivée d'Enki en grande pompe.Footnote 10 Il vient en bateau depuis Eridu, portant l'abondance et les me. Il profite du voyage pour attraper quelques poissons. Au ki-ru-gú K-LIV on lui demande — moitié en Emesal, moitié en Emegir — de veiller avec attention à la maison et au bien-être de l'homme (mu-lu).Footnote 11 Il y a peut-être cependant un élément dramatique qui m’échappe dans le ki-ru-gú suivant (K-LV), si je comprends bien le passage : ù-mu-un igi-zu li-bi-àm-ma mu-lu-da mu-un-da-bala-e « Seigneur, ne me quitte pas du regardFootnote 12 — (Mais) il (le seigneur/le regard ?) se détourne(?) de l'homme » K158. Cependant Damgalnuna, au ki-ru-gú K-LVI semble intervenir en faveur de l'homme. Aux deux ki-ru-gú suivants (LVII et LVIII), Enki est toujours en route, acclamé par des chants,Footnote 13 puis arrive peut-être à destination (ki-ru-gú K-LIX).
Qui est cet homme (mu-lu) ? Peut-être Nin-Isina elle-même ou son fils, qui va faire son apparition. Le ki-ru-gú LX commence en effet avec cette ligne, qui introduit Ab'u (Ab-ú/Ab-ba6),Footnote 14 qui semble ici être le fils et non l’époux de Gula/Nin-Isina (v. Peterson Reference Peterson2009 : 58) :
« Sa mère (Nin-Isina ?) est revenue ? (in-gi4), Ay-ay Ab'u » K195; Ab'u prend la parole (« Ce que ma mère a fait je vais le faire aussi » K204); il semble fonder une ville, mais la fin du ki-ru-gú est très énigmatique:
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« Ab'u a planté une lance (urudadalla2), et voilà une ville bâtie;
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Ab'u a planté une lance, et voilà une ville puissante.
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Ab'u a abreuvé d'eau claire les moutons de tête,
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Ab'u a abreuvé d'eau trouble les moutons de queue.
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Il a fait têter (sú-ub ≃ sub) la boue aux chèvres de montagne,
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Il a fait têter la boue Footnote 15 aux moutons des oueds de la lagune » (K207–212)
Ce qui pourrait signifier que son entreprise fut longue et ardue. C'est peut-être Nin-isina qui parle au ki-ru-gú suivant (« Hou hou, Ab'u (fils ? du) seigneur, je suis moi-même entrée avec lui » K213 sqq.), peut-être une sorte de berceuse (?). Le ki-ru-gú K-LXII est mal conservé.
Nous ré-éditons les trois ki-ru-gú suivants avec le parallèle de Birmingham (L). L'alternance de formes Emesal et de formes Emegir peut être l'indice d'un changement de locuteur, ici aussi. Les formes Emesal des lignes L9.28.32.35.38 se retrouvent presque signe pour signe dans le texte K. Le texte est parsemé d'indications narratives (aux lignes L18–19, L23, L28 et 38 tout au moins). Dans le ki-ru-gú L-LXVII // K-LXIII un homme semble donner des instructions à une femme pour la préparation de boissons, et celle-ci lui répond que tout est prêt. Enki est encore présent (L3). Il s'agit peut-être d'un banquet funèbre, car au ki-ru-gú suivant (L-LXVIII // K-LXIV), Inana (= Ninisina ?)Footnote 16 pleure peut-être l'enfant qu'elle ne verra pas(?). La déploration semble se poursuivre au ki-ru-gú LXIX, où on évoque le corps du dieu, mais est-il défunt ou en vie ?
Cherchant un scénario qui puisse donner une cohérence à la succession de ces morceaux, j'imaginerai — en attendant mieux — qu'au moment où commence la partie préservée du texte la scène se passe à Isin. D'une façon générale, c'est Nin-Isina qui doit être l'héroïne principale de la liturgie.Footnote 17 Elle va peut-être à Eridu chercher Enki, qui fait le voyage pour assister à un événement (peut-être la fondation d'une ville par Ab'u, le fils de Nin-Isina, peut-être la naissance de l'enfant d'Inana venue chercher l'assistance de Ninisina ?). Ab'u semble connaître quelques déboires. En tout cas, quand le texte s'interrompt, l'histoire semble avoir pris un tour tragique et l'enfant d'Inana ne verra pas le jour, peut-être la mère elle-même mourra-t-elle en couches!Footnote 18 On aimerait connaître le fin mot de l'histoire…
Translittération
K = Kramer Reference Kramer, Durand and Kupper1985 ; L = Lambert in George/Taniguchi 2019 no. 35 ; j'ai pu utiliser aussi une copie inédite que m'a aimablement communiquée A. George.
Traduction (Emesal en italique).
Remarques
dans la traduction, ne sachant pas toujours si j'ai affaire à une partie rituelle ou narrative, j'essaie en général d'utiliser le présent.
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ad L3. D'après la copie de Lambert on peut être tenté de restituer une forme verbale comme *˹ḫé-em-ma-da˺-[an-ku4-ku4] « qu'il entre aussi ». Je lis sa10 et non ḫé d'après la copie de George, qui a dessiné plus de traces que Lambert à l'intérieur du signe, et j'y vois le verbe utilisé en magie quand il s'agit de puiser (akk. sâbu) l'eau pour le rituel, v. George Reference George2016: 65 sq. La répétition de a-a den-ki plaide aussi pour un impératif.
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ad L10 et 14. mu-NI-luḫ-luḫ ne peut guère être autre chose qu'une forme verbale « j'ai/tu as lavé », mais avant šúm-mu-na-ab on attend un objet. Je suppose donc une forme verbale nominalisée avec le sens ‘(objet) servant à laver’ (bassin, aiguière ?). On a peut-être le même phénomène dans ga-mu-ri-ig-da (L27 // K261).
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ad L20. Usaḫara : la nature de cette divinité n'est pas fermement établie. Pour résumer la synthèse de N. Rudik (in RlA s.v.), le contexte des listes et de la Lamentation sur Ur suggèrent que c'est une parèdre de Šara, mais son épithète standard est dumu-nu-gig-ga // [mā]r ? ištarīti ‘fils de la hiérodule’Footnote 19 ; Il pourrait s'agir aussi d'un autre nom ou même d'une autre graphie, surtout littéraire, pour Šara, lui aussi fils d'Inana, ce que j'admets ici, mais je peux faire erreur. Nous avons évoqué plus haut le parallélisme très frappant avec le balag CT 42, 3 ki-ru-gú XII, décrivant la naissance du dieu Lulal.
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ad L21. En frappant ? Il s'agit peut-être des affres de l'accouchement. Peut-être à rapprocher de l’équation lexicale dub?/um? ki-ra-ra : izbu (Stol Reference Stol2000: 112 n. 19), qui s'explique par Ninisina A 76 dub?/um? ki ra-ra-dè « faire tomber le fœtus ? à terre ».
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ad L24–27. Les derniers mots d'une mère mourante ? Aux lignes 24 et 27 on pourrait avoir deux métaphores pour évoquer la vie interrompue. Les deux images, celle du verrou qui reste bloquéFootnote 20 et celle du fil qui ne peut être dévidé de la quenouille peuvent évoquer plus précisément deux naissances qui étaient possibles, mais furent avortées.
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ad L27. Au lieu de ri-IG (clair dans K), L semble avoir ri-LI(=èn ?). Si ga-mu-ri-ig est bien une variante de gagariĝ2(ZUM), cela suggère que le mot est une ancienne forme verbale nominalisée, du type ga-an-tuš plutôt réservé aux professions ou activités habituelles.
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ad L29(//39). Les traces dans K semblent être celles de AMA, mais celles de L (aussi à la l. 39) suggèrent plutôt DA. Si on lit DA, on peut comprendre *da-mu = dDa-mu, mais ce fils de Ninisina n'apparaît pas ailleurs dans le texte. Pour la fin de la ligne je tente d'analyser *ug5-ga-da nam-da-ri « Il glisse hors de la morte/en mourant » ou peut-être *ug5-ga da nam-da-ri « Elle fait glisser le mort » ? La deuxième hypothèse suppose à cette ligne et aux lignes suivantes le composé da+ri rendu dans les listes lexicales par ḫatānu ‘prendre sous sa protection’, našû ša ṣeḫri, ša almatti ‘prendre en charge un enfant, une veuve’ (voir Sefati Reference Sefati1998: 265 ad 13), mais qui a le sens plus général d'accompagner, avancer aux côtés de, comme dans gu4-da-ri ‘bouvier’ (littérature dans Attinger Reference Attinger2021: 850).Footnote 21 On le trouve dans dumu lú úr-ra da an-ri-ri gù nun sù-sù-dè « faisant glisser le petit d'homme (à sa sortie) du ventre, pour le laisser pousser de longs hurlements » Ninisina A 77, dans un contexte qui rappelle le nôtre. À cause du rapport synchroniquement perceptible entre le sens du substantif (côté) et le sens grammatical usuel (avec), da a pu avoir tendance à s'agglutiner au verbe ri avec le statut d'infixe comitatif. Quoi qu'il en soit cette phrase qui revient cinq fois, toujours dans la même graphie, reste mystérieuse.
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ad L36–37. Une sorte d'hendiadys pour dire « il/elle? le contemple sous tous les angles » ? Dans un texte consécratoire (Kultmittelbeschwörung) conservé en deux versions (G = George Reference George2016: 31, no. 5h // M = Tell Haddad H 60, inédit) on voit le dieu ébéniste manier le bois de tamaris en ces termes :
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G10–11 sig-ta ba-e-ši-in-gub / nim-šè ù bí-in-du8
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M8. si-ig-ta ba-ši-gu-ub ni-im-ši um-me-[…]
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G12–13. nim-šè ba-e-ši-in-gub / sig-ta ù bí-in-du8
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M9. ni-in-ta ba-ši-gu-ub si-ig-še um-m[e-…]
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« Il place (le rabot/le ciseau ?) sur toi d'en bas, regard tourné vers le haut,
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Il place (le rabot/le ciseau ?) sur toi vers le haut, regard tourné vers le bas »
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Ici il semble qu'on décrive le corps du dieu un peu comme on ferait d'une statue. Comparer aussi Lugale 288–289 : a-sàg [n]í-me-lám-bi gub-ba sig-šè ba-ši-gub, sig-šè b[a-š]i-gub nim-šè u6! bí-in-du11 « L'asakku qui se tenait droit dans sa splendeur, il (Ninurta) le met à bas, le met à bas et le contemple de haut (?) ».
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ad L39. Voir ad L29.
Chapitre 2) BCM A.1850–1982 et A.1851–1982. Fragments d'un grand balag.
A.1851 : copie W.G. Lambert George/Taniguchi 2019 no. 36.
A.1850 : ibd. no. 37.
Le fragment A.1851 appartient à la même tablette que VAT 1334++ (SK 12), dont il complète les col. iii et iv.Footnote 22 La tablette originelle, qui comprenait trois colonnes par face, se trouve aujourd'hui écartelée entre au moins quatre musées, Birmingham, Berlin, Philadelphie,Footnote 23 mais aussi Londres, car BM 81014+132268(+)132267 (CT 58, 39) sont aussi des morceaux détachés de cette grande tablette. Sur la face les ‘joins’ sont parfaitement ajustés, plus délicats à réaliser sur le revers. Les fragments s'assemblent selon le schéma ci-joint (Fig. 1 a et b) ; une fois réunis ils permettent de reconstituer presque complètement une grande tablette, que nous appellerons S3 (suivant Löhnert Reference Löhnert2009: 90) et que nous transcrirons intégralement ci-dessous. Loin d’être un chef d’œuvre littéraire, S3 est rédigé de manière un peu hétéroclite ;Footnote 24 c'est un pot-pourri mal ficelé de formules typiques des liturgies d'Enlil et Ninurta et même à l'occasion de Dumuzi, mais il est dans l'ensemble bien préservé et nous restitue en quelque sorte le livret d'un drame liturgique plein de pathos qui a pu être représenté dans un temple de Sippir. Il n'y a pas d'indications scéniques ni de rubriques ki-ru-gú. Seul un double trait sépare les différents chants du texte, qui ne reflètent pas nécessairement différents moments de la liturgie ― on sait entre autres par le rituel de Mari que les liturgies comprenaient un ensemble complexe de legomena et dromena ―, et peuvent aussi comporter des changements d'interprètes ou de mode musical.
A.1850 ne peut appartenir à la même tablette, car je ne vois pas où il pourrait se placer dans les lacunes. Il pourrait provenir de la même tablette que SK 20Footnote 25 ou que SK 33.Footnote 26 Comme la colonne droite (ii’) contient un parallèle à une portion du texte de A.1851, nous l'utiliserons pour restituer le texte ci-dessous et nous transcrirons le peu qui reste de la col. i’ à la fin de ce chapitre.
Remarques bibliographiques
Cohen (Reference Cohen1988: 258–260 et 264–270) édite les parties publiées de la liturgie. Löhnert décrit et commente le texte (2009: 90 et 138–139), puis transcrit la col. ii 1–28, correspondant au ki-ru-gú n+1 du balag Utu-gen7 è-ta, dam-gàra ba-da-kúr (ibid. 322–328 ; on trouve les lignes 29–32 à la p. 316).Footnote 27 Le ki-ru-gú n+2 de Löhnert (p. 346–373) succède au chant dam-gàra ba-da-kúr dans S3 aussi. Grâce à S3 nous le connaissons mieux désormais et nous savons qu'il avait pour incipit unken-saĝ-ĝá <…>. Delnero (Reference Delnero, Feliu, Karahashi and Rubio2017: 89–90), partant de CBS 10417, décrit aussi brièvement les textes ; Delnero (Reference Delnero2020: 142–166) développe son étude en apportant de nouveaux parallèles, dont le texte que nous éditons ici.
Pour les passages déjà publiés par Löhnert (Reference Löhnert2009) je ne reproduis pas tous les parallèles, mais, pour éclairer l'interprétation, je cite à l'occasion des parallèles à certains passages, particulièrement SK 11+ (Löhnert S1) et SK 25 (Löhnert S5 ; Krecher Reference Krecher1966, utilisé déjà par Löhnert Reference Löhnert2009: 350–356), mais aussi un texte inédit de Mari (TH 00-T57a++, ici M ; v. Nicolet, à paraître).Footnote 28 Quand j'utilise les versions tardives, je les cite avec le sigle de Löhnert, si elle leur en a donné un. Noter aussi les parallèles avec l'ersema no. 160 (Cohen Reference Cohen1981: 127–129, en fait une partie du balag 31B Utu-gen7 è-ta aḫû, v. supra n. 10), 19–29 // S3 iii 1’–10’.
Contenu
La tablette S3 consiste en quatre chants. Le chant premier, pas nécessairement le premier de la liturgie, a pour incipit ud-re ud-re-gen7 te ga-ga-zal(ni) « Comment pourrais-je encore vivre (ga+inga ?) un jour comme ce jour-là, ce jour lointain ? », incipit d'un morceau utilisé aussi dans le balag úru-ḫul-a-ke4 de Gula.Footnote 29 Ce ‘jour’ signifie d'abord un moment du temps, puis, dans la deuxième partie du chant, prend le sens plus large de force du verbe divin. Si ma traduction de l'incipit est juste, le texte est formulé à la première personne, probablement chanté en solo par une déesse, Ninlil ou Aruru (malgré l'incipit Emegir).
Chant 2
Le chant suivant (dam-gàra ba-da-kúr/gur) décrit les conséquences du désintéressement d'Enlil pour sa cité. Il est déjà en grande partie connu et publié.
Chant 3
Unken-saĝ-ĝá … Ce chant raconte comment Enlil a rédigé une tablette stipulant la destruction de diverses cités. Divers dieux l'implorent de revoir cette tablette et de mieux l'interpréter.
Chant 4
Le début du chant est perdu, mais l'incipit était sans doute a lu-lu-mu et les lignes manquantes peuvent être restituées par les parallèles.Footnote 30 Dans ce chant quelqu'un (le chœur ?) s'adresse (jusqu’à iv 10) à Enlil/Ninurta, qui réplique (iv 11 sqq.) en disant qu'il a bien des raisons de donner libre cours à sa méchante humeur, en particulier — si je comprends bien — l'indolence de la police alors que toutes sortes d’étrangers se pressent aux portes de sa ville, nil novi sub sole ! Sourd aux supplications de plusieurs déesses (qui interviennent peut-être encore en personne, mais le passage est mal conservé), Enlil énonce sur un ton péremptoire en quelle qualité et sous quel nom il désire être invoqué. Ensuite on (un soliste ? Le chœur ?) implore les dieux de revenir sur leur colère (šab gi'u) puis on (le chœur ?) appelle la restauration des sanctuaires qui doivent ‘émerger des nuées comme le soleil’ (utugen ebara).
Ce chant comprend donc au moins quatre moments distincts et suppose au moins trois voix différentes, sans qu'aucune césure ne soit marquée dans le texte. Le témoin de Mari n'indique pas non plus de césure. Cela peut se comprendre si on imagine sur la scène plusieurs acteurs et chanteurs qui se donnent la réplique dans un acte très dramatique. Le reste de la dernière colonne est vide, la fin du texte semble donc marquer aussi celle de la cérémonie.
Dans le témoin de Mari (M) le chant A-lu-lu-mu est suivi du chant E-lum di-da-ra (e-en/in ga-na-tuš) « Le Seigneur qui vient, (comment pourrais-je prendre place auprès de lui ?) », les mots d'une déesse (Ninlil ou Aruru, peut-être Inana) horrifiée par la cruauté d'Enlil. Dans S1 (SK 11+) le chant A lu-lu-mu commence col. iv 2’ (ca iv 22)Footnote 31, occupe au moins une partie de la col. v, et le chant E-lum di-da-ra commence à la col. vi 8. Les deux chants se succèdent donc dans S1 et dans M, avec peut-être dans S1 un chant qui les sépare ou une variante pour la fin du chant A-lu-lu-mu.
Si on compare la succession des morceaux de S3 avec l'ordre des ki-ru-gú d’Utu-gen7 è-ta (dans la mesure où il est établi par Löhnert Reference Löhnert2009) et les enchaînements suggérés par la succession des extraits dans l'antiphonaire publié par Gabbay et Mirelman (Reference Gabbay and Mirelman2011)Footnote 32 on observe des correspondances assez frappantes (Fig. 2).
La séquence des ki-ru-gú Uregen–Damgara obéit à une sorte de standard : le premier traduit l'angoisse de la déesse et des citoyens de devoir revivre les catastrophes passées et le second explicite les raisons de la situation : Enlil s'est détourné et l’économie périclite. L'incipit du chant unken-saĝ-ĝá semble avoir été remplacé au cours des siècles par dub-saĝ-ĝá sans que le contenu soit profondément modifié.Footnote 33 L'incipit A lu-lu-mu semble s’être métamorphosé en A-za-lu-lu.Footnote 34 On ne connaît toujours pas exactement la fin du chant : elle a pu varier en fonction de l'usage rituel. Notre texte S3 semble être une version courte, tandis que S1 et le texte de l'antiphonaire enchaînaient sur l'interminable litanie Mullile damani Nillile, utilisée par diverses liturgies.Footnote 35
D'après l'antiphonaire, il semble qu'on ait après le ki-ru-gú Dub-saĝ-ĝá … un épisode où intervient Enki (lugal abzu si), sans doute pour calmer Enlil et arranger les choses,Footnote 36 mais je ne sais pas si ces passages étaient présents dans les versions paléo-babyloniennes de Utu-gen7 è-ta, ni s'ils ont survécu jusqu’à nous.
La réunion de tous les fragments identifiés jusqu’à présent donne pour S3 le texte suivant :Footnote 37
Chant 1
Chant 2
Chant 3
Intercession des déesses et d'Enki
Chant 4 On (Ninlil/le chœur ?) s'adresse à Enlil
Réplique d'Enlil
Enlil affirme son autorité
Le chœur (?) implore l'apaisement
et la restauration des cités
Traduction
Chant 1
Chant 2
Chant 3
Intercession des déesses et d'Enki
Chant 4 On (Ninlil/le chœur ?) s'adresse à Enlil
Réplique d'Enlil
Enlil affirme son autorité
Le chœur (?) implore l'apaisement
et la restauration des cités
Commentaire
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ad S3 i 1. Pour l'interprétation de cette ligne la version tardive [ĝi6-re] ĝi6-re-gen7 te-ĝá x x x // […]-a mu-ši x [(x)] (SBH 52 rev. 2–3 = CLAM 258 b+93) n'est pas très éclairante. On a une autre version de cet incipit dans un antiphonaire avec indications musicales : ka sed u4-re-e ˹u4˺- [re]-gen7 u4-re-˹e u4-re-gen7˺ a te-te ga-zu (Gabbay/Mirelman 2011: 277, 9’). La lecture zal est d'autant plus probable que zal forme refrain dans les lignes qui suivent, et l'enchaînement semble assez clair : « … ce jour lointain …, ce jour qu'Enlil (nous) a fait vivre … etc. ». La version de Gabbay/Mirelman est sans doute à comprendre « Pourquoi, pourquoi devrais-je connaître encore un jour comme ce jour-là … ? » avec à peu près le même sens. On a une phrase comparable, mais avec l’élément deictique -e (au lieu de -re) et un verbe encore différent dans ù-é ù-é-gen7 te ga-àm-ga-gub(DU) « Pourquoi devrais-je assister en outre à ce jour ou à un jour pareil ?» (BM 96684, CT 36, 43 ii 20’), s'il faut bien entendre ainsi cette phrase.
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ad S3 i 20. Littéralement ‘qui fait revenir (brutalement ?) ses plus menues choses à ses plus énormes’, c'est-à-dire peut-être ‘qui fait d'un caillou une montagne’, ‘qui fait de la moindre chose un danger, une arme’ ? Le passage aurait dû être cité dans l’étude du composé áĝ+gi4 (Cavigneaux Reference Cavigneaux2022: 41–42).
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ad S3 i 21–23. Je cite (exceptionnellement) deux parallèles du IIème et Ier millénaire, pour illustrer les syllabisations divergentes. SBH 52 est déjà utilisé par Cohen Reference Cohen1988: 260 (b+114–116).
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ad S3 i 31–38. Ce passage est étudié et commenté par P. Delnero (Reference Delnero, Feliu, Karahashi and Rubio2017: 98–99). Le cinquième signe de la ligne ressemble plus à TU qu’à LI, mais il diffère du TU de iv 20, il s'agit donc sans doute d'un LI bâclé parce que le scribe, gravant sur la tranche de cette grande tablette, était gêné. Il y a d'autres ratures dans cette ligne sur les signes UL et MÙŠ! (pour ce dernier le scribe a commencé à écrire DI puis s'est repris pour graver RI pour MÙŠ!). Pour bi-nu la copie d'Alster est fidèle à l'original ; les parallèles ont gurum (« il a fait se tordre de froid »), mais les bilingues ušmīt « il a fait mourir », qui autorise l'interprétation bi-nu < *bí-in-ug5 ; non liquet. À la fin de la ligne lire nu-kúš-ù avec Delnero (Alster a omis le NU), v. Fig. 3.
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ad S3 ii 1. La lecture dumu pour dù(-a), donnée par l'antiphonaire (Gabbay/Mirelman 2011: 277, l. 11’) et par TCL 6, 55, 17’ s'explique peut-être par une prononciation duwu.
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ad S3 ii 18–21. Même séquence dans SK 102 rev. ii’ 1–4.
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ad S3 ii 10-19. N. Veldhuis (Berkeley) me signale le parallèle TMH IV 17(+)50 (N4 de Löhnert, = CDLI P345662) qui m'avait échappé et qui permet de restaurer les lacunes. Je ne transcris ici que les lignes de N4 utiles à la reconstruction.
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ad S3 ii 18.22. Notre scribe semble confondre les signes ama et da.
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ad S3 ii 21-22. La leçon de Kish […]-bi di-ma kur-še ba-ú (Löhnert Reference Löhnert2009: 327) impose la lecture dìm ou idim. On peut omprendre dìm(-dìm)-ma : ulālu, šerru, dunnamû ‘(personne) sans défense’ (voir les dictionnaires) avec Civil Reference Civil1984: 294. Les versions tardives sont aberrantes. Les dieux sont si faibles qu'ils doivent être transportés en litière ou en bateau vers leur dernière demeure. Le champ sémantique de dìm est difficile à cerner. Les sens ‘pilier, poteau, colonne’ et ‘figurine’ semblent confirmés (v. Attinger Reference Attinger2021: 257), ce qu'on pourrait synthétiser en rondin, pièce (de bois ou d'une autre matière) plus ou moins travaillée, pensant aux caryatides, aux statues canéphores ou aux pièces d'ivoire sculpté de Nimrud. Comparer šà-sù-ta dìm-gen7 gub « dont le ventre lisse se dresse comme un pilier (?) » (Metcalf Reference Metcalf2019: 22, l. 31, dit d'une statue divine). Peterson (Reference Peterson2021: 127a) souligne la verticalité, reflétée dans l’équivalence avec makūtu. Il pourrait s'agir de l’âme de la statue, le noyau, la partie grossièrement ébauchée de l'image divine, qui ne devient telle que par les ornements qui l'embellissent.
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ad S3 ii 24. La lecture gù íl est celle des textes tardifs ; pour notre texte elle implique une correction, l'original a sil7(ASILAx, EZEN×x), peut-être pour si-il ; mais ce peut être aussi une bévue de plus du scribe.
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ad S3 ii 26. Je comprends si-ga concrètement comme dans e si-ga, saḫar si-ga (sol creusé et levée entassée, v. Civil Reference Civil1994: 109). Les reliefs de la cité (murs, talus …), qui sont des constructions en terre tirée du sol même, le ‘cœur’ de la ville, sont peu à peu rongées (gul-gul) par l’érosion. Cependant, vu ce que je comprends de la ligne suivante (où apparaît au moins un chantre), on pourrait comprendre aussi : « Son cœur …, le (chantre devenu) silencieux y retient (gul = kalû) tout (bruit) ». On pourrait subodorer un effet musical.
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ad S3 ii 27. Difficile ! Je comprends lú im-ta-ne-a comme *i-lu im-ta-bé-a ; *lú im-ta-an-è-a ou *lú im-ta-ab-è-a « dont il (/on) a fait sortir (tout) homme (ou ‘l'homme’ ?) » n'est pas impossible, puisque la forme verbale de la ligne suivante, sans doute empruntée à un autre contexte, semble aussi avoir un sujet animé.
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ad S3 ii 28. di-ba pour i-dib-ba ‘seuil’ ? Ou erreur pour ub!-ba ‘dans un coin’ ? Pour la forme verbale dans un contexte comparable cf. par ex. dnin-a-zu é-gíd-da-ke4 gištukul ub-ba i-ni-in-gub « Ninazu de l'Egida a mis les armes dans un coin » Lamentation sur Sumer et Ur 206. Ce vers et le suivant évoquent la brasserie désaffectée. On retrouve la ‘pelle géante’ et le ‘fourneau géant’ aux strophes IV et V de l'hymne à Ninkasi (Sallaberger Reference Sallaberger, Ecklin and Mittermayer2012). Dans les textes récents cités par Löhnert (Reference Löhnert2009: 316) la thématique du brassage est évoquée aussi, mais en d'autres termes.
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ad S3 ii 32. Incertain ! J'ai compris ul + du d'après Jaques Reference Jaques2006: 368. J'ai aussi pensé à « La maison de science (umun2), faite pour la musique joyeuse (du12-du12) ou à prendre ul pour ul4 « la maison du maître, vers laquelle on se hâtait (?)».
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ad S3 ii 33. Ici àm semble être pour áĝ/ám. Il s'agit peut-être de la cuisine, ou d'une fromagerie où on chauffait le lait. Le signe LÍL est légèrement difforme, mais clair sur la photo.
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ad S3 ii 34. Comme le relèvent Alster/Geller (dans l'introduction de CT 58), plutôt un thème du cycle de Dumuzi, cf. aussi Le rêve de Dumuzi 39//64.
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ad S3 ii 36 (et iii 27). Dans le composé unken-saĝ je ne sais pas quel membre détermine l'autre : ‘haute assemblée’ ou ‘chef de l'assemblée’. J'ai choisi la première interprétation, mais la deuxième (une épithète d'Enlil ?) est aussi plausible. Les versions tardives ont ré-interprété unken-saĝ en dub-saĝ, lui aussi un composé ambigu : ‘tablette originelle’ ou ‘face’ (muttum), puis ‘premier’ (contrastant avec dub-ús ‘second’). Dans ce cas aussi on peut hésiter : dub-saĝ ‘qui a préséance’ ne me semble pas attesté comme épithète d'Enlil, mais lui conviendrait fort bien.
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ad S3 iii 3 sqq. Le passage mal préservé SK 25 vii 47–viii 4*, que Krecher (Reference Krecher1966: 201–203) avait tenté en vain d’élucider, devient clair : il faut lire sar au lieu du ku4? de Krecher et, comme le suggère la copie de Zimmern, à la ligne vii 47 … dub ḫul(u)-bi mu-un-sar « … il (Enlil) a écrit cette tablette funeste » et … ḫul-lu mu-un-sar « … il (Enlil) a écrit de faire du mal (au temple …) » ibd. viii 1*–4*.Footnote 38 C'est la forme qui sert de refrain et qu'il faut sous-entendre dans Löhnert Reference Löhnert2009: 350–351, 3’–15’. Il est dommage que la ligne ne soit pas entièrement conservée dans S3, car la présence du pronom -bi dans dub ḫul(u)-bi « cette funeste tablette » de SK 25 est importante. Elle nous invite à imaginer une représentation théâtrale, où la tablette était montrée à des spectateurs, quels qu'ils aient pu être.
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On retrouve le même thème presque dans les mêmes termes dans une lamentation d'Inana : a-a-mu im-mi-in-sar im-ḫulu-bi mu-un-sar, kur-gal dmu-ul-líl im é-an-na im-ḫulu-bi mu-un-sar, é ki-zabalaki-ma ḫul-ḫulu im-ma im-mi-dù, ù-mu-un-bi ga-ša-an-bi im-ma im-mi-dù « C'est mon père qui l'a écrite, il a écrit cette funeste tablette, La Grande Montagne, Mullil, a écrit la tablette pour l'Eana, il a écrit cette funeste tablette, Pour la maison de Zabala il a fixé dans l'argile le pire malheur, Pour son seigneur et sa reine il l'a fixé dans l'argile (le pire malheur) » (TLB 2, 1 ii 21’–24’).
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ad S3 iii 12. Dans g]el-le im-ma an im-ma-al, -ma est fautif et le an bizarre. Il s'agit en fait d'une sorte d'haplographie : le scribe, peinant à suivre la dictée ou psalmodiant peut-être trop vite, a estropié le texte originel. La version ninivite (Ku4), qui semble reproduire un original aB de bonne qualité, est plus claire : gel-le-èĝ-ĝá im-ma-ni-in-ma-al.
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ad S3 iii 27. Cf. ad ii 36.
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ad S3 iii 30–31. Une variante d'un topos de la liturgie d'Enlil ; cf. za-e bí-du11 ši-im-diri-ge-en « C'est toi qui l'as dit, et tu voudrais aller encore plus loin » CT 42, 26, 19. On a une autre variante dans la prière Utu ur-sag 58 im-me-en-du11k-ga-ta im-ma-ra-diri (var. ma-ab-diri) « Il m'a (donné) plus que ce qu'il avait dit » (Cavigneaux Reference Cavigneaux and Michel2009: 10). À la l. 31 les versions tardives (Löhnert Reference Löhnert2009: 355) ont ki nam-ku5-da-za // ēma tatmû pour di nam-ku5-da-za, qui me paraît meilleur.
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ad S3 iii 32. La lecture nu-ku5-ru-e (‘qui ne retranche pas’) est peut-être meilleure que nu-gurum-ma (‘qui n'est pas courbé, indomptable’ ?) des parallèles tardifs. Le sens est donné par la version akkadienne du témoin B15 (CTMMA 2, 3, rev. 2’), à lire avec la copie [rē’ī] ˹la ka-šá-*aš˺ « un berger qui n'abuse pas de son pouvoir, qui ménage son troupeau ». L'image du berger soucieux de ses ouailles, attentif au bien-être de son troupeau, contraste avec l’égoïsme despotique d'Enlil et le rappelle à ses devoirs. On trouve la variation sipa (l. 32)/su8-ba (l. 33) dans tous les textes ; j'y vois un effet littéraire et musical, peut-être un changement de voix ou de mode : on est à la fin du chant et la tension monte dans un effort pour faire fléchir Enlil et changer le destin.Footnote 39
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ad S3 iii 34. Je restaure d'après alim-ma úru-z[u …], qui est le dernier vers d'un chant de SK 102 (rev. i’ 1). Le chant suivant commence en effet avec a-za-˹lu ? lú ?˺ […] (SK 102 rev. i’ 2), qui pourrait être une variante du chant A-lu-lu-mu (v. supra). On aurait alors une variante synonyme de aia dmu-ul-líl(-lá) // abī dMIN des textes récents (Löhnert Reference Löhnert2009: 356). Cependant la copie du parallèle SK 25 n'a de place que pour un seul signe, mais lequel ? On pourrait imaginer « Fais apparaître le [berger] dans ta ville » ou « Fais grandir ta ville » ([á] úru-zu-a è-ni). Si les traces sont bien copiées, S3 n'a pas le suffixe possessif -na de SK 25. Celui-ci pourrait se rapporter à Enlil (« Sa bonne tablette ») ; il faudrait alors imaginer que la phrase est dite ou chantée par un autre locuteur que la phrase précédente, peut-être un chœur. Il pourrait aussi se rapporter au ‘pasteur’ (« sa bonne tablette ») évoqué en iii 32-33.
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ad S1 iv 3’–6’ = S3 iv 1–4. Dans ces lignes une bonne partie des épithètes (maître des jeunes hommes, grand champion …) s'applique à Ninurta bien mieux qu’à Enlil. Particulièrement dans S1 iv 5’ (= S3 iv 3), ù-mu-un-si dmu-ul-líl-lá ne peut qualifier Enlil ; le titre n'est ― il est vrai ― donné que par M, mais dans iv 17 on a le même junctus. Il ne peut donc s'agir d'Enlil, mais plutôt de Ninurta.Footnote 40 On pourrait voir là une confusion du rédacteur qui reprend tels quels des passages d'une autre liturgie sans se donner la peine de les adapter au contexte ; mais il faut nous immerger, tout comme le compositeur, dans la réalité du culte : les deux dieux sont associés dans le deuil de la ville, leurs statues pouvaient même être présentes côte à côte. Une des caractéristiques des lamentations cultuelles est la globalisation des lieux, des dieux et des situations.
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ad S3 iv 9. Le dernier signe semble bien être m[a] et non ge[n7].
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ad S3 iv 10–11. On a ici encore un effet théâtral : Enlil, qui faisait la sourde oreille, sort brusquement de sa léthargie pour donner libre cours à sa rancœur.
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ad S3 iv 11 // S1 iv 13’. Le passage (avec a-gen7 dù-mu) rappelle la Lamentation sur Ur 331 sqq.Footnote 41 nin šà-zu a-gen7 dù-mu(-un) za a-gen7 ì-til-le-en « Reine, contiens tes sentiments comme (on endigue) l'eau (qui déferle de la brèche) ! Veux-tu vivre au gré du flot ? », passage où a ‘eau’ évoque la passion qui emporte hommes et dieux, ce que l'akkadien compare plus spécifiquement à une brèche dans la digue.Footnote 42 Ici le contexte est assez semblable, mais ― si je comprends bien ― c'est Enlil qui parle et on ne peut avoir affaire à un impératif adressé à lui, à moins qu'il ne cite les paroles des suppliantes. J'ai essayé de donner un sens aux bribes de texte que nous livrent les trois témoins.
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ad S3 iv 16. IN.NIR pourrait être une glose, rendant la prononciation de niĝir rédupliqué.
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ad S3 iv 22–23. On a le même thème (prédiction oraculaire d'une attaque imminente) un peu dans les mêmes termes dans SK 123 ii 19’–20’, mais dans le contexte de Dumuzi seul dans la steppe (v. infra chapitre 3 dans Iraq 86).
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ad S3 v 5. Si on regarde de près les copies de Zimmern, Lambert et Alster (dont l'exactitude est confirmée par les photos), on observe qu’à partir de cette ligne le scribe écrit presque toujours (à l'unique exception de v 9) mu avec six clous obliques, alors que jusque-là il usait d'une forme plus cursive à quatre clous. Cela s'explique certainement par le poids donné au mot et à la syllabe mu (‘mon’[ĝu10], ‘nom’, préfixe verbal et verbe mú) dans ce passage, reflète peut-être une réalisation particulière, et trahit une implication émotionnelle du scribe dans la rédaction, sans doute associée à une récitation, au moins intérieure.
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ad S3 v 8–9. Dans la forme in-tu-ud le préfixe -n- ajoute peut-être la nuance du singulatif, par opposition à -b- qui serait collectif, peut-être difficile à utiliser avec ce verbe.
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Pour compléter la transcription du fragment 1982-A.1850, nous transcrivons les trois fins de lignes qui subsistent de la col. i’ (v ?). La col. ii’ (iv ?) a été utilisée comme parallèle à S3 col. iv 13–20.
Colonne i’ (v ?) : … / […] ˹x-e?˺ / [… r]u?/taka4? na-nam / [… d]u8? / …