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L'akrasia chez Aristote ou l'échec de l'éducation morale
Published online by Cambridge University Press: 05 May 2010
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Pour le Maître du Lycée, si la vertu intellectuelle s'enseigne, c'est qu'elle est objet de science et qu'à ce titre elle «peut s'apprendre»': en effet, d'aprés lui, «toute science est susceptible d'être enseignée». Seulement, une telle prise de position implique l'existence de rapports etroits éntre l'aréte et l'épistémé. Or, les relations «vertu-science», longtemps avant Aristote, avaient déjà coincé plusieurs moralistes grecs. Les Anciens, effectivement, tenaient pour scandaleux l'échec de l'éducation chez les enfants issus de parents vertueux. Aussi, s'étaient-ils appliqués a découvrir l'explication d'un phénomène qui, à leurs yeux, traduisait l'une des données les plus complexes de la nature humaine et qui, par suite, mettait en jeu la sauvegarde et le progrés de celle-ci par le biais de l'éducation.
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- Dialogue: Canadian Philosophical Review / Revue canadienne de philosophie , Volume 15 , Issue 1 , March 1976 , pp. 62 - 74
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- Copyright © Canadian Philosophical Association 1976
References
1 E.N., VI, 3, 1139 b 25–26.
2 Loc. cit. et Méta., A, I, 981 b 7–10.
3 86 e.
4 345 d.
5 Mémorables, III, 9, 4.
6 Métamorphoses, VII, 20.
7 Romains. VII. 15.
8 Sur toute cette question, cf. Snell, B., «Das Frúhste Zeugnis über Sokrates», Philologus. XCVII (1948), pp. 125–134Google Scholar, passim.
9 Hippolyte. 379–380.
10 Protag., 352 c.
11 361 c.
12 I, 627 b.
13 Sur ces trois tentatives de solution, cf. Rép., V et VI, passim et aussi J. J. WALSH, Aristotle's Conception of Moral Weakness, ch. II, passim.
14 Ce faisant, Platon ne résout pas le probléme: il le supprime!
15 C'est lá, certes, une fausse solution: l'échec de l'éducation en fournit la preuve! De toute façon, sur le lien entre le thumos et la raison, cf. Rép., IV, 440 b et, sur le role de l'éducation (musicale surtout) en ce qui concerne l'association de l'opinion droite à la capacité colérique, cf. Ibid., III. 410 b — 412 a.
16 Suivant les Lois (IV, 710 a), il y a des tempéraments modérés de naissance.
17 Á cet égard, cf. Lois, II, 653 a — c et 655 e — 656 a.
18 II est révélateur ici de constater que Kratos désigne aussi comme nom propre le pouvoir personnifié, fils de Styx suivant Hésiode et Eschyle.
19 De fait, Aristote utilise abondamment le mot akrasia et les expressions connexes. On reléve au raoins 108 emplois de ce terme et de ses dérivés dans l'E.N., et le livre VII, 1–11, en use à lui seul 95 fois exactement. Cette remarque pourrait être dépourvue d'intérêt, n'êtait la mauvaise piste sur laquelle les traductions francaises peuvent nous lancer. En effet, Gauthier et Jolif de meme que Tricot et Voilquin emploient beaucoup plus de 108 fois des substan- tifs, des adjectifs ou des circonlocutions qui semblent impliquer que le texte grec porte akrasia, akrates ou akrateuomai, ce qui, souvent, n'est pas le cas: I'explication tient à ce que d'autres vocables employés par Aristote, akolasia et akolastos, sont frequemment traduits en français par les expressions qu'on emploie habituellement pour rendre le nom grec akrasia et ses dérivés. Or, attribuer ainsi à l'un et l'autre terme grec une même version française constitue un aveu de synonymie entre ces deux mots; ce qui n'est acceptable en aucune maniére, attendu que l'akolastos est tel par opposition au sôphrôn alors que l'akratés est tel par opposition à l'egkratés. Outre qu'étymologiquement les racines de ces deux mots grecs different du tout au tout (akolastos vient de a, préfixe privatif, et de kôlouô — amoindrir, diminuer — qui, à son tour, precéde de kôlouô — ecourte — lui-même dérivé de klaô — rompre, casser —), il faut admettre aussi une différence de sens entre les notions impliquées (comme le fait J. Tricot dans sa traduction de l'E.N., p. 328, note 1, mais qui n'en rend pas moins trop souvent akolastos par intempérant, appellation qu'il devrait réserver à l'akratés), l'akolastos faisant figure de déréglé par rapport au sage tandis que l'akratés fait figure de faible par rapport à l'homme qui a la force de se maitriser. Aussi, même si les comportements de ces deux types d'homme se révèlent trés voisins, il semble préférable de retenir la traduction proposée par Robinson, R. («L'acrasie selon Aristote», Revue Philosophique, CXLV (1955), pp. 261–280)Google Scholar selon laquelle l'akrasia devient en français l'acrasie et l'akratés, l'acratique. Enfin, les problémes émanant des rapports subtils entre l'akolasia et l'akrasia n'autorisent pas à conclure, ainsi que le fait Cook Wilson (On the Structure of the Seventh Book of the Nicomachean Ethics in Aristotelian Studies I, passim), que le trés important chapitre 3 du livre VII de l'E.N. ait été rédigé par une main étrangéré ou affuble de redites, voire de contradictions, par des éditeurs qui auraient mal fusionné les diverses versions que le Stagirite en aurait rédigées. Comme le fait observer J. J. Walsh (Op. cit., pp. 183–188), l'hypothése de Cook Wilson d'aprés laquelle la troisiéme rédaction de ce chapitre serait partiellement perdue — ce qui donnerait lieu à une certaine inconsistance de la part d'Aristote — ne suffit pas à établir qu'il y a diversité d'auteurs; pas plus que son second argument n'y parvient selon lequel certains passages de l'Éthique à Eudéme contrecarrent certains extraits de VE.N., ce qui serait le cas notamment au sujet du combat intérieur qu'impliquerait l'état d'acrasie d'aprés certains textes et que d'autres rejetteraient. Dés lors, avec raison, semble-t-il, J. J. Walsh juge que révolution de la pensée d'Aristote en regard de l'acrasie rend mieux compte que la pluralité possible des auteurs des obscurités qui subsistent dans les textes qui nous sont parvenus, sans oublier que le Stagirite peut fort bien être resté dans le domaine de l'aporie; à la suite de W. Jaeger (Aristotle. Fundamentals of the History of his Development), J. J. Walsh s'appuie visiblement ici sur une hypothése génétique d'autant plus forte qu'elle ne semble guére réfutable depuis les travaux concluants de F. Nuyens (L'évolution de la psychologie d'Aristote) dont la «thése évolutive*, bien qu'elle ait été l'objet d'une interprétation différente de la part de C. Lefevre (Sur l'évolution d'Aristote en psychologie), n'a jamais été remise en question en tant que telle. De toute facon, il semble qu'on puisse maintenir avec vraisemblance une settle date de rédaction compléte de l'E.N.; et ce, nonobstant le cas des livres communs à l'E.E. et à l'E.N., soit les livres IV, V et VI de la premiére et les livres V, VI et VII de la seconde. Les travaux de A. Mansion («La genese de I'oeuvre d'Aristote d'apres les travaux récents», Revue Néoscolastique de Philosophie, 29 (1927). pp. 307–341 et 423–466CrossRefGoogle Scholar, passim et, en particulier, p. 445. note 2) semblent en effet avoir etabli que, si les livres communs ont d'abord fait partie de l'E.E., Aristote les a lui-même remaniés avant de les inserer dans l'E.N. Partant, l'authenticité du texte étant sauvegardée et sa chronologie en ce qui a trait au passage litigieux du livre VII ne faisant pas difficulté, il est possible de dégager et d'interpréter avec sûreté la notion d'acrasie telle qu'Aristote nous la présente dans l'E.N. et de voir, par lá, son opinion sur le probléme de I'enseignement de la vertu.
20 I. 1 1095 a 9. Toutes les références subséquentes renvoyant à l'E. N., nous ne donnerons désormais — en réponse aux appels de note — que les indications chiffrées.
21 I, 13, passim.
22 I, 13, 1102 b 12–14 et 30–32.
23 Cette partie non rationelle demeure toutefois strictement humaine; car. en un certain sens, ainsi que le souligne l'E.N., elle participe au principe raisonnable (contrairement à la végétative qui, elle, n'est qu'irrationnelle). C'est pourquoi l'animal n'y à aucune part; Aristote est formel á cet égard. Á ce sujet, cf. I, 13, passim.
24 II, 4, 1111 b 13–14.
25 V, 11, 1136 b 8–9.
26 VI, 10, 1142 b 18 et circiter.
27 Nous n'analyserons ici que l'endoxon inspiré de Socrate (VII, 2. 1145 b 12–14) ainsi que l'examen diaporetique qui l'accompagne (VII, 3, 1145 b 21–1146 a 4 et Ibid., 1146 a 21–1146 a 31) et la solution qu'Aristote y apporte (VII, 5, 1146 b 24 — 1147 b 19). Tout en simplifiant considérablement notre étude, nous pourrons malgré tout saisir l'essentiel de la pensée d'Aristote, cet endoxon étant le plus important. L'examen des autres endoxa n'apporterait rien de neuf: on y trouverait au plus des confirmations de ce que nous avançons ici et des précisions non pertinentes au rapport « science-vertu ».
28 VII, 2, 1145 b 13–14.
29 VII, 3, 1145 b 27 et ss.
30 VII, 5, 1146 b 24–31.
31 VII, 3, 1145 b 3 6 — 1146 a 4.
32 VII, 4, 1146 b 8–9.
33 Deux cas peuvent se présenter ici: un individu peut avoir la science sans I'exercer hie et mine ou encore n'avoir que I'aptitude à la recevoir. Selon le cas, il s'agira de la ktiéis ou de la dynumis qui se distinguent. chacune a sa façon, de la chrésis.
34 VII. 5, 1146 b 31–35.
35 Ibid., 1146 b 35 — 1147 a 10.
36 VII, 5, I 147 a 24 — 1147 b 5.
37 VII. 5. 1147 b 13–17.
38 VII, 6. 1148 a 16–20 et VII. 9, 1150 b 3 5 — 1151 a 7.
39 VII. 8. 1150 b 19–28.
40 VI. 13. 1144 a II — 1144 b 32.
41 VII, 8, 1150 b 30–31.
42 VII, 9, 1150 b 30.
43 Non seulement, de fait, le Stagirite juge-t-il l'akolastos impénitent — ou métamélètikos (VII, 9, 1150 b 29) — mais il estime qu'il persévère — emmeinei (Ibid., 1150 b 30) — dans son état.