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Fabrice Georger, Créole et français à La Réunion : réflexions sociolinguistiques, épistémologiques et politiques. La Réunion : Presses Universitaires Indianocéaniques, 2023, 278 pp., ISBN 978-2-38444-039-9

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Fabrice Georger, Créole et français à La Réunion : réflexions sociolinguistiques, épistémologiques et politiques. La Réunion : Presses Universitaires Indianocéaniques, 2023, 278 pp., ISBN 978-2-38444-039-9

Published online by Cambridge University Press:  21 October 2024

Mylène Lebon-Eyquem*
Affiliation:
UFR Lettres et Sciences Humaines Université de La Réunion, 15 avenue René Cassin, CS 92003 97744 Saint Denis Cedex 9
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Abstract

Type
Book Review
Copyright
© The Author(s), 2024. Published by Cambridge University Press

L’ouvrage évalué, issu principalement d’une recherche menée en thèse de Sciences du langage (soutenue en 2011) est fort bien présenté et comprend huit chapitres relativement équilibrés en termes de volume, une introduction qui apporte un éclairage socio-historique très utile sur le contexte des recherches, une conclusion et une bibliographie très fournie de 13 pages. Le texte se centrant sur les phénomènes langagiers des Réunionnais, les cinq premiers chapitres sont consacrés à la description de la parole réunionnaise (concepts utilisés par les chercheurs (ch. 1), traits phonologiques lexicaux et syntaxiques prototypiques du créole réunionnais (ch. 2), cadre épistémologique (ch. 3), analyse de productions de la vie quotidienne d’adultes (ch. 4) et d’enfants (ch. 5). Le sixième chapitre se focalise sur les politiques linguistiques, le septième sur la présence du créole à l’école et enfin, le chapitre ultime, sur l’écriture du créole réunionnais et plus précisément sur différentes propositions graphiques. Si ces trois derniers chapitres ne sont pas dénués d’intérêt pour comprendre les enjeux sociolinguistiques de l’espace insulaire indianocéanique, ils auraient gagné à être mieux reliés aux précédents et entre eux.

Les problématiques soulevées, de façon claire s’avèrent fondamentales pour la compréhension de la situation sociolinguistique réunionnaise. En effet, les très judicieux exemples fournis relatifs aux adultes et aux enfants proposent un aperçu de la grande hétérogénéité de la parole réunionnaise avec notamment de nombreuses « imbrications » des traits prototypiques du créole et du français et invitent à redynamiser la réflexion sur les contacts de langues. Pour appréhender la complexité constatée, peut-on continuer à raisonner en termes de nombre de langues ou de variétés à identifier ? Doit-on poursuivre les analyses qui décomposent les discours en attribuant à des segments linguistiques, une langue spécifique et une seule ?

Pour l’auteur, cette démarche qui relève de la linguistique structurale et par conséquent d’options épistémologiques positivistes doit laisser place à des analyses qui ont trait à une épistémologie de la complexité ne misant pas prioritairement sur le signe mais sur les dynamiques langagières dans leur globalité, leurs enjeux et le sens que leur confèrent les locuteurs.

Pour justifier de son positionnement, l’auteur réalise une présentation très pertinente et très complète des concepts utilisés par différents chercheurs pour décrire la situation sociolinguistique réunionnaise : la diglossie (Ferguson, Reference Ferguson1959), le continuum (Chaudenson et Carayol, Reference Chaudenson, Carayol, Gueunier, Genouvrier and Khomsi1978), l’interlecte (Prudent, Reference Prudent1981). Toutefois, bien qu’il questionne la capacité de ces concepts à rendre compte de la diversité langagière et bien qu’il concède qu’ils relèvent d’orientations théoriques différentes voire antagonistes, il considère qu’ils sont complémentaires. On peut admettre que le concept de diglossie soit réservé pour rendre compte des représentations linguistiques et en particulier de la hiérarchisation des langues perçues comme des objets immanents et stables par une grande majorité de la population. En effet, dans l’imaginaire collectif, le français, langue officielle, est valorisée puisqu’étroitement liée à la réussite scolaire et à la promotion sociale, et le créole est accepté tant qu’il se cantonne à l’informel, au badin et au populaire mais se retrouve encore minoré quand il est mobilisé pour évoquer des sujets sérieux. En revanche, il apparaît difficile de faire cohabiter le continuum (amputé de son échelle implicationnelle qui en fait pourtant son essence et son originalité) qui relève de la linguistique structurale avec le concept d’interlecte, considéré comme majeur et qui en est éloigné. Et ce, d’autant plus que dans le chapitre 3, la notion de langue comme produit immanent, stable et anhistorique est largement remis en question. C’est la notion de langues tendancielles (Calvet, Reference Calvet, Blanchet, Calvet and Robillard2007) correspondant à des pôles desquels les pratiques des acteurs sociaux se rapprocheraient en fonction de la situation de communication, qui est retenue. De plus, même s’il reconnait la vision dépolitisée qui y est associée, l’auteur adhère au « parler bilingue » (Lüdi, Reference Lüdi1996) qui ne stigmatise pas les « mélanges » mais qui les considère comme une stratégie langagière assumée. Il propose alors une schématisation du concept de macro-langue de Lambert Félix Prudent (en adaptant le modèle intégré du bilinguisme de Lüdi (Reference Lüdi1996). Or, dans le point de vue des tenants du « parler bilingue », les « mélanges » sont fonctionnalisés et des marques transcodiques (définies comme la rencontre de deux systèmes linguistiques) doivent être repérées alors que chez Lambert Félix Prudent, le fonctionnement de l’interlecte est indexical et les « imbrications » des « langues » sont originales et ne respectent souvent pas la « grammaire de chaque code en contact.

Malgré cette volonté de faire cohabiter différents concepts, l’ouvrage propose un véritable bilan d’étape, complet, bien informé, critique de plusieurs années de réflexion scientifique sur la complexité des phénomènes langagiers réunionnais. Il renseigne aussi sur l’absence de volonté politique claire concernant les aménagements linguistiques ainsi que sur les timides avancées du créole dans la sphère scolaire. Une lecture indispensable, donc qui pour qui s’intéresse à toutes ces questions.

References

Bibliographie

Calvet, L.-J. (2007). Pour une linguistique du désordre et de la complexité. In: Blanchet, P., Calvet, L.-J. and Robillard, D. (eds), Un siècle après le cours de Saussure: la linguistique en question. Carnets d’atelier de sociolinguistique, n°1, Paris: L’Harmattan, pp. 1380.Google Scholar
Chaudenson, R. and Carayol, M. (1978). Diglossie et continuum linguistique à la Réunion. In Gueunier, N., Genouvrier, E. , and Khomsi, A. (eds.), Les français devant la norme. Paris: Champion, pp. 175190.Google Scholar
Ferguson, C. (1959). Diglossia. Word, 15 : 325340.CrossRefGoogle Scholar
Lüdi, G. (1996). Bilinguisme: aspects linguistiques, cognitifs, sociaux et éducationnels. Cours III/IV, semestre d’hiver 1995/96, Basel, Universität Basel.Google Scholar
Prudent, L, F. (1981). Diglossie et interlecte. Langages, 61: 1338. Bilinguisme et diglossie, sous la direction de Jean-Baptiste Marcellesi.CrossRefGoogle Scholar