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La Tragédie Française Au XVIIIème Siècle et le Théâtre De Métastase
Published online by Cambridge University Press: 02 December 2020
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De tous les dramaturges étrangers connus en France au XVIIIème siècle, Métastase soulève l'enthousiasme le plus général. Alors que Shakespeare, par exemple, n'obtient que des louanges fort mitigées, et restera, en somme, pendant tout le siècle “un génie plein de force et de fécondité,” mais “sans la moindre étincelle de bon goût,” le librettiste italien a pour lui la faveur à peu près sans réserve de la critique contemporaine. De fait, on voit presque en lui l'heureuse contrepartie de Shakespeare. L'abbé Raynal, par exemple, le juge “un écrivain diffus, mais délicieux, et qui joint à beaucoup d‘élégance et de délicatesse, du sentiment et du pathétique.” Si Shakespeare éveille un intérêt plutôt scandalisé, Métastase, par contre, plaît par la variété de son œuvre où chacun peut trouver quelque chose qui satisfasse son goût: certains s'attendrissent sur des situations touchantes et morales, dignes du drame bourgeois; Diderot cite de Métastase un passage “bien vrai et qui peint fortement la tendresse des mères.” La plupart voient en lui l'auteur de tragédies régulières. Certes, on le loue parfois pour ses qualités lyriques, et à ce point de vue, Saint-Lambert le met au dessus de Quinault; de même, l'enthousiasme débordant de J-J. Rousseau dans son Dictionnaire de Musique est causé par les qualités éminemment musicales de la poésie de Métastase et non par les procédés dramatiques de l'auteur. Saint-Lambert et Rousseau placent ainsi le poète dans son vrai jour. Mais, le plus souvent, on dégage les livrets de Métastase de toutes considérations musicales, et on les juge sur leur valeur dramatique: “Ses pièces, pleines d'esprit, de situations, de coups de théâtre et d'intérêt,” écrit le Président de Brosses, “feraient sans doute un plus grand effet si on les jouait en simples tragédies déclamées, laissant à part tout le petit appareil d'ariettes et d'opéra qu'il serait facile d'en retrancher.” Voltaire, après de Brosses, ne cesse de développer la même idée. Il loue la régularité des tragédies-opéra “du célèbre abbé Métastasio,” “comparables à tout ce que la Grèce a eu de plus beau, si elles ne sont supérieures;” supérieures parfois aux tragedies de Corneille; produits d'un talent “que, depuis les Grecs, le seul Racine a possédé parmi nous.” Palissot, et plus tard Le Prévost d'Exmes, font, après Voltaire, la même apologie et conservent le même point de vue. C'est ce qui explique que l'imitation de Métastase se soit fait sentir dans la tragédie régulière, avant d'envahir la scène de l'Académie Royale de Musique. En effet, ce n'est qu‘à partir de 1783 qu'apparaissent, sous forme d'opéras, des adaptations de Métastase. Bien avant cette date, les auteurs dramatiques français se sont emparés de l'ceuvre du poète italien, dans l'espoir de trouver chez lui des procédés qui puissent insuffler un peu de vie à la tragédie qui languit. La vogue pour Métastase se fera sentir surtout après 1751, date de la publication des premiers volumes de la traduction de Richelet.
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- Research Article
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- Copyright
- Copyright © Modern Language Association of America, 1938
References
1 Voltaire, Lettres Philosophiques, Moland, xxii, 149.
2 Grimm, Diderot, Raynal et Meister, Correspondance Littéraire, Toumeux, i, 392.
3 Diderot, Lettre à Mlle Volland, 8 août 1762, Assézat, xix, 96.
4 Saint-Lambert, Lettre à M.le B … d'H., dans Suard, Varietés Littéraires (1769), iv, 1.
5 Article Génie, Hachette, vii, 125.
6 Voir aussi, dans Le Journal Étranger, de fréquents extraits lyriques de Métastase.
7 De Brosses, Lettres familières écrites d'Italie (1739).
8 Voltaire, Dissertation sur la tragédie ancienne et moderne (1748), Moland, iv, 490.
9 Ibid., p. 492.
10 Commentaire sur Corneille (1763), Moland, xxxi, 345.
11 Dissertation sur la tragêdie ancienne et moderne, Moland, iv, 490.
12 Petites Lettres sur les grands philosophes (1757), p. 63.
13 Vies des écrivains étrangers (1784), p. 101.
14 Cf. R. Guiet, Le Livret d'opéra en France de Gluck à la Révolution. (Smith College Studies, 1936–1937), p. 127.
15 Correspondance littéraire, 1er Septembre 1755.
16 H. Lion, Les Tragédies et les théories dramatiques de Voltaire (Paris, 1895), p. 308.
17 Olympie, i.4. Moland, vi, 107 et 110.
18 Algarotti, Sopra alcuni plagi dei Francesi.
19 Le Pauvre Diable, Moland, x, 105. Voir aussi la Correspondance du 15 novembre et du 8 décembre 1735, Moland, xxxiii, 572.
20 Acte i, scène 5. (Scrittori d'Italia) xliv, 10–11.
21 Acte i, scène 2. (Répertoire du Théâtre français) iii, 38–42.
22 De job, Études sur la tragédie: la tragêdie francaise en Italie et la tragédie italienne en France aux XVIIIème et XIXème siècles (Paris, 1897).
23 Il conviendrait d'ajouter, pour compléter cette nomenclature, les tragédies de Voltaire déjà citées et les tragédies suivantes que nous n'avons pu consulter: Comte d'Estaing, Regulus, 1748 (MS.); Turpin, Cyrus (1773), et aussi des adaptations qui relèvent de la comédie et non de la tragédie: Guyot de Merville, Achille à Scyros (1737); Caulet, L'Ile déserte (1758).
24 De Belloy, Œuvres complètes (Paris, 1779), i, 409.
25 Ibid., vi, 158.
26 Limitation de Métastase est aussi, dans un sens, un retour à I'antique, puisque les sujets sont empruntés à la légende et à l'histoire grecques et romaines. Mais l'idéal de simplicité qui est celui des vrais antiquisants est bien l'opposé de la conception métastasienne.
27 Bursay avait traduit séparément Artaxerxe en 1765.
28 Appel à toutes les nations d'Europe, Moland, xxiv, 219.
29 Conseils à un journaliste, Moland, xxii, 249,
30 Lettre de M. Métastase à M. de Belloy au sujet de Zelmire, Vienne, le 7 août 1762. De Belloy, Œuvres, i, 425.
31 Richelet, Tragédies-opéras de l'abbé Métastase (1761), xii.
32 Œuvres, i, 166.
33 Correspondance de Grimm, Diderot etc., sept. 1766, vii, 103.
34 Bachaumont, Mémoires secrets, 10 juin 1762, i, 100.
35 Journal de Politique et de Littérature, 25 juillet 1777.
36 Sébastien Mercier, Du Théâtre ou Nouvel Essai stir l'Art dramatique (1773), p. 170.