1. INTRODUCTION
Une comparaison entre la 13e édition du Bon usage (1993: § 980 a, 2° remarque) et sa version électronique révèle que le traitement relatif au statut de pour ne pas que n'a pas vraiment évolué. D'après la 13e édition, cette séquence, formée par analogie avec pour ne pas + infinitif, “reste suspecte d'incorrection”, même si elle s'observe dans des emplois autres que purement populaires. La version électronique du Bon usage Footnote 1 maintient toujours que cette construction, “isolée parmi les loc. conjonctives, reste généralement mal accueillie, même par les observateurs non puristes” et même si elle “tend à passer de la langue populaire dans la langue écrite” (§1020).
Cette position du Bon usage électronique est pour le moins étonnante vu qu'en 1997 Blanche-Benveniste observait déjà, dans un chapitre intitulé “les fautes qui n'en sont plus” que la séquence pour pas que “est plus répandue qu'on ne le croit, et n'est pas réservée aux enfants” (ibid.: 40), du fait, d'une part, de la haute fréquence du tour (donc, d'un paramètre quantitatif), mais aussi du fait de l'utilisation du tour au sein de groupes variés (donc, d'un paramètre plutôt qualitatif).Footnote 2
En général, le tour pour (ne) pas que constitue l'objet d'intérêt principal ou secondaire des études traitant du français parlé (Blanche-Benveniste et Jeanjean, Reference Blanche-Benveniste and Jeanjean1987; Blanche-Benveniste, Reference Blanche-Benveniste1997), de celles analysant les parlers jeunes ou les parlers dits ordinaires ou urbains (Gadet, Reference Gadet1989 et Reference Gadet2007; Seux, Reference Seux1997; Liogier, Reference Liogier2002; Trimaille et Billiez, Reference Trimaille, et Billiez, Molinari and Galazzi2007),Footnote 3 de celles décrivant les fautes produites dans le langage enfantin (Delamotte-Legrand, Reference Delamotte-Legrand2009),Footnote 4 enfin de celles, descriptives ou théoriques, traitant de la négation (Damourette et Pichon, Reference Damourette and Pichon1911–Reference Damourette and Pichon1950: chapitre 7; Jespersen, [Reference Jespersen1924] Reference Jespersen1971; Barnicaud, Reference Barnicaud, Compare, Ducrot and Duval1967; Milner, Reference Milner1979; Muller, Reference Muller1991; Rowlett, Reference Rowlett, D'hulst, Rooryck and Schroten1999; Larrivée, Reference Larrivée2001 et Reference Larrivée2004, entre beaucoup d'autres).
A l'égal de la question de son acceptabilité, les avis concernant la formation ou la motivation de pour (ne) pas que sont partagés. Aussi s'agira-t-il dans un premier temps de faire un tour d'horizon, certes non exhaustif, de la question du statut indécis de la tournure finale négative pour (ne) pas que et de celle relative à sa motivation. Chemin faisant, seront exposés des observables qui illustreront l'emploi effectif de pour (ne) pas que en contexte mais qui montreront en même temps à quel point la (dé-)formation pour (ne) pas que est productive. Dans un deuxième temps, on évaluera les avantages de la motivation du déplacement du (des) marqueur(s) de négation (ne + pas ou pas tout seul) à l'extérieur du complexe verbal – et donc en dehors de la proposition subordonnée – à la lumière du principe de l'iconicité, piste qui reste moins exploitée dans le traitement de pour (ne) pas que, bien qu'elle soit suggérée à des degrés divers par différentes approches.
2. POUR (NE) PAS QUE: TENSION ENTRE NORME ET USAGE
Le débat autour du statut de pour (ne) pas que est en fait plus ancien que ne le révèle l'introduction ci-dessus. Dans son journal des Faux-monnayeurs (1927), Gide appelle pour ne pas que une “faute horrible” pourtant “si fréquente aujourd'hui”. Cette observation n'a pas tardé de susciter un débat dans des traités de stylistique: alors que Joran (Reference Joran1928: 165–166) parle d'une “barbare disposition de mots”, ce qui choque Thérive (Reference Thérive1929: 174–177), n'est pas l'utilisation fréquente de pour pas que à l'oral, mais le fait que l'écrit préfère pour ne pas que à pour pas que et donc “forme un compromis lourdaud et malhabile entre la correction théorique et le jargon pratique” (p. 175). Le conseil de Thérive est le suivant: “si l'on veut écrire carrément selon l'instinct, écrivez pour pas que” (p. 175). Thérive conclut que “pour ne pas que est un pédantisme inutile et monstrueux: le pédantisme dans le vulgarisme, péché mortel!” (p. 176) et que “l'essentiel est de respecter la démarche de la pensée qui tend ici à mettre la négation en avant, à la joindre à l'idée de but” (p. 176). Dans une chronique de langage parue dans Le Monde le 6 mai 1967,Footnote 5 Robert Le Bidois fait référence à la Grammaire des fautes de Frei et au fait que pour pas que “illustre curieusement la théorie des fonctions d'Henri Frei”, en ce sens qu'il s'agirait d'une “faute” ou d'une déformation consciente qui réparerait les déficits du langage orthodoxe ou répondrait à un besoin d'expressivité.
Les manuels de stylistique ou de grammaire d'il y a 40 ans restent catégoriques dans leur traitement de la variation. Pour n'en donner qu'un exemple, dans son Guide de l'expression écrite, Bénac (Reference Bénac1976: 239) traite pour pas que tout comme pour ne pas que de “forme exclue”. Mais la même position est retenue par les grammaires parues une vingtaine d'années plus tard. Voici la position de la Grammaire méthodique du français (Riegel et al., Reference Riegel, Pellat and Rioul1994: 511) à ce sujet:
la négation de pour que, qui est normalement pour que. . . ne. . . pas. . ., prend fréquemment dans le parler populaire la forme pour (ne) pas que, considérée comme incorrecte.
Un saut supplémentaire d'une vingtaine d'années nous conduira à la version électronique du Bon Usage, cité dans l'introduction, qui ne tardera pas à nous faire découvrir qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil.
Qu'en est-il des manuels de français langue étrangère? Font-ils mention de pour (ne) pas que? Excepté la Grammaire pratique du français (2000), aucune des méthodes d'enseignement du français consultéesFootnote 6 n'utilise la locution pour que dans un emploi négatif, ce qui permet d'esquiver complètement et élégamment la question de la variation. Panorama niveau 3 (1996: 55), par exemple, introduit pour que dans un chapitre qui porte sur l'expression de but, de condition et de restriction. Comme la stratégie de cette méthode ne consiste pas dans un cumul de difficultés, mais dans la bonne formation d'une phrase complexe avec une proposition subordonnée au subjonctif, la question de la négation – et donc de la variante négative de pour que – ne se pose même pas. Même si les méthodes communicatives consultées pratiquent chacune des stratégies différentes relatives à l'introduction de la locution conjonctive finale à sa forme positive,Footnote 7 en fin de compte elles font toutes abstraction du problème que la forme négative de pour que pourrait poser. La Grammaire pratique du français (2000: 136) constitue une exception en ce qu'elle propose un exemple de pour que introduisant une subordonnée négative (Je partirai tôt pour que Pierre ne m'attende pas). L'exemple ne cherche pas à illustrer la négation dans la subordonnée, mais le fait que le sujet de la subordonnée et celui de la principale sont différents. L'essentiel des renseignements accompagnant l'unité se réduit, à l'instar des autres méthodes, à l'utilisation du subjonctif dans la subordonnée, et comme l'exemple cité le montre clairement, il n'y a aucune mention de la variante pour (ne) pas que.
Nous avons aussi tenté nos chances du côté des blogs qui s'intéressent à des questions de langue. Voici deux sessions de question-réponse postées sur le forum WordreferenceFootnote 8 concernant la tournure pour (ne) pas que. La première session est lancée par un locuteur anglophone qui se renseigne sur la langue française; la deuxième est lancée par un locuteur francophone qui se renseigne sur l'anglais.
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1. - Question (1.4.2008), lancée par David CornellFootnote 9
Do the following sentences have the same meaning?
Je suis venu plus tôt pour que tu ne m'attends pas.
Je suis venu plus tôt pour pas que tu m'attends.
When do you use “pour pas que”? Is it informal grammar?
- Réponse (1.4.2008), proposée par GropFootnote 10
It is quite informal indeed. Note that in both cases you need a subjunctive: que tu ne m'attendes pas.
Selon les intuitions du locuteur francophone, il n'y a pas incorrection, mais plutôt un décalage de registre (“informal indeed”). La seule incorrection ressentie par le répondant francophone consiste dans le mode à employer derrière cette tournure.
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2. -Question (28.3.2011), lancée par wally007Footnote 11
Je voulais savoir comment on dit en anglais:
C'est un peu pour pas que j'oublie d'où je viens
Dans le sens elle m'a envoyé là-bas pour pas que j'oublie d'où je viens
My try: it's kind of for me not to forget where I come from
But it sounds too weird to my ear (at least)
Thank you
- Réponse #1 (28.3.2011), proposée par OLNFootnote 12
pour ou afin que je n'oublie pas en français correct (ça rend la traduction plus facile, à mon avis):
In a way, she sent me there so I don't forget where I came (ou come) from.
to remind me . . .
in case I had forgotten. . .
- Réponse #2 (28.3.2011), proposée par Island ThymeFootnote 13 :
I'd say she sent me there so that I wouldn't forget where I came from.
Le commentaire fait par la répondante francophone révèle une intuition différente de celle du répondant francophone de la première session: la locutrice de cette session parle d'une incorrection alors que pour le locuteur francophone de la première session il s'agissait d'un parler quotidien.
Nous avons aussi interrogé quelques corpus oraux. Une recherche de la séquence pour pas qu Footnote 14 dans Le corpus de Français Parlé Parisien des années 2000 (CFPP2000)Footnote 15 n'a produit qu'une seule occurrence (ex. (3)). Le schéma pour ne pas qu n'a par contre pas produit de résultat:
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3. [. . .] elle nous faisait elle nous mettait d' la pâte à modeler + sur le côté près du radiateur y avait d' la pâte à modeler qui en permanence était mouillée avec un linge voyez pour pas qu'elle sèche + on mettait un linge mouillé + pour nous a- nous faire faire des cadeaux euh pour la fête des mères alors on faisait toutes un cadeau c'était oh j' me rappelle plus comment ça s'appelle [. . .] [sic]Footnote 16
Déception aussi du côté du Corpus oral français 150,000 accessible à travers le concordancier Lextutor. Footnote 17 Celui-ci n'a produit que deux résultats (exs. (4) et (5) ci-après):
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4. [. . .] Très jeune, on a commencé à aider Maman puisqu'on voyait qu'elle avait beaucoup de travail alors c’était, c’était l'entraide. Je me souviens, je me levais, je me levais à quatre heures du matin souvent, surtout le lundi parce que le lundi, c’était le jour de la lessive et il n'y avait aucun confort. Il fallait tout faire à la main. Alors pour ne pour ne pas que Maman ait trop de travail, alors on on se levait, on se levait de très bonne heure pour l'aider avant de partir et puis c’était une occasion aussi d’être ensemble [. . .].
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5. [. . .] elle n'a jamais voulu retourner dans le nord, ses par. . . elle a laissé partir ses. . . son papa et sa maman et puis ses frères. . . A cause de la guerre? Oui, à cause de la guerre parce qu'elle avait vu des atrocités, elle a vu les Ulands, on appelait les Ulands, les Allemands on les appelait les Ulands, qui elle a vu les Ulands qui coupaient les bras, qui coupaient un bras au petit garçon pour ne pas qu'il soit soldat, au petit Français bien sûr. Et ça l'avait beaucoup, beaucoup marqué [. . .].
L'absence de cette tournure de l'oral populaire dans lesdits corpus oraux aurait pu en effet faire croire à un phénomène minoritaire, mais une recherche supplémentaire dans le corpus CLAPI Footnote 18 équilibre cette impression, en procurant cinq attestations de pour pas que sur un ensemble limité de 138 transcriptions, sans compter d'autres attestations comme “pour que pas qu'i‘s soient contaminés”, obtenues après avoir changé les paramètres de la requête. Par ailleurs, pour pas que n'est pas absent des corpus traitant d'autres variétés du français: OFROM Footnote 19 (corpus oral de français de Suisse romande) a procuré quatre observables et CFPQ (corpus de français parlé au Québec), qui vise à refléter le français québécois en usage dans les années 2000, a affiché encore seize résultats.Footnote 20
Signalons que le fait de ne pas avoir trouvé une quantité représentative d'occurrences pertinentes dans Le corpus de Français Parlé Parisien des années 2000 et dans le Corpus oral français 150,000 n'est pas à même de discréditer la tournure, puisqu'il faut encore prendre en compte la nature des corpus oraux. Ceux-ci n'enregistrent pas tous des interactions spontanées. De plus, la nature des questions et la sélection des thématiques dans les interactions guidées sont à même de privilégier certains tours et d'en marginaliser d'autres.Footnote 21
Une recherche à travers le moteur Google s'est avérée aussi très productive. Comme il s'agit d'une tournure caractérisant le français spontané, il n'est pas étonnant de constater que les forums de discussion et les blogs constituent un terrain de prédilection pour l'utilisation de pour (ne) pas que. Nous ne citons pas les chiffres donnés en haut de page pour chaque recherche effectuée, ceux-ci étant vertigineux. Par ailleurs, nous cherchons à refléter qualitativement une certaine pratique d'utilisation plutôt qu'à la quantifier. Notre première recherche était celle de la séquence pour pas que.
Les exemples (6)–(13) ci-dessous représentent des échantillons du français écrit spontané (blogs, forums de discussion, etc.) faisant intervenir ledit tour final:
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6. Pour pas que le gâteau tombe il faut le laisser dans le four mais éteindre le four.
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7. Comment bloquer sa connexion wifi pour pas que le voisin se connecte dessus?
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8. Titre d'intervention dans un blog: Pour pas que Hollande te pique 75% de ton pognon.
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9. Comment bloquer mes photos pour pas que les personnes en dehors de mes amies les voient?
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10. Je me bats pour pas que ma vie soit un chemin de croix.
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11. Parfois je dois prendre des gants pour dire les choses pour pas que ce soit mal interprété ou pour faire mieux passer la chose à dire.
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12. J'ai déchiré les autres noms pour pas que les gens sachent pour qui j'avais voté. . .ben ouais, vous croyez que j'allais vous le dire peut-être?
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13. Prépa concours de greffiers sessions 2012
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- Je suis sur la liste Mais vous savez quand est-ce qu'on aura les notes? -Ahhh mais c'est nul! Donc on va à l'oral sans savoir combien on a?
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- Oui c'est ça . . . Je pense qu'ils font ça pour pas que les gens ayant eu une excellente note à l'écrit vienne à l'oral en touriste, enfin c'est une hypothèse. Ou alors c'est juste parce qu'ils ont la flemme de mettre 2 fois les notes lol.
Les exemples (14)–(16), eux, représentent des extraits de sites de grammaire française excluant cette tournure, chacun à sa manière.
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14. «pour pas que» est incorrect : il doit être remplacé par «pour que. . . ne. . . pas» (ex: on ne dit pas *“Je lui ai téléphoné pour pas qu'il (ne) s'inquiète” mais “Je lui ai téléphoné pour qu'il ne s'inquiète pas ”).Footnote 22
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15. Les adverbes de négation ne et pas accompagnent parfois la locution pour que suivie d'un verbe. Dans la langue relâchée, il arrive qu'on place alors ceux-ci entre pour et que (pour ne pas que). Dans un style neutre ou soigné, on évitera cette construction boiteuse. En effet, ne et pas doivent plutôt être placés de part et d'autre du verbe, après que. D'autres formulations également sont possibles, par exemple pour éviter que. . .Footnote 23
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16. Avec un verbe conjugué, les deux éléments de la négation ne peuvent jamais se suivre : ils sont toujours séparés par le verbe ou l'auxiliaire. Il m'a donné un plan pour que je ne me perde pas (et non pour ne pas que je me perde ).Footnote 24
Finalement, l'exemple (17) ci-dessous profite de ladite tournure pour former un jeu de mots à la veille des élections du 6.5.2012. Cet exemple diffère de ceux de la série (6)–(13) en ce sens qu'il n'est pas spontané:
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17. “Pour pas que Sarkommence”.Footnote 25
Les exemples ci-dessus ainsi que ceux qui suivent ne semblent pas singulariser une tranche d'âge ou de culture spécifiques. Les blogs et les forums consultés portent sur des sujets très variés (voici quelques exemples de forums consultés: “passion animaux”, “aufeminin”, “comment ça marche”, “magicmaman”, “iPhone, iPad, iPod”, etc.).Footnote 26 D'autre part, le fait pour le tour d'être mal formé à l'écrit (e.g., l'accord du subjonctif dans (13)), n'indique pas forcément une incompétence orale. Dans le cas de pour pas que les gens ayant eu une excellente note à l'écrit vienne à l'oral en touriste, l'accord erroné en nombre entre le sujet et le verbe n'est pas ressenti à l'oral.
La recherche par occurrence précise “pour ne pas que” a aussi produit une multitude de résultats. En voici quelques-uns (exemples (18)–(22)):
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18. Comment faire pour ne pas que notre chien se sauve ?
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19. Et si la solution pour ne pas que vos employés vous quittent était simple?
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20. Comment faire pour ne pas que mes pâtes collent?
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21. Pour ne pas que quelqu'un voit ton profil Facebook, il faut le bloquer.
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22. Je suis a la recherche d'une barrière pour ne pas que mon lapin aille dans mon salon
Il se peut fort bien que la présence de ne soit liée ici au fait que le commentaire est écrit et donc en quelque sorte plus contrôlé. Ces exemples pourraient du coup témoigner du fait que la tournure pour pas que est exemptée du contrôle, tellement elle semble naturelle pour les locuteurs.
Quatre recherches supplémentaires ont été effectuées, celles des séquences pour (ne) plus que / pour (ne) jamais que afin de vérifier si le tour final négatif avec marqueur(s) de négation déplacé(s) était fréquent également avec d'autres items négatifs. La logique étant que l'utilisation, parallèlement à l'adverbeFootnote 27 pas, d'autres éléments du paradigme pourrait témoigner d'une certaine standardisation de cette tournure dans le parler spontané (écrit ou oral). Là, non plus, il n'était pas difficile de repérer des échantillons pertinents (exemples (23)–(40)):
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23. Est ce que quelquun connais un remede pour plus que les chats viienne urinais sur man balcon ? ! Merci bcp a +
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24. Solution miracle pour plus que mes escarpins me lâchent au talon?
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25. Pour plus que votre perroquet s'arrache les plumes: bonjour a tous je voulais vous donner un truc si votre perroquet s'arrache les plumes . . .
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26. bonjour dans la chambre de mes garçons que j'ai retapissé y a a peine 1 an, de l'humidité est remontée sur les mur, juste sur un mur, j'ai acheté des absorbeurs d'humidité mais trop tard le mal est fait . . .en janvier je vais tout detapisser et je voulais recoller de la toile a peindre et repeindre leur chambre, seulement pour etre sure que la moisissure ne revienne pas, j'imagine que des produits existent que dois je mettre sur le mur pour plus que ca moisisse?
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27. Comment faire pour ne plus que la batterie se décharge ?
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28. Un processus de guérison pour ne plus que l'histoire se répète
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29. Si quelqu'un a rencontré ce problème je serais super content qu'il me dise comment faire pour ne plus que mon crédit y passe !
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30. Comment faire pour ne plus que le chat attaque nos pieds et main juste avant de se coucher pour jouer ?
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31. Pour éliminer les tâches parasites et se concentrer sur les 20% d'efforts qui amènent 80% des résultats, on peut par exemple: – Ne consulter ses emails qu'une ou deux fois par jour à heure fixe et apprendre à donner des instructions de façon efficace, pour ne plus que la personne n'ait besoin de nous recontacter.Footnote 28
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32. Les responsabilités doivent être partagés pour ne plus que ce genre de comportement se reproduise dans nos lycées et colleges.
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33. Pour ne plus que votre webmail considère les e-mails en provenance de My Princes comme du spam, nous vous recommandons d'ajouter l'e-mail « » dans. . .
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34. Mais on va mettre la pression nécessaire pour ne plus que le projet soit reporté.
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35. Pour ne jamais que tu pleures.
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36. Les vétérans de la guerre et les victimes le répètent aux jeunes de chaque génération. Ne pas oublier les horreurs qu'ils ont vécues ou qu'ils ont vues lors de la seconde guerre mondiale. Pour ne pas avoir souffert pour rien, mais surtout, pour ne jamais que cela se reproduise et pour faire honneur aux disparus, on le rappelle à tous et chacun par des films et des livres.
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37. Pour ne jamais que nos enfants oublient ce qu'il s'est passé.
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38. La pauvreté, on l'a si bien vécue que j'ai pensé d'écrire sur ça pour jamais que ça soit oubliée.
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39. Elle à gravé son nom en moi, pour jamais que j'oublie tout ce que ces quartes lettres représentent.
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40. Tu pries pour jamais que ça s'arrête.
En effet, tout comme pour les tournures avec (ne) pas déplacé(s) en dehors du complexe verbal, celles avec (ne) plus et (ne) jamais sont utilisées en contextes variés par des locuteurs à profil non-homogène. Par ailleurs, l'emploi d'autres items du paradigme de la négation à côté de pas confirme que le tour pour (ne) pas que n'est pas soudé, et qu'il s'agit par conséquent d'un déplacement productif (Gaatone, Reference Gaatone1981; Adler, Reference Adler2001).
Finalement, une dernière recherche a été lancée, celle de afin (ne) pas que. Notre intention était de vérifier si l'élément initial du tour était, lui aussi, sujet à une variation. En principe, cette séquence (comme par ailleurs les autres expressions finales de peur que, de crainte que et de sorte que) ne devrait pas permettre l'extraction des marqueurs de la négation et leur intercalation devant la conjonction que, vu le figement entre afin (idem pour peur, crainte, sorte) et la conjonction que. Seul pour est un élément qui existe encore sous forme d'item relationnel autonome (préposition + que, à l'exemple de pendant que, avant que, après que, etc.).
Cela dit, on a pu trouver une séquence dont l'emploi de afin pas que se rapporte à celui de pour pas que (c'est-à-dire que le tour annonce une subordonnée finale négative):
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41. Clint a écrit:
Hé ho Dam, tu édites pour mettre les mêmes résultats que moi sur les 2 derniers matches afin pas que je recolle de plus de 9 pts, c'est quoi cette tactique de poule mouillée ?
Change ou moins les scores vilain.
Réaction: je n'ai pas édité, non, t'hallucine la, c'est toi qui n'a pas remarqué que tu avais mis comme moi [. . .].
Il va sans dire que cette occurrence unique ne permet de prédire ni la réception générale de cette tournure ni son évolution.
Les autres occurrences de afin pas que que l'on ait pu trouver relèvent plutôt de fautes d'orthographe (cf. (42), où afin pas que je sache équivaut à “enfin, pas que je sache”) ou d'une hésitation quant au positionnement de l'adverbe négatif (cf., dans (43), l'emplacement de pas à l'extérieur et puis à l'intérieur de la proposition subordonnée. Il se peut qu'il s'agisse d'un essai d'autocorrection également):
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42. Le multijoueur ne compte pas pour débloquer les courses (afin pas que je sache), tu dois donc faire le mode solo [. . .].
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43. Kuiper a écrit: [. . .] ça reste de la téléphonie mobile et donc lié à free, certains membres peuvent êtres intéressé par la comparaison.
Axelito a écrit: [. . .] Non, désolé. . . Pour moi B&You ne fait pas parti de l'expérience Free Mobile [. . .] donc pour cela que je dis que je l'effacerai [. . .].
Cdt: [. . .] je ne suis pas tout à fait de ton avis Axelito. Je pense même qu'il manque une section “les autres opérateurs” dans lequel ont pourrait y glisser les retours d'expériences. Tout est bon à prendre. Il est clair que si ça venait à voir le jour il ne faudrait une surveillance afin pas que ça devienne pas un défouloir [. . .].
On en conclut que la variation est pertinente pour le paradigme de la négation, mais non pour l'élément (prépositionnel) introducteur. L'abondance des résultats pertinents affichés par Google confirme en effet que le tour est loin d'être marginal. La variété des contextes où l'on trouve le tour suggère aussi que l'emploi de pour (ne) pas que ne singularise pas une tranche d'âge ou une situation sociale typiques. Qui plus est, on constate que ce qui néanmoins paraît défectueux selon les intuitions langagières de certains francophones, c'est le non-respect du subjonctif derrière cette tournure plutôt que l'extraction de la négation en dehors du complexe verbal. De ce point de vue-là, le titre d'un article rédigé par Kerbrat-Orecchioni (Reference Kerbrat-Orecchioni1999) pourrait bien résumer la situation de pour (ne) pas que: “L'oral dans l'interaction: une liberté surveillée”. Autrement dit, même si le tour en question n'est absolument pas exclusif à l'oral, nous constatons une spontanéité (orale ou écrite) qui reste néanmoins contrôlée. La grammaire des fautes de Frei (Reference Frei1929) nous rappellera encore que si faute il y a, du moins aux yeux de certains utilisateurs, celle-ci a une grammaire.Footnote 29
Nous référons finalement aussi à Gadet [Reference Gadet1996, Reference Gadet1997 (Reference Gadet1989): V] dans son avant-propos à la 2ème édition du Français ordinaire pour rendre compte du statut qui pourrait le mieux convenir à pour (ne) pas que:
‘Français ordinaire’ doit être compris par référence à ce à quoi on peut l'opposer. Ce n'est bien sûr pas le français soutenu, ni recherché, ni littéraire, ni normé. Mais ce n'est pas non plus (pas seulement) le français oral ou parlé, puisqu'il peut s'écrire. Ce n'est pas seulement le français populaire, ou du moins c'est ce dernier dans la mesure où il manifeste des traits communs avec d'autres usages non standards du français. C'est donc surtout le français familier, celui dont chacun est porteur dans son fonctionnement quotidien, dans le minimum de surveillance sociale: la langue de tous les jours.
Nous en concluons qu'il s'agit, tout au plus, d'une variation du français (Gadet [Reference Gadet1996, Reference Gadet1997 (Reference Gadet1989): 3]), certes pas d'une incorrection, en ce sens que la variation est contrainte à une régularité.
3. COMMENT POUR (NE) PAS QUE EST-IL MOTIVE DANS LA GRAMMAIRE?
Hirschbühler et Labelle (Reference Hirschbühler and Labelle1994) tracent l'évolution progressive de l'ordre ne Vinfinitif pas à ne pas Vinfinitif. Tout en étant guidés par l'analyse de Pollock (Reference Pollock1989) relative aux propositions infinitives négatives, et par sa théorie des paramètres en grammaire générative qui sépare certaines catégories fonctionnelles de la flexion verbale (comme celles de temps ou d'accord, mais aussi celle de la négation), Hirschbühler et Labelle imputent le passage d'un système où l'infinitif se place devant pas à un système où il apparaît, à peu de choses près, toujours après lui, non pas à un changement dans la position du verbe, mais à un repositionnement du forclusif pas. Footnote 30 Comme Pollock (Reference Pollock1989), Hirschbühler et Labelle (Reference Hirschbühler and Labelle1994) avancent que la structure des infinitives est à peine distincte de celle des phrases à temps fini, mais à l'encontre de lui, Hirschbühler et Labelle soutiennent que le passage de ne V pas à ne pas V n'est pas l'effet d'un changement dans la position du verbe, mais l'effet d'un changement dans la position de pas. Pour étayer leur thèse, Hirschbühler et Labelle rappellent l'évolution diachronique de la négation française, à savoir la situation d'une négation exprimée exclusivement par ne, qui se voit de plus en plus renforcée par des quantifieurs exprimant une quantité minime.Footnote 31 Selon eux, “il ne serait donc pas surprenant que la réanalyse de pas et point comme mots purement négatifs ait entraîné à terme un changement dans leur position qui les aurait rapprochés de ne”.
Deux éléments de cette théorie s'avèrent forts utiles pour rendre compte de la variante pour (ne) pas que: (a) le fait de neutraliser les différences entre les structures infinitives et celles à temps fini; (b) le fait de voir dans pas un quantifieur et donc un item relativement déplaçable.
A l'exemple de Hirschbühler et Labelle, Rowlett (Reference Rowlett, D'hulst, Rooryck and Schroten1999: 346–347) recourt au principe de la montée de la négation afin de motiver cette fois-ci l'anomalie structurale apparente de pour (ne) pas que P. Footnote 32 D'après lui, les forclusifs, repositionnés à présent dans la proposition principale, sont suivis d'un modal infinitif phonologiquement non représenté. En d'autres termes, Rowlett établit un rapport entre la structure infinitive et pour (ne) pas que P, de sorte à éliminer le caractère problématique du tour et à aligner celui-ci avec les principes fondamentaux de la théorie X-barre.
Précisons en passant que l'idée d'une formation de pour (ne) pas que P par analogie avec ne pas Vinfinitif n'est pas nouvelle. Selon Martinon (Reference Martinon1927: 535), par exemple,
Le rapprochement constant de ne et pas devant un infinitif dans la langue parlée a amené une conséquence bien fâcheuse. A force de répéter pour ne pas devant un infinitif, on s'est mis à l'employer même devant que: pour ne pas (ou plus) qu'il vienne, au lieu de pour qu'il ne vienne pas ou plus ou de peur qu'il ne vienne ou qu'il ne vienne encore. Cette substitution est tout à fait détestable, quoique certains écrivains aient osé l'imprimer.
Les théories formalistes présentent bien sûr l'avantage de motiver ladite analogie. Cela étant dit, elles ne répondent pas toujours de façon satisfaisante aux questions de savoir, d'une part, pourquoi le repositionnement de pas ne se manifeste pas de façon plus large et, d'autre part, pourquoi le clitique ne accepte du coup d'être séparé de son verbe par pas, un élément non clitique.
Aussi, Muller a-t-il abordé pour ne pas que sous l'angle de la portée de la négation (Reference Muller1991: 125 et 149). Selon lui, le tour familier pour ne pas que, le seul contexte non verbal à tolérer la combinaison ne pas, connaît la même portée que celle de la négation enchâssée. Muller ajoute que la possibilité pour pas de ne pas figurer dans la phrase de surface contenant les éléments inclus dans sa portée, n'est pas exclusive à la subordonnée finale:
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44 (a) j'aime mieux pas qu'il vienneFootnote 33
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(b) (il) vaut mieux pas qu'il vienne/ mieux vaut pas qu'il vienne
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(c) je préfère pas qu'il vienne.
Ces cas diffèrent largement des structures où la négation se construit tantôt autour du verbe principal, tantôt autour du verbe enchâssé, comme dans (45):
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45 (a) Je ne crois pas que Pierre parte/ Je crois que Pierre ne partira pas
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(b) Il ne faut pas que Pierre parte/ Il faut que Pierre ne parte pas (Muller, Reference Muller1991: 125–134).
Selon Muller, les verbes tolérant la relation verbe principal nié + subordonnée positive et verbe principal positif + subordonnée niée correspondraient en gros à des prédicats scalaires dont la négation renverse l'orientation.
Larrivée (2014: 98–123), dont les exemples confirment en effet l'anticipation des forclusifs dans d'autres variétés informelles du français (comme dans: il est rien capable de faire) ajoute que le repositionnement de la négation hors de la proposition où elle exerce sa fonction est attesté dans d'autres langues également. Comme Muller, Larrivée motive la formation de la variante à la lumière du domaine d'influence de la négation et des phénomènes de focalisation et de polarité qui en dépendent, pour arriver à la conclusion que “la construction ne peut être analysée comme une restriction sélectionnelle de pour” (2014: 101).
Aux tentatives de motivation syntaxique s'ajoutent encore les approches lexicologiques: Gadet (Reference Gadet1992) relie ainsi le tour pour pas que à un phénomène vaste et général de formation de locutions conjonctives en français populaire à partir d'éléments variés (par exemple: des fois que, quelques fois que, au cas que, en cas que, pareil que, déjà que). Elle réfère aussi de façon spécifique à la formation de groupes à fonction conjonctive à partir de noms (histoire que, rapport que/ à ce que), mais aussi à partir de prépositions (à peine que, au début que, à cause que, vu que, malgré que, moyennant que, comme quoi que, pour pas que). Selon Gadet (Reference Gadet1992: 99) “la créativité de ces formes est telle qu'il n'y a pas de limite assignable entre une locution conjonctive et une antéposition soulignée par que” (par exemple: soi-disant que, possible que).
Le fait d'analyser pour pas que comme une locution conjonctive n'explique malheureusement pas pourquoi pour pas que est la seule conjonction négative de la liste, ni d'ailleurs pourquoi il n'y a pas un déplacement pareil de pas, là où une subordonnée négative est facilement envisageable (*malgré pas que, *vu pas que, *à cause pas que).
4. POUR (NE) PAS QUE: TENTATIVE DE MOTIVATION A LA LUMIERE DES THEORIES D'ICONICITE
En arrivant à la conclusion que la possibilité d'anticipation de la négation n'est pas à imputer à une restriction sélectionnelle exclusive à la préposition pour, Larrivée (Reference Larrivée2004: 101) ajoute que les environnements où la négation précoce est possible “se caractérisent par leur transparence”, autrement, l'anticipation serait applicable partout, ce qui n'est pas le cas (cf. aussi Horn, Reference Horn1989 ;Footnote 34 Corblin et Tovena, Reference Corblin, Tovena and Godard2003 pour la montée de la négation).
Bien avant Larrivée, Thérive (Reference Thérive1929: 176), concluait que “l'essentiel est de respecter la démarche de la pensée qui tend ici à mettre la négation en avant, à la joindre à l'idée de but”. Par ailleurs, Le Bidois (1967) a parlé d'une anticipation consciente qui viendrait répondre à un besoin d'expressivité (cf. § 2).
Le principe de l'emploi précoce de la négation (Larrivée, Reference Larrivée2004: 109), confirmé par des données typologiques, ainsi que par des données de l'acquisition des langues, et les explications fournies par Thérive ou par Le Bidois pourraient en fait bien se rapprocher du “principle of actuality” de Jespersen ou du méta-principe d'iconicité formulé par Givon, qui en dérive:
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What is at the moment uppermost in the speaker's mind tends to be first expressed (Jespersen, Reference Jespersen1949, Vol.7: 56).
All other things being equal, a coded experience is easier to store, retrieve and communicate, if the code is maximally isomorphic to the experience (Givon, Reference Givon and Haiman1983: 189).
Ce principe central au sein des théories de l'iconicitéFootnote 35 préconise de s'atteler d'abord à la tâche la plus pressante. La priorité syntaxique devient ainsi un calque de la priorité chronologique (en passant citons la position frontale des marqueurs d'interrogation qui tend à être associée à ce principe).
Slobin (Reference Slobin and Haiman1983) se réfère à l'iconicité en syntaxe en termes de pertinence et de transparence. Entre autres, l'auteur signale le positionnement, dans le langage enfantin, d'opérateurs linguistiques dont ce n'est pas la place habituelle à un endroit où ils paraissent plus pertinents (1983: 222–223). En particulier, Slobin s'intéresse aux fautes que font les enfants dans leur langue maternelle précoce afin de faire porter la négation sur la totalité de la proposition, ce qui entraîne souvent un déplacement de la négation en dehors du complexe verbal (par exemple: “no do this” > “I no do this” > “I can't do this”). L'extériorisation de la négation à un stade préscolaire s'observe dans plusieurs langues, dont l'anglais, le français et le polonais et a pour effet non seulement d'augmenter le taux de transparence quant aux intentions communicatives, mais aussi de rendre la négation plus saillante (ibid.: 224). En ce qui concerne Slobin (Reference Slobin and Haiman1983: 228), ces fautes confirment la loi de Behagel (Reference Behaghel1932: 4), d'après laquelle ce qui est retenu comme un ensemble mental forme un bloc syntaxique. Slobin (Reference Slobin and Haiman1983: 228) va jusqu'à proposer un principe opératoire dérivant de celui de Bahagel et qui préconise l'extériorisation d'opérateurs portant sur la totalité de la proposition. En d'autres termes, et en parfait accord avec le principe d'iconicité de Givon, l'opérateur négatif devrait être placé à l'endroit le plus pertinent du point de vue de sa portée.
Retour à pour (ne) pas que: le tour peut donc être dit ‘incorrect’ et même ‘exclu’ par rapport à une norme balisée et arbitraire qui place la négation dans le complexe verbal subordonné, mais la ‘déformation’ même semble ne pas être arbitraire. Comme le remarquait Brunot (Reference Brunot1965: 849), “une locution négative de finalité est en train de se forger [. . .]” qui “[. . .] traduit excellemment l'intention négative”. Abstraction faite du statut locutionnel et donc d'un éventuel figement, question qui reste à motiver de façon plus minutieuse, le mot intention joue un rôle primordial dans la variation en question.
5. POUR CONCLURE
Notre but dans la présente étude était de mettre en exergue la tension entre norme et usage et de rendre compte de la variété des traitements relatifs à la formation de pour (ne) pas que, tour qui reste toujours dévalorisé dans la grammaire. Parmi toutes les hypothèses relatives à la formation de pour (ne) pas que, il paraît que celle attribuant l'anticipation de la négation à des fins d'expressivité et de transparence soit la plus avantageuse: elle impliquerait du coup que pour (ne) pas que n'est pas un avatar nonchalant, mais une variante répondant à un besoin de mise en valeur d'un marqueur central à la construction du sens propositionnel. Autrement dit, le fait de corréler pour (ne) pas que à un besoin de meilleure organisation ou rationalisation de la négation et de son champ d'application et donc à une meilleure correspondance entre syntaxe et sens (en ce sens d'une cristallisation de la portée négative), en promouvant l'interprétation “pour éviter que P”/ “pour nier la possibilité de P”, devrait conduire à une légitimation de la variante.