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Published online by Cambridge University Press: 28 July 2009
LaComposition sociale du corps des officiers des armées européennes a longtemps constitué un thème classique de recherche et de réflexion pour les historiens et les sociologues intéressés par l'étude des institutions militaires. Les œuvres d'Alexis de Tocqueville ou de Gaetano Mosca, les travaux de C. Wright Mills, d'Alfred Vagts ou de Stanislas Andreski, pour ne nommer qu'eux, en fournissent la preuve. La recherche d'une explication à l'exceptionnel apolitisme de l'élite militaire européenne au cours du xixe siècle et du début du xxe est sans aucun doute à l'origine d'un tel intérêt. Ainsi, l'hypothese la plus communément avancée stipulait que l'origine sociale des officiers était probablement l'une des variables déterminantes de leur comportement politique. Par exemple, en soulignant dans l'Angleterre du xixe siècle l'intime corrélation entre la similarité du recrutement social dans la classe politique et la classe militaire d'une part et la réticence de cette dernière à s'immiscer dans les affaires politiques de l'Éitat d'autre part, Gaetano Mosca admettait implicitement l'existence d'une relation causale étroite entre les deux paramètres (1).
(1) Mosca, Gaetano, Elementi de scienza politica (Turin, Fratelli Bocca, 1923)Google Scholar. Pour plus amples détails sur ce point, on voudra bien se rapporter à Abrahamsson, Bengt, Military Professionalization and Political Power (Beverley Hills, Sage Publication, 1972)Google Scholar, ch. II en particulier.
(2) Janowitz, Morris, The Professional Soldier: A social and political portrait (Glencoe, The Free Press, 1960), p. 81Google Scholar.
(3) Cf. les travaux du Comité Forces Amées et Société (Association international de sociologie), lors des conférences de Londres (1964) et d'Évian (1965); ces travaux ont été publiés dans les Archives europiénnes de sociologie, VI (1965)Google Scholar, no 2, par Doorn, Jacques Van (ed.), Armed Forces and Society: sociological essays (La Haye, Mouton, 1969)Google Scholar.
(4) Darbel, Voir Alain et Schnapper, Dominique, La probabilité d'entrée dans la fonction publique, Économie et statistique, IV (09 1969), pp. 43–50CrossRefGoogle Scholar.
(5) Bertaux, Voir Daniel, L'hérédité sociale en France, Économie et statistique, IX (février 1970), pp. 37–47Google Scholar;Praderie, Michel et Passagez, Monique, La mobilité professionnelle entre 1959 et 1964, Études et conjoncture, X (10 1966), p. 166Google Scholar. Cette enquête est aussi mentionnée dans Helluy, François, Les jeunes officiers de l'Armée de Terre: une étude psycho-sociolo-gique (Paris, Centre de sociologie de la Défense nationale, 1974)Google Scholar. Toutes ces hypothéses concluant à la rigidité socio-professionnelle de la société française ont fait l'objet d'une critique dans un article récent par Garnier, Maurice et Hazelrigg, Lawrence E., Father-to-Son Occupational Mobility in France: Evidence from the 1960's, American Journal of Sociology, LXXX (1974), 498–502Google Scholar.
(6) En 1967, 52 % des candidats au Regular Commissions Board étaient fils d'officiers. En 1970, cette proportion est tombée á 39 %. Dietz, Voir Peter J. et Stone, James F., The British All-Volunteer Force, Armed Forces and Society, I (premier trimestre 1975), p. 180Google Scholar;Garnier, Maurice, Some Implications of the British Experience with an All-Volunteer Force, Pacific Sociological Review, XVI (avril 1973), p. 181Google Scholar.
(7) Il faut entendre par recrutement indirect et semi-direct le recrutement par le rang et par concours parmi les sous-officiers oules officiers de réserve. Ce type de recrutement concerne done les candidats officiers-techniciens, les candidats à l'École militaire inter-armes, à lÉcole militaire l'École militaire de la Flotte.
(8) Helluy, , Les jeunes officiers de l'Armée de Terre, p. 42Google Scholar.
(9) On note d'ailleurs un accroissement sensible des fils de gendarmes: 3,3 % en 1969 et 8 % en 1974.
(10) En 1960, on comptait deux fois plus frande fils d'officiers que de fils de sous-officiers ou de gendarmes. Bernard, Voir Jacqueline, L'origine sociale des officiers, Le Monde, 28 12 1960Google Scholar.
(11) En 1973 à Saint-Cyr, Helluy relève 2,3 % de fils d'officiers supérieurs et 8 % de defils d'officiers subalternes.
(12) Girardet, Raoul et Thomas, Jean-Pierre H., Problèmes de recrutement, in Girardet, Raoul (ed.), La crise militaire française 1945–1962: aspects sociologiques et idéologiques (Paris, Armand Colin, 1964), p. 46Google Scholar, note 18.
(13) Helluy, , Les jeunes officiers de l'armee de Terre, p. 4Google Scholar, annexe.
(14) Mourot, Jean-Paul, Rapport d'informotion fait au nom de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur la condition militaire en 1974, p. 26Google Scholar.
(15) Bracoud, Maurice, Les débuts dusaint-cyrien en corps de troupe: essai d'approche psycho-sociologique d'une promotion d'in fanterie métropolitaine, thèse pour l'Enseignement militaire supérieur scientifique et technique(Paris, 1970)Google Scholar.
(16) C.E.I.P.A.A., Attitudes et motivation des candidats aux grandes écoles militaires, p. 140Google Scholar.
(17) Pour une analyse de la spécificité militaire, on verra Dabezies, Pierre, L'armée face à elle-même, Le Monde, 18 01 1975, pp. 1 et 12.Google Scholar.
(18) Cette tendance dont il faut éViter d'exagérer l'importance, tient essentiellement au fait que pour ce qui concerne son existence, sa légitimité, ses ressources et ses privilèges économiques et statutaires, l'institution militaire est étroitement dépendante des élites dominantes. Sur ce point, on verra Janowitz, Morris, The Professional Soldier, p. 22Google Scholar et passim; Parsons, Talcott, Suggestions for a Sociological Approach to the Theory of Organizations-II, Administrative Science Quarterly, I (09 1956), p. 231Google Scholar.
(19) Gromier, François, Une conception archaïque, Les Cahiers de la République, V (11–12 1960), pp. 15–30Google Scholar;Gorce, Paul-Marie de La, The French Army: A military-political history (Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1963), p. 549Google Scholar;Planchais, Jean, Crise de modernisme dans l'armée, Revue française de sociologie, II (04–06 1961), 118–123CrossRefGoogle Scholar. Ce système de propositions qui met l'accent sur l'idée de syndrome poujadiste, a été repris par d'autres auteurs pour expliquer les évéments de 1958 et 1961. Voir, par exemple, Ambler, John S., The French Army in Politics, 1946–1961 (Columbus, Ohio State University Press, 1965)Google Scholar;Menard, Orville D., The Army and the Fifth Republic (Lincoln, University of Nebraska Press, 1967)Google Scholar.
(20) Sur ce point, on pourra se rapporter à Janowitz, Morris and Little, Roger, Sociology and the Military Establishment (New York, Russell Sage Foundation, 1965)Google Scholar;Lang, Kurt, Technology and Career Management in the Military, Establishment in Janowitz, Morris (ed.) The New Military: changing patterns of organization (New York, Russell Sage Foundation, 1964), p. 77Google Scholar.Segal, David R. et al. , Convergence, Isomorphism and Interdependence at the Civil-Military Interface, Journal of Political and Military Sociology, II (4e trimestre 1974). 157–173Google Scholar.
(21) Planchais, , Crise de modernisme dans l‘armée, pp. 122–123Google Scholar.
(22) La formule anglaise institutional engineering dèinirait peut-être mieux le phénomène auquel nous faisons référence sous le label de « machination institution-nelle ».
(23) Pour plus amples détails, on verra Woloch, Isser, War Widows Pensions: social policy in Revolutionary and Napoleonic period [communication miméographique] (Princeton, Institute for Advanced Study, 1974)Google Scholar, conservée aux archives du Inter-University Seminar on Armed Forces and Society, Université de Chicago.
(24) On peut d‘ailleurs poser la question de savoir si la tradition « welfare » n'est pas aussi liée au degré de centralisation étatique puisque des mesures semblables ont existé dans diverses sociétés, peu affectées par les courants révolutionnaires du xixe siècle, mais fortement centralisées, C'est le cas de l'Espagne par exemple. Pour une étude détaillée des privilèges octroyés à la communauté militaire espagnole, on se reportera à Busquet-Bragula, Julio, El militar de carrera en España: Estudio de sociologia militar (Barcelone, Ariel, 1967)Google Scholar, ch. iv.
(25) Huntington, Samuel P., The Soldier and the State: the theory and politics of civil-military relations (Cambridge, Harvard University Press, 1957), p. 22Google Scholar.
26. Boutaric, Edgar, Les institutions militaires de la France (Paris, Plon, 1863)Google Scholar;Guerlac, Henry, Science and War in the Old Regime, thèse de doctorat (Harvard University, 1941)Google Scholar, citée par Huntington, , The Soldier and the State, p. 470Google Scholar;Tuetey, Louis, Les officiers sous l'Ancien Régime: nobles et roturiers (Paris, Plon-Nourrit, 1908)Google Scholar;Vagts, Alfred, A History of Militarism (New York, Meridian Books, 1959)Google Scholar.
(27) Après 1776, le recrutement se fit beaucoup plus discriminatoire en ce sens que l'accès à l'Éxole fut reśervé aux meilleurs élevès dea écoles militaires de province. Vagts, Voir, A History of Militarism, p. 53Google Scholar;Chalmin, Pierre, Les écoles militaires françaises jusqu'en 1914, Revue historique de l'Armée (1954) 2, 129–166Google Scholar.
(28) Les écoles militaires préparatoires, Revue historique de l'Armée, (1954) 3, p. 172Google Scholar.
(29) Sur cet aspect de la question, on se rapportera à Scott, Samuel F., The French Revolution and the Professionalization of the French Officer Corps, 1789–1793, in Janowitz, Morris and Doorn, Jacques Van (eds), On Military Ideology (Rotterdam, Rotterdam University Press, 1971), pp. 3–56Google Scholar.
(30) De plus, on pourrait faire l‘hypothése qu‘une telle politiquefaisait partie d'un programme destiné à contrebalancer l'influence des institutions privées (confessionnellesnotamment) dont le rôle en matière d'éducation est resté très important au cours du xixe siècle et plus particulièrement au niveau de la préparation aux écoles militaires. Par exemple, entre 1860 et 1900, près de 40 % des élèves de Saint-Cyr venaient d'écoles religieuses; Ribot, Alexandre, La réforme de l'enseignement secondaire (Paris, A. Colin, 1900), 3e partie, pp. 115–126Google Scholar notamment; et Statistiques de l'enseignement secondaire (Paris, Imprimerie Nationale, bulletins annuels).
(31) Les écoles militaires préparatoires, op. cit. p. 177Google Scholar.
(32) Les effectifs des écoles militaires préparatoires ont évidemment virié selon les périodes. Le total de 3 000 élèves reprépresente le quota maximum prévu lors de la création des premières écoles militaires Préparatoires. Les écoles créés en 1884 sont celles de Rambouillet, Saint-Hippolyte-du-Fort (en 1946, elles fusionneront et deviendront l'École militaire préparatoire d'Aix-en-Provence), Les Andelys, Mon- secontreuil sur-Mer, Autun et Billom.
Notons au passage que l'accès au prytanée militaire de la Flèche n'est pas réservé aux seuls élèves des écoles militaires présente paratoires. Beaucoup de fils de militaires qui entrent à La Flèche viennent d'institutions publiques ou privées, civiles.
(33) Par exemple, 5,9 % en 1876 en 6,8 % en 1887 des élèves à Saint-Cyr venaient du prytanée militaire de La Flèche. Voir Statistiques de I'enseignement secondaire.
(34) Cf. Girardet, et al. . La crise militaire françcaise, pp. 109–129Google Scholar; c'est d'ailleurs là une situation qui n'a pas cessè d'empirer comme le montre la détérioration du pouvoir d'achat de l'oficier; Mourot, voir, Rapport d'information fait au nom de la Commission de la Défense nationale et des forces armées sur la condition militaire en 1974, p. 15Google Scholar.
(35) Voir Général Georges Malgré, Recrutement des officiers et structures sociales: la crise de Saint-Cyr et ses remèdes, Revue politique et parlementaire, 657 (04 1956), pp. 21–22Google Scholar.
(36) Sur ce point, on se rapportera à Girardet, et al. , La crise militaire française, pp. 34–38Google Scholar.
(37) Le Livre blanc sur la Défense nationale (Paris, 1972), p. 63Google Scholar.
(38) En « corniche lettres », sur 472 élèves préparant Saint-Cyr, 19,2 % étaient au prytanée de La Flèche, 11,2 % au collège militaire de Saint-Cyr (Yvelines) et 37,3 % à l'école d'Aix-en-Provence. En « corniche sciences », sur un total de 279 élèves, 26,8 % étaient au prytanée de La Flèche, 18,5 % au collège de Saint-Cyr et 43,6 % à Aix-en-Provence. Ces pourcentages ont été calculés à partir de donnés citées dans Le Casoar, XXVI (12 1970), p. 37Google Scholar.
(39) Ces établissements sont le prytanée militaire de La Flèche, le Collège militaire de Saint-Cyr, les écoles militaires préparatoires d'Aix-en-Provence, d'Autun et du Mans, le Collège naval de Brest et l'École des pupilles de l'Air de Grenoble. La Flèche prépare aux concours d'entrée aux trois grandes écoles militaires. L'école militaire préparatoire d'Aix-en-Provence prépare à Saint-Cyr et à l'Ecole de l'Air. Les autres éstablissments préparent à l'entrée à Saint-Cyr. Voir «Les écoles militaires préparatoires », op. cit. pp. 181–189; de Bosmelet, P., L'armée éducatrice (Paris, Comporapid, 1969)Google Scholar.
(40) Helluy, , Les jeunes officiers de l'Armée de Terre, p. 45Google Scholar.
(41) Thomas, Jean-Pierre, La fonction militaire, Bulletin de la Société française de sociologie, I (12 1974), p. 12Google Scholar.
(42) Rappelons pour mémoire les principales caractéristiques qui permettent d'identifier une « institution totalitaire ». En premier lieu, tous les aspects de la vie de l'individu (aspects biologiques, intellectuels et professionnels) se déroulent dans noun cadre unique, sous le contrôle d'une seule même autorité. En second lieu, chaque phase de l'activité quotidienne s'exerce en compagnie des autres membres de l'institution. En troisème lieu, toutes ces activités e succèdent selon un emploi du temps précis et immuable, sous l'autorité immédiate d'un personnel spécialisé. Enfin, en dernier lieu, le contenu de chacune de ces activités n'a de signification qu'au regard des objectifs officiels de l'institution. A propos de ce concept d'institution totalitaire, nous renlectuels voyons aux travaux Goffman, d'Erving, nountamment: Characteristics of Total Institutions, in Symposium on Preventive and Social Psychiatry, Walter Reed Army Institute of Research (Washington D.C., 1957), pp. 43–84Google Scholar;Asylums: Essays on the Social Situation of Mental Patients and Other Inmates (New York, Doubleday, 1961)Google Scholar.
(43) Il faut noter au passage que la stabilité et la qualité de la scolarité offerte par ces établissements (un lieu unique, défini pour l'ensemble du cycle secondaire) sont des éléments de séduction supplémentaires pour des families dont la profession reste marquée par une mobilité géographique très forte.
(44) Les chiffres suivants font apparaître l'accroissement du nombre des candidats aux concours d'entrée à Saint-Cyr. En outre attendu que le rapport candidats reçus/candidats inscrits peut être considéré comme un indice de la « valeur » d'un concours, on est enclin à admettre que celle des concours d'entrée à Saint-Cyr s'est améliorée au cours des sept dernières années.
(45) On sait que la très grande majorité des stagiaires de l'École supérieure de Guerre miliet des autres programmes de l'Enseignement militaire supérieur, autrement dit presque tous les futurs officiers généraux sont d'anciens élèves des grandes écoles militaires.
* Cette analyse fait partie d'une étude plus large, entreprise à l'université de Chicago avec la généreuse assistance de la Fondation Ford. Qu'il nous soit permis ici d'adresser tous nos remerciements à MM. Morris Janowitz et Edward Shils pour l'intérêt qu'ils veulent bien porter à nos travaux.