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L'Homme sous le Regard d'autrui ou le monde de La Bruyère

Published online by Cambridge University Press:  02 December 2020

Michel Guggenheim*
Affiliation:
Bryn Mawr College, Bryn Mawr, Penn

Extract

Un Critique a récemment mis en relief ce qu'il y avait chez Saint-Simon du comportement d'un voyeur, qui observe clandestinement les hommes afin de démasquer leurs mobiles les plus secrets. Il nous semble que la remarque est également valable pour La Bruyère qui, de sa loge privilégiée chez les Condés, considère les hommes subrepticement (on ne savait pas que ce modeste précepteur préparait un ouvrage sur les mœurs du siècle). Prenant sa revanche des mortifications qu'il a subies dans un monde où il demeure un étranger, La Bruyère savoure le spectacle pitoyable et risible de ces hommes qui défilent devant lui. Notons par ailleurs que ces misanthropes ne s'en tiennent pas à une contemplation passive des vices de leurs prochains: se décidant à sortir de sa solitude et de son silence, le voyeur peut se transformer en historien ou en moraliste. Sans pour autant songer à revenir à la méthode critique de Sainte-Beuve ou de Taine, il nous paraît essentiel de souligner dès l'abord l'influence qu'a dÛ avoir sur La Bruyère cette optique particulière sous laquelle le monde de Versailles et de Chantilly se présenta à, lui (et cela, dès sa jeunesse, c'est-à-dire bien avant qu'il eût la possibilité de l'observer de près).

Type
Research Article
Information
PMLA , Volume 81 , Issue 7 , December 1966 , pp. 535 - 539
Copyright
Copyright © Modern Language Association of America, 1966

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Footnotes

*

A shorter version of this paper was read at the annual meeting of the Modern Language Association, 1964.

References

1 François-Régis Bastide, Saint-Simon par lui-même (Paris: Ed. du Seuil, 1953), pp. 55-56. Cf. Emmanuel d'Astier, Sur Saint-Simon (Paris: Gallimard, 1962), p. 63.

2 Introduction aux Caractères de La Bruyère (Paris: Club Francais du Livre, 1960), p. 16.

3 As You Like It ii.7; Pensées, Ed. Brunschvicg, iii, 210; Maximes, éd. 1665, no. 37 (Œuvres, Paris: éd. Grands Ecrivains de France, 1868, i, 244).

4 Ed. R. Garapon (Paris: Cl. Garnier, 1962), vii, 13 (p. 214).

5 C'est nous qui soulignons théâtre, public et critique.

6 “La Bruyère: du mythe à l'écriture,” essai publié en tête de son édition des Caractères (Paris: Coll. 10-18, 1963), pp. 11-13.

7 Cf. xi, 71, p. 321: “Le monde veut de la parure, on lui en donne; il est avide de la superfluité, on lui en montre.”

8 On peut à ce propos rapprocher les Caracères de La Bruyère des personnages de Molière. Cf. ce jugement qu'un critique a récemment porté sur ces derniers: “Their entire being becomes absorbed in their being for others, and in their obsessive preoccupation with their image they lose whatever authenticity they might have had” (Lionel Gossman, Men and Masks, A Study of Molière, Baltimore: Johns Hopkins Univ. Press, 1963, pp. 248 et passim).

9 ix, 48, p. 269. De même, Pamphile, dont le comportement varie radicalement d'un jour à l'autre, en fonction de la nature de son public: “II vous apercoit un jour dans une galerie, et il vous fuit; et le lendemain, s'il vous trouve en un endroit moins public, ou s'il est public, en la compagnie d'un grand, il prend courage, il vient à vous, et il vous dit: ‘Vous ne faisiez pas hier semblant de nous voir’.” Et La Bruyère d'ajouter un peu plus loin: “Aussi les Pampbiles sont-ils toujours comme sur un théâtre: gens nourris dans le faux, et qui ne haissent rien tant que d'être naturels; vrais personnages de come'die …” ix, 50, p. 271. Cf. viii, 62, pp. 241-242.

10 xv, 1, p. 445. Cf. xv, 2, p. 445: “L'on fait assaut d‘éloquence jusqu'au pied de l'autel et en la présence des mystères. Celui qui écoute s‘établit juge de celui qui prêche, pour condamner ou pour applaudir, et n'est pas plus converti par le discours qu'il favorise que par celui auquel il est contraire. L'orateur plait aux uns, déplaît aux autres, et convient avec tous en une chose, que, comme il ne cherche point à. les rendre meilleurs, ils ne pensent pas aussi à le devenir.”

11 Lavisse, Histoire de France (Paris, 1911), Vol. vii, t. 1, p. 231; Taine, L'Ancien Régime (Paris, 1878), p. 179. Cf. cette évocation du monde décrit dans la Princesse de Clèves: “Des personnages peu nombreux sont en proie les uns aux autres, la cour est une cage dont ils ne peuvent s'échapper.” Serge Doubrovsky, “La Princesse de Clèves: une interprétation existentielle,” Table Ronde (juin 1959), p. 37.

12 Cf. ce jugement porté sur les Grands: “Quelque art qu'ils aient pour paraître ce qu'ils ne sont pas et pour ne point paraitre ce qu'ils sont …” ix, 26, p. 262.

13 Cf. viii, 74, p. 245, et iii, 5, p. 113.

14 Jean-Jacques Rousseau: la transparence et l'obstacle (Paris: Plon, 1957).