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Etymologies Légendaires des mots France et Gaule Pendant la Renaissance

Published online by Cambridge University Press:  02 December 2020

Jacques Poujol*
Affiliation:
University of Southern California, Los Angeles 7

Extract

Presque tous lës érudits français de la Renaissance qui ont étudié les origines lointaines de leur pays sont venus buter sur ce problème ardu: d'où vient le mot France? que signifie le nom de Franci porté par une obscure tribu germanique avant de désigner le peuple français? La légende de Francus ne constitue pas le seul essai de réponse à ces difficiles questions. A côté des textes qui, avant Lemaire de Belges, développent le thème des origines troyennes de la France, il en est bien d'autres qui proposent du terme Franci des explications différentes: francus est un adjectif synonyme de féroce, ou une épithète signifiant ‘franc’ ou ‘libre.’ En outre, un nouveau cycle de légendes étymologiques fondé sur le mot Galli fait son apparition à la fin du quinzième siècle, lorsque des humanistes épris de bonne latinité affectent d'appeler “Gaulois” les habitants de la France. Le but de cette étude est de montrer l'incidence de ces problèmes étymologiques, non seulement sur l'œuvre de poètes comme Lemaire de Belges et Ronsard, mais aussi sur les écrits de plusieurs historiens, philosophes et théoriciens politiques entre les Illustrations de Gaule (1510) et la Franciade (1572).

Type
Research Article
Information
PMLA , Volume 72 , Issue 5 , December 1957 , pp. 900 - 914
Copyright
Copyright © Modern Language Association of America, 1957

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References

1 Nous citons plusieurs de ces textes d'après le recueil qu'en a composé Maria Klippel, Die Darstellung der fränkischen Trojanersage in Geschichtsschreibung und Dichtung vom Mittelalter bis zur Renaissance in Frankreich (Marburg, 1936).

2 “Franci quibus familiare est fidem frangere” (Proculi Vita, 13). Ce passage est cité par Jean Bodin dans son Methodus, trad. Pierre Mesnard, p. 321. Le rhéteur grec Libanius voit dans Φραγκoι la forme corrompue de ψρακτoι (Migne, Pair, lat., t. 179, col. 1021, n. 4).

3Φρἀκκoυςαὒτoυς ἐξ ἠγεμὀνoς κ αλoυσιν ” (De magistratibus romanis, iii, 56). Cette tradition semble dériver de celle des Germains qui se vantaient de descendre d'un certain Mannus.

4 “Franci a quodam proprio duce vocati putantur. Alii eos a feritate morum nuncupatos existimant. Sunt enim in illis mores inconditi, naturalis ferocitas animorum” (Migne, t. 82, col. 338).

5 Eistoria Francorum (xième s., in Migne, t. 139, col. 639); Chronographia (fin du xième s., cité par Maria Klippel, p. 24). Ces deux auteurs sont constamment cités par les historiens au xvième siècle.

6 Maria Klippel (p. 9) distingue Frédégaire I de Frédégaire II. L'apparition de la légende de Francus a souvent été étudiée, en particulier par E. Faral, Légende arthurienne (Paris, 1929), i, 262–293.

7 “Tunc appellavit eos Valentinianus imperator Francos attica lingua, hos est feros, a duritia vel audacia cordis eorum” (cité par Faral, i, 281–282).

8 Notamment dans la Chronique d'Yves de Chartres (Migne, t. 162, col. 611), dans le De origine Francorum de Hugues de Saint-Victor (Migne, t. 177, col. 275), dans le Panthéon de Godefroy de Viterbe (Migne, t. 198, col. 919–920) et dans le De polestate regia et papali de Jean de Paris (cité par Maria Klippel, p. 39). Ces auteurs substituent à Francus différents personnages tels que Priam et Anténor, Marcomire et Sunnon ou encore Priam le jeune.

9 “Electum a se regi Francione nomen, per quem Franci vocantur” (cité par Faral, i, 270–272).

10 Outre le parallélisme Romulus-Rémus = Francus-Vassus, il s'agit de donner aux “vassi” (gens de condition libre mais subordonnée) un héros symétrique à celui dont descendaient les “Franci” de pure race.

11 Historia regum Francorum (Migne, t. 163, col. 911).

12 “Multitudo magna fugiens et in duos populos se dividens: alia Franconem Priami regis Troye nepotem scilicet Hectoris filium: alia Thurcum filium Troilii Priami secuta est…” (cité par Maria Klippel, p. 36).

13 C'est la tradition reprise par Robert Gaguin en 1495 dans son Compendium de origine et gestis Francorum. Une traduction français de cet ouvrage, la Mer des cronicques spécifie cependant que Francion était “filz de Hector.” Voir sur ce point Henri Chamard, Histoire de la Pléiade (Paris, 1940), iii, 123.

14 Chamard, iii, 123–124.

15 Œuvres, éd. Kervyn de Lettenhove (Bruxelles, 1863–66), vi, 11; Mémoires (Paris: Renouard, 1883); pp. 17–18; Molinet, Prologue des Chroniques.

16 L'auteur note qu'on appelait “Francs de St Denis” les hommes libres et ajoute: “Hinc mos surrexit, ut terra illa, quae antea vocabatur Gallia, tunc Francia vocaretur, id est, ab omni Servitute aliarum gentium libera” (cité par Du Cange, art. “Francus”).

17 Ces 2 passages figurent dans le Monarchia de Goldast, L. ii, pp. 101–102 et L. i, p. 49.

18 In Traitez des droits et libértez de l'Eglise gallicane (1731), ii, 91. Le texte latin mentionne ici Pharamond au lieu de Francus (Goldast, p. 134). Les 2 textes affirment que la lignée de Françoys (Francus) s'est éteinte avec Childéric. Les Capétiens ne seraient donc pas de la lignée de Troie.

19 Œuvres par A. Héron (Rouen, 1891), i, 6–7 et 65.

20 Pragmatica sanctio cum glossis (Paris, 1546), in-4°, fol. 1 vo et 3 vo.

21 “Tradunt enim qui res gestas scribunt, ob eam rem Francos dici, quod sint vel Romano tributo Franci, hoc est liberi, vel, quod verius est, feroces, non equidem ferocitate qua furit insolens barbaries, sed animi virtute clarissima, quam amor libertatis ingenuis pectoribus ingenerat” (cité par Du Cange Glossarium, art. “Franci”).

22 Certains pensent que Valentinien les nomma ainsi “c'est à dire gens plains de ferocité”; d'autres pensent que “pour la remission du tribut et liberté acquise sont appellez francoys cest adire francs” (cité par Maria Klippel, p. 46, d'après l'édition de Paris, 1545).

23 Valeran de la Varanne cite aussi le nom du Troyen Francus comme étymologie de France (De expugnatione genuensi carmen, fol. Avii, 1507). Des Groux, rapprochant hardiment le patronyme des Français d'un verset où St Paul affirme que la foi affranchit les fidèles du péché, conclut que la France constitue le peuple élu de Dieu (Sermo doctoralis, prononcé en 1512, fol. Riii vo, Oratio … de … Ludovici … praeconiis, Paris, 1519).

24 Œuvres, éd. Stecher (Louvain, 1882–91), iii, 82.

25 Œuvres, i, 18. Même affirmation dans une “Lettre” à Turnèbe, ii, 3.

26 T. v du Corp. gén. des philosophes français, t. v, 3, p. 456.

27 Le roman de Troie est souvent cité par erreur parmi les textes mentionnant la légende franco-troyenne. En fait, après avoir raconté comment les 2 fils d'Andromaque Landomanta et Achillides ont échappé à la haine d'Oreste et d'Hermione, Benoit de Sainte-More tourne court et invoque la fatigue pour ne pas narrer les hautes destinées des descendants des Troyens (Benoit de Sainte-More et le roman de Troie par M. A. Joly, Paris, 1869–71, p. 539). Gaston Paris signale avec raison que “les fables troyennes qu'on peut appeler ethnogénique ne se mélangent pas aux récits sur la guerre de Troie” (La littérature française au Moyen-Age, Paris, 1914, p. 81). La seule exception que nous ayons relevée est dans le “Prologue en forme de songe” du Mystère de la destruction de Troie la grant, composé vers 1450 par Jacques Milet (voir Joly, p. 845).

28 “Gallia a candore populi nuncupata est. γἀλα enim Graece lac dicitur. Montes enim et rigor coeli ab ea parte solis ardorem excludunt, quo fit ut candor corporum non coloretur” (Migne, t. 82, col. 508). Ailleurs, Isidore déclare que le climat, en rendant les Gaulois plus clairs de teint, a également façonné leur caractère farouche et irritable (ibid., col. 338).

29 “Filii Japhet septem nominantur: Gomer ex quo Galatae, id est, Galli” (Migne, t. 82, col. 330).

30 Migne, t. 23, col. 858 et 900.

31 Jean Lemaire de Belges et la Renaissance (Bruxelles, 1934), p. 13 sq.

32 “[Ogygem] Babillonii Gallum cognominant: qui in inundatione etiam superstes alios eripuerit et genuerit… ratem vocant Gallerium qui undis salvet. Verum graeca lingua Gallus candidum et lacteum significat. Phryga, exertum testibus. Latina gallinae maritum et Celtes qui sunt Galathae veteres: a rege Galanthe filio Herculis a quibus Galathae in Asia et Gallograeci in Europa” (Berosus babylonicus [Paris: Marnef, 1510], pet. in-4°, fol. 21). L'allusion à une étymologie phrygienne s'explique par les horribles pratiques des “Galles,” prêtres qui faisaient à Cybèle le sacrifice de leur virilité. Cette étymologie n'a guère trouvé d'écho parmi les historiens français des Gaulois …

33 D'après le P. Lelong, Bibliothèque historique, t. iv, supplément N° 15691. L'auteur n'a que mépris pour ceux qui arrêtent à Pharamond la généalogie des rois de France, et, remontant bravement jusqu'au déluge, il démontre “comment la Monarchie de France n'a cédé ni donné lieu ès Monarchies d'Assyrie, Perse, Grèce et Rome en vétusté et prouesse …”

34 In-12°, Cahier C, fol. 5. Pierre Des Groux dans le passage que nous citons à la note 39 mentionne les étymologies grecque, hébraïque et phrygienne de Galli.

35 Paris: Estienne, 1520, in-fol., Vol. i, fol. 280. Barthélemy de Chasseneuz, théoricien du pouvoir royal, cite en bonne place cette exégèse abracadabrante pour justifier les droits du roi de France à nommer les évêques (Catalogus gloriae mundi, Genève, 1617, in-fol., pp. 240–241. La première édition est de 1528).

36 Mirabilis liber qui prophetias revelationesque necnon res mirandes praeteritas presentes et futuras aperto demonstrat (Paris, 1523), B. N. rés. D. 8834, fol. xvi vo.

37 A. de Montaiglon, Recueil de poésies françaises (Paris, 1855–78), iv, 49 sq.

38 Rabelais, Gargantua, éd. Plattard (Paris, 1946), p. 41. En faisant des lis de France des fleurs blanches et non point dorées comme le voudraient les experts “italianisants” de blason, Rabelais reste fidèle au commentaire “naturel” qu'il donne des “couleurs” portées par Gargantua et à sa critique du Blason des couleurs de Sicile au chapitre ix (ibid., p. 35).

39 Tractatus de laudibus ac triumphis trium liliorum Franciae, in Opus regale (Lyon, 1512; Ière éd. Saluces, 1507), fol. lxxv.

40 Fragments de la première Ogdoade de Guillaume Du Bellay … avec introduction et notes, par V. L. Bourrilly (Paris, 1904), in-8°, p. 1.

41 Les raisons de la monarchie et quelz moyens sont nécessaires pour y parvenir, la ou sont compris en brief les tresadmirables et de nul jusques au iour d'huy tout ensemble considerez privileges et droictz, tant divins, celestes, comme humains de la gent gallicque, et des princes par icelle esleuz et approuvez (Paris, 1551), in-16°, pp. x–xi.

42 Ce point est développé dans un autre ouvrage de Postel intitulé, La loy salique. Livret de la premiere humaine vérité, là ou sont en brief les origines et auctoritez de la loi gallique nommée communément salique … (Paris, 1552), in-16°.

43 L'histoire mémorable des expéditions depuys le déluge faictes par les Gaulois ou Francoys depuis la France jusques en Asie, ou en Thrace et en l'orientale partie de l'Europe, et des commodités ou incommodités des divers chemins pour y parvenir et retourner … (Paris, 1552), in-16°.

44 Voir le chapitre “Nationalisme et cosmopolitisme de Guillaume Postel” dans le livre de Pierre Mesnard, L'essor de la philosophie politiquean XVI ème siècle (Paris: Vrin, 1951), in-8°, pp. 430–463.

45 “superantes aquas, sive ex inundatione diluvioque superstites, sive inundati” (Paris, 1557, in-fol., fol. 2).

46 Recueil de l'antique preexcellence de Guale et des Gauloys (Poitiers, 1546); Antiquitez et singularitez du monde (1557) dont le titre suggère la dette contractée par l'auteur envers Lemaire de Belges.

47 Traitté des meurs et facons des anciens Gauloys, traduit du Latin de M. Pierre de la Ramée, par Michel de Castelnau (Paris: Denys du Val, 1581), pp. 76–84. La première édition latine est de 1559.

48 Nous citons d'après la traduction française du Methodus donnée par Mesnard (Corpus général des philosophes français, t. v, 3).

49 Lemaire de Belges avait déjà noté que le V double des Belges correspondait au G français et que par conséquent les formes Wallon et Gaulois représentaient le même mot (Œuvres, i, 84).

50 “Cumque in Italiam per Celtas transiret permissu parentum Galatea genuit illis Galatem regem” (Berosus babylonicus, fol. 8 vo-9).

51 Cité par Maria Klippel, p. 56.

52 Rabelais (Œuvres, éd. Lefranc, Genève-Lille, 1955, vi, 16, n. 92). Dans ces passages, Rabelais ne se réfère ni à Bérose ni à Lemaire mais à un texte dans lequel Lucien fait décrire à un Celte Hercule vieillard attirant les hommes à lui par son éloquence. C'est peut-être de ce texte que Bérose a tiré l'idée d'un séjour d'Hercule en Gaule.

53 Edition publiée par Henri Chamard (Paris, 1948), p. 197. H. Chamard a commenté ce passage en 2 notes (n. 3 et 4) précieuses pour l'étude du mythe et l'Hercule Gaulois.

54 Le rapprochement du mot Franc avec le nom de la ville allemande de Francfort était courant. En 1571, l'historien Du Haillan, dans le même livret où il rapporte la lecture ivème livre de la Franciade faite à Blois devant le roi par Amadis Jamyn, affecte d'employer indistinctement “Francs” et “Francons” pour désigner les ancêtres des Français qui selon lui sont originaires de Franconie (R.H.L., 1915, p. 467). Bodin admet lui-aussi que les Francs soient d'origine germanique (Methodus, p. 449).

55 Bodin, dans son édition de 1572 du Melhodus trouve tout à fait plausible cette étymologie (p. 461).

56 Cette attitude se perpétuera longtemps. En 1715, l'abbé de Vertot fera enfermer 4 mois à la Bastille son adversaire Nicolas Fréret coupable à ses yeux d'avoir, dans un Mémoire à l'Académie, mis en doute les origines fabuleuses de la Monarchie.

57 Laumonier a dressé une liste des auteurs qui avant la Franciade expriment leur scepticisme à propos de la légende de Francus (Œuvres complètes de Ronsard, xvi, 7–8, n. 5). A cette liste il convient d'ajouter Jean des Montiers, seigneur du Fraisse qui écrit dans un ouvrage publié dès 1538: “Les Illustrations et Annales de France commencent l'histoire des Françoys à Priam. Il y en a qui passent jusque à Osiris et Noé, qui pourroyent par mesme moyen commencer à Adam et Eve. Pour laisser un chacun en sa liberté d'en croire ce qu'il vouldra, j'ay mis icy les noms depuis Priam jusques à Franke dernier de ce nom. Les aultres commencent à Hector et luy donnent un filz Francus qui édifia Sycambrie. Ce ne sont que fables: et ne se peult trouver en aucun livre digne de foy, mémoire des Roys des Franques que depuis Franke …” (Des estats et maisons plus illustres de la chrestienté, Paris, 1549, in-4°). En termes moins nets, Jean du Tillet dans l'avant-propos de la Cronique des Roys de France (Paris, 1553, in-12°) exprime de sérieuses reserves sur l'existence des “vieux Roys que Hunnibault et les aultres racomptent”: en conséquence il refuse de remonter plus haut que Pharamond.