S'il est un esprit universel parmi les écrivains français d'aujourd'hui, et qui ait consacré sa vie à la recherche de lui-même, et à travers lui à la recherche de la nature humaine de tous les temps et de tous les pays, c'est bien André Gide. Il ne s'est jamais reconnu d'autre obligation que d'être lui-même, entièrement, complètement, sans affectation, sans réticence non plus. Ses livres, à quelque genre qu'ils appartiennent, romans, récits, mémoires, uvres dramatiques, études littéraires, sont autant d'essais de psychologie, intime et générale à la fois. A ses yeux, ce n'est pas par époques, par patries, par classes sociales, par écoles littéraires, par confessions religieuses ou philosophiques, que se distinguent et se groupent profondément les hommes, mais par familles de corps et d'esprits, par affinités instinctives encore plus qu'électives. Aucune place, semble-t-il, dans sa conception de la vie comme dans l'ensemble de son uvre, pour le milieu, le moment, l'hérédité, chers à Taine et à ses disciples. Bien au contraire, l'acte révélateur de la personnalité de chacun, l'acte gratuit, jaillit, éruption imprévisible, du plus secret de nous-même. Par sa critique de la notion d'influence en matière d'art, par sa négation d'une immuable et universelle essence humaine dont nous ne serions les uns et les autres, que des manifestations particulières plus ou moins semblables, André Gide apparaît à juste titre comme un précurseur du surréalisme, de l'existentialisme, des systèmes qui proclament l'indépendance complète de l'homme, et particulièrement de l'écrivain créateur. N'est-il pas ridicule de prétendre associer l'individualiste le plus forcené, l'être le plus protéiforme de notre temps, à une quelconque fraction de la France ou même de la planète? Qui ne se rappelle, au surplus, la boutade fameuse de l'article de L'Ermitage: “Né à Paris, d'un père Uzétien et d'une mère Normande, où voulez-vous, Monsieur Barrés, que je m'enracine?