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Peut-il y avoir un contrat naturel? La raison moderne au tribunal de l'écologie*
Published online by Cambridge University Press: 13 April 2010
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Michel Serres vient de nous préserter un livre qui promet de susciter de nombreux débats extrêmement intéressants. Ce penseur versé dans l'histoire de la philosophie mais aussi dans celle des sciences, passionné également par rétat actuel des savoirs et des sociétés, nous a habitués depuis plus de vingt ans à une réflexion multiforme et originale, assortie un style qui témoigne élégamment de son souci litteraire. Le contrat naturel prolonge cette démarche, cette fois-ci en tentant de fournir aux préoccupations écologiques une assise philosophique. renjeu est de taille. Il exige que soient repensés non seulement nos rapports pratiques au monde, à la «nature», à l'«environnement», mais d'abord et avant tout la représentation que nous nous faisons de ceux-ci. Il s'agit bien d'une question philosophique: à sa façon, elle reprend le débat avec la rationalité moderne dont on dit souvent que sa teneur (exclusivement?) technique et scientifique nous a menés au désastre actuel. Par-delà l'indiscutable pertinence d'une réflexion philosophique consacrée à la question de eécologie, c'est donc le statut de la raison et de la nature qui est ici questionné.
- Type
- Critical Notices/Études critiques
- Information
- Dialogue: Canadian Philosophical Review / Revue canadienne de philosophie , Volume 31 , Issue 2 , Spring 1992 , pp. 295 - 310
- Copyright
- Copyright © Canadian Philosophical Association 1992
References
Notes
1 Mentionnons quelques-uns de ses ouvrages récents: Éléments d'histoire des sciences, Bordas, 1989; Statues, Frangois Bourin, 1987; L'Hermaphrodite, Flammarion, 1987; Les cinq sens, Grasset, 1985; Détachement, Flammarion, 1983; Rome. Le livre desfon-dations, Grasset, 1983; Genése, Grasset, 1982; Le Parasite, Grasset, 1980. Á défaut de compléter cette liste de façon exhaustive, il faut souligner Ies cinq tomes de la série Hermés, parus aux Éditions de Minuit entre 969 et 1980.
2 «Les guerres que j'appelle subjectives se définissent done par le droit: elles commen-cent avec I'histoire et l'histoire commence avec elles» (p. 32). II y aura lieu de discuter cette equivalence du droit et de la guerre. Disons pour 1'instant que l'auteur distingue la violence de la guerre, la premiere etant la seule a preceder le contrat social puisque la seconde commence avec lui; elle en est presque l'equivalent (voir p. 30: «Le contrat social qui nous fit nattre nait peut-etre avec la guerre; elle suppose un accord prealable qui se confond avec le contrat social»).
3 Ce programme philosophique pourrait s'intituler «epistetriodicee» Le projet d« thatjdi-cfie, quant a lui, semble aujourd'hui perime et seul l'etre humain peut etre tenu respon-sable de l'etat actuel des choses. «Epistemodicee, voila un titre exact et possible de ce livre, trop laid cependant pour qu'on l'adopte» (p. 45).
4 «Voici la bifurcation de l'histoire: la mort ou la symbiose» (p. 61).
5 Ce parallele explicite qui est ainsi etabli avec le tiers etat nous indique l'ampleur du projet de M. Serres: il s'agira bel et bien d'une «Révolution écologique».
6 Nous aurons á parler plus loin des consequences que peuvent avoir les differents types de justification théorique sur 1'orientation pratique de l'agir individuel et collectif.
7 Voir par exemple: Critique de la raison pure, trad, de Tremesaygues et Pacaud, Paris, PUF, 1980, B163–166, §26 et B446, p. 141–143 et p. 334; Prolégomenes…, trad, Gibelin, de J., Paris, Vrin, 1974, §14–17, p. 61–66Google Scholar.
8 Afin d'eviter tout malentendu: le contrat naturel prend chez M. Serres le sens exact — le sens propre et non pas metaphorique — que nous suggerent ses termes. II ne s'agit nullement d'une simple «fac, on de parler», comme disait Leibniz, ni meme d'une construction que Ton utilise «comme si» elle etait objective ou constitutive de la r6a-lite: «Retour done a la nature! Cela signifie: au contrat exclusivement social ajouter la passation d'un contrat naturel de symbiose et de reciprocite ou notre rapport aux choses laisserait maitrise et possession pour l'ecoute adfnirative, la reciprocite, la contemplation et le respect, oil la connaissance ne supposerait plus la propriete, ni l'action la maitrise, ni celles-ci leurs resultats ou conditions stercoraires» (p. 67). Un peu plus loin, l'auteur parle des«contrats explicites» (p. 76) que les groupes humains passeront d6sor-mais avec le monde naturel. Voila bien le point decisif: l'idee du contrat naturel est prise au sens propre chez Michel Serres et elle implique des modifications profondes du statut accord^ a la nature, a la Terre, au monde. Inutile de forcer la note pour y deceler rien de moins qu'une metaphysique, puisque l'auteur nous evite cette peine: «J'entends de'sormais par contrat naturel d'abord la reconnaissance, exactement metaphysique, par chaque collectivite, qu'elle vit et travaille dans le meme monde global que toutes les autres. […] J'appelle ce contrat naturel metaphysique» (p. 78).
9 «Aveugle et muette, la fatalité naturelle négligeait alors de passer contrat exprés avec nos ancétres ecrases par elle: nous voici, a ce jour, assez venges de cet archaïque abus par un abus moderne reciproque» (p. 66).
10 Effectivement, il s'agit dans l'ensemble d'un physiocentrisme ou d'un ecocentrisme dpistemique et ethique, ce dont temoignent eloquemment les passages suivants: «Depuis que Dieu est mort, ne nous reste que la guerre. Mais des lors que le monde meme entre avec leur assemblee [l'auteur parle ici des nations], meme conflictuelle, dans un contrat naturel, il donne raison de la paix, en meme temps que la transcendance recherchee» (p. 47). «D'ou nous vient l'universel? Du trepas. De l'expulsion. Du dehors. De l'enfer des pierres qui tombent. Oui, des astres brulants. De l'autre monde. D'un monde sans hommes» (p. 119).
11 A titre d'exemples: «Aimer nos deux peres, naturel et humain, le sol et le prochain; ai-mer l'humanite, notre mere humaine, et notre naturelle mere, la Terre» (p. 83); le «Tiers-Instruit» sera «surtout brulant d'amour envers la Terre et l'humanite» (p. 148); «L'humanit6 astronaute flotte dans l'espace comme un foetus dans le liquide am-niotique, reliee au placenta de la Mere-Terre par toutes les voies nourricieres» (p. 187); parlant de la Terre: «Communiant tous deux, en amour elle et moi doublement d6sem-pares, ensemble palpitant, reunis dans une aura. […] La reconnaitrais-je pour ma mere, pour ma fille et mon amante ensembler Dois-je la laisser signer?» (p. 190–191).
12 «Victorieuse jadis, voici la Terre victime» (p. 28); «Étre méme de beaute1, rie n n'est aussi beau que le monde; rien de beau ne se produit sans ce donateur gracieux de toutes les magnificences. […] [L]e monde mondial offre aujourd'hui le visage douloureux de a l beaute mutilee» (p. 45–46).
13 «Pourquoi faut-il, desormais, chercher a maitriser notre maitriser Parce que, non regime, excedant son but, contre-productive, la maitrise pure se retourne contre soi» (p. 61). 14 «Nous devons decider la paix entre nous pour sauvegarder le monde et la paix avec le monde afin de nous sauvegarder» (p. 48).
15 «Tout vient de changer. Dfisormais nous réputerons inexact le mot politique, parce qu'il ne se refere qu'a la cite, aux espaces publicitaires, a [‘organisation administrative des groupes» (p. 65); «la gdopolitique au sens de la Terre reelle, la physiopolitique, au sens oil les institutions que se donnent les groupes dependront desormais des contrats expli-cites qu'ils passeront avec le monde naturel» (p. 76).
16 Notons au passage que cette conception tend á réduire le droit á l'un des phénoménes qui peut l'accompagner, comme si le droit n'amenait qu'une nouvelle modalité (un consensus) dans l'exercice de la violence physique et militaire.
17 A titre d'exemple, pensons simplement aux innombrables questions d'dthique qui nous sont posees par les possibilites de la medecine moderne: que dficiderait un legislateur physiocrate dans de pareils case On consultera avec profit l'ouvrage rdcent de Fé1ix Guattari (Les trois Geologies, Paris, Galilee, 1989),Google Scholar qui fournit un bon exemple du pro écplogique holistique: l'auteur soutient que l'«ecosophie», ou l'ecologie ge'ne'ralise'e (p. 47) devra comprendre tine section environnementale, urie section sociale et une der-niere, celle-la subjective ou mentale. Cette nouvelle ecosophie devra «remplacer les an-ciennes formes d'engagement religieux, politique, associatif…» (p. 70).
18 En ce qui concerne les consequences politiques negatives de l'e'cologisme, voir l'excel-lent article de Odo Marquard, «Die arbeitslose Angst», publie dans l'hebdomadaire Die Zeit, 12 décembre 1986. L'auteur y analyse les apories d'une idealisation utopique de la nature, conc, ue comme exploitation idéologique de cette demiére. On y retrouvera figalement une comparaison fort pertinente du physiocentrisme dfifendu par une partie de l'écologisme actuel, et de la construction romantique de la nature chez Schelling. D'autre part, Marquard soutient non sans raison que l'ecologisme actuel prend la releve du marxisme, apres 1'écroulement de ce dernier. A la place du proletariat, e'est la nature qui joue maintenant le role du sujet opprime de l'histoire; seule une revolution (ecologique) pourra mettre fin a cette oppression.
19 Voir a ce sujet Acot, Pascal, Histoire de l'ecologie, Paris, PUF, 1988,Google ScholarGauchet, ainsi que Marcel, «Sous l'amour de la nature, la haine des hommes», Le Débat, no 60 (mai-aout 1990), p. 278–282CrossRefGoogle Scholar.