Le volume Les périphériques : syntaxe et sémantique s’ouvre sur une introduction dans laquelle A. Berrendonner présente trois modèles pour traiter les périphériques. Puis s’ensuivent six articles qui relèvent de l’un ou l’autre modèle.
Le premier modèle, dit phrastique, est basé sur des unités de prédication. Certaines unités peuvent remplir un rôle de constituant à l’intérieur d’une phrase noyau ou bien fonctionnent comme des périphériques incidents qui viennent compléter toute une prédication noyau du point de vue sémantique. C’est dans ce modèle que Véronique Lenepveu examine les « prédications secondes » infinitives à y regarder de plus près/à bien y regarder ainsi que les prédications secondes gérondives en y regardant de plus près/en y regardant bien. Elle distingue trois niveaux d’intervention de ces locutions adverbiales. Le premier niveau est d’ordre épistémique : ces locutions prennent un statut syntaxique extra-prédicatif et se caractérisent par un statut sémantique exophrastique associé aux paramètres énonciatifs du moi, ici, maintenant ; elles permettent en effet d’assurer un rôle d’organisation textuelle (cadratif) exprimant une précision/justification ou une révision (avec valeur évidentielle du jugement). Le deuxième niveau concerne le contenu. Les tests indiquent un statut syntaxique d’intra- ou extra-prédicatif, avec une valeur sémantique endophrastique dans la mesure où les locutions expriment alors une circonstance du procès principal. Enfin un niveau intermédiaire est relevé lorsque la principale exprime une prédication dénotant une attitude subjective qui porte sur un contenu propositionnel réalisé généralement sous la forme d’une complétive. Le procès dénoté par la principale correspond à un modus épistémique relativement à la complétive.
Le deuxième modèle permet d’élargir le champ de la grammaire aux dimensions du discours, ce qui permet de répondre aux particularités des textes oraux. José Deulofeu propose un modèle où s’articulent deux niveaux. Le premier niveau correspond aux relations micro-syntaxiques réservées dans le périmètre de la rection, à partir d’un noyau, aux syntagmes qui sont « proportionnels » aux pronoms clitiques et aux pronoms qu- correspondants. Le deuxième niveau définit les relations macro-syntaxiques comme des relations « qui échappent à la grammaire » (p. 334) pour des constituants micro-syntaxiquement autonomes et qui n’obéissent à aucune hiérarchie interne autre que celle entre une unité noyau et des unités satellites. Ce modèle s’applique aux textes oraux qui recourent à des éléments périphériques non intégrés grammaticalement. Il met en avant la prédominance de la macro-syntaxe dans le calcul du sens en donnant une large place à l’inférence.
C’est dans le troisième modèle que le plus grand nombre de cas d’études se trouve présenté. La vision discursive est renforcée, en servant d’angle principal d’attaque. Dans cette perspective, les périphériques deviennent soit des « énoncés autonomes » soit des « constituants intranucléaires » (p. 200). Pour Alain Berrendonner, le texte d’un discours se compose d’une « suite d’unités significatives syntaxiquement indépendantes (clauses), dont la structure interne est faite de constituants liés entre eux par des rapports de rection ». Il s’agit d’une « conception large de la rection » dans la mesure où les régissants peuvent être non seulement des mots ou morphèmes mais « des syntagmes de tous rangs ». Il montre, avec l’étude de d’après SN, que ce syntagme peut se déployer avec trois valeurs sémantiques distinctes, modifieur circonstanciel, opérateur modal médiatif, glose méta-énonciative. Quelle que soit cette valeur, lorsque le constituant apparaît en périphérie, il est régi par une proposition P, y compris lorsque la valeur est de type méta-énonciatif : d’après SN constitue alors une « clause fragmentaire indépendante » d’une P elliptique dont « le SV n’est pas énoncé ». L’analyse des adverbes d’énonciation fait l’objet d’un deuxième article et montre, selon cet angle théorique, que leur rapport avec les segments adjacents relève de la « pragma-syntaxe », c’est-à-dire du discours. Plutôt que de voir en eux des adjoints à la proposition verbale qui généralement les suit, Berrendonner propose de les analyser comme des « clauses elliptiques autonomes », objets d’une énonciation distincte de celles des segments adjacents, portées par un « verbum dicendi » absent. C’est ce que montre, pour l’auteur, le fait que ces adverbes forment des « unités intonatives distinctes », qu’ils possèdent une autonomie syntaxique, sans restriction sélective de leur part sur les segments adjacents, et qu’ils se caractérisent par des valeurs sémantiques et pragmatiques diverses que seule l’analyse en clause permet d’expliquer.
Marie-José Béguelin voit également en un mot, lorsqu’il prend une valeur métadiscursive, une « clause elliptique » (p. 261) formée d’un syntagme prépositionnel « adjoint à un verbum dicendi implicite » (ibid.). Elle l’étudie essentiellement dans le corpus de Frantext (à partir de 1950), les corpus oraux offrant peu d’occurrences, et montre comment un des rôles de cette clause est d’accomplir une énonciation préparatoire ou parenthétique, conformément au cadre de Fribourg 2012. Dans ce corpus, de forts pourcentages sont orientés d’une part vers des emplois pragma-syntaxiques où en un mot, au sein d’une dernière clause, clôt une énumération ou une liste de clauses et d’autre part vers des emplois micro-syntaxiques où il accompagne le membre final d’une liste énumérative.
Enfin Gilles Corminboeuf se penche sur le cas de justement. Deux cas sont distingués, l’un régi se paraphrasant par « de manière juste » et l’autre non-régi, formant alors une clause indépendante elliptique ou non elliptique. C’est ce dernier cas qui rassemble les éléments d’analyse les plus novateurs. L’auteur récapitule les propositions théoriques sur justement, en rappelant notamment le cadre de la polyphonie qui permet d’expliquer les emplois d’inverseur argumentatif de cet adverbe. Il propose un autre angle théorique, issu du cadre de Fribourg, qui a l’avantage de donner une explication unitaire à l’emploi de justement : celui-ci permet d’ajuster, selon des degrés de fiabilité variables, la validité d’un objet-de-discours dans la mémoire discursive.
Ces études proposent ainsi pour un segment de discours donné trois possibilités distinctes : celle d’unité de discours syntaxiquement autonome (quelle que soit l’appellation : phrase, énoncé, clause, noyau), celle de constituant régi, intra-nucléaire ou intra-prédicatif, celle d’un segment plus difficile à définir en termes d’autonomie (Unité régie ? Unité extra-prédicative ? Unité ad-noyau ? Unité elliptique ?). C’est un volume passionnant qui invite chacun à approfondir ou renouveler ses approches théoriques sur cette question des périphériques.