Hostname: page-component-cd9895bd7-lnqnp Total loading time: 0 Render date: 2024-12-22T14:22:48.388Z Has data issue: false hasContentIssue false

Sens de La Nausée

Published online by Cambridge University Press:  02 December 2020

Robert Champigny*
Affiliation:
Indiana University, Bloomington

Extract

On sait que Sartre a placé son activité littéraire sous le signe de l'ethique. Il ne maintient que la poésie dans le domaine purement esthétique. Cette profession de foi n'a toutefois eu lieu qu'au lendemain de la guerre. Elle laisse derrière elle un premier groupe d'œuvres. Maintenant que ce premier stade de l'œuvre de Sartre est clos, on peut revenir sur l'étude des morceaux dont il se compose sans risquer les jugements prématurés que certains appliquent à la seconde phase, ou qu'on appliqua jadis à la première phase. C'est à l'examen de La Nausée que nous reviendrons dans cet article.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Modern Language Association of America, 1955

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

1 La netteté de cette orientation isole, au sein de l'histoire de l'existentialisme, l'école de Paris (Sartre, Beauvoir, Merleau-Ponty). Jusqu'à Sartre, les penseurs existentiels majeurs, ou bien n'avaient pas fait de choix bien net (Marcel, Heidegger, Jaspers), ou bien s'étaient orientés différemment, Kierkegaard vers le religieux, Nietzsche vers l'esthétique.

2 Les numéros entre parenthèses renvoient aux pages de La Nausée (Paris: NRF, 1938).

3 On objectera que Roquentin, en figeant ces bourgeois dans l'essence du “salaud,” adopte la méthode qu'il leur reproche. Mais justement, il ne la leur applique que parce qu'ils l'ont choisie eux-mêmes. Notons pourtant que ce procédé, inspiré de l'ironie socratique, implique un certain truquage de la part de Roquentin. L'ironie et l'humour sont artifices esthétiques. Beauvoir, dans Pyrrhus et Cinéas (Paris: NRF, 1944), p. 30, note que l'humoriste est un tricheur. C'est également l'épithète que Magny, dans Les Sandales d'Empédocle (Neuchâtel: La Baconnière, 1945) applique à Roquentin.

4 L'humanisme et l'idée qu'on écrit toujours pour quelqu'un reviendront en grâce, mais avec un contexte tout différent, dans L'Existentialisme est un humanisme et dans Qu'est-ce que la litérature?

5 Roquentin n'éprouve qu'une fois le sentiment d'aventure (76–77), cela grâce au masque et au miroir d'un enfant. Roquentin est ici muni du recul nécessaire; et il a été enfant.

6 Roquentin refuse de reporter le mystère de la contingence dans l'idée de Dieu: “Les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire. Il y a des gens, je crois, qui ont compris ça. Seulement ils ont essayé de surmonter cette contingence en inventant un être nécessaire et cause de soi” (171). Pour Sartre, l'existence est première. Son ontologie n'est pas une métaphysique.

7 Heidegger ne traite guère du corps comme chair. Par suite, les passages de La Nausée que Waelhens, dans La Philosophie de M. Heidegger (Louvain, 1942), cite à l'appui, ne sont pas de simples illustrations de la conception heideggerienne de l'être dans le monde.

8 Noté par Wahl, dans Poésie, pensée, perception (Paris: Calmann-Lévy, 1948), p. 99.

9 Pruche, dans L'Homme de Sartre (Arthaud, 1949), p. 65, reproche à Sartre de ne pas développer le “drôle de petit sens.” Ce critique a dû confondre Sartre et Roquentin. Ce qui nous frappe dans L'Etre et le néant, c'est justement la liaison entre l'expression concrète et l'expression abstraite. Jamais, depuis la Siris de Berkeley, un philosophe n'avait fait un usage aussi cohérent de l'expression concréte. Ce qui géne Pruche, en fait, c'est que le sens des choses développé par Sartre n'est pas celui que les chrétiens, Claudel par exemple, aiment à célébrer.

10 Voir L'Etre et le néant, pp. 690–708. Ce qu'on pourrait reprocher au philosophe ici, puisque le visqueux n'est qu‘un exemple de la révélation de notre condition sur les choses, c'est de s‘être limité à cet exemple. De même, la nausée n'est pas la seule expérience originelle de mon être incarné: il y a, par exemple, la souffrance. Nous avons, plus généralement, fait des réserves sur l'usage presque exclusif du théme solide-liquide comme expression concrète dans L'Eire et le néant: “L'Expression élémentaire dans L'Etre et le néant,” PMLA, lxviii (Mars 1953), 56–64.

11 Ce que Sartre dit de l'abjection chez Genet est en partie applicable à la nausée de Roquentin: “L‘abjection est une conversion méthodique comme le doute cartésien et l‘épokhè husserlienne: elle constitue le monde comme un système clos que la conscience regarde du dehors, à la manière de l'entendement divin. La supériorité de cette méthode sur les deux autres, c'est qu'elle est vécue. … Aussi ne conduit-elle pas à la conscience transcendantale et universelle de Husserl, ni au cogito substantialiste de Descartes, mais à une existence singulière. …” Saint Genet comédien et martyr (Paris: NRF, 1952), p. 122.

12 Nous empruntons cette expression à Sartre qui l'applique à l'œuvre de Genêt (op. cit., p.483).

13 Ou à ce que Frohock appelle la littérature de violence: “The Prolapsed World of Jean-Paul Sartre,” Accent, Autumn 1946, pp. 3–13.

14 De ce point de vue, La Nausée est une hagiographie. Mais comme hagios est pris ici dans son sens oublié de louche et d'horrible, le livre est par lá même ironie des hagiographies habituelles.

15 Voir R. G. Cohn, “Sartre's First Novel: La Nausée,” YFS, i, No. 1, pp. 62–65. Le critique conclut á la supériorité de Proust. II ne tient pas compte de l'intention ironique de Sartre.

16 “Les grands mythes littéraires du xixe sitèle traînaient encore dans ma tête,” notera l'auteur dans Situations II, p. 230.

17 Beigbeder, dans L'Homme Sartre (Paris: Bordas, 1947), p. 84, range Mathieu et Roquentin dans la catégorie des “sursitaires.” Leur lucidité les a dégagés de la mauvaise foi, mais ils en sont restée là. Stade temporaire pour Mathieu, semble-t-il.

18 Frohock voit un document historique jusque dans La Nausée.

19 C'est le point de vue qu'adopte Jeanson, le commentateur le plus autorisé de Sartre, dans Le Problème moral et la pensée de Sartre (Paris: Le Myrte, 1947). Voir aussi Merleau-Ponty, Sens et non-sens (Paris: Nagel, 1948), p. 92: “La menace de la guerre et l'expérience de l'occupation ont fait apparaître la valeur positive qui se cachait sous les sarcasmes de La Nausée.”