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Syllogistique buridanienne

Published online by Cambridge University Press:  13 April 2010

Élizabeth Karger
Affiliation:
CNRS–Paris

Extract

Jean Buridan donne du syllogisme catégorique élémentaire une théorie qui diffère notablement de la théorie scolastique traditionnelle, dont celle de Guillaume d'Ockham peut être considérée comme représentative. Je n'en veux pour preuve que le fait suivant: alors que selon Ockham il y a six modes «utiles» de prémisses syllogistiques de la première figure, selon Buridan il y en a huit. Mon propos sera ici d'expliquer cette divergence et d'en dégager la portée. Pour ce faire je me propose de reconstituer la théorie buridanienne du syllogisme catégorique élémentaire, c'est-à-dire d'en exposer les composantes essentielles en rendant explicites les concepts et thèses qu'elles contiennent parfois implicitement.

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Articles
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References

Notes

1 Du moins en est-il ainsi à condition d'entendre par «modes utiles» des modes directement ou indirectement concluants (notions dont le sens sera expliqué plus loin), car il n'y a, selon Ockham, que quatre modes de la première figure qui soient directement concluants. Cf. Summa logicæ, édition Boehner, Gál et Brown, , St. Bonaventure, NY, The Franciscan Institute, 1974, p. 381382.Google Scholar

2 Cf. Tractatus de consequentiis III-1, 4, 8a Conclusio, édition H. Hubien (Coll. «Philosophes médiévaux», vol. 16), Louvain, Publications universitaires, 1976, p. 91, où on lit: «[A]lii octo modi sunt utiles».

3 Buridan oppose aux propositions «à termes obliques» («de terminis obliquis») les propositions «à termes droits» («de terminis rectis») dont le terme initial est au nominatif (à la différence d'une proposition comme «cuiuslibet hominis asinus currit») et dont le prédicat entier suit le verbe (à la différence d'une proposition comme «homo equum est videns», dont le prédicat est, selon l'analyse préférée par Buridan, «equum videns»). Cf. Tractatus de consequentiis I, 8, p. 50–51.

4 Les propositions singulières sont ainsi exclues.

5 Sont ainsi exclues, entre autres, les propositions exceptives, exclusives et réduplicatives. Cf. Tractatus de consequentiis I, 8, p. 51.

6 Sont ainsi exclus les syllogismes «expositoires» dont un terme au moins est singulier ainsi que les syllogismes dont un terme au moins est, dans l'une de ses occurrences au moins, une partie seulement du sujet ou du prédicat d'une proposition dont il est formé, ce qui est le cas entre autres des syllogismes «à termes obliques», des syllogismes «a termes infinis» et des syllogismes dont l'une des propositiōns contient un »relatif d'identité», tels que ceux de la forme «B est A et C est illud idem B ergo C est A», toutes espèces de syllogismes dont Buridan traite dans le Tractatus de consequentiis.

7 TBS est contenue essentiellement dans quelques pages du chapitre 4 de DC III-I, notamment dans la première section (p. 84–85) de ce chapitre (qui devrait sans doute avoir «suppositions» et non «conclusions» pour titre) et dans la septième et la huitième «conclusio» (p. 90–93).

8 J'utiliserai l'édition de travail non publiée de ce traité que l'on doit à Hubert Hubien.

9 Dans DC en effet Buridan ne fait pas état de la nécessité, pour qu'un syllogisme soit valide, qu'il ne comporte aucun terme pris en des sens différents dans ses différentes occurrences.

10 L'identité d'un terme n'est pas affectée par le fait d'être mis au nominatif ou à un cas oblique. Selon DC I, 7, p. 31 en effet, le fait qu'un terme soit au nominatif ou à un cas oblique caractérise, non le terme lui-même, mais la forme de la proposition dont il fait partie.

11 Selon TBS en effet il s'ensuit de la présence de termes ampliatifs et de termes trinitaires qu'aucun syllogisme élémentaire n'est formellement valide (cf. DC III-I, 4, p. 86 et 93–97). Or la partie sémantique d'une théorie du syllogisme élémentaire consistant en principe à identifier les formes syllogistiques en vertu desquelles un syllogisme est formellement valide, TBS devra, en conséquence, soit renoncer à cet objectif et poursuivre à sa place celui d'identifier les formes syllogistiques en vertu desquelles un syllogisme peut posséder une certaine validité de second ordre que Buridan appelle «formelle ex hypothesis», soit prendre pour objet un syllogisme plus complexe formé de propositions dont le sujet est précédé du foncteur «quod est». En faisant porter TBS sur une langue dépourvue de ces deux sortes de termes, on donnera une version simplifiée de cette théorie dans laquelle des syllogismes élémentaires formellement valides existeront.

12 Je dirai de deux formes propositionnelles qu'elles sont «équipollentes» si deux propositions, exemplifiant l'une et l'autre de ces formes, et identiques par leur sujet et par leur prédicat, sont équipollentes. Il s'ensuit du chapitre 5 de DP qu'il y a, pour chaque forme catégorique standard de base, deux formes équipollentes de sorte qu'on peut, comme Dorp dans son commentaire, tracer un carré d'opposition où dans chaque angle figurent trois propositions équipollentes. Cf. Perutile compendium totius Logice Joannis Buridani cum preclarissima solertissimi viri Joannis Dorp expositione, Venise, 1499; réimpr., Francfort, Minerva, 1965, b5va.

13 Dans ces schémas on a placé «aliquod» entre parenthèses pour marquer le fait qu'on ne distinguera pas entre les formes propositionnelles contenant une occurrence de ce signe et celles qui leur sont identiques sauf qu'elles n'en contiennent pas. Par contre on n'a pas fait apparaître dans ces schémas les formes masculines et féminines des signes «omne», «nullum» et «aliquod» — qui sont au nominatif — puisqu'il s'agit là de variantes grammaticales dépourvues de portée logique.

14 Dans DP, 5, 1 et ailleurs Buridan dit qu'elles sont «de modo loquendi inconsueto».

15 Dans un passage remarquable de DP, 5, 1 Buridan fait référence à un octogone d'opposition où dans chaque angle figurent neuf propositions équipollentes, octogone analogue à celui qui vaut pour les catégoriques modales et valable non seulement pour les catégoriques à termes obliques, que nous ne considérons pas ici, mais pour les propositions élémentaires déviantes. Cet octogone n'est pas reproduit par Hubien, pas plus d'ailleurs que celui qui vaut pour les propositions modales, mais il est aisé de le reconstituer, celui donné par Dorp pour les modales à la page d3v de son commentaire du texte de Buridan (cité à la note 12) pouvant servir de modèle.

16 Ainsi «omnis» et «est» sont des constituants logiques immédiats et «non» un constituant logique médiat de la proposition «omne non animal est ens».

17 Il faut distinguer les notions syntaxiques de distribution et de non-distribution des notions de supposition (confuse et) distributive et non distributive (seulement confuse ou déterminée) qui sont des notions sémantiques. Ces notions ne sont d'ailleurs même pas coextensives car, s'il est vrai qu'un terme suppose distributivement seulement s'il est distribué et non distributivement seulement s'il est non distribué, ces conditions ne sont pas suffisantes car un extrême d'une proposition qui ne suppose pas du tout est néanmoins distribué ou non distribué.

18 Cf. DP, 3, 5 où on lit: «Propositio universalis est illa in qua subicitur terminus communis distributus». Buridan distingue, il est vrai, dans ce texte entre formes particulières et indéfinies, mais cette distinction, ne jouant aucun rôle dans TBS, serait superflue ici.

19 Dans DP, 3, 5 Buridan admet qu'il y a des propositions qui ne sont ni «simplement universelles» ni «simplement indéfinies» mais qui sont «partiellement universelles et partiellement indéfinies», leur quantité dépendant non de propriétés d'un seul terme, le sujet, mais de propriétés de deux termes. II s'agit il est vrai, dans ce texte, de propositions catégoriques à termes obliques, telles que «cuiuslibet hominis asinus currit», propositions dont nous ne tenons pas compte ici. Mais, comme on l'a indiqué à la note 15, les propositions élémentaires déviantes sont analogues par leur structure logique aux catégoriques à termes obliques, de sorte qu'il convient d'étendre à ces propositions la notion d'une proposition ayant telle quantité par rapport à tel terme et telle quantité (la même ou une autre) par rapport à tel autre terme, ces termes étant, dans le cas de ces propositions, leur sujet et leur prédicat.

20 Il peut paraître surprenant que le prédicat doive précéder la copule d'une proposition pour que celle-ci puisse être considérée comme quantifiée par rapport à son prédicat. C'est ce qu'on peut tenter de justifier comme suit: une proposition n'est quantifiée par rapport à l'un de ses extrêmes que si ce terme est ou peut être, salva congruitate, affecté d'un signe quantifiant et ce signe contient la copule de la proposition dans sa portée. Or s'il est vrai que le prédicat d'une proposition, lorsqu'il suit la copule, peut, salva congruitate, être affecté d'un signe quantifiant, ce signe, du fait qu'il suit la copule, ne contient pas celle-ci dans sa portée. Par contre le prédicat d'une proposition déviante peut être affecté, salva congruitate, d'un signe quantifiant et ce signe contient la copule de la proposition dans sa portée.

21 Ainsi la forme, selon TBS, de la proposition «omne non animal est ens» est celle représentée par le schéma A et non celle représentée par le schéma «omne non A est B» que TBS n'identifie pas.

22 L'ordre des prémisses contribue à la forme du syllogisme selon la conception du syllogisme qu'on associe au nom de Pierre d'Espagne, conception à laquelle Buridan souscrit, mais non selon celle associée au nom de Philopon.

23 Il importe de distinguer la notion d'un prosyllogisme de celle d'un syllogisme, et ce d'autant plus que Buridan, comme ses prédécesseurs, emploie le même terme «syllogismus» pour l'un et pour l'autre, Ie terme «prosyllogismus», s'il est employé par certains auteurs, l'étant dans un autre sens que celui dans lequel nous employons ici le terme «prosyllogisme». La distinction entre ces deux sens du terme «syllogismus» est faite par Buridan dans DC III-I, 4, p. 92.

24 Cf. la section 2a où on a vu que dans TBS deux propositions élémentaires sont identiques par leur forme si et seulement si elle ont même qualité et même quantité.

25 Ces deux questions sont implicites dans DC III-I, 4 où la septième «conclusio» répond à Q1 et la huitième «conclusio» à Q2, l'une et l'autre question étant appliquées au B-syllogisme (p. 90–93); elles le sont aussi à la question 23 des Quæstiones in Analytica Priora.

26 C1 correspond par son contenu au texte suivant de la septième «conclusio» de DC III-I, 4, p. 90: «[I]n omni figura si medium fuerit distributum in aliqua præmissarum valet semper syllogismus ad concludendum aliquam conclusionem unius extremitatis de alia extremitate nisi ampliatio impediat et quod non sint ambæ negativeæ». On peut faire abstraction de la clause concernant l'ampliation puisqu'il s'agit ici, on s'en souviendra, d'une version simplifiée de TBS, portant sur un fragment du latin dépourvu de termes ampliatifs. Cf. section 1.

27 C2 correspond par son contenu en partie au texte suivant contenu au début du chapitre 4 de DC III-I, p. 84: «[A]ffirmativa conclusio indiget concludi ex ambabus affirmativis et negativa ex una affirmativeā et alia negativa» et en partie au texte suivant de la huitième «conclusio» du même chapitre (p. 91): «[N]ullo modo terminus debet distribui in conclusione qui non fuerit distributus in præmissis; sed potest distribui si fuerit distributus».

28 À la fin de la huitième «conclusio» de DC III-I, 4, p. 93, ayant achevé d'exposer la théorie du B-syllogisme, Buridan avertit le lecteur que, dans la suite du chapitre, il ne tiendra compte dans chaque figure, parmi les modes «utiles», que de ceux «capables d'inférer une conclusion conforme au mode habituel de parler». Autrement dit, il ne tiendra compte, parmi les modes B-concluants, que de ceux qui sont A-concluants. Mais faire abstraction des modes B-concluants qui ne sont pas A-concluants, c'est dériver de la théorie du B-syllogisme une théorie du A-syllogisme.

29 Cette loi prend deux formes, notamment: «[Q]uæcumque uni et eidem sunt eadem inter se sunt eadem» et «quorumcumque duorum unum est idem alicui cui reliquum non est idem illa non sunt inter se eadem». Cf. le début du chap. 4 de DC III-I, p. 84–85.

30 Les modes de prémisses syllogistiques d'une figure donnée sont évidemment les modes de ce que nous avons appelé les «prosyllogismes» de cette figure. Les six modes de la première figure reconnus par Ockham comme «utiles» sont ceux des prosyllogismes inclus dans les syllogismes en Barbara, Celarent, Darii, Ferio, Fapesmo et Frisesomorum, modes caractérisés par les deux premières voyelles de ces noms mnémoniques. Buridan reconnaît en plus, dans la première figure, comme étant également «utiles», le mode des prosyllogismes dont la majeure est en A et la mineure en O et celui des prosyllogismes dont la majeure est en I et la mineure en O.

31 L'une de ces formes est celle des prosyllogismes de la première figure dont la majeure est en I et la mineure en O, exemplifiée par le prosyllogisme suivant:

Homo est animal

Asinus non est homo

Ce prosyllogisme peut servir de prémisses à un B-syllogisme formellement valide dont la conclusion est «Asinus animal non est». Sa forme est done B-concluante.

32 Cf. la question 24 des Quæstiones in Analytica Priora.

33 Cf. Summa logicæ III-I, 6, p. 382. D'après Ockham on ne peut, dans la première figure, conclure que directement dans le mode dont la majeure est en E et la mineure en I (le syllogisme étant en Ferio) et qu'indirectement dans le mode dont la majeure est en A et la mineure en E (le syllogisme étant en Fapesmo) ainsi que dans le mode dont la majeure est en I et la mineure en E (le syllogisme étant en Frisesomorum).

34 Le prosyllogisme suivant illustre le cas d'un prosyllogisme dont la forme, étant à la fois A-concluante et B-concluante, est cependant incluse dans une seule forme A-syllogistique valide mais dans deux formes B-syllogistiques valides:

Omnis homo est animal

Nullus asinus est homo

Ce prosyllogisme peut en effet servir de prémisses au A-syllogisme formellement valide (en Fapesmo) dont la conclusion est «Animal non est asinus», syllogisme concluant indirectement, mais aussi au B-syllogisme dont la conclusion est «Asinus animal non est», syllogisme concluant directement.