Published online by Cambridge University Press: 22 June 2011
Les Etats coloniaux, en dépit de leur origine extérieure et de leur imposition brutale en Afrique, développèrent des liens organiques avec les sociétés colonisées. C'est ce qu'ont montré en particulier Bruce Berman et John Lonsdale dans leur analyse sur la ‘formation’ de l'Etat colonial, c'est-à-dire la capacité de celui-ci à être en partie modelé par les sociétés dominées afin de survivre. L'Etat colonial tardif (late colonial state) en Afrique équato-riale française obéit comme d'autres à ce principe, et l'on ne peut découvrir savraie nature qu'en se détournant d'une approche strictement chronologique occupée à découvrir le moment et les causes de son déclin, au profit d'un questionnement sur les conséquences locales et à long terme de cette période. C'est la raison pour laquelle, à parcourir la trajectoire classique des décennies terminales de l'empire français dans cette zone, on préfèrera sonder la mise en place dans cette région d'une culture du politique dont les effets de continuité modèlent encore aujourd'hui les comportements publics.
1 Berman, B. et Lonsdale, J., Unhappy Valley (London 1992)Google Scholar. aussi Jean-François Bayart, Voir, ‘L'historicité de l'Etat importé’ dans: La greffe de l'Etat (Paris 1996)Google Scholar.
2 La trajectoire de l'Etat colonial en Afrique équatoriale française s'écarte peu du modèle chronologique classique établi pour la majeure partie de l'Afrique tropicale. Après la conquête militaire des années 1890-1910 et la consolidation rapide, bien qu'inégale, de l a domination européenne dans les années 1920, l'Etat colonial atteint son apogée dans les années 1930. En 1940, l'AEF servit de base à la reconquête gaulliste des colonies puis de la France métropolitaine. Les Africains, largément mis à contribution par l'effort de guerre, demandèrent de nouveaux privilèges politiques a la libération. A lafindes années 1950, le gouvernement français négocia avec ces nouvelles élites un passage rapide à l'autonomie politique, achevée comme ailleurs en 1960. Lire un résumé concis dans Coquery-Vidrovitch, Catherine et Bernault, Florence, ‘French Equatorial Africa’ dans: Middleton, John ed., Encyclopedia of Africa South of the Sahara (Londres 1997) 162–167.Google Scholar
3 C'est l'hypothèse centrale d'une étude publiée ailleurs: Bernault, Florence, Démocraties ambigués en Afrique centrale: Congo-Brazzaville, Gabon, 1940-1965 (Paris 1996)Google Scholar. La plupart des exemples cités ci-après sont tirés de cet ouvrage.
4 Dans les zones rurales, les chefs dits traditionnels, lorsqu'ils se montraient inoffensifs, continuèrent d'avoir l'aval de l'administration.
5 La carrière de Léon Mba, futur president du Gabon, en est un bon exemple. En 1922 (il avait alors 24 ans) il fut nommé chef de canton dans un quartier de la capitale, Libreville, pour emplacer un homme plus âgé. En 1931, inquiètes devant son influence grandissante et ses sympathies communistes, les autorités l'accusérent d'avoir participé a un meurtre rituel lié au bouiti. Léon Mba fut condamné à l'exil en Oubangui-Chari et ne fut autorisé à revenir au Gabon qu'en 1946.
6 Us fournirent une partie importante des effectifs des Etats généraux de la colonisation (1945, Douala) tenus par les associations de colons prives contre la Conférence de Brazza-ville.
7 Mbokolo, Elikia, ‘Forces sociales et ideologies dans la decolonisation de l'AEF’, Journal ofAfrican History 22 (1981) 393–407.CrossRefGoogle Scholar
8 Déclenché vers 1929 par Andre Matsoua sous la forme d'une association politique ayant pour but de promouvoir l'obtention de privilèges politiques pour les Africains (citoyen-neté et droit de vote), popularisé au sud-Congo par la quête de dons dans la population rurale et rapidement dénoncé comme mouvement subversif et anti-colonial par les autori-tés, le mouvement se transforma en élan messianique et spirituel après la mort de Matsoua. Après 1942, les fidèles organisèrent des groupes de prière inspirés des chapélles chrétien-nes et créèrent un évangile complexe autour de la figure de Matsoua. Sinda, Martial, Le messianisme congolais et ses incidences politiques (Paris 1972).Google Scholar
9 Au contraire des alliances hégémoniques décrites au Cameroun par Bayart, Jean-Francois, L'Etat au Cameroun (Paris 1979).Google Scholar
10 Fulbert Youlou, leader du ‘sud’, et Jacques Opangault, leader du ‘nord’.
11 Le sens vient du redoublement du vocable nkum qui signifie à la fois ‘chef’, ‘riche’ et ‘personne fameuse’.
12 Outre l'exemple du caiman supra, on trouvera dans F. Bernault, Démocraties ambigües, une analyse du culte Ngol associant de vieilles pratiques d'anti-sorcellerie à la vénération du général de Gaulle, chef de la France libre.