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Résumés / Abstracts

Published online by Cambridge University Press:  13 August 2019

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Abstract

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Résumés / Abstracts
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© Éditions de l'EHESS 

Catherine Mayeur-Jaouen

« À la poursuite de la réforme » Renouveaux et débats historiographiques de l’histoire religieuse et intellectuelle de l’islam, xve-xxie siècle

L’histoire religieuse et intellectuelle de l’islam à l’époque moderne et contemporaine est souvent réduite à un récit-maître arabo-centrique et téléologique dans lequel la modernité commencerait avec l’expédition d’Égypte ou la Nahḍa, la Renaissance arabe. Cette histoire verrait se succéder soufisme, réformisme musulman, islamisme, salafisme, soit une « généalogie de l’islamisme ». Dans une démarche d’histoire régressive, cet article éclaire la pluralité des voies possibles comme le caractère hétérogène des moments historiques, grâce à la présentation des dynamiques courantes de l’historiographie internationale sur l’histoire de l’islam entre le xve et le xxie siècle. Remontant vers l’amont, il s’agit de repérer les ruptures et les continuités, les lectures successives de tel auteur médiéval et de tel concept (comme salafiyya). L’article s’efforce de démontrer la nature construite de la vulgate historiographique du « réformisme musulman » de la fin du xixe siècle, comme celle sur « la pensée arabe à l’âge libéral ». Les débats sur le « néo-soufisme » et sur l’Aufklärung du xviiie siècle ont conduit à une meilleure connaissance de l’islam de la fin de l’époque moderne. Entre le xve et le xviie siècle, s’épanouit une soif de renouveau (tajdīd) en hadith, en droit musulman et en soufisme. Les recherches récentes des ottomanistes sur les processus de « confessionnalisation » aux xvie et xviie siècles montrent l’importance des facteurs politiques dans ces évolutions de l’islam à l’âge des trois Empires (moghol, safavide, ottoman).

“In Pursuit of Reform”: Historiographical Debates in the Religious and Intellectual History of Islam, from the Fifteenth to the Twenty-First Century

The religious and intellectual history of early modern and modern Islam is often reduced to a teleological and Arab-centric narrative, where modernity begins with the Egyptian Expedition or the Nahḍa, the Arab Renaissance. This history would see the succession of Sufism, Muslim reformism, Islamism, and Salafism as a “genealogy of Islamism.” Using a regressive history approach, this article will illuminate the plurality of possible pathways and the heterogeneous nature of historical moments through a presentation of the current dynamics of international historiography on Islam between the fifteenth and the twenty-first century. Moving back through time, it attempts to identify breaks and continuities, and the successive readings of medieval authors and concepts (such as salafiyya). The article endeavors to demonstrate the constructed nature of the historiographical vulgate of “Muslim reformism” at the end of the nineteenth century, as well as that of “Arabic thought in the liberal age.” The debates on the “neo-Sufism” and Aufklärung of the eighteenth century have led to a better understanding of Islam in the seventeenth and eighteenth centuries. Between the fifteenth and seventeenth centuries, thirst for renewal (tajdīd) flourished in hadith, Islamic law, and Sufism. Recent research on the process of “confessionalization” in the sixteenth and seventeenth centuries shows the importance of political factors in these developments of Islam during the age of the three Empires (Mughal, Safavid, and Ottoman).

Ismail Warscheid

Le Livre du désert La vision du monde d’un lettré musulman de l’Ouest saharien au xixe siècle

Cet article propose une analyse du Livre du désert (Kitāb al-bādiya), un traité de droit composé par Muḥammad al-Māmī (m. 1282/1865), un lettré musulman originaire des déserts du Tiris dans l’actuelle Mauritanie. Dans son ouvrage, l’auteur réfléchit sur l’adaptation de la charia – la loi religieuse de l’islam – aux besoins des populations pastorales de l’Ouest saharien : comment s’approprier un système normatif a priori insensible aux contextes nomades, étant donné que celui-ci postule l’autorité d’un État dirigé par un souverain islamique (imām) comme garant de son implémentation et suppose la ville comme cadre de l’exercice de la justice ? L’article restitue les différents contextes dans lesquels s’inscrit le propos d’al-Māmī : celui d’un notable religieux à la fois engagé dans les luttes de pouvoir entre groupes nomades et fervent partisan des mouvements de djihad en Afrique de l’Ouest aux xviiie et xixe siècles, celui d’un jurisconsulte malikite qui pense sa société dans le cadre du droit musulman postclassique, celui d’un bédouin s’interrogeant sur les implications juridico-religieuses de la distance culturelle qui sépare son monde de celui des sédentaires. Tout l’enjeu est de remettre en question les notions de centre/périphérie et de « déclin » postclassique qui continuent à structurer le champ de l’histoire intellectuelle de l’islam.

The Book of the Desert: The Worldview of a Nineteenth-Century Muslim Scholar from the Western Sahara

This article provides an analysis of the Book of the Desert (Kitāb al-Bādiya), a nineteenth-century legal treatise written by Muḥammad al-Māmī (d. 1282/1865), a Muslim scholar from the Tiris desert in present-day Mauritania. In his book, the author reflects on the adaptation of sharia—the religious law of Islam—to the needs of pastoral populations in the western Sahara: how to embrace a normative system that at first glance seems incompatible with nomadic ways of life, given that it presupposes the existence of a state governed by an Islamic ruler (imām) and considers the city the natural environment for legal institutions? Challenging the narratives of center-periphery relationships and the so-called post-classical “decline” that continue to structure the field of Islamic intellectual history, this article seeks to explore the different contextual layers of al-Māmī’s reasoning as a scholar: that of a religious notable deeply involved in the struggle for power among nomadic groups and a fervent supporter of the jihad movements in West Africa over the eighteenth and nineteenth centuries; that of a Muslim jurist of the mālikī school who approached his society from the perspective of Islamic legal thought; that of a Bedouin preoccupied with the legal and religious implications of the cultural gap separating his world from that of urban dwellers.

Augustin Jomier

Islam, pureté et modernité Les « innovations blâmables » en débat au Maghreb, 1920-1950

Des années 1930 aux années 1950, le Mzab, région du Nord du Sahara algérien alors sous domination française, fut secoué par des polémiques autour de la consommation de produits européens : étaient-ils ou non licites ? Ces questions ont jusqu’à présent été envisagées comme une forme de résistance culturelle à la colonisation, ou comme le signe de la difficile adaptation de l’« islam » à la « modernité ». Des lettrés qui se voulaient « réformistes » auraient été les fers de lance de cette adaptation, par opposition à des « conservateurs » caricaturés comme arc-boutés à une tradition stérile. À partir du cas du Mzab et de sources liées à la normativité islamique, cet article, qui explore d’une façon inédite le rapport entre islam, modernité et colonisation, démontre que d’autres logiques étaient à l’œuvre : pour les acteurs, l’enjeu portait avant tout sur la pureté de leur communauté et les moyens de la préserver, dans un moment d’incertitude culturelle et politique. À l’aide des outils de la normativité islamique, partisans et adversaires de ces innovations façonnaient des images différentes de leur communauté et lui assignaient des limites distinctes. Faisant dialoguer sources coloniales et islamiques, historiographie des sociétés coloniales et islamologie, la démonstration remet en cause une lecture de l’histoire contemporaine de l’islam centrée sur les notions de modernité et de réforme, qui étaient essentiellement instrumentales dans ces débats. Elle fait aussi entendre la pluralité des rationalités à l’œuvre dans les sociétés colonisées du Maghreb, tranchant avec une historiographie d’ordinaire aveugle à leur complexité interne.

Islam, Purity, and Modernity: Controversies about Blameworthy Innovations in North Africa, 1920-1950

From the 1930s to the 1950s, various polemics shook the Mizab region in the north of the Algerian Sahara, then under French rule. Islamic scholars were arguing about the consumption of European goods, raising a number of questions about their lawfulness. Historians typically analyze these polemics as a form of cultural resistance to colonization, or as a sign of the allegedly difficult adaptation of “Islam” to “modernity.” They single out two types of reaction: that of self-professed “reformist” scholars, and that of “conservatives” lampooned as the buttresses of a barren tradition. Based on the case of Mizab and on a wide range of Islamic legal documents, this article opens up a new perspective on the relations between Islam, modernity, and colonialism, demonstrating that other logics were also at work. For the Islamic scholars involved, the most important issue at stake was the purity of their community and the means of preserving it in a context of cultural and political uncertainty. Using the tools of Islamic law, the advocates and detractors of these “innovations” were trying to control and delineate the community they led. By bringing together colonial and Islamic sources, Colonial Studies and Islamic Studies, this article challenges a reading of the modern history of Islam based on notions such as modernity and reform, which were largely instrumental to these debates. It also moves away from a historiography that is blind to the internal complexity of these societies, drawing attention to the different rationalities at work in colonial North Africa.

James McDougall

Laïcité, sociologie et histoire contemporaine de l’islam

Cet article propose de donner un nouveau cadre à l’histoire de l’islam au xxe siècle en repensant sa relation avec certaines catégories dominantes de la sociologie, notamment avec la thèse de la sécularisation. L’histoire mondiale de l’islam depuis la fin du xixe siècle a été façonnée par un paradoxe apparent entre deux de ses caractéristiques les plus significatives. La première a consisté en des appels persistants au renouveau, à la réforme et à l’unité des musulmans à travers le monde, ce qui tendait vers une unification ou un dépassement des anciennes formes de variation dans la tradition. La seconde s’est manifestée, au contraire, par une fragmentation croissante des structures d’autorité au sein de la tradition, par une prolifération des significations qui lui étaient attribuées et des formes de pratique adoptées pour l’incarner, ainsi que par une acuité renouvelée des conflits sectaires en son sein. C’est un paradoxe que seule peut appréhender une compréhension de l’islam en tant que pratique sociale ancrée dans les rapports entre États et religions, caractéristiques des sociétés modernes – et non de l’islam en tant que religion « médiévale » et exclusivement « résistante à la sécularisation ».

Secularity, Sociology, and the Contemporary History of Islam

This essay proposes to reframe the twentieth-century history of Islam by rethinking the relationship of that history to some dominant categories of twentieth century sociology, especially the secularization thesis. The global history of Islam since the late nineteenth century has been shaped by an apparent paradox between its two most significant features. The first of these has consisted of persistent calls for Muslim revival, reform, and unity across the world, tending toward a unification or transcendence of the older forms of variation within the tradition. The second, countervailing tendency has been an increasing fragmentation of structures of authority within the tradition, a proliferation of the meanings attributed to it and of the forms of practice taken to embody it, and a renewed acuity of internal sectarian conflict. This is a paradox that only an understanding of Islam as social practice embedded in the forms of secularity characteristic of modern societies—and emphatically not one of Islam as “medievally” religious and uniquely “secularization-resistant”—can apprehend.

Luc Berlivet

« Chassez le naturel… » Les sciences sociales aux prises avec le déterminisme biologique (note critique)

L’objet de cette note critique est d’analyser les principaux apports de la recherche historique, et, dans une moindre mesure, sociologique et anthropologique, des dix dernières années dans trois domaines distincts mais imbriqués : l’histoire de l’eugénisme, de l’hérédité et de la notion biologique de race. Après avoir clarifié les relations existant entre ces différents objets trop souvent amalgamés, l’article s’emploie à comparer l’évolution de leurs champs de recherche respectifs, en distinguant ce qui relève de l’approfondissement de thèmes déjà abordés précédemment et ce qui participe de l’exploration de perspectives nouvelles. Des développements sont consacrés aux approfondissements historiographiques relatifs aux politiques eugénistes de stérilisation forcée, au rapport étroit qui a pu se nouer entre eugénisme et natalisme dans certains pays comme la France, ou encore à la généalogie de la catégorie de race et aux dispositifs d’objectivation de la diversité raciale. Le renouvellement profond des trois domaines de recherche au cours de la période considérée est analysé à travers deux dimensions complémentaires : l’élargissement notable de l’horizon géographique des enquêtes et la reproblématisation des objets scientifiques. Alors même que la focalisation des travaux antérieurs sur les expériences européennes et nord-américaines avait pu laisser croire que la biopolitique, l’eugénisme et le « racisme scientifique » étaient l’apanage des pays occidentaux, la multiplication récente de recherches portant sur l’Amérique latine, l’Asie et, dans une moindre mesure, le Moyen-Orient et l’Afrique, a définitivement invalidé cette vision réductrice. Parallèlement, une meilleure prise en compte des perspectives de genre, l’exploration des continuités historiques entre eugénisme et génétique médicale, ainsi que la réévaluation du rôle de la (bio)médecine dans les débats sur l’hérédité humaine et la notion de race ont profondément renouvelé les trois champs de recherche étudiés.

“Out With the Natural…”: The Social Sciences Confront Biological Determinism (Review Article)

This review article seeks to analyze the main contributions of historical research and, to a lesser extent, sociology and anthropology, over the last ten years in three distinct but closely interwoven domains: the history of eugenicism, the history of heredity, and the history of the biological notion of race. After clarifying the relations between these too-often conflated objects, the article compares the evolution of their respective fields of research, distinguishing between the development of previously addressed themes and the exploration of new perspectives. It considers historiographical reflections on eugenicist policies of forced sterilization, on the close relations established between eugenicism and natalism in certain countries such as France, and on the genealogy of the category of race and mechanisms for objectifying racial diversity. The profound renewal of the three domains of research over the period considered is analyzed via two complementary perspectives: the significant broadening of their geographical horizons and the reproblematization of scientific objects. Though the focus of earlier work on the European and North-American experience may have suggested that biopolitics, eugenicism, and “scientific racism” were the prerogative of Western countries, the recent increase in studies of Latin America, Asia, and, to a lesser extent, the Middle East and Africa, has definitively discredited this reductive vision. In parallel, a better awareness of gender perspectives, the exploration of historical continuities between eugenicism and medical genetics, and the reevaluation of the role of biomedicine in debates on human heredity and the notion of race have profoundly renewed the three fields of research studied here.

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