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Dom Garcie De Navarre et Le Misanthrope: De La Comédïe Héroïque Au Comique Du Héros

Published online by Cambridge University Press:  02 December 2020

Marcel Gutwirth*
Affiliation:
Haverford College, Haverford, Penn.

Abstract

Molierè's reworking of lines from Dom Garde de Navarre in Tartuffe, Le Misanthrope, and Amphitryon points to a common theme in the four plays: the interplay of the ideal of faith and the ideal of integrity (authenticité). In Dom Garcie the hero is too much in love to bow to the convention that his beloved is by definition above reproach when he discovers her in the arms of another man. The demands of a faith grounded in self-deception clash with the exigencies of integrity. Tartuffe shuns both the artificiality and the highmindedness of the ideal. In a realistic setting shorn of all moral embellishment, integrity is made hollow by fraud; faith is maintained toward none; being is successfully undermined by nothingness. Le Misanthrope emerges as the third stage in a dialectic: the idealism of Dom Garcie, having been brought down to earth, no longer focuses exclusively on the ideal virtues of the beloved. Alceste, in fact, demands only one thing: let a man be a man. This seemingly modest desire for integrity bespeaks a faith in mankind which everyone in the play betrays. A heavenly reconciliation is achieved in Amphitryon. Impossible demands are relegated to Mount Olympus. Mortals are taught to place their faith in the only kind of integrity to which they dare aspire: a reciprocated love that fuses reason and passion so well that not even a god can prevail against it.

Type
Research Article
Information
PMLA , Volume 83 , Issue 1 , March 1968 , pp. 118 - 129
Copyright
Copyright © Modern Language Association of America, 1968

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References

1 Eugene Rigal, Moliere (Paris, 1908), I, 130: “S'il y a done tant de beautds dans cette peinture de la jalousie et de l'araour, comment ai-je pu dire qu'elle avah nui a la piece de Moliere? C'est, d'une part, que cette peinture manque en quelque facon de nettete', de franchise artistique, et c'est, d'autre part, que la psychologie et le romanesque se nuisent ici mutuellement.” Gustave Michaut, Les Debuts de Moliere d Paris (Paris, 1923), pp. 103, 107: “Selon moi, la vraie cause de cet insucces, c'est l'incontestable froideur de Dom Garcie. Il ne s'y passe rien qui nous passionne… . Pourtant il serait injuste de denier tout merite a la piece. D'abord, le style lui-meme a souvent la nettete, I'agrement, la grace, qui rdvelent la main d'un mattre. … Si Taction en elle-meme nous interesse trop peu, il n'en est pas moins vrai que Moliere a su y utiliser ces effets de repetition et de rebondissement dont il avait donnc un modele dans I'Etourdi.” H. C. Lancaster, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century (Baltimore, 1936), Part iii, II, 539: “The audience neither suffered with his characters, nor laughed at them, nor could they find in the play the excitement that they had enjoyed in Timocrate. This is probably why Don Garcie failed, despite its unity, the skill displayed in its structure, and the effectiveness of certain lines.” Robert Jouanny, “Notice de Dom Garcie de Navarre,” Theatre complei de Moliere (Paris: Classiques Garnier, s.d.), p. 253: “Moliere auteur est aussi responsable de la chute de sa piece. Elle est mediocre sans fitre peutetre inferieure a celles de Thomas Corneille et de Quinault. Les amants royaux y parlent maladroitement, non qu'il y ait la beaucoup plus de vers rocailleux et embarrasses qu'ailleurs, mais ils decoivent davantage et se heurtent soudain au langage aise et plat de la comedie.” J. D. Hubert, Moliere and the Comedy of Intellect (Berkeley and Los Angeles, 1962), p. 47: “But why did so remarkable a comedy fail to attract the public or to impress the critics? We suggest that Moliere tried too hard to reach perfection by putting too much subtlety into the language and too many refinements into the characterization, even to the point of forgetting his usual preoccupation: that of entertaining the audience.”

Deux critiques reeents se sont efforces de rdhahiliter la piece: dans “Dom Garcie de Navarre or Le Prince Jaloux?” FS, v (1951), 140–148, W. D. Howarth met en lumiere les virtualites comiques de la figure du jaloux (qu'il confond avec des realitcs); Benjamin Rountree a cherche dans le portrait de Done Elvire, qui n'est pas depourvue d'attraits, une tentative de reconciliation avec les milieux precieux: “Dom Garcie de Navarre: tentative de reconciliation avec les Precieux,” RR, LVI (1965), 161–170.

2 Dans son beau livre, The Spirit of Moliere (Princeton, 1940), P.-A. Chapman se contente en effet de rapprocher It Misanthrope de Dom Garcie pour faire ressortir la superioritede l'inspiration comique sur la veine heroique chez Moliere. Casimir Zdanowicz, lui, dans “Don Garde and le Misanthrope,” MP, xvi (1918), 129–142, effectue le rapprochement dans le dessein uniquement de defendre la these biographi-que, que menace le parallelisme des deux pieces, dont l'une est anterieure au mariage, partant a, la jalousie de Moliere a. l'egard d'Armande-Celimene.

3 L'emprunt des Femmes savantes, quatre vers ou Armande proclame les droits sacres des premieres flammes, ne touche qu'a un a-cote de la piece: les droits de Done Ines sur le cceur de Dom Sylve. Done Elvire ne les porte si haut dans ce passage (“Les premieres flammes / Ont des droits si sacres sur les illustres ames / Qu'il faut perdre grandeurs et re-noncer au jour / Plutot que de pencher vers un second amour”) que pour mieux ecarter un amant qui lui deplait. Le rapprochement est piquant, d'Armande qui s'agrippe k l'amant qu'elle a tout fait pour de'courager, et de Done Elvire rappelant avec egale mauvaise foi au fringant Dom Sylve un premier engagement qu'il aimerait oublier; mais il ne va pas plus loin.

4 Le point de vue “biographique” est un (Scran qui masque les vrais problemes: a le retuter on risque de sombrer aussi bien dans l'inconsequence. La question n'est pas de trouver a la jalousie molieresque des antecedents, autant dire biologiques, que d'en restituer le sens.

5 Cette derniere explication aura du moins le merite de motiver l'incursion prematuree dans un genre serieux, considere, par laquelle Moliere a cru devoir confondre ses adversaires.

6 Et je serois encore & nommer le vainqueur,

Si le merite seul prenoit droit sur un cceur … (i.i)

Tous les renvois sont au texte de l'ddition Despois-Mesnard dans la collection des Grands Ecrivains de la France, i-xiii (Paris, 1873–1900).

7 Robert Jouanny, dans sa Notice, parle d'un Ballet des Incompatibles: c'est donner au comique latent de la piece sa formule choregraphique.

8 Moins on merite un bien, moins on l'ose esperer.

Nos vceux sur des discours ont peine a s'assurer.

On soupconne aisement un sort tout plein de gloire,

Et l'on veut en jouir avant que de le croire.

Pour moi, qui crois si peu meriter vos bontes,

Je doute du bonheur de mes temerites. (Tartuffe iv.v)

Compression des deux premiers vers, remaniement du troisieme; le quatrieme, brutal, nous fait passer du crime imaginaire (soupcons) aux realites sordides (jouir).

9 Le contraste est parfait, cependant, entre Done Elvire qui porte tres haut les droits de la pudeur: Et puisque notre coeur fait un effort extreme Lorsqu'il peut se resoudre a confesser qu'il aime, (iii.i)

et Elmire qui, par politique, et pour attirer Tartuffe dans le

gouffre, fait mine de la deprecier:

Que le cceur d'une femme est mai connu de vous! Et que vous savez peu ce qu'il veut faire entendre Lorsque si foiblement on le voit se defendre! (iv.v)

L'aveu, quand il ne serait signing que par un regard moins distant, est le fondement inebranlable de la foi. Le refus, meme prononce aussi clairement que Tartuffe a cru l'enten-dre, n'est que consentement deguisd et ne merite pas la moindre creance.

10 Lionel Gossman, dans son remarquable Men and Masks (Baltimore, 1963), dote Orgon d'une dose de cynisme que pour ma part je serais porte a lui refuser: “He professes to be a humble servant and follower of the saintly man whom he has taken into his home to guide him and give him counsel. But … the model serves in fact as a kind of instrument” (p. 102). “By doubling himself in the shape of Tartuffe, Orgon's plan is to be both he who is absolutely superior and he who recognizes this absolute superiority, both the master and the slave” (p. 106).

11 “Orgon rejects the ordinary bonds of nature and convention not in the name of Christ, but in the name of an idol of his own creation, a god who is an extension of himself”: L. Gossman, p. 106.

12 Le culte exige par Elvire l'etait au nom de I'ldeal, que la femme aux termes de la tradition platonicienne de la Renaissance se trouve incarner. Celui d'Orgon, furtif, in-conscient s'enfonce dans l'homme sans le depasser.

13 Oserais-je ajouter en troisieme cette preuve indiscutable des intentions de Tartuffe que semble attendre Orgon quand il ne se presse pas d'intervenir, malgre la toux insistante d'Elmire, preuve qui est d'ailleurs celle-la meme qu'exige Tartuffe de l'amour qu'elle lui annonce? L'amour, comme la trahison, ne s'impose qu'aux sens, dans le corps d corps qui seul dans cette piece est irrefutable.

14 Eugene Rigal, Moliere, p. 241: “Rien dans la piece ne prouve peremptoirement que ce scelerat n'est pas un croyant. Pour moi … il est liberlin au sens moral du mot, sans etre libertin au sens religieux.” Ramon Fernandez, La Vie de Moliere (Paris, 1929), p. 142: “Un devot facheux qui boule-verse les families peut etre un fripon, mais il peut 6tre aussi un fanatique. Un fanatique, pour un chretien, e'est ce qu'il y a de plus contraire k un fripon; mais un fripon et un fanatique peuvent produire la meme impression sur un homme du siecle, eveiller en lui la meme impatience indignee. Toute la querelle du Tartuffe roule sur cette confusion. La question n'est pas de savoir si Moliere croyait en Dieu ou n'y croyait pas: la question est de savoir s'il etait assez eloigne de la vie chretienne intense pour etre importune', irrite, indigne par un exces de religion… . Cet eloignement… nous n'en pouvons guere douter.”

15 Ariston, Periandre, Oronte, Alicidamas, Polidore, Clitandre, cites par Cleante (i.v), sont absents de la scene.

16 Les vers 217–226 (i.iii), 248 (i.iii), 428–429 (ii.i), 551–567 (ii.v), 729 (ii.vi), 804–811 (iii.i), 1074–75 (iii.iv), 1230–41 (iv.vii), 1260–63, 1274–1301 (iv.viii) de Dom Garde sont ou transposes tels quels ou demarques dans les vers 1422–32 (iv.iii), 1421 (iv.iii), 693–694 (ii.iv), 1315–32 (iv.iii), 1411 (iv.iii), 1401–08 (iv.iii), 1027–28 (iii.iv), 1219–30, 1273 (iv.ii), 1281–84, 1287–1314 (iv.iii) du Misanthrope.

17 Cf. Paul Benichou, Morales du Grand Steele (Paris, 1948), p. 165: “dans l'aristocratie domestiquee, la pretention a la grandeur, elargie spectaculairement, se fait de plus en plus vaine, de plus encline a se nier soi-meme, a se perdre dans les appats du plaisir au lieu de s'y exalter. La surhu-manite se resout en dissipation, le dedain de la morale en complaisance.”

18 L'indecision des rangs dans la piece reflete fidelement la confusion qui s'est deja mise dans la societe, ou les faux-nobles abondent. Rene Jasinski, il est vrai, opte peremptoirement pour l'etat de gentilhomme; mais il ne peut se baser que sur des indications indirectes (l'intervention des mare-chaux de France).

19 La critique recente n'est pas tendre pour la vertu d'Alceste. Elle est entachee de vanite et d'illusion il est vrai (comme l'avance J. D. Hubert); elle peche sans doute par une tendance naive a se substituer inconsciemment au bien qu'elle revere (je veux qu'on me distingue! ). De la a conclure a l'ensincerite profonde de son projet, a l'imperialisme galopant de son moi, comme le fait Lionel Gossman, me parait menacer l'equilibre de la comedie. La vertu d'Alceste doit pouvoir donner prise au rire: elle est aspiration a. la vertu qui se prend pour vertu, mais ni Philinte, ni Eliante, ni meme Celimene ne s'y trompent: cet exalte merite estime et tendresse.

20 Le mot unirers revient bien souvent dans la bouche d'Alceste (sur dix emplois du terme releve dans le Lexique de Livet, cinq figurent dans Le Misanthrope).

21 Il est interessant de noter que l'un et l'autre se reclament de saint Paul, ce qui m'enhardit a. proposer cette assimilation theologique. En effet “Les uns, parce qu'ils sont mechants et malfaisants; / Et les autres pour etre aux mechants complaisants” est la paraphrase de “digni sunt morte: et non solum qui ea faciunt, sed etiam qui consentiunt facientibus” (Rom. i.32); tandis que dans l'objurgation de Philinte: “A force de sagesse on peut etre blamable, / La parfaite raison fuit toute extremite, / Et veut que l'on soit sage avec sobriete” la parfaite raison a le sens fort d'une citation de l'Ecriture, puisque comme l'indique en note Gustave Michaut dans le texte de l'Imprimerie Nationale, ces deux vers para-phrasent le passage: “sapiunt ad sobrietatem” (Rom. xii.3).

22 La critique moderne a expedie sans ceremonie la venerable theorie du raisonneur (voir l'epigraphe) a laquelle adherait encore G. Michaut. “Il n'y a pas de raisonneurs dans le theatre de Moliere. Chaque personnage est exige par sa fonction dramatique, non par une pretendue fonction morale inventee par la critique” declare categoriquement Rene“ Bray (Moliere: homme de theatre, Paris, 1954, p. 32).

23 Combien peu femme est la trop raisonnable Eliante, qui s'accommode sans meme lacher un coup de grille ou reprimer un soupir, du plus humiliant des pis-aller!

24 Qu'on se souvienne du refus que fait Done Elvire de se justifier dans la scene qui constitue le modele de celle qui nous occupe (DG iv.viii), et que Ton compare sa volonte arrStee de guerir Dom Garcie, ou du moins de le purifier, avec la seule impunite que recherche Celimene, se retran-chant dans son ro1e de maitresse de droit divin qui ne doit aucune explication a l'esclave qu'enchaine sa beaute.

25 Un cceur ne peut jamais outrager quand il aime; Et ce que fait l'amour, il l'excuse lui-meme. (DC ii.vi)

26 Lionel Gossman (pp. 1–34) enferme Amphitryon dans l'inauthenticite de qui se fie uniquement aux apparences: c'est faire trop bon marche des necessites du drame. Mari trompe en pleine lune de miel, ou qui a d'excellentes raisons de le croire, il a bien le droit de se sentir le souffle coupe; les apparences, apres tout, un dieu les a prises en main! L'amour indefectible d'Alcmene me paratt garant de la valeur d'Amphitryon. Quant au monde, dont l'amour vrai serait la dupe (“Her presence at the revelation of the fiction would necessarily make her appear a fool and a dupe, which from the standpoint of empirical reality she in fact is” [p. 27]), n'en a-t-il pas toujours ete ainsi? L'authenticite est la fleur rare de ce fumier: suffise qu'il lui ait permis d'eclore, et qu'il ne soit pas en mesure tout a fait de l'etouffer.