Effectué dans le cadre des Travaux de linguistique romane, sociolinguistique, dialectologie et variation, la monographie de Marc Duval relève de la dialectologie synchronique dans la mesure où elle étudie quelques patois du français dans une perspective historique. L’ouvrage prend son origine d’un manuscrit repéré dans la Bibliothèque nationale de Strasbourg après avoir été acquis chez un antiquaire dans les années 1870. Ce manuscrit intitulé Vocabulaire des termes patois de Lorraine, de Franche-Comté et de Bourgogne, avec quelques remarques sur ces divers jargons, par Court de Gébelin suscite l’intérêt de Marc Duval qui tente d’en montrer le mérite en ce qui concerne un effort de présenter quelques centaines de spécificités lexicales propres (quant à l’auteur original) aux patois de Franche-Comté, Lorraine et Bourgogne du XVIIIe siècle. Cet ouvrage se veut alors une entreprise de mise en valeur d’un inventaire desdits patois comptant à la base plus de 600 entrées en 14 pages.
La recherche se structure autour du manuscrit, son auteur et l’analyse linguistique, en huit chapitres. Le chapitre 1 constitue une introduction brève à l’ouvrage et au projet et parle de l’origine du manuscrit de Court de Gébelin. Dans le chapitre 2, le chercheur pose la question de l’attribution de ce vocabulaire à son présumé auteur qu’il considère plutôt comme son « scripteur ». Il s’agirait alors d’une augmentation ou réorganisation des recherches d’Abbé Bergier (auteur d’Éléments primitifs) que Court de Gébelin côtoyait dans les académies et séminaires. Le chercheur assume alors que ce Vocabulaire a servi de source pour un travail plus important chez Court de Gébelin, soit Le Monde primitif, fruit d’un projet sur la syllabe primitive, commun entre Court de Gébelin et Abbé Bergier, les deux disciples de Jean-Baptiste Bullet, théologien comtois. Court de Gébelin procède, semble-t-il, à une transformation de l’étude d’Abbé Bergier en assurant une sélection des patois provenant des seules régions de Franche-Comté, Lorraine et Bourgogne en y ajoutant également des marques diatopiques ainsi qu’en portant une standardisation orthographique des termes.
Le chapitre 3 porte le corps de l’étude et débute par les notes sur l’édition où l’auteur explique la présentation du vocabulaire et les difficultés de déchiffrement des inscriptions sur le manuscrit. Étant donné que l’inventaire de Court de Gébelin présente des entrées provenant de différentes régions, l’auteur a dû recourir aux systèmes de transcription de chacune des régions englobant le système phonétique de la période dont date le Vocabulaire. Il tâche par la suite d’adapter ces systèmes au système phonétique international pour en permettre l’appréhension en se servant des sources de données modernes, notamment les atlas linguistiques de Bourgogne (ALB), Franche-Comté (ALFC) et Lorraine romane (ALLR) ainsi que l’ouvrage étymologique de Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW). Le reste du chapitre est consacré au glossaire qui s’étend sur 105 pages (p. 20 à p. 125) dans lequel les termes recensés par Court de Gébelin sont répertoriés dans l’ordre alphabétique avec la mention de la définition donnée en français suivis des explications et des transcriptions provenant des atlas linguistiques indiquées. Ces dernières portent également les informations sur la localisation des termes. Nous lisons par exemple sous l’entrée effant :
Effant L. « enfant ». [voir offant] -FEW 4, 658b INFANS – Cf. Gruey -ALF 461 “enfant”: [εfɑ̃] en 48, etc. ALLR 1265 « enfants » : [εfɑ̃ŋ] en 90, 91, etc. (L’initiale [ε] est caractéristique dans les Vosges. Voir aussi At èfan(t), Do effant, StB èfan, Da effant et Thouvenot (1939, 48).
Dans le chapitre 4, l’auteur s’emploie à présenter des explications concernant la localisation des formes dialectales et fournit des informations, en se basant sur les termes répertoriés, concernant les spécificités phonétiques ou lexiques propres à différentes communes et régions à partir des vocabulaires franc-comtois et lorrain (les mots bourguignons n’ayant pas été indiqués dans l’inventaire). Sont proposés alors des tableaux où sont traités des sons et les différentes conjugaisons du verbe « être » dans les patois des localités différentes (en lorrain).
Le chapitre 5 se focalise sur les observations concernant l’interprétation phonétique des termes présentés dans le contexte du XVIIIe siècle, leur caractère systématique éventuel ainsi que les attestations dialectales ultérieures au vu de la distance dans le temps et l’espace. L’auteur y illustre le système vocalique à Gruey, une commune appartenant à Franche-Comté jusqu’à fin du XVIIIe siècle dont une étude sur le parler de l’époque est publiée (Gérardin 1933). La suite du chapitre présente les spécificités de différents types de voyelles (fermées, moyennes, ouvertes) et d’autres timbres vocaliques (le schwa, les nasales, les consonnes) des termes proposés dans le glossaire.
Le chapitre 6 traite des observations que l’auteur porte sur le lexique, où sont présentés les données concernant la localisation des termes et leur répartition entre les trois zones. Le chercheur présente par la suite des catégories des lexèmes du Vocabulaire à l’instar des lexèmes dialectaux attestés régionalement mais pas dans ces zones (en lorrain : prâné ‘’barrière’’), des lexèmes atypiques (en comtois : breusserrande, ‘’brouillard’’), lexèmes remplacés ou concurrencés par les mots français (en comtois : gachotte, ‘’fille’’), lexèmes repérés en français mais sentis comme régionaux par l’auteur (bique, ‘’chèvre’’), etc. Finalement, le chapitre 7 qui clôt le corps principal du livre met en évidence les mérites de Court de Gébelin à son époque avec son ouvrage Le Monde primitif souffrant par la suite d’une mauvaise réputation posthume étant donné que ses thèses n’ont pas su tenir à la lumière des recherches plus modernes.
La partie d’annexes du livre est aussi instructive que diverse proposant des cartes schématiques des localités de Lorraine, Bourgogne et Franche-Comté ainsi que les cartes dialectales de Lorraine et Franche-Comté en plus de, notamment, un vocabulaire (en 37 pages) de Bullet, maître de Court de Gébelin, extrait de son Mémoires sur la langue celtique (1754–1760). On peut toutefois regretter qu’une photo de ce manuscrit n’ait pas été glissée dans cette partie.
L’auteur s’est servi de nombreuses sources historiques et modernes sur les patois en question, portant sur le lexique ou la phonétique, ce qui a donné à son travail les matières nécessaires à ses analyses et ses efforts de localisation des termes. Cet ouvrage constitue un apport aux recherches ayant comme objet des patois du français et ce dans une démarche historique bien précise. Cette étude saurait se lire dans la lignée des travaux comme l’ouvrage phare Dictionnaire de la prononciation française dans son usage réel (1973) de Martinet et Walter, au vu des précieux efforts de l’auteur pour présenter les prononciations des termes des patois au XVIIIe siècle enrichissant ainsi l’ouvrage original.