Hostname: page-component-586b7cd67f-2plfb Total loading time: 0 Render date: 2024-11-24T22:08:01.571Z Has data issue: false hasContentIssue false

Nahon Peter, Les parlers français des israélites du Midi. Strasbourg : Éditions de Linguistique et de Philologie (ELiPhi), 2023, 480 p., ISBN : 978 2 372 76066 9.

Review products

Nahon Peter, Les parlers français des israélites du Midi. Strasbourg : Éditions de Linguistique et de Philologie (ELiPhi), 2023, 480 p., ISBN : 978 2 372 76066 9.

Published online by Cambridge University Press:  02 April 2024

Gilles Siouffi*
Affiliation:
Sorbonne Université UFR Langue française 1 rue Victor-Cousin 75230 Paris Cedex 05 France
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Book Review
Copyright
© The Author(s), 2024. Published by Cambridge University Press

Après le volume Gascon et français chez les Israélites d’Aquitaine. Documents et inventaire lexical qu’il a publié chez Garnier en 2018, Peter Nahon élargit ici l’enquête à l’ensemble des parlers français de la communauté du midi de la France, c’est-à-dire en ajoutant celle de Provence (Comtat Venaissin) et celle, plus réduite et moins connue, de Nice. Le travail ici présenté est issu d’une thèse soutenue en 2020 sous la direction de Jean-Pierre Chambon. Même si l’ouvrage contient des aspects diachroniques importants, il s’agit d’un travail de nature essentiellement synchronique, de recueil de données orales, dont la méthodologie est identique à celle du précédent volume, et commande la structure de l’ouvrage. Le premier chapitre rassemble ce que nous savons des conditions externes de constitution et d’évolution d’une « identité linguistique », en montrant notamment comment, aux variétés juives de gascon et de provençal, ont succédé entre les XVIIIe et XXe siècles des variétés de français. Suivent trois chapitres qui présentent successivement le français des israélites de Gascogne, de Provence, et de Nice, avant une vaste synthèse en forme d’ « analyse linguistique » de l’ensemble de ces variétés. Dans chacun des chapitres sont exposés l’état de la recherche, les sources existantes, la méthodologie de recueil du corpus oral, avant que ne soit présenté un inventaire lexicographique de formes suivi d’éléments de description.

A propos de l’objet lui-même, Nahon souligne qu’il a été assez peu étudié, en raison de la petite taille des communautés d’une part – taille toujours petite dans l’histoire et qui n’a fait qu’aller en se réduisant –, d’un certain nombre de représentations erronées du « judéo-gascon » ou du « judéo-provençal » qui ont eu cours dans la littérature, et du fait qu’on s’était surtout jusqu’à présent appuyé sur des sources écrites d’interprétation difficile, notamment des sources littéraires (pièces de théâtre par exemple), où la part de mise en scène est importante. C’est la raison pour laquelle il a décidé de procéder, entre 2014 et 2019, à une enquête auprès des derniers locuteurs vivants, tout en ayant l’impression, comme il le dit dans son introduction, d’arriver parfois trop tard, certaines variétés étant éteintes, et les données sur ce qu’ont pu être les parlers français des juifs de Nice, par exemple, étant extrêmement lacunaires. Plusieurs passages du livre défendent toutefois ce parti pris de se concentrer sur les données orales, seules à même de renseigner sur certains phénomènes, et pas seulement sur des oppositions phonologiques, et c’est ce qui fait, outre son intérêt purement linguistique, la valeur sociolinguistique du travail.

Il en résulte un recueil de 961 formes (mots et locutions) dans la variété de Gascogne, classées en 555 articles, de 533 formes pour la variété de Provence classées en 319 articles, et de 26 articles pour la variété niçoise. Ce recueil montre que le lexique représente de façon attendue la part la plus importante dans ce qui peut être analysé au plan linguistique dans ces variétés et ce qui peut en constituer la spécificité. Toutefois, le travail s’efforce d’en tirer le maximum en direction de la morphologie, de la graphie et de la phonétique.

Comme dans le volume publié en 2018, la richesse de ces recueils lexicographiques, leur degré de détail, leur finesse dans les analyses, lesquelles sont nécessairement amenées à impliquer des interférences avec de nombreuses langues, dont bien sûr l’hébreu, forcent l’admiration. Il y a là un matériau arraché de l’oubli, qu’il était important de connaître dans ce détail pendant qu’il était encore temps. Le travail montre aussi comment ce lexique, qui s’est formé historiquement au contact du gascon et du provençal, a pu se transmettre en s’adaptant au diasystème du français méridional.

Mais un des intérêts plus larges du livre tient aussi à la richesse du questionnement sociolinguistique qui émerge de l’examen de cette situation si particulière. Ces formes ressortissent-elles d’un religiolect, selon le terme qu’a proposé Benjamin Hary en 2009 dans son enquête sur le « judéo-arabe » d’Egypte ? Plaident-elles en faveur de l’existence de ce qu’on a appelé des « langues juives » ? Nahon montre ici que, plus que l’appartenance à une religion, ce sont les faits de ségrégation sociale, ségrégation imposée en Provence et partiellement volontaire en Gascogne, qui sont les paramètres décisifs. A l’intérieur des variétés, si on met à part les « technicismes » relatifs à la pratique liturgique et à certains métiers spécialement pratiqués et les « mots de culture », on en arrive à dégager ce qui ressemble finalement à un « argot » au sens d’ensemble lexical favorisé par un groupe social à côté de sa pratique ordinaire de la langue commune. En somme, il s’agit de phénomènes qui ne sont pas originaux ni spécifiques, mais qui tiennent beaucoup aux contingences des situations. Intéressant est également le fait qu’entre ces variétés, qui partagent des points communs dans leurs dynamiques sociolinguistiques, il n’y a pas eu véritablement de contact.

Au total, l’un des mérites de ce livre, qui produit des données fouillées d’une manière impressionnante, est aussi de restituer au sein du diasystème français ces variétés y appartenant de plein droit, comme le formule la conclusion. Outre le savoir positif qu’il apporte, il pourra constituer une source d’inspiration précieuse pour tous les sociolinguistes.

References

Références

Hary, B. (2009), Translating religion: linguistic analysis of Judeo-Arabic sacred texts from Egypt. Leiden & Boston: Brill.CrossRefGoogle Scholar
Nahon, P. (2018), Gascon et français chez les Israélites d’Aquitaine. Documents et inventaire lexical. Paris: Garnier.Google Scholar