(1) Par exemple M. Gurvitch propose la définition suivante de la classe: « Les classes sociales sont des groupements particuliers de fait et à distance, caractérisés par leur superfonctionnalité, leur tendance vers la structuration poussée, leur résistance à la pénétration par la société globale et leur incompatibilité radicale avec les autres classes.» Chacun a le droit de choisir ses définitions, reste à savoir s'il existe, dans les sociétés modernes, des réalités qui répondent à cette définition. Personne ne mettra en doute que les classes soient des «groupements à distance»: on n'a jamais vu ensemble tous les membres du prolétariat français ou allemand, a fortiori du prolétariat mondial. On admettra sans trop de peine que les classes ne soient pas organisées (le parti qui se réclame d'une classe est organisé, la classe elle-même ne l'est pas) ou que les classes ne sont ni unifonctionnelles ni plurifonctionnelles mais suprafonctionnelles (la distinction entre pluri- et suprafonctionnelles prête à des controverses surtout conceptuelles). Mais quand on affirme que les classes ont leurs valeurs ou leurs oeuvres propres ou qu'elles résistent à la pénétration par la société globale, l'observateur demande des preuves et maintient, en tout cas, qu'une telle définition ne pêut etre que le terme de l'etude empirique et non un mode de désignation de 1'objet ou une theorie inspiratrice de la recherche.

Bien plus, il est douteux que des propositions comme « les classes sont résistantes à la pénétration par la societe globale» ou «les classes produisent des oeuvres propres» soient nécessairement vraies ou fausses pour toutes les classes de toutes les sociétés industrielles ou pour toutes les classes d'une seule société industrielle. J'ai toujours été surpris que la plupart des sociologues n'aient pas tiré les conséquences, pourtant faciles, des difficultes qu'ils eprouvaient a preciser les classes entre lesquelles se divisait une société particulière. Depuis Marx jusqu'à. M. Gurvitch, tout se passe comme sil'on était assure que les sociétés se divisent en classes sans être sûr du nombre et de l'identite de ces classes.

(2) Strauss, Leo, Droit naturel et histoire (Paris, Plon, 1954), p. 68.Google Scholar

(3) ibid., p. 69.