« Enfin !!! C’est pas trop tôt qu’i sorte, un bouquin de ce genre… » Tout-e enseignant-e recourant de temps à autre à la bande dessinée pour illustrer en cours de français langue étrangère (FLE) des phénomènes de variation ne peut que se réjouir de la sortie de l’ouvrage édité par Elissa Pustka. Ce livre de 540 pages propose 17 contributions, précédées d’une introduction de l’éditrice et regroupées en trois sections (« Linguistique », « Linguistique et didactique », « Didactique ») qui illustrent la volonté affichée dans le titre d’établir des ponts entre la recherche en linguistique et la didactique du FLE en contexte scolaire et à l’université.
Après une introduction consacrée à la définition, l’histoire et la typologie du neuvième art, ainsi qu’à la place qui lui est accordée à l’école, les sept premiers chapitres, constituant la section « Linguistique », présentent des études de cas centrées sur quelques aspects saillants de l’« oralité mise en scène ». Fondées pour certaines d’entre elles sur des corpus restreints de bandes dessinées à succès telles que Les Cahiers d’Esther, L’Arabe du futur, Les Bidochon ou Les Vieux Fourneaux, ces études avant tout qualitatives s’attachent à mettre en lumière quelques procédés utilisés par des auteurs actuels (Sattouf, Binet, Lupano & Cauuet) pour « simuler l’oralité » (p. 70), « évoquer l’oral » (p. 88) ou « créer une illusion de l’immédiat communicatif » (p. 125) : dislocation, négation, interrogation, forme du sujet, formes du futur (simple ou périphrastique), alternance on/nous, etc. Les contributions restantes poursuivent une visée diachronique et/ou contrastive : étude longitudinale et comparative des éléments marquant l’oralité dans Tintin, Astérix et Titeuf ; traductions françaises des bandes dessinées Disney dans le Journal de Mickey entre 1934 et 2015 ; traductions et adaptations allemandes – plus ou moins fidèles – de Spirou et Fantasio chez trois éditeurs successifs.
La deuxième section, « Linguistique et didactique », n’est constituée que de trois chapitres, destinés à faire le lien entre les résultats de la recherche et l’emploi de la bande dessinée comme ressource didactique. Les apports potentiels de la bande dessinée évoqués portent sur des phénomènes de diversité linguistique : la « langue des jeunes », la variété lexicale (par l’intermédiaire d’un travail sur le lexique du français québécois) et la connaissance des codes de la communauté linguistique native, par l’adoption d’une syntaxe de la structure informationnelle adaptée, s’écartant de la traditionnelle phrase-type « sujet – verbe – objet » et impliquant la maitrise de la dislocation, mais aussi de la clivée et de la pseudo-clivée.
Enfin, les six chapitres de la troisième section « Didactique » (qui contient également une interview) présentent des propositions prometteuses et parfois concrètes d’utilisation de la bande dessinée en cours de FLE. À côté d’approches à valeur culturelle, sociétale ou sociale (utilisation en classe de romans graphiques liés au Petit Prince de Saint-Exupéry ; représentation de l’espace dans la bande dessinée dystopique Préférence système ; rôle des représentations dans la formation des stéréotypes liés au genre dans la bande dessinée La ligue des super féministes), on y trouve des suggestions telles que la sensibilisation à la variation et aux registres par la thématisation des gros mots pour « préparer les apprenants à la réalité hors de la salle de classe » (p. 418), une approche de type contextualiste par l’interprétation du mot schtroumpf, le contexte linguistique et le dessin contribuant ensemble au sens de ce « mot passe-partout » (p. 376), ou encore une présentation des émotions par l’analyse à la fois des vignettes et des marques de l’oralité (sur les plans lexical, phonologique et morphosyntaxique), qui montre de manière éclairante que « […] la bande dessinée a une autre fonction dans l’enseignement des langues que de servir simplement de base linguistique » (p. 464).
Dans l’ensemble, le pari est tenu de dresser un inventaire des propriétés – linguistiques, mais aussi graphiques et narratives – de la bande dessinée, et de mettre en lumière son rôle de vecteur culturel, démontrant ainsi son apport indéniable à l’apprentissage du français langue étrangère. Certes, le lecteur, mis en appétit, regrettera peut-être une certaine stéréotypisation des chapitres consacrés aux marques d’oralité et un éventail somme toute relativement restreint des traits caractéristiques analysés. Des éléments supplémentaires, comme l’utilisation des pronoms en relation avec l’impératif, affirmatif ou négatif (pensons ici à Donne-moi-z’en, titre d’une chanson du Québécois Bernard Adamus, ou à Inquiète-toi pas, Zazie !, titre d’un roman jeunesse de l’autrice québécoise Marie-Renée Lavoie), la présence des marqueurs discursifs (qu’en est-il des tant décriés en fait et autres du coup ?) ou encore l’utilisation expressive de la ponctuation mériteraient à coup sûr d’être intégrés dans le champ de la réflexion et de faire l’objet d’investigations supplémentaires. Il n’en demeure pas moins que l’ouvrage présenté livre des clés d’interprétation stimulantes et fournit des arguments convaincants pour une plus large intégration de la bande dessinée dans l’enseignement-apprentissage du FLE. En cela, il constituera une ressource précieuse tant pour les auteur-es de manuels scolaires que pour les enseignant-es.