Madame, ayant esté envoié par le Roy monseigneur vostre bon frere pour ambassadeur en Angleterre, j'ay receu commandement de luy et de la Royne sa mere et vostre de m'emploier diligemment durant le temps de ceste mienne charge en ce pays à tout ce que je seray commandé par vous ou que je pourrray cognoistre de moy mesme vous estre agreable et revenir à vostre service. A quoy, oultre leur commandement, j'apporteray de moy mesmes pour l'honneur et faveur que j'ay receu d'aultresfoiz de vostre maiesté et mesmes dernierement en vostre roiaulme et pour la memoire que je veulx retenir de vous avoir esté subiect autant de devotion et affection que vous scauriez desirer d'ung plus que tresaffectionné et treshumble serviteur. Et vous supplie treshumblement m'excuser si ceste mienne devotion me contrainct de me plaindre de quelque souspeçon que la Royne mere du Roy monseigneur m'a dict que vous avez eue de moy estant en vostre roiaulme et diray avec confiance de vostre benigne supportation et de ma bonne conscience que, d'aultant que par la grace de Dieu la condition de vostre maiesté est plus grande, d'aultant elle doibt estre plus esloignee de mal souspeçonner de ses serviteurs et encores plus d'ouir de personnes qui ne luy apportent rien moings que la verité destituee de toute verisimilitude et probable coniecture, comme il vous sera aisé à cognoistre s'il vous plaist considerer et ma qualité et cours de toute ma vie passee et mesmes aiant tel jugement de moy que, encores que j'apporte beaucoup d'ignorance et d'insuffisance, si est ce que je ne suis du tout destitué de quelque cognoissance de ce qui m'est utile et honneste et ay tousiours bien entendu qu'il n'y a rien qui me soit plus utile que de complaire à mon Roy, duquel tout mon / heur temporel depend et que je ne luy pouvoys complaire en chose qui luy fust plus agreable que en vous faisant treshumble service; et au contraire plus l'offenser qu'en vous desobeissant, luy vous aimant et honnorant comme sa treschere seur et sa proche parente, nee et procree de ceulx qui sans interruption de plusieurs siecles ont tousiours communicqué avec les heurs et malheurs des siens; et mesmes, lors que j'estoys envoié pour vous visiter des ses pars et vous offre tout ce qui estoit en son pouvoir pour la conservation et accroissement de vostre estat, l'establissement duquel je cognoissoys tresbien estre comme ung rempar et deffense du roiaulme de France. Et d'ailleurs vostre maiesté scait que depuis le temps que je suis sorty des escholles j'ay eu cest heur que d'avoir esté nourry au service de la Royne sa mere et ay deppendu d'elle seulle, laquelle j'ay tousiours cogneu vous porter aultant d'amitié et affection qu'il se peut desirer de mere treschere et tresaffectionnee et ne pouvoys qu'avec imprudence trop grossiere perdre en vous desobeissant et par mesme moien à elle, le service et attente de plusieurs annees. Quant à l'honnesteté, je l'ay tousiours mesuree par l'obeissance des commandemens de Dieu, ausquelz je ne pouvoys contrevenir en chose plus grande que en suscitant ou esmouvant contre ses expres commandemens ung vostre subiect à vous desobeir. Et quant bien j'en eusse eu commandement si est ce qu'en celle je n'eusse voulu complaire ny obeir à homme vivant, m'aiant tousiours proposé pour principal but et felicité derniere l'obeissance de Dieu et veulx toute ma vie regler et examiner tous les commandemens des hommes à la reigle et touche de son bon plaisir et vouloir. Il / est vray, Madame, que quelque personne me cognoissant peu pourroit avoir prins quelque occasion de mal penser de ce que le jour que je partiz de Lislebourg et aiant prins congé de vous le jour auparavant, monsieur le comte de Haran me fut trouver en ma chambre de bon matin mais il vous plaira croire que s'il m'eust tenu propoz qui eust esté contre vostre service que je n'eusse en chose au monde plus hastee que de la vous faire incontinant entendre. Mais tout ce qu'il me dist fut que, en recognoissance de la nourriture qu'il avoit receue en France, il retenoit affection envers le Roy monseigneur de treshumble serviteur, disant que son partement du roiaulme de France n'avoit esté que pour se veoir en peine et travaillé pour cercher de servir Dieu en sa conscience; et me prioyt continuer tousiours son pere et luy en la bonne grace du Roy monseigneur et le supplier vouloir qu'ilz jouissent des fruictz de la duché de Chastelerault. Auquel je feiz response que, s'il m'asseuroit qu'il avoit volunté de vous rendre l'honneur et obeissance de subiect tresfidelle, que je feroys voluntiers ce de quoy il me prioyt. Et vous asseure, Madame, que lors il me fist demonstration de vous estre treshumble, tresfidelle et tresobeissant subiect et m'asseura qu'il retiendroit toute sa vie ceste affection et mesme quant je luy en dict que vous m'avez chargé de faire semblable requeste pour monsr le duc son pere au Roy monseigneur. Et estant arrivé à Sainct Germain je le racomptay de mesme façon à la Royne mere du Roy, comme je croy qu'elle vous en escript par les lettres que je vous envoie. Par où vous pouvez cognoistre que je ne suis en aulcune coulpe et vous supplie treshumblement croire que, tant qu'il plaira à Dieu prolonger mes jours, je me garderay par sa grace de tumber en si grandes faultes et vous rendray tout ce que j'auray de vouloir et de pouvoir pour vous faire treshumble service. De Londres le xxe fevrier 1561.