L’an dernier le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) a annoncé qu’il abolissait le Comité 20: Études sur la santé et travail social de son programme de subventions de recherches et a ordonné que les dossiers de projets considérés comme recherches en santé soient envoyés aux Instituts canadiens de recherche en santé du Canada (IRSC). En guise de politique générale, le CRSH a aussi exprimé clairement que, lorsque leurs projets sont liés à la santé, les chercheurs qui déposent leurs dossiers dans d’autres programmes (p. ex., les bourses de doctorat) devaient déposer leurs dossiers auprès des IRSC. D’après ce que je comprends, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) a pris une décision politique semblable. Bien évidemment, ceux qui ont déjà reçu leur financement ne sont pas affectés. L’autre tendance perceptible dans toutes les trois conseils est le nombre croissant d’appels bilatéraux et trilatéraux pour la recherche à financement ciblé.
Du point de vue positif, on pourrait faire valoir que ces décisions ont clarifiés les rôles des conseils de financement et ont mis fin au cumul d’avantages « double » et « triple », selon lequel un petit nombre de chercheurs est financé par deux ou même les trois conseils. Par cumul d’avantages « double » ou « triple », je ne veux pas sous-entendre que les chercheurs ont soumis les mêmes propositions à plus d’un conseil de financement, ce qui est manifestement contraire aux règles des conseils de financement, et nous devrions tous être contre cela.
Ce que je veux dire, c’est que certains chercheurs reçoivent un financement pour des projets différents mais associés les uns aux autres de plus d’un conseil de financement ou, par la nature même du financement de plus d’un conseil de financement, pour des projets totalement distincts. Par conséquent, certains membres du milieu de la recherche sentent que c’est injuste parce qu’ils croient que personne ne devrait avoir la possibilité de déposer son dossier auprès de plus d’un conseil dans la même année, ni de recevoir un financement de plusieurs conseils de financement simultanément. Si vous ne me croyez pas, demandez à vos collègues pourquoi les doctorants ne sont pas autorisés à déposer des dossiers au CRSH et auprès des IRSC dans la même année, puis à choisir un financement, même si les deux comités leurs attribuent des subventions à la fois.
De mon point de vue, pourquoi ces ces cumuls d’avantages doubles ou triples seraient-ils un problème? Dans un domaine comme la gérontologie – recherche dans laquelle, par définition, incorpore les sciences humaines, les sciences sociales, les sciences naturelles et la santé – pourquoi un chercheur ou un groupe de chercheurs, dont les projets répondent aux critères d’excellence de l’un des panels des conseils, devrait-il être pénalisé? Pourquoi des chercheurs en gérontologie, dont les idées s’étendent sur deux ou trois domaines des conseils de financement, devraient-ils être contraints arbitrairement à choisir où envoyer leur demande de subvention?
Est-ce vraiment ici une question de l’élaboration des projets? Déjà j’entends des anecdotes de chercheurs qui, lorsqu’ils déposent un dossier au CRSH, cadrent leurs projets sur le vieillissement et le bien-être, les déterminants sociaux du vieillissement ou le vieillissement dans la commun-auté. Mais, lorsqu’ils déposent leur dossier auprès des IRSC, ils centrent leur terminologie sur le vieillissement et la santé, les déterminants sociaux de la santé ou le vieillissement en santé.
Avant qu’on commence à m’envoyer des courriers électroniques, je n’insinue pas qu’il y ait quoi que ce soit de contraire à l’éthique à ce sujet: qu’il existe une correspondance un à un entre les termes, ou que les chercheurs qui déposent un dossier au CRSH et utilisent un terme particulier sont en fait uniquement intéressés par le côté social de la gérontologie, et, dans ce cas, de la même façon, que ceux qui déposent des dossiers auprès des IRSC se concentrent uniquement sur la santé de la population aînée.
Ma préoccupation est de savoir si les décisions prises par les conseils de financement contraignent les chercheurs à faire ce genre de choix, en particulier ceux d’entre nous qui voient leur recherche s’étendre sur une certaine combinaison de la santé et des sciences sociales et humaines, ou de la santé et des sciences naturelles. Pourquoi devrions-nous être obligés de décider s’il y a « trop » de santé dans le contenu d’un projet pour l’envoyer au CRSH, ou « trop » de sciences sociales ou humaines pour l’envoyer aux IRSC? Est-ce vraiment une crise dans laquelle la bureaucratie éclipse l’intelligence? Malheureusement, je crois que c’est le cas. La décision de diviser la recherche en recherche en santé et en recherche en sciences sociales et humaines et/ou en sciences naturelles porte un coup à l’essence de la nature multidisciplinaire et interdisciplinaire de la gérontologie.
Bien qu’il existe évidemment des projets de recherche concernant la population aînée qui se concentrent exclusivement sur la santé, les sciences sociales, les sciences humaines, ou les sciences naturelles, dans une grande partie de ce que nous faisons, il faut considérer la santé comme une partie intégrante de notre recherche en sciences naturelles, sciences sociales, sciences humaines ou et vice versa. Faire autrement limite notre réflexion et limite également les contributions que nous pouvons faire pour améliorer la vie des Canadiens aînés.
J’ai le plus grand respect pour mes collègues des trois conseils de financement, et je pense qu’ils ne ménagent pas leurs efforts pour tenter de promouvoir et, en effet, de défendre nos intérêts avec les ressources limitées qui sont à leur disposition. Également, j’apprécie que la pression pour définir plus clairement les limites des conseils de financement et pour faire plus de recherche ciblée provienne des niveaux supérieurs du gouvernement.
Il y aura toujours des personnes qui, en raison de leur excellence, trouvent le succès avec plusieurs conseils de financement, mais l’esprit des changements, comme je les vois, est vraiment de créer une division bureaucratique entre les trois conseils de financement – sauf lorsque les conseils de financement décident, dans leurs programmes bilatéraux ou trilatéraux, quels sujets ils pensent devoir être financés au niveau interdisciplinaire. Je considère cela comme une direction très dangereuse, car elle conduit à des programmes pilotés politiquement de plus haut et aussi à des exclusions par définition. Les décisions qui ont été apportées sont un problème, une question et, en fait, une crise pour la gérontologie au Canada. En tant que gérontologues, nous devons faire entendre notre voix.
Comme toujours, n’hésitez pas à me contacter à l’adresse [email protected] si vous souhaitez vous exprimer sur cette éditorial ou tout autre aspect de la CJA/RCV.