Article contents
Le système d'enseignement de I'Algérie coloniale
Published online by Cambridge University Press: 28 July 2009
Extract
Comment les sociétés traditionnelles deviennent-elles des sociétés modernes ? La situation coloniale constitue un terrain exceptionnel pour l'étude des conditions de ce passage. L'imposition de la violence — effective et (ou) symbolique — y présente un caractère radical qu'il est difficile de trouver ailleurs. Quand l'évolution d'une société est déterminée de l'interieur, elle se fait en général par glissements lents, complexes, par ajustements successifs qui noient le facteur décisif dans la masse des facteurs secondaires dont l'analyse le dis-tingue malaisément. Le phénomène colonial, au contraire, intrusion brutale d'une agression étrangère dans un système intégré, souvent intégriste, de groupes sociaux traditionnels, qu'il accule à la mutation, se présente à cet égard comme une sorte d'expérimentation.
- Type
- Research Article
- Information
- European Journal of Sociology / Archives Européennes de Sociologie , Volume 13 , Issue 2 , November 1972 , pp. 195 - 220
- Copyright
- Copyright © Archives Européenes de Sociology 1972
References
(1) L'hostilité des colons à la politique scolaire imposée par Paris en est le signe.
(2) Sur ce point, voir Turin, l'ouvrage d'Yvonne, Affrontements cultureh dans I'Algérie coloniale. Écoles, médecins, religion, 1830–1880 (Paris, Maspero, 1971), notamment les chapitres IV et VGoogle Scholar.
(3) Ainsi les maîtres étaient-ils souvent des interprètes militaires en ville, des sousofficiers en tribus: Rares dans les villes, les instituteurs demeuraient introuvables pour les écoles arabes françaises du bled. Tout naturellement, les militaires eurent recours au personnel de l'armée. Ils réussissent en général à découvrir un sousofficier, un interprète, contents de troquer l'épée contre la plume. P. Colombo, instituteur à Biskra, était un ancien legionnaire, Le sergent Chamolle est directeur des ècoles des Attafs, en 1861. Cf. Turin, , op. cit. p. 289Google Scholar.
(4) Calculs effectués dâprès les Annuaires statistiques de Algérie pour la population scolaire, d'après les Tableaux des communes de l'Algérie, pour la population totale.
(5) Horluc, Pierre, L'ceuvre francaise pour I'enseignement des indigènes en Algérie (Alger, Carbonnel, 1930), p. 26. C'est nous qui sou lignonsGoogle Scholar.
(6) Sur l'ensemble de ces mesures et de la politique coloniale entre 1871 et 1896, Ageron, voir Ch. R.. Les Algéiens musulmans et la France, 1871–1919 (Paris, P.U.F., 1968), 2 vol., tome IGoogle Scholar. These de lettres. On trouvera également une synthèse sur ce point dans Ageron, , Histoire de l'Algérie contemporaine (Paris, P.U.F., 1964), pp. 45–71Google Scholar.
(7) Rapport des Bureaux arabes entre 1850 et 1861, cités dans Turin, , op. cit. pp.131–132 et 231Google Scholar.
(8) Turin, op. cit.
(9) L'historien et ethnologue Masqueray, qui fut le conseiller de Ferry puis de Combes en matière scolaire, étudia non seulement la société kabyle mais aussi celles des Chaouïa de l'Aurès et du Mzab.
(10) Mais une densité beaucoup plus grande si on ramène à la seule commune mixte d'Arris.
(11) Cf. Colonna, Fanny, Les instituteurs algériens formés à l'École normale de Bouzaréah, 1883–1939. Thèse de 3e cycle sous la direction de Pierre Bourdieu (Paris 1971)Google Scholar.
(12) La communauté hibadite du Mzab possède depuis toujours son propre système scolaire, y compris secondaire, qui a survécu à la colonisation et dure encore.
(13) Ici, aux Beni Yenni, on a tout de suite compris que l'instruction était la clef qui ouvrait beaucoup de choses… le Kabyle a saisi plus tôt le prix de l'instruction. Ils sont plus éveillés. Le pays est plus rude. II a aiguisé leur intelligence. (Instituteur, promotion 1918–1923). Ces stéréotypes, diffusés par l'école, se retrouvent aujourd'hui encore dans les contextes les plus inattendus.
(14) Ma famille était la plus aisée du village. Tous les terrains environnants, c'est à nous. On n'aime pas vendre. Maintenant nous sommes une centaine, mais déjà à l'èpoque ca ne suffisait plus à nous fair evivre. (Instituteur originaire de Kabylie, promotion 1918–1923.) Il y a deux frères instituteurs dans la famille.
(15) Ainsi on a pendant longtemps accusé quelques élèves de l'École des Arts et Métiers de Fort-National d'avoir encadré les révoltés de 1871. Voir, Bulletin de l'enseignement des indigènes, 1897, p. 45Google Scholar. On ne revien- dra pas ici sur la résistance des colons a l'enseignement des « indigenes », très minutieusement analysée par AGERON, dans son ouvrage déjà cité.
(16) On en trouve un exemple et une preuve dans l'ouvrage de AGERON, op. cit.: alors que cet auteur groupe sous un même titre, « les instruments de la domination coloniale », les chapitres sur les lois foncières, l'indigénat, la justice et 1'état civil, l'étude de l'école en est dissociée et traitée dans une partie intitulée « L'absence de politique indigène »!
(17) « Rapport sur la situation de l'enseignement en Algérie », Bulletin de l'enseignement des indigènes, 1904, p. 26.
(18) Comme le montre le tableau ci-dessous: Les progrès de l'autonomisation de l'école coloniale (1887–1931).
(19) En 1910, on estime à 295 000 le nombre d'adeptes (mrabtin), adeptes proprement dits, en petit nombre, plus khouans (dans différentes sectes) du mara-boutisme. R. Montagne donne 190 000 en 1934. Cite par Merad, Ali, Le Réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940 (Paris, Mouton, 1967), thèse de lettresGoogle Scholar.
(20) « L'université d'El Azhar, dit Ageron, eut toujours plus de tolbas algériens que la médersa d'Alger. » D'après cet auteur, les étudiants algériens dans les universités islamiques furent de tout temps plus nombreux que les étudiants algériens en France. Cf. Histoire de l'Algérie contemporaine, op. cit. p. 71.
(21) Charnay, Jean-Paul, La vie musulla mane en Algérie, d'après la jurisprudence de première moitié du xxe siècle (Paris, P.U.F., 1965)Google Scholar.
(22) Merad, Voir A., op. cit. pp. 80–116Google Scholar.
(23) Cf. Lacheraf, Mostefa, Résistance urbaine et lutte nationale depuis 1830, Algérie: nation et sociité (Paris, Maspero, 1965), pp. 157–201Google Scholar.
(24) Ibid. p. 180.
(25) Cf. Bourdieu, Pierre, Genèse et structure du champ religieux, Revue française de sociologie, XII (1971), 295–334CrossRefGoogle Scholar, et Une interprétation de la théorie de la religion selon Weber, Max, Archives européennes de sociologie, XII (1971), 3–21Google Scholar.
(26) Merad, , op. cit. p. 343Google Scholar.
(27) Alors mème que le français garde sa suprématie de fait. « [Le français] n'a jamais vu sa domination moins contestée. Il règne dans le domaine de la politique, de l'administration du commerce et de l'industrie. Les partisans de son concurrent, l'arabe régulier, reconnaissent eux-mêmes la nécessité d'ap-prendre la langue de la Hakouma, alors qu'avant la guerre mondiale il était de croyance courante qu'un musulman pouvait ou devait l'ignorer. » Desparmet, J., La réaction linguistique en Algérie, Bulletin de la Société de géographie d'Alger, 1931, p. 31Google Scholar.
(28) Il y a eu mille instituteurs indigènes formés à l'École normale entre 1880 et 1940. On peut penser qu'il y a eu à peu près autant de médersiens, et beaucoup moins (quelques centaines à peine) d'auxiliaires médicaux.
(29) Poulard, , L'enseignement pour les indigènes en Algérie (Alger 1910), thése de droit, p. 128Google Scholar.
(30) Oppositions qu'on peut lire par exemple entre les ceuvres des premiers écrivains algériens de langue française: Mohamed Dib, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Malek Bennabi, etc.
(31) En témoigne le cas de cette famille maraboutique vers 1900 en Kabylie: « Mon frère, comme mon père, a fait ses études dans une zaouïa. Je suis son aîne de neuf ans. Ma mère voulait qu'au moins un [de ses fils] aille à la zaouīa. [La mère est comme le pére d'origine maraboutique »]. Comme ça il y avait dans ses enfants, moitie roumi et moitié […]. »
(32) Merad, , op. cit. p. 346Google Scholar. — Cette situation de fait était perçue au sein mème du Mouvement Rèformiste: cf. El Nadjah du 4 au 10.XII.1930: « Le français aujourd'hui est la langue officielle et dominante, celle que l'on emploie dans les besoins de la vie sociale […]. » cité dans Desparmet, J., op. cit. p. 27Google Scholar.
(33) op. cit. p. 220.
(34) Cf. Merad, A., op. cit. p. 347. « La valeur intrinsèque de la langue, écrit Mostefa Lacheraf évoquant ce problème, n'y est pour rien — c'est un tort, et c'est la naïveté puérile du nationalisme, de la croire plus forte que les hommes, hors d''atteinte de l'arriération qui les frappe, séparée du sort qui leur est fait, capable d'acquerir par elle-même tous les caractères du développement scientifique moderne dans le contexte d'un pays notoirement reconnu comme sousnai'vete' développé. » dans Nation et Société, op. cit. p. 316Google Scholar.
- 3
- Cited by