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Gwenola RicordeauPour elles toutes – Femmes contre la prison. Montréal: Lux éditeur, 2019, 240 pp.

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Gwenola RicordeauPour elles toutes – Femmes contre la prison. Montréal: Lux éditeur, 2019, 240 pp.

Published online by Cambridge University Press:  11 April 2023

Catherine Therrien*
Affiliation:
Étudiante à la maîtrise, Département de criminologie de l’Université de Montréal [email protected]
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Abstract

Type
Book Reviews / Compte rendus
Creative Commons
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Copyright
© The Author(s), 2023. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Law and Society Association

Sociologue de formation et professeure associée en justice criminelle à la California State University, Gwenola Ricordeau travaille, entre autres, sur les proches des personnes incarcérées, le genre et la sexualité en prison, ainsi que sur les contestations du système pénal, l’abolitionnisme pénal et le féminisme. Viscéralement motivée par ses propres expériences en tant que femme et par le fait d’avoir eu des proches en prison, Ricordeau s’appuie également sur des références d’universitaires et de militants dans l’écriture de Pour elles toutes – Femmes contre la prison. Divisé en six chapitres, cet essai a pour objectif de démontrer que l’abolitionnisme pénal et le féminisme ne sont pas antagonistes et qu’il est au contraire nécessaire de « tisser ensemble » (p. 20) ces deux mouvements.

Le premier chapitre décrit les principales critiques et analyses théoriques de l’institution de la prison, indispensables à la compréhension du projet politique de l’abolitionnisme pénal. Englobant la police, la prison et le système de justice, le système pénal correspond à tout ce qui concerne de près ou de loin la peine. Un bref rappel du droit pénal du Canada et de la France permet à l’autrice d’amorcer la description des différentes théories et stratégies qui sous-tendent l’abolitionnisme pénal de part et d’autre de l’Atlantique. Bien que de nombreux mouvements militants, académiques et théoriques participent de diverses manières à ce projet politique, Ricordeau réunit certains éléments communs sur lesquels repose l’abolitionnisme pénal. Les abolitionnistes considèrent notamment que les préjudices sociaux nécessitent une prise en charge collective visant « [l]a justice sociale plutôt que la justice pénale » (p. 32), et rappellent que l’abolitionnisme pénal n’est ni un idéalisme ni un projet clé en main, mais plutôt un projet réaliste et créatif en perpétuelle construction.

Les chapitres suivants remettent en question l’idée selon laquelle le système pénal protège les femmes. Le deuxième chapitre établit que seule une infime partie des préjudices subis par les femmes est considérée par le système pénal et que, parmi ceux-ci, seule une infime partie des responsables (majoritairement des hommes) sera jugée et condamnée. L’autrice soutient donc que le système pénal ne peut avoir la prétention de protéger les femmes victimes d’actes criminels. Le troisième chapitre souligne que les femmes judiciarisées sont majoritairement racisées et en situation de précarité, témoignant de la criminalisation accrue de certaines populations. Dans le même ordre d’idées, les femmes trans, lesbiennes et bisexuelles sont également surreprésentées dans le système carcéral. Selon Ricordeau, la judiciarisation des femmes est marquée par le contrôle social racial et hétéropatriarcal menant à leur incarcération et à leur victimisation au sein même de l’institution. Le quatrième chapitre témoigne des coûts matériels, financiers et émotionnels que doivent supporter les femmes qui ont des proches incarcérés. Il aborde également l’invisibilisation de ces dernières dans les médias et dans les mouvements abolitionnistes et décrit la négligence des politiques publiques à leur égard. Ainsi, dans ces chapitres, l’autrice démontre non seulement que les femmes ne peuvent rien attendre du système pénal, mais qu’elles sont, dans les faits, particulièrement affectées par celui-ci.

Le cinquième chapitre fait ressortir la nécessité d’articuler les perspectives théoriques de l’abolitionnisme et du féminisme. Ricordeau expose le manque d’intérêt, dans les mouvements féministes dominants, pour les femmes incarcérées et pour celles dont les proches sont en prison. L’autrice déconstruit également le populisme pénal et le féminisme carcéral, qui se servent des préjudices sexuels et des violences faites aux femmes pour justifier le durcissement et l’allongement des peines. Gwenola Ricordeau considère ainsi que l’abolitionnisme pénal est « notre seule possibilité » (p. 154) et qu’il est nécessaire de construire des solidarités avec les femmes qui ne sont pas directement incarcérées. En effet, les femmes qui sont touchées par le système pénal en tant que victimes ou proches de personnes incarcérées doivent impérativement être associées à la lutte pour une société sans prisons.

Le sixième et dernier chapitre propose des pistes de réflexion concrètes pour s’émanciper du système pénal en énonçant, entre autres, les différentes stratégies mises en place pour un abolitionnisme féministe et queer. Ricordeau estime que le recours au système pénal est « un échec collectif dont on doit se saisir pour réfléchir à l’instauration de solutions collectives » (p. 184). L’autrice y expose également différentes pratiques et théories visant la reconstruction des liens sociaux en dehors du système pénal dont l’inspiration provient des cultures autochtones.

En somme, dans cet essai robuste, mais facile d’approche, Gwenola Ricordeau énonce des thèses fortes et engagées qui favorisent la réflexion. L’abolitionnisme pénal s’y conçoit féministe et queer et invite à construire des solidarités politiques, matérielles et émotionnelles à la hauteur de cette conviction.