L'on dit volontiers que les hommes sont aveugles au regard de leur temps. Mettons, pour être indulgent, qu'ils sont fortement myopes. De fait, les exemples abondent, au cours de l'histoire, d'individus et de masses auxquels ont échappé totalement tels grands phénomènes en train de se dérouler sous leurs yeux mêmes. Le cas est banal autant que classique. Mais peut-être conviendrait-il de le préciser en notant qu'il est entre les divers ordres de l'activité humaine tels et tels à l'endroit de quoi la cécité ou la myopie des contemporains s'avère en général plus marquée : en premier lieu, les faits d'ordre économique.

Le fascisme diffère de la plupart des conceptions politiques modernes en ceci qu'il n'est pas un système théorique, une philosophie de la société. Dans la période des débuts, il ne s'est appuyé que sur des idées générales assez vagues et c'est seulement par de longues et contradictoires expériences qu'il a réussi à se doter d'un plan d'organisation politique propre. Il n'y a pas de programme syndical du fascisme italien. Pourtant on ,peut dire qu'à la politique de Mussolini, comme à celle d'Hitler et de leurs adhérents, il y a eu un même point de départ.

Afin de surmonter les obstacles auxquels ils se heurtaient en Alsace-Lorraine, les Allemands, selon le mot d'un de leurs hauts fonctionnaires, ont cherché à y rendre « leur attraction, qui était moindre au point de vue moral, plus forte au point de vue économique ». Ils ont affirmé qu'ils avaient apporté au pays la prospérité, et l'on sait quel rôle jouent, dans la vie des peuples, « les profits, le progrès, le bien-être » : « hommes pratiques, bons calculateurs », les Alsaciens seraient amenés naturellement à « comparer l'essor de l'Allemagne à la stagnation de la France ».

Une entreprise commerciale, industrielle, bancaire, repose en définitive sur le pays où elle agit et l'on ne saurait impunément s'abstraire des contingences locales. Mais le désir d'aller vite et de réaliser rapidement de gros placements ou de larges bénéfices a parfois fait reléguer ces vérités, bien qu'on puisse à bon droit les considérer comme élémentaires, dans le magasin des accessoires de luxe. Rien ne sert de courir, il faut partir à temps — et bien muni.

La concentration capitaliste a revêtu au Congo belge, après la guerre, une importance considérable. En fait, une seule banque, la Société Générale, à la suite de sa fusion avec une banque d'affaires, la Banque d'outre-mer, et grâce à son influence prépondérante sur le marché des capitaux, est parvenue à exercer, par l'intermédiaire d'environ 65 compagnies filiales, un monopole de fait qui s'étend à plusieurs branches de l'activité coloniale : transports par mer, fer, air et voie fluviale, mines de métaux non ferreux et force motrice. Par le régime des concessions, cette influence s'étend, du point de vue agricole et pastoral, sur des provinces entières.

Un congrès tenu à Toulouse en juillet 1933 a suscité la publication de nombreux travaux sur le canal des Deux Mers. Le problème a été examiné sous toutes ses faces et les auteurs sont pratiquement d'accord. Sauf sur un point toutefois : les uns assurent que « le canal paiera », d'autres affirment le contraire. Nous voudrions, à notre tour, nous faire une opinion sur le sujet. Quelle méthode adopter, quelles démarches intellectuelles pratiquer ? Se le demander, c'est placer cette étude dans le cadre d'une revue d'éducation critique, à côté de plusieurs autres qui l'ont précédée.

La question, toujours importante, des rapports des problèmes sociaux et de l'instruction présente des aspects multiples. Elle se pose d'une façon toute particulière au début de la Monarchie de Juillet, à une époque où, en même temps que la bourgeoisie arrive au pouvoir, les premiers graves effets de la concentration capitaliste se font sentir en France, où tout un ensemble de préoccupations matérielles, passées au premier plan, élargissent et altèrent singulièrement le rôle attribué jusqu'alors à la lutte contre l'ignorance.

Trop souvent, de nos jours, l'histoire de l'antiquité et celle du moyen âge font figure de mondes séparés. La raison en est claire, les sources sont, de part et d'autre, de nature différente ; différentes aussi, par suite, les méthodes d'investigation. Cette cloison étanche n'en apparaît pas moins des plus nuisibles. Les inconvénients s'en font sentir avec une force particulière dans le domaine de l'histoire économique où, fréquemment, la comparaison s'avère indispensable à l'intelligence des documents. Sans la connaissance des méthodes commerciales du moyen âge, par exemple, nous ne pourrons jamais saisir celles de l'antiquité. Inversement, la connaissance de l'antiquité est nécessaire au médiéviste.

Le développement considérable et précipité des agglomérations urbaines pose, dans plus d'un pays, le problème de leur administration municipale. Il a été résolu à Berlin de façon hardie, par la formation d'une commune géante qui s'étend sur 87 600 hectares et renfermait, lors de sa création, une population de 3 800 000 habitants. Tel fut l'objet de la loi du 27 avril 1920, qui décida la fusion avec la ville de 93 localités voisines de sa banlieue, soit sept villes (Charlottenbourg, Köpenick, Berlin-Lichtenberg, Neukölln, Berlin-Schöneberg, Spandau, Berlin-Wilmersdorf) et plus de 80 communes rurales. C'est ce qu'on appelle maintenant « Gross Berlin ».

Les historiens rapportent que vers la fin du IVe siècle de notre ère des bandes organisées de brigands en armes battent les routes de l'Afrique Mineure, coupent les chemins, envahissent les fermes, molestent les honnêtes gens, provoquent au combat et rossent parfois les forces de police, humilient les puissants, vengent les offenses faites aux humbles, s'ordonnent en congrégations pieuses et violentes, meurent en martyrs au seuil des églises proscrites du « donatisme » et, tantôt retirées au désert, tantôt régentant de leur tyrannie justicière foires, bourgs et grands domaines, embrasent les hommes de Berbérie d'un espoir insensé : la rédemption des âmes par le schisme et l'avènement de la Cité de Dieu sur terre sous la dictature des « purs » et des « saints ».

Les pratiques suivies par les grands propriétaires de l'époque carolingienne pour mettre en valeur leurs domaines nous sont connues grâce aux polyptyques ou censiers. Ces sortes d'inventaires qui dénombrent les différents domaines relevant d'un même seigneur, indiquent pour chacun d'eux, avec l'état de ses éléments constitutifs, la liste des profits de toute nature résultant de son exploitation. De ces recueils, au total peu nombreux, qui n'intéressent que les seigneurs ecclésiastiques et dont les plus anciens ne dépassent pas le début du IXe siècle, se dégagent avec une netteté suffisante les principes qui présidaient dès cette époque à l'exploitation des grands domaines ou villae.

Otto Back poursuivit son activité jusqu'en 1906 ; il eut le temps de mettre au point certaines de ses réformes et de commencer la construction du port du Rhin. Son successeur à la municipalité, Rodolphe Schwander, avait débuté par l'étude des problèmes sociaux : auteur d'une thèse de doctorat en droit sur « la politique d'assistance aux indigents en France », il avait — ce qui n'était pas une nouveauté chez nous — soutenu le droit des malades au libre choix des médecins, et, par exemple, préconisé, au cas où une ménagère tomberait malade, l'aide d'employées de confiance pour les travaux domestiques. 11 remplit d'abord les fonctions d'adjoint.

« Technique » : à plusieurs reprises déjà, il nous est arrivé de prononcer ici ce mot. Ce fut toujours pour demander que, dans nos études, on fît, aux vivantes réalités qu'il recouvre, leur place légitime. Or il n'a pas qu'un sens purement matériel. Mettre en scène le paysan sans l'imaginer aussitôt, comme aux « quatrefeuilles » dé nos cathédrales, la faucille ou le fléau en main ; sur les métiers des manufactures filles de Colbert, refuser de voir la trame et la chaîne, vain académisme sans doute. Mais également vaine la fiction qui, du portrait du marchand, effacerait le livre de comptes ouvert sur la table, et, derrière l'homme, les casiers pleins de lettres ou de billets : les bons peintres, au XVIe siècle, ne s'y trompaient point. Les affaires ont leur technique ; indispensable à l'intelligence de l'économie, son examen ne l'est pas moins à une juste mesure des variations de la mentalité.

Deux livres, importants et par leur objet, et par leur auteur. Deux livres qui, sans se compléter, encore moins se doubler, s'appuient l'un l'autre et s'éclairent l'un par l'autre. Ils vont nous donner, avec quelques raisons d'espérer, quelques raisons de chercher. Toute la vie de l'historien.

Le rôle primordial du crédit dans les pays neufs, notamment dans les colonies, a souvent été souligné. L'absence de capitaux sur place, l'importance des investissements de premier établissement placent les banques coloniales devant des problèmes différents de ceux de la métropole et leur donne un visage qui les distingue nettement des banques métropolitaines.

Dans le cas particulier du Maroc, nous voyons le crédit jouer un rôle de tout premier plan, non seulement sous forme dé concours donné au commerce, à l'industrie et à l'agriculture par escomptes et avances, sous forme aussi d'émissions d'obligations pour le compte des grandes entreprises d'intérêt public (chemins de fer, ports, distribution d'énergie), mais encore du fait de l'aide constante apportée à l'État par l'émission des emprunts.

En Espagne comme ailleurs, le problème « du rail et de la route » est à l'ordre du jour de la discussion publique. Mais en Espagne plus qu'ailleurs, cette discussion d'actualité soulève des problèmes d'importance vitale. A un moment décisif de son développement économique, l'Espagne se ressent vivement, en effet, des défauts organiques de ses chemins de fer. Le transport automobile n'est-il pas appelé, dans ces conditions, à jouer un rôle essentiel dans la mise en valeur du pays ?

Mr Etienne Delcambre, qui a publié récemment deux travaux importants sur les institutions urbaines de la ville du Puy, vient d'exposer dans le second « la méthode » suivie par lui pour leur composition. C'est là un souci trop rare et trop intéressant à la fois pour ne pas mériter l'attention. Ces remarques figurent dans la Préface et tiennent lieu de Conclusion. Suivonsles pas à pas.

C'est, en principe, problème par problème que je voudrais grouper ici les résultats de quelques études récentes. Mais sans doute ne sera-t-il pas inutile de caractériser d'abord, en eux-mêmes, les principaux ouvrages. Aussi bien certains d'entre eux dépassant, de beaucoup, par leur champ d'étude, l'horizon auquel je compte me limiter ici, paraître les y réduire serait manquer à leur rendre pleine justice.

Nous avons sous les yeux le Geopolitischer Atlas zur deutschen Geschichte de Beaun et d'Hillen Ziegfeld, tous deux Oberstudiendirektoren. C'est un atlas scolaire, édité à Dresde en 1934 (chez Ehlermann). Il commence, avec une certitude magnifique, aux migrations de l'âge de pierre — et tout de suite les flèches d'entrer en scène, les flèches hallucinantes de la Géopolitique qui, dès lors, ne vont plus nous lâcher : les unes noires, épaisses, énormes ; les autres blanches, ou grises, ou pointillées ; toutes droites celles-ci, sinueuses celles-là, menaçantes ou débonnaires : un cauchemar. Mitteleuropa dis Völkerherd, flèches, flèches : le cercle tout noir des Germains en est hérissé, le cercle strié des Celtes en est bordé…, Occupation du sol en Germanie au temps du bronze : flèches, flèches, qui sortent dans toutes les directions du German.Kerngebiet : Jutland, Mecklembourg, îles danoises.

Ce n'est point hasard si, de toutes les formes de la recherche érudite, l'interprétation des noms de lieu fut la seule, semble-t-il, à éveiller la curiosité d'un Marcel Proust. Comment un esprit sensible à la poésie du temps écoulé resterait-il sans résonance devant ces vivants témoignages du passé ? Mais le rêve n'est, ici comme ailleurs, qu'un chemin vers une connaissance plus approfondie. Pour tous les historiens — et les géographes — que préoccupent les problèmes du peuplement, substrat nécessaire de toute enquête sur les sociétés humaines, la toponymie a rang d'instrument proprement indispensable. Peu d'entre nous, malheureusement, possèdent la culture linguistique, à la fois très vaste et passablement spécialisée, qu'impose le maniement personnel de l'outil.