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Pourquoi faut-il qu'Émile soit borné?
Published online by Cambridge University Press: 05 May 2010
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Dans les études consacrées aux écrits politiques et éducatifs de Rousseau, on a beaucoup insisté sur la loi qui commande son anthropologie, à savoir que l'altérité corrompt. Cependant, on a moins insisté sur une notion fondamentale de cette anthropologie, celle des bornes et des places, ce qui explique un certain nombre de malentendus quant au caractère plus ou moins pessimiste ou conser vateur des écrits de Rousseau. Pourtant, un lien existe entre la loi de l'altérité et le concept des bornes, car ne corrompt chez Rousseau que le type de comparaisons qui refusent l'ordre d'un tout et qui, de ce fait, situent l'individualité et l'altérité en dehors de leurs bornes.
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- Dialogue: Canadian Philosophical Review / Revue canadienne de philosophie , Volume 19 , Issue 4 , December 1980 , pp. 612 - 626
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- Copyright © Canadian Philosophical Association 1980
References
NOTES
1 Ce texte est le prolongement d'une étude sur l'idéologie du sentiment chez Rousseau dont une partie paraîtra sous peu sour le titre de «les coefficients idéologiques de l'appel au sentiment» dans Rousseau et la société du dix-huitième siècle. Dans ce qui suit, les ouvrages de Rousseau sont cités à partir des Oeuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, NRF-Gallimard, 1959 (tome I), 1964 (tome III), et 1969 (tome IV). Les abréviations au texte sont E pour Emile (tome IV) et E f (Emile, manuscrit Favre); E So pour Emile et Sophie CS pour Contrat social et CS m pour Contrat social, manuscrit de Genève (tome III); DEP pour Discours sur l'économie politique (tome III). Sur l'anthropologie de Rousseau, voir le notes de P. Burgelin, IV, p. 1635 et suiv. ainsi que son ouvrage La philosophie de l'existence de J.-J. Rousseau, Paris, Vrin, 1973 (seconde édition).Google Scholar
2 J'emprunte l'expression à Robert Osmont, (I, p. lxvii, lxxii) qui me paraît bien résumer un noyau de difficultés. R. Osmont ne l'emploie que pour désigner les écrits autobiographiques de Rousseau.
3 La philosophie de l'existence, cit. chap. V.
4 Voir à ce sujet les remarques de J.S. Spink, IV, p. xii et ses notes aux pages 1385, 1339, 1425; voir aussi Confessions, 1, 409; E 303, 370. Raison sensitive: Ef 128, E 370, 282, 417–418.
5 E f 61, 70, 156–157; E 281, 417, 431; voir les remarques de J.S. Spink, p. lviii sur le verbe « est », voir E 569.
6 E 458, 852, 600; noter qu'Emile est un sauvage fait pour habiter les villes (E 484), ce qui veut dire qu'il doit apprendre à ne devenir sensible que dans le tout (E, 249, 547, voir note de P. Burgelin p. 1298); pour une definition stride de la moralite, voir E 501, 600, 547, 582, 249 Disc. Eco. Pol. III, p. 245; 2e Discours, III, 126; voir note de J. Starobinski, p. 1299. Pour la morale utilitaire, voir E 456, 458. Au moment dont nous parlons, Emile a done atteint l'âge de sagesse (E 248, 484, 668, Disc. Eco. Pol. III, 259) et il réunit en lui la raison et le sentiment (E f 219, E 481), ce qui lui permet de relier son esprit et le sentiment de l'humanité (E 590)
7 Je paraphrase ici l' expression de P. Burgelin à propos du Vicaire Savoyard, voir « Hors des ténébres de la nature », p. 22, dans Annales de philosophie politiques 5, Rousseau et la philosophie politique, op. cit. La « culture « est ici une démarche d'épuration et ainsi peut être attribuée à Emile sans contresens. Voir aussi Ef 99, E 323.
8 Sur cette question, voir la première partie de mon étude citée en note I.
9 Voir Lettres morales, IV, 1101, E 117; Ef 182, E 445, 998, Lettre à Grimm, III, 78, Mémoire à M. de Mably, IV, 11 Lettre à M. de Franquières, IV, 1133–1134.
10 Ef 62, 73, E 567–569, 484, 670, 998; voir les commentaires de P. Burgelin, IV, p. cxxxvi, cxxxviii, cxli; et M. Raymond, I, lxvii. Se montrer comme on est: E 509, 531, 823, 671, 827; liste des sentiments primitifs: Ef 104–105, E 329–330.
11 III, 478, 516; voir aussi Jean-Jacques Rousseau sur la réponse à son deuxième discours, III, 54, voir E 501, 304–305.
12 Ceci correspond à la critique que Rousseau fait des discours vides de sens (E, 541, Fragments politiques, III, 475, Contrat social, III, 378, Emile et Sophie, 886, E f 216) même si Rousseau se réfugie parfois dans les principes les plus généraux, comme le note Jean Starobinski, III, p. 1, notamment dans le Discours sur l'économie politique et le Contrat social (lorsqu'il est question de mœurs). De même, l'impossibilité pour Emile de se réfugier dans le « vide de l'âme « provient de son besoin de « cesser de floter « (E 602) dans un contexte oà il est bel et bien dans «la chaine des sentiments « (Confessions, livre VII, E 639, 520), cf E 569.
13 E So 989, E 523, 605, 670, 857; Projet pour l'éducation de M. de Ste-Marie, IV, 85.
14 Voir Hans Barth, « Volonté générale et volonté particulière », dans Rousseau et la philosophie politique, Annales de philosophic politique 5, PUF, 1965, pp. 35–51; voir la discussion à la fin de l'ouvrage; voir aussi C.J. Friedrich, « Law and Dictatorship in the Contrat social», p. 78 où il est question du « collective mysticism « de Rousseau. R. Derathé, Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps (Paris, 1959).
15 Cité dans P. Burgelin, La philosophie de l' existence …, op. cit. p. 505.
16 Derrida, J., De la Grammatologie, Paris;Minuit, 1967Google Scholar, en particulier p. 207–208, 213, 233, 398. Voir aussi McDonald, Christie V., « Jacques Derrida's Reading of Rousseau », The Eighteenth Century; Theory and Interpretation, Vol. 20, no. 1, winter 1979, pp. 82–95.Google Scholar
17 Lettre à Voltaire, IV, p. 1068; CS 456, E 605.
18 Voir aussi les remarques de J.S. Spink, IV, liii, 1643, 1633, E670, 698.
19 E720, 698, 501, 632; voir les notes de J.S. Spink, IV, p. 1643, 1633; M. Raymond, I, xc.
20 Hoffman, P., La femme dans la pensée des Lumières, Paris, Ophrys, 1977Google Scholar, en particulier p. 367, 372–376, 443 et suiv. Hoffman ne remarque pas, cependant, en quel sens la rigidité est plus grande pour l'épouse que pour l'époux.
21 Voir les remarques de M. Raymond, I, xc, cf. E632, 501, 466.
22 Voir aussi E 602, 417, Ef 227, 216, 222 ; Fragments politiques III, 554, Lettre à Voltaire, IV, 1068.
23 Lettre à C. de Beaumont, IV, 945, E 359.
24 E670
25 Voir les remarques de M. Raymond, I, xc, lxxxix et son livre sur Deux aspects de la vie intérieure de Jean-Jacques Rousseau; voir également les remarques de R. Osmont, I, lxv, J.S. Spink, IV, lxix. Du reste, il faut noter que l'imaginaire, comme compensation, est mis en question au cours des Confessions et des Rêveries.
26 E 533, 857, 603, 660, 629, 349, CS 453.
27 Voir B. de Jouvenel, « Rousseau, évolutionniste pessimiste », dans Rousseau et la philosophie politique, op. cit. p. 3; voir aussi les remarques de J. Starobinski, III, lxix, 1299; voir le deuxième dialogue dans Rousseau juge de Jean-Jacques.
28 E 249, DEP 245, 2e Discours, 126, E 501, 547, 600, voir les remarques de J. Starobinski III, 1299.
29 J. Derrida, De la grammatologie, op. cit. p. 438
30 I. Fetscher, « Rousseau, auteur d'intention conservatrice et d'action révolutionnaire », dans Rousseau et la philosophie politique, op. cit. p. 51–71 en particulier p. 65.
31 Voir les remarques de M. Raymond, IV, xvi, xvii.
32 Burgelin, dans IV, xciv, cvi; idées semblables chez J.S. Spink, IV, xliii; R. Derathé, III, xci et notes p. 1537; J. Starobinski, III, notes p. 1364.1 Fetscher dit qu'Emile est dans une « province pédagogique ». A monavis.ceci explique justement qu'il doive être borné. Voir E. 249, ESo 919–913.
33 E837, 841, 852–855, 832, 827, 542.
34 Pour une analyse de ces rapports, voir mon étude citée en note I. Voir aussi I. Fetscher, Rousseaus politische Philosophic, Neuwied, 1960 où la contribution du Control social est présentée comme étant celle de la volonté générale plutôt que celle du pacte social.
35 Voir les remarques de J. Starobinski, III, 288, 1397, 1469.
36 I. Fetscher, « Rousseau, auteur d'intention conservatrice… »op. cit. p. 65
37 B. de Jouvenel, « Rousseau, évolutionniste pessimiste », op. cit. p. 17
38 Voir les remarques de J. Starobinski, III, 1289
39 Voir les remarques de R. Derathé, III, 1397, 1469; Derathé cite aussi l'ouvrage de Franz Haymann, Weltbürgertum und Vaterlandsliebe in der Staatslehre Rousseaus und Fichtes, Berlin, 1924.
40 CS III, 397, 410, 320. Tout comme la notion de bornes, celle de répression a chez Rousseau une connotation axiologiquement positive quand elle est liée aux bornes de la vertu (mœurs simples). Elle désigne la « dénaturation positive « dont parle M. Ansart-Dourlen.
41 Voir E 539, 843, 829–830, 850, 376; voir aussi B. de Jouvenel, op. cit. p. 14.
42 Voir E 842, 851, 859, 05419.
43 Derrida, De la grammatologie, op. cit., p. 427
44 Voir les remarques de J. Starobinski III, 1289, cf. E842, 851, 859, CS 419
45 E 855–857; 846, voir aussi mon étude citée en note 1.
46 Rousseau parle ici des gouvernements des Macédoniens et des Francs; voir aussi 2e Discours, III, 132, E 836–837.
47 CSm 321, CS 410–411. Je souligne.
48 J.S. Spink, IV, p. xlix
49 Rejet du genre humain comme décideur: E 832, 827, 542; obéir aux lois de son pays: E 201–202, 627–629, 2e Discours, HI, CS 418; ne jamais ajouter de chaîne à celle dont nous chargent la nature et les lois (E 855); étendre aux choses morales la loi de la nécessité (E 820); donner aux lois des nations l'inflexibilité des lois de la nature (E 310–311); river Emile aux choses et aux lois (E 287, 421) en fait, aux lois comme aux choses, l'important étant de ne jamais porter deux chaînes (E 856–857, 681, ESo 906).
50 J. Habermas, L'espace public, Paris, Payot, 1978, p. 108
51 I. Fetscher, « Rousseau, auteur d'intention conservatrice… », op. cit. p. 75
52 Cité dans P. Burgelin, La philosophie de l'existence … op. cit. p. 515.
53 Par exemple, B. de Jouvenel qualifie Rousseau de philosophe anti-progressif par excellence (mais non rétrograde), tandis que I. Fetscher le qualifie d'auteur d'intention conservatrice, tous deux en ayant à l'esprit la révolution firançaise et les tendances lourdes depuis lors. Voir B. Gagnebin, III, p. 1274 (révolutionnaire mais non fauteur de trouble).
54 Cité dans P. Burgelin, La philosophie de l'existence … op. cit. p. 515.
55 Ibid., p. 504.
56 J. Derrida, De la grammatologie, op. cit. p. 208, 194.
57 Voir le troisième dialogue dans Rousseau juge de Jean-Jacques; voir aussi B. de Jouvenel, « Rousseau, évolutionniste pessimiste », op. cit. p. 9–10.
58 P. Burgelin, La philosophie de l'existence… op. cit. p. 507, 279.
59 J. Starobinski, Jean-Jacques Rousseau, la transparence et l' obstacle, Gallimard, 1971, p. 59. C'est précisément dans l'articulation du désir de transparence et des situations concrètes que se dévoileront, à cause même du rôle que jouent les bornes, les dimensions escapistes de l'appel au sentiment chez Rousseau dont j'ai parlé dans mon analyse citée en note I.
60 Ansart-Dourlen, M., Dénaturation et violence dans la pensée de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Klincksieck 1975, en particulier p. 6, 9–10, 13, 252–259, 266Google Scholar.
61 II n'est pas étonnant non plus que l'on puisse trouver dans l'articulation de l'Emile et du Contrat social les éléments d'un « machiavélisme pédagogique « comme le soutient G. Namer, dans Rousseau, sociologue de la connaissance, De la créativité au machiavélisme, Paris, Klincksieck, 1978, voir p. 361 et suiv.
62 Voir le deuxième dialogue de Rousseaujuge de Jean-Jacques, et le chapitre consacré à la vie simple dans P. Burgelin, La philosophie de l'existence…
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- Cited by