Hostname: page-component-586b7cd67f-2plfb Total loading time: 0 Render date: 2024-11-26T13:33:55.588Z Has data issue: false hasContentIssue false

La question des jugements analytiques et des jugements synthétiques chez Kant et chez Wittgenstein

Published online by Cambridge University Press:  13 April 2010

Extract

La confrontation Kant/Wittgenstein qui se dessine ici n'a pas pour objectif principal de présenter les doctrines des deux auteurs. Il s'agit plutôt de marier ces pensées qui ne le désirent pas, de profiter de la confrontation pour faire avancer le débat. Quel débat? Contrairement à I'ordre historique, il tire son origine de Wittgenstein: comment faut-il comprendre les prorèmes que soulève Wittgenstein, les interdits qu'il pose (bien que la grammaire n'«interdise» rien)? Certaines de ses affirmations ne peuvent tout simplement pas être des jugements analytiques, aurait dit Kant (en admettant que Wittgenstein n'aurait jamais prétendu énoncer autre chose que des jugements analytiques). Nombre de ses «remarques grammaticales» (et déjà les Erklärungen du Tractatus) ne sont évidemment pas des tautologies (puisqu'elles rendent nécessaire une réflexion), et la question se pose au moins de savoir comment elles sont possibles comme jugements analytiques.

Type
Articles
Copyright
Copyright © Canadian Philosophical Association 1992

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

Notes

1 Si je ne suis pas les régies culinaires, je ne fais rien de bon á manger; alors que si je ne suis pas telles ou telles régies de la grammaire, je suis d'autres régies. La grammaire ne saurait done «interdire» un énoncé, p. ex. «“rouge” ct “vert” peuvent se trouver ensemble au meme endroit», puisqu'il n'en tient qu'a nous de stipuler une nouvelle regie grammaticale (ce qui n'empeche pas cependant que si nous decidions de l'introduire, nous devrions egalement stipuler un usage) (Cf. Wittgenstein, L., Philosophische Grammatik [abréviation: PG], Oxford, Blackwell, 1969, partie I, §71)Google Scholar.

2 Cette question se pose á tout le moins du point de vue de Kant, qui affirmait dans une lettre á Johann Schuiβ du 25 novembre 1788 que si les mathématiques ne comportaient que des jugements analytiques, la definition qu'on donne de ceux-ci, a savoir qu'ils sont des jugements explicatifs, serait fausse, sans compter que nous nous retrouverions alors avec un probleme tres difficile a resoudre: «Comment l'extension de la connaissance au moyen de simples jugements analytiques est-elle possible?» (Cf Kant's Briefwechsel I, Gesammelte Schriften, Ak. X, p. 528, édition de l'Académie royale des sciences de Prusse [abreviation: Ak.]).

3 Quine, W. V. O., «Two Dogmas of Empiricisms» The Philosophical Review, vol. 60 (1951), p. 2043;CrossRefGoogle Scholar repris dans From a Logical Point of View, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1953Google Scholar; trad, franç, Jacob, dans Pierre, dir., De Vienne á Cambridge. L'heritage du positivisme logique de 1950 á nos jours, Paris, Gallimard, 1963, p. 2046Google Scholar

4 PG I, §35.

5 Les passages qui concernent Hume ne présentent rien de plus et rien de moins que l'in-terpretation kantienne de son devancier. Cette interpretation ne sera pas confrontee aux interpretations sans aucun doute tres differentes que pourraient proposer les interpretes de Hume. Elle servira uniquement d'illustration de ce qu'il ne faut pas faire selon Kant. L'interet de cette illustration sera de faciliter la comparaison avec Wittgenstein, dont les pensees sont vite plus complexes que celle du Hume de Kant, tout en ayant certaines «ressemblances de famille» avec elles.

6 Fromm, S., Wittgensteins Erkenntnisspiele contra Kants Erkenntnislehre, Fribourg Munich, Karl Alber GmbH, 1979Google Scholar.

7 La traduction retenue est en général celle Delamarre, de A. J. L. et Marty, F., dafis l'edtion des (Euvres philosophiques, parue sous la direction Alquié, de F., 3 vol., Paris, Gallimard, 19801986.Google Scholar Cette edition indique en marge la pagination de l'edition de l'Academie de Berlin; on donne egalement la pagination de la traduction Tremesaygues, de A. et Pacaud, B. (abréviation: CRP), lre éd., Paris, PUF, 1941Google Scholar; rééd. «Qua-drige», 1990.

8 Contrairement a ce qu'on pourrait attendre, Kant ne distingue pas deux sens de l'ex-pression «a priori” pour les jugements analytiques et les jugements synthétiques a priori. Ce qui est différent, c'est la maniére dont nous les justiflons: «On ne saurait toucher le sens de la différence entre jugements analytiques et synthétiques que si I'on considere, non pas la maniere. dont nous les formons factuellement et pouvons les re-faire notres a n'importe quel moment, mais ce vers quoi il nous faut a chaque fois re-venir pour effectuer l'enonciation comme enonciation fondee» (Cf. Heidegger, M., Interpretation phenomenologique de la Critique de la raison pure de Kant [19271928], trad. Martineau, E., Paris, Gallimard, 1982, §3, p. 64)Google Scholar.

9 Ak. III, p. 39; B 19; CRP, p. 43.

10 Hume, D., Enquête sur I'entendement humain, trad. Leroy, A., Paris, Aubier, Editions Montaigne, p. 8990.Google Scholar Dans le texte cité, Hume traite plutot de ce que Kant aurait appelé P«induction» que du principe de causalite. Par contre, la distinction entre propositions mathematiques (ou analytiques, si on suit la conception que Kant attribue a Hume), et propositions d'expérience (propositions synthétiques) est clairement marquee.

11 Ibid., p. 74: «L'esprit ne peut sans doute jamais trouver l'effet dans la cause supposee par l'analyse et l'examen les plus precis. Car l'effet est totalement different de la cause et, par suite, on ne peut jamais l'y decouvrir.»

12 Ak. Ill, p. 160–161; A 179–180 B 222; CRP, p. 176.

13 Ak III, p. 155; A 171 B 213; CRP, p. 171.

14 Ak. III, p. 102; A 89 B 122; CRP, p. 103 et Ak. III, p. 150; A 178 B 220; CRP, p. 175.

15 Ak. III, p. 173–174; A 199–200 B 244–245; CRP, p. 189.

16 Strawson, P. F. a longuement critiqué le «modéle des objets qui se conforment á nos modes de représentation» dans The Bounds of Sense: An Essay on Kant's Critique of Pure Reason, Londres, Methuen, 1966Google Scholar.

17 C'est ainsi que Heidegger la qualifie dans Qu'est-ce qu'une chose? (1962), trad. Reboul, J. et Taminiaux, J., Paris, Gallimard, 1971, p. 167Google Scholar.

18 Ak. HI, p. 114–115; B 14–141; CRP, p. 118–119.

19 Suivant H. Cohen, le debut de la section IV de I'introduction a la CRP ne presente que l a «definition arbitraire» des jugements analytiques et synthetiques, a laquelle on ne devrait rien reprocher (sauf les obscurites qu'elle peut contenir), puisqu'elle est «inatta-quable» (Cf. Kants Theorie der Erfahrung, 3e éd., Berlin, Diimmler, 1918, p. 501)Google Scholar.

20 Ak. VIII, p. 230; Reponse a Eberhard, trad. Kempf, R., Paris, Vrin, 1973, p. 82Google Scholar.

21 Ak. III, p. 99; A 84 B 116; CRP, p. 100.

22 Ak. III, p. 145; A 158 B 197; CRP, p. 162.

23 Cf. le §19 de la déduction transcendantale des catégories, ou le jugement «le corps est pesant» est présenté comme objectif et necessaire, apres que la proposition «tous les corps sont pesants» ait ete classee comme jugement synthetique a posteriori dans la section IV de l'introduction a la CRP.

24 Ak. III, p. 127; B 166; CRP, p. 144.

25 Strawson, P. F., Les individus (1959), trad. Shalom, A. et Drong, P., Paris, Editions du Seuil, 1973, p. 10Google Scholar.

27 Bennett, J., Kant's Analytic, Cambridge, Cambridge University Press, 1966, §34, p. 136:Google Scholar «Lorsque Kant parle d'“aperception”, il se refere a la saisie par la conscience de ses etats passes et presents qui requiert et que requiert la capacite d'utiliser des concepts […]».

28 Ak III, p. 267; B 407–408; CRP, p. 284–285.

29 Kant n'emploie pas le mot «experience» dans ce sens de l'expression courant depuis Hegel.

30 Le terme «jugement» est pris au sens de Kant, ou comme un synonyme occasionnel de «proposition» et non pas au sens pragmatique que Wittgenstein lui donne lorsqu'il lui accorde une réalité intersubjective.

31 Waismann, F., Wittgenstein und der Wiener Kreis. Notes Waismann, de F. publiées sous la direction McGuinness, de B. F., Oxford, Blackwell, 1967, p. 6768. Cf. supra, note 1Google Scholar.

32 PG II, §31. Pour cet exemple et d'autres, Cf. Bouveresse, J., La force de la regie. Wittgenstein et I'invention de la nécessité, Paris, Les Editions de Minuit, 1978, p. 81–85Google Scholar.

33 Wittgenstein, L., Bemerkungen fiber die Grundlagen der Mathematik, 2e éd. révisee, Oxford, Blackwell, 1978, p. 246Google Scholar.

34 I Bouveresse, La force de la régle, p. 85.

35 Tractatus logico-philosophicus (abréviation: T), Londres, Routledge & Kegan Paul, 1961Google Scholar; Tractatus logico-philosophicus suivi de Investigations philosophiques, trad. Klossowski, P., Gallimard, 1961, §6.1251Google Scholar.

36 Wittgenstein, L., Philosophische Untersuchungen (abreviation: PU), Oxford, Blackwell, 1967, §4851Google Scholar.

37 Cf. supra, note 2.

38 Wittgenstein, L., Carnets 1914–1918, trad. Granger, G. G., Paris, Gallimard, 1971, p. 113, 6.6.15Google Scholar.

39 Cf. PG I, §83: «Lorsque nous entendons la proposition “cette regie a une longueur” et sa negation “cette regie n'a pas de longueur” nous inclinons en toute partialite vers le premier dnonce; au lieu de declarer que les deux sont absurdes». Ce rapprochement de l a tautologie avec le non-sens n'est pas si inusite qu'il le parait, puisque Kant decrivait dans sa Logique la tautologie comme «virtuellement vide et sans consequence», et qu'il ne faisait qu'exprimer la une opinion courante sur la tautologie.

40 Cf. La critique wittgensteinienne de la conception des «objets» du Tractatus dans PUI, §48, ainsi que le Théétete Platon, de, trad. Chambry, E., Gamier-Flammarion, 1967, p. 156157: «[C]e qu'on peut appeler les premiers éléments dont nous sommes composés, ainsi que tout le reste, n'admettent pas d'explication rationnelle. Chaque élément pris en soi ne peut que se nommer, et Ton n'en peut Hen dire de plus, ni qu'il est ni qu'il n'est pas; car ce serait des lors lui attribuer I'existence ou la non existence; il ne faut Hen lui accoler, si Ton veut exprimer cet element seul. On ne doit pas raerae y join-dre ces mots: “le”, ni “cela”, ni “chacun”, ni “seul”, ni “ceci”, ni beaucoup d'au-tres mots semblables […] mais il faudrait, s'il etait possible d'exprimer l'element lui-meme et s'il admettait une explication qui lui appartint exclusivement, l'enoncer sans aucune autre chose. Mai s en fait aucun des elements premiers ne peut etre exprime par une definition: il ne peut qu'etre nomme; car il n'a pas autre chose qu'un nom»Google Scholar.

41 Ak. III, p. 174; A 200–201 B 246; CRP, p. 189.

42 PG I, §133.

43 Wittgenstein, L., Vermischle Bemerkungen, Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag, 1977, p. 27Google Scholar; Remarques mélées, trad. G. Granel (legerement modifie'e), Mauvezin, Trans-Europ-Repress, 1984, p. 20. Dan s ce passage, Wittgenstein exprime ce que ses commentateurs appellent couramment le «caractere indicible des relations seman-tiques». Mais on pourrait egalement dire que Wittgenstein acceptait la solution de Kant (qui consiste a mettre en.equation les conditions de possjbilite de. la representation et celles de l'objet de la representation), en l'appliquant aun autre probleme que celut de la Critique de la raison pure, á savoir celui de la relation logique du langage au monde, ce que les Carnets appellent «l'identite logique du signe et du signified et la lettre de Kant a Marcus Herz du 21 fevrier 1772, «la relation de ce que Ton nomme en nous representation, a l'objet» (Cf. Ak. X, p. 129 sq.; La Dissertation de 1770. Lettre a Marcus Herz, trad. Philonenko, A., Paris, Vrin, 1967, p. 132)Google Scholar.

44 Wittgenstein, L., Philosophische Bemerkungen, Oxford, Blackwell, 1964, §78Google Scholar.

45 Kant a déjá reconnu quant a lui que la proposition qui fait de l'unité synthétique de la conscience la condition de toute pensée est une proposition analytique (Cf. Ak. III, p. 112, B 138; CRP, p. 116).

46 Vermischte Bemerkungen, p. 76; Remarques mélées, p. 49.

47 Apel, K. O., «Von Kant zu Pierce: Die Semiotische Transformation der Transcenden-talen Logik», Heintel, dans P. et Nagl, L., Zur Kantforschung der Gegenwart, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1981, p. 410Google Scholar.

48 PU I, §656.

49 M. B. et Hintikka, J., Investigating Wittgenstein, Oxford, Blackwell, 1986, p. 199Google Scholar.

50 Descombes, V., «Wittgenstein intempestif», Critique, t. XLV, no 510 (1989), p. 732Google Scholar.

51 On se retrouve avec deux entrees du cote a posteriori chez Wittgenstein (les jugements synthetiques a posteriori et les jugements analytiques a posteriori), alors que chez Kant c'etait l'inverse (deux sortes de jugements a priori, les jugements analytiques et les jugements synthetiques a priori). Pour une caracterisation par Kant de la proposition quodlibet ens est unum, verum, bonum comme «analytique a posteriori», Cf. CRP, §12.

52 Cf. Nicolet, D., Lire Wittgenstein. Études pour une reconstruction fictive, Paris, Aubier, 1989, p. 124:Google Scholar «Sans doute, les conventions langagieres ont-elles ete etablies dans le temps et par les hommes — mais elles sont deposees dans la grammaire du langage, et elles sont pour nous intemporelles et a priori, car elles constituent notre rapport au monde: “Ce qui appartient a l'essence, je le depose parmi les paradigmes du lan-gage.”» Nicolet se refere aux Remarques sur les fondements des mathematiques de Wittgenstein, partie I, §32.

53 Une raison plus evidente encore a ses yeux etait que «notre langage est reste identique a ce qu'il etait et qu'il nous devoie toujours vers les memes questions» (Vermischte Be-merkungen, p. 36; Remarques mélées, p. 25).