«Once one starts to look for pragmatism in Hegel, one finds quite a lot to go on.»
Richard Rorty, «Dewey between Hegel and Darwin» (Reference Rorty1998)1. Le problème de départ : que veut dire «Hegel pragmatiste»?
La publication des œuvres majeures de Richard Rorty et de Robert Brandom dans les années 1980–1990 fut l'occasion de la naissance d'un champ de recherche qui n'a depuis cessé de gagner en ampleur et en complexité : l'interprétation (et la réactualisation) de la pensée hégélienne à l'aune de l'histoire de la philosophie anglo-américaine du XXe siècle (plus précisément de la fin du XIXe siècle jusqu'au début du XXIe siècleFootnote 1), en particulier à l'aune de la constitution, du développement et des transformations du mouvement pragmatiste, depuis les premières formulations de Charles Sanders Peirce, William James, John Dewey et George Herbert Mead jusqu'aux développements les plus récents qu'en ont proposés Richard Bernstein, Hilary Putnam, Richard Rorty, Joseph Margolis et Robert BrandomFootnote 2.
La question d'un «pragmatisme» de Hegel — désormais considérée, de façon assez surprenante, comme un lieu commun des débats contemporains (notamment dans le monde anglophone, mais aussi en Allemagne ou en Italie par exemple) — s'avère, de fait, particulièrement sujette à controverse, dans la mesure où elle enveloppe plusieurs questions elles-mêmes hautement disputées, qui n'ont pas toujours (loin s'en faut) fait l'objet d'un traitement suffisamment explicite, nuancé et approfondi.
Parmi ces questions préalables, citons (au risque de paraître trivial) celles qui s'imposent immédiatement à un esprit non prévenu : comment définir le pragmatisme? Est-il possible de dépasser l’éclatement manifeste des tendances apparentées à cette étiquette dont l'unité nominale peut s'avérer trompeuseFootnote 3 et quelles seraient les caractéristiques principales d'un éventuel noyau commun à ces tendances? Est-il possible de faire se recouper les engagements philosophiques des grandes figures du pragmatisme classique et contemporain sur des thèses ou des démarches admises ou promues par l'ensemble (ou à tout le moins une grande majorité) de ces figures? Mais aussi, si l'on se tourne vers l'autre terme de la relation : quelles sont les caractéristiques fondamentales de la pensée hégélienne? Que peut-on considérer comme des engagements philosophiques typiquement et spécifiquement «hégéliens»? Est-il possible d'opérer une reprise sélective de certains de ces engagements (au détriment d'autres engagements jugés secondaires, anachroniques ou indésirables) sans porter atteinte à la cohérence profonde (ou supposée telle) de l'hégélianismeFootnote 4? Et encore : pourquoi faire porter l'interrogation spécifiquement sur Hegel? En quoi la question d'un «pragmatisme» de Hegel (ou, inversement, d'un «hégélianisme» des pragmatistes) s'impose-t-elle avec une pertinence particulière? Pourquoi pas un «Kant pragmatiste», ou un Fichte, un Nietzsche, un Heidegger, voire un Leibniz ou un SpinozaFootnote 5?
Faute de clarifier de tels présupposés, il semble difficile de proposer une réponse claire et indiscutable à la question du «pragmatisme» de Hegel, qui échappe à l'imprécision, à la partialité et à l'arbitraire des prémisses herméneutiques assumées par tel ou tel commentateur, et plus largement aux effets de mode intellectuelle qui conduisent régulièrement à repeindre les vieux modèles de la tradition philosophique aux couleurs clinquantes dictées par le goût du jour. Hegel lui-même a pu être successivement interprété (liste non exhaustive) comme un anticipateur (contrarié) de l'existentialismeFootnote 6, comme un précurseur (contrarié) du marxismeFootnote 7, comme le promoteur d'une «raison élargie» dans laquelle devrait s'ancrer la phénoménologie contemporaine pour accomplir toutes ses promessesFootnote 8, comme un glorieux ancêtre de la critique communautarienne du libéralismeFootnote 9 ou comme l'instaurateur précoce d'une philosophie politique normative de la reconnaissance intersubjectiveFootnote 10. La question est de savoir ce que pourrait apporter, par rapport à l'ensemble de ces interprétations, une lecture de Hegel en grand ancêtre du pragmatisme (ou du pragmatisme en rejeton tardif de l'hégélianisme). Pour y voir plus clair, on envisagera dans les pages qui suivent deux stratégies différentes visant à opérer sinon une identification, du moins un rapprochement entre les deux pôles du rapport «Hegel/Pragmatisme».
2. Une première stratégie : le repérage de thèmes «pragmatistes» dans l’œuvre de Hegel
La difficulté d’établir une interprétation et une évaluation de la pensée de Hegel qui soit commune aux principaux représentants du pragmatisme peut conduire à envisager une première stratégie, qui consiste à repérer des caractéristiques (supposément) centrales de la pensée hégélienne pour en faire émerger des thèmes (prétendument) «pragmatistes». Nous prendrons pour exemple d'une telle stratégie un article d'Antje Gimmler intitulé «Pragmatic Aspects of Hegel's Thought»Footnote 11, article qui a le mérite d'illustrer (volontairement mais aussi involontairement) un certain nombre de problèmes liés à une telle stratégie.
Constatant le net retour en grâce du maître de Berlin chez les tenants du «néopragmatismeFootnote 12», Gimmler s'interroge avec raison sur les présupposés d'un tel phénomène : «Qu'est-ce qui est pragmatique chez Hegel? Hegel est-il un penseur authentiquement pragmatiste?» (Reference Hegel and Bourgeois2004, p. 48) Pour répondre à ces questions, l'auteur, concédant qu’«il n'existe aucune détermination précise, communément partagée, de ce qui peut être compris comme “pragmatisme”», procède d'abord (1) à une «typologie du pragmatisme afin de clarifier la signification des termes “pragmatique” et “pragmatisme” tels qu'ils sont utilisés dans les débats actuels», puis (2) «discute deux interprétations néopragmatistes de Hegel» (celles de Richard Rorty et Robert Brandom), avant de (3) faire porter l'accent sur des «éléments de l'antireprésentationalisme pragmatique de Hegel eu égard à sa critique de l’épistémologie», en particulier sur l'usage d'un «concept d'expérience» dégagé des dogmes de l'empirisme, propre à favoriser une interprétation pragmatiste de l'auteur de la Phénoménologie de l'esprit (ibid., p. 48) qui permette, par contrecoup, de se libérer des «restrictions néopragmatistes» en mettant l'accent non seulement sur la dimension langagière de l'action, mais aussi sur sa dimension «poïétique» (ibid., p. 49). Passons en revue ces trois moments de l'argumentation avant d'en dresser un bilan critique.
(1) Quelles caractéristiques du pragmatisme retenir si l'on veut s'enquérir de l'existence de thèmes «pragmatistes» dans la pensée de Hegel? Gimmler insiste en premier lieu (en concédant volontiers le caractère trop vague d'un tel critère) sur le primat explicatif de la pratique sur la théorie, du «knowing how» sur le «knowing that»Footnote 13, primat qui implique selon elle diverses formes d’antireprésentationalisme Footnote 14 (c'est-à-dire de rejet de la thèse de l'existence d'une réalité indépendante de l'esprit humain que celui-ci devrait s'efforcer de représenter adéquatement par ses idées ou «représentations»), notamment l'opposition au «représentationalisme plutôt mental et épistémologique» (Gimmler, Reference Gimmler, Egginton and Sandbothe2004, p. 49) du rationalisme (Descartes) et de l'empirisme (Locke) modernes, ainsi que l'opposition au représentationalisme inhérent au «constructivisme kantien», sans oublier leurs corrélats parasitaires, le scepticisme moderne et le relativisme (ibid., p. 50)Footnote 15. Face au «théoricisme» dominant de la tradition représentationaliste, le pragmatisme, à l'instar de Dewey, remettrait en question le «primat de la théorie sur la pratique», saperait les bases de la «spectator's theory of knowledge» pour échafauder une «théorie de l'expérience et de la connaissance qui englobe la cognition et l'action» (ibid., p. 51). Le concept de «pratique» ici à l’œuvre peut être entendu soit, comme chez Dewey, en un sens «instrumental» (dans un tel cas, le langage sera un outil pratique parmi d'autres, fût-il «the tool of tools»), soit, comme chez Brandom ou Habermas, en un sens «normatif» (dans cet autre cas, la pratique instrumentale dérive au contraire de la pratique langagière intersubjective et des normes qu'elle mobilise et rend explicites)Footnote 16. Quant à la «théorie», elle peut consister soit dans une «reconstruction de la pratique» (Brandom) jouant un rôle «fondamental» par rapport à celle-ci, soit dans une activité conditionnée et fonctionnelle soumise aux mêmes réquisits pratiques que les autres activités, tout en étant capable d'opérer un retour réflexif sur ses propres conditions et fonctionnalités (Dewey).
(2) Nous ne présenterons pas ici en détail la discussion, par Gimmler, des interprétations de Rorty et Brandom. Contentons-nous de souligner les critiques qu'elle leur adresse. D'un côté, Rorty, qui insiste de manière unilatérale (en jetant par-dessus bord la théorie de l'esprit absolu) sur la «détranscendantalisation de la raison» opérée par Hegel moyennant un double geste (typiquement kuhnien) d'historicisation et de contextualisation de celle-ci (Gimmler, Reference Gimmler, Egginton and Sandbothe2004, p. 54)Footnote 17, néglige volontairement la théorie de la connaissance de Hegel, en particulier sa théorie de l'expérience, en raison de sa défiance à l’égard des relents métaphysiques du concept deweyen d'expérienceFootnote 18. De l'autre, Brandom, qui se montre davantage soucieux de reconstruire un lien étroit entre l'idéalisme hégélien et sa propre version (rationaliste, linguistique et normative) du pragmatisme, commet l'erreur de réduire le concept hégélien de pratique à celui de pratique linguistique de reconnaissance intersubjective : ainsi se trouve passée sous silence l'existence d'un «concept plus large de pratique, qui inclut l'intersubjectivité et l'action poïétique», la reconnaissance et «l'appropriation, c'est-à-dire l'extériorisation, l'objectivation ou la transformation» (ibid., p. 56), non seulement la relation interpersonnelle, mais aussi la relation du sujet à un monde objectif. Une telle sous-estimation du concept hégélien d'expérience, selon Gimmler, outre qu'elle amputerait la pensée hégélienne de l'une de ses dimensions essentielles, nous ferait manquer le trait le plus typiquement «pragmatiste» de Hegel.
(3) Dans un dernier moment, il est donc nécessaire de proposer une présentation plus complète d'un tel concept d'expérience afin de mettre en évidence le «pragmatisme» profond qui sous-tend son élaboration. En s'appuyant sur l'introduction à la Phénoménologie de l'esprit — qui constitue un morceau de choix pour les interprètes pragmatistes de Hegel — Gimmler décèle une critique de la théorie moderne de la connaissance entendue comme la tentative d’évaluer les conditions de possibilité de la connaissance antérieurement à toute connaissance effective, notamment de l'assimilation de la connaissance à un «instrument intervenant entre “nous” et “l'objet”» et de la croyance en la «possibilité d'examiner l'outil indépendamment de son usage» (Reference Hegel and Bourgeois2004, p. 58). Au contraire, pour Hegel, «la connaissance devient une partie d'un concept global d'expérience» ou «d'un processus d'expérience dans lequel objet et concept représentent les produits changeants et extériorisés d'une interaction» (ibid.). Plutôt que de se tenir en amont de l'expérience, «l'opération cognitive s'intègre à l'objet; la connaissance d'un objet est obtenue par un processus; il s'agit d'une connaissance en constante autocorrection et expansion». En outre, «si la pensée est conceptualisée comme interagissant avec son environnement, si ses concepts ne sont formés que par cette interaction, et si son activité produit une appropriation et une transformation, alors son objectif n'est pas contemplatif mais pratique» (ibid., p. 59).
Une telle conception générale de l'expérience, qui n'est pas sans affinités avec celles de James et (surtout) de Dewey, trouve, selon l'auteur, à s'illustrer de manière emblématique dans la section de la Phénoménologie de l'esprit consacrée à la dialectique de la maîtrise et de la servitude, dont Brandom aurait négligé le versant qui concerne la critique de la théorie classique de la connaissance (au profit du seul thème de la reconnaissance intersubjectiveFootnote 19). Au-delà du thème de la lutte pour la reconnaissance, l'intérêt de cette section consisterait à articuler une «pratique de l'intersubjectivité» à une «pratique poïétique» (celle du travail de la chose par le serviteur) pour rendre compte de la «certitude de soi» de la subjectivité : le moment d’«extériorisation et d'objectivation concrètes», incarné par le travail du serviteur, constitue une alternative à la «relation contemplative à la chose» qu'assume le maître (Gimmler, Reference Gimmler, Egginton and Sandbothe2004, p. 61). Ainsi s'amorcerait «une théorie de la conscience de soi authentiquement pragmatique» rompant avec le modèle contemplatif du représentationalisme moderne : l'articulation de la reconnaissance intersubjective et de la relation objectivante de transformation de la chose extérieure permettrait de conquérir un concept non mentaliste de conscience de soi, défini selon le double axe de ces deux types d'activités complémentaires que sont le langage et le travailFootnote 20. Pour peu que l'on minore l'importance de l'esprit absolu (qui constitue de ce point de vue une retombée inconséquente dans le modèle contemplatif de la connaissance)Footnote 21, il devient loisible de soutenir qu’«une théorie pragmatique de l'expérience, de la connexion entre connaissance et action, peut être élaborée à partir de la reconstruction — rendue possible par le tournant antireprésentationaliste de Hegel — de nos prétentions à la connaissance dans des contextes concrets de pratique humaine» (ibid., p. 62). Le «pragmatisme» de Hegel devient tangible, une fois que l'on a placé sa critique de la théorie classique de la connaissance au cœur de sa propre démarche philosophique.
L'interprétation du concept hégélien d'expérience qui est ici proposée constitue assurément un moyen fécond de favoriser un rapprochement entre l'auteur de la Phénoménologie de l'esprit et certaines figures majeures du pragmatisme (principalement celles qui s'inscrivent dans le sillage instrumentaliste de Dewey). On peut néanmoins soulever plusieurs problèmes qui rendent périlleuse une telle tentative de penser le «pragmatisme» de Hegel à partir de la conception de l'expérience présentée dans son premier grand ouvrage : (1) la focalisation sur la seule Phénoménologie de l'esprit au détriment du reste de l’œuvre de Hegel, (2) la focalisation, au sein de cette œuvre, sur la seule dialectique du maître et du serviteur au détriment des autres «configurations de la conscience», (3) l'attribution à Hegel d'une position antireprésentationaliste, (4) la restriction du «pragmatisme» à certains de ses représentants (James, Dewey) au détriment des autres. Évoquons-les brièvement afin de mettre en évidence les failles d'une telle stratégie interprétative.
(1) En choisissant d'interpréter la pensée hégélienne au seul prisme de la Phénoménologie de l'esprit, Antje Gimmler, à l'instar d'autres pragmatistes contemporainsFootnote 22, mais aussi d'un vaste pan de la réception francophone de HegelFootnote 23, propose une reconstruction extrêmement partielle et biaisée de celle-ci, en particulier de la conception de l'expérience et de la connaissance qui s'y trouve exposée. La conception de l'expérience que Hegel propose dans la Phénoménologie de l'esprit est encore très spécifique et ne saurait valoir pour sa conception achevée : elle a essentiellement un rôle négatif (justifier le renoncement de la conscience à ses repères épistémiques ordinaires et son élévation progressive au-dessus de son propre point de vue, jusqu’à celui du «savoir absolu») et n'opère qu'au niveau («phénoménologique») de la conscience, non au niveau («psychologique») de l'esprit en tant que tel. Il s'agit en outre ici d'une expérience fort peu «empirique», délestée de sa contingence et de sa particularité, stylisée et logicisée de manière à épouser les contours (nécessaires et universels) du mouvement dialectique de la conscience vers le savoir absolu : on est donc loin de la contextualisation empirique de la connaissance philosophique qu'un Dewey, par exemple, a pu proposerFootnote 24.
En outre, la critique de la théorie de la connaissance (qui est suggérée en quelques pages dans l'introduction de l'ouvrage, plutôt qu’élaborée en détail) correspond elle aussi à un objectif spécifique de méthode, non à une thèse de portée générale : il s'agit de justifier la stratégie méthodologique de la Phénoménologie de l'esprit (présenter l’émergence des normes de la connaissance à même l'expérience dialectique de la conscience) en référence à certaines thèses spécifiques (principalement celles de Kant et de Reinhold), certainement pas de statuer sur l'ensemble de la théorie de la connaissance telle qu'elle a pu être présentée dans la tradition philosophique. La critique de la connaissance comme simple «instrument» ou «médium»Footnote 25 censé permettre à un sujet de combler le fossé qui le sépare de l'objet n'est qu'un aspect, très limité, de la manière dont Hegel conçoit la connaissance (ordinaire, scientifique, philosophique) dans le système de la maturité et dont il critique corrélativement les conceptions kantienne et postkantienne de la connaissance.
(2) Ce biais de lecture s'avère d'autant plus problématique que l'auteure l'aiguise encore en accordant une place privilégiée à une section isolée de l'ouvrage, la fameuse «dialectique du maître et du serviteur». Ainsi que je l'ai précisé ailleursFootnote 26, une telle stratégie de lecture comporte de multiples écueils. Elle implique d'une part de séparer arbitrairement une partie du Tout, contredisant l'intention explicitement systématique de Hegel; elle revient en outre à absolutiser la portée relative de ce qui n'est qu'une section subalterne de l’œuvre, en négligeant les enjeux plus généraux de cette section, une fois celle-ci replacée dans son contexte; elle conduit enfin à accorder une signification positive (la libération du serviteur par le travail) à une dialectique qui a une issue essentiellement négative et marque une forme d’échec (provisoire) de la conscience de soi à obtenir un savoir adéquat d'elle-mêmeFootnote 27. Last but not least, la mise en exergue du rôle du travail dans le rapport du serviteur au maître laisse entendre qu'il s'agirait ici d'une valorisation de la pratique (ou de la dimension «poïétique» de l'expérience) par rapport à la théorie (ou à l’«activité contemplative»), alors même que toutes les expériences de la conscience ne sont appréhendées dans cet ouvrage que sous l'angle — certes non exclusif — d'un accès au savoir. Le travail du serviteur (envisagé dans le cadre d'une «parabole» conceptuelle détachée de tout contexte socio-historique) n'intéresse ici Hegel que parce qu'il est un vecteur non pas de liberté, mais de vérité : il s'agit pour le serviteur d'accéder à la certitude de ce qu'il est, à la conscience de la structure véritable de la conscience de soi, non à une quelconque émancipation à l’égard de la nature ou de la domination sociale (quoi qu'ait pu en dire Kojève). Nous sommes donc ici très éloignés de la thèse «pragmatiste» d'un bouleversement de la hiérarchie de la théorie et de la pratique : la théorie, même sous l'aspect plus dynamique de sa tournure dialectique, préserve plus que jamais ses droits supérieurs, au point d'incorporer dans son royaume ce qui passe communément pour des expériences «pratiques» (le travail, le droit, la morale, l’éthicité, l'art…).
(3) L'attribution d'une position antireprésentationaliste à Hegel s'explique par la double focalisation qui vient d’être évoquée (et critiquée). S'il est notoire que Hegel mène une critique des philosophies qui absolutisent le «royaume de la représentation», une telle critique ne se veut nullement anti-représentationaliste, mais vise à marquer la supériorité du discours rationnel sur celui d'un entendement dont il présuppose constamment le travail fécond et indispensableFootnote 28. L'activité rationnelle opère la décantation conceptuelle des représentations, leur dé-métaphorisationFootnote 29, mais n'implique nullement une sortie radicale hors du «représentationalisme» : il s'agit bien plutôt de purifier les représentations de leurs scories sensibles, de les libérer de leur ancrage dans la subjectivité immédiate de l'esprit individuel et de fluidifier les oppositions figées que de telles scories génèrent dans la pensée d'entendement. S'il convient d'opérer une critique de la séparation abstraite du sujet et de l'objet, ainsi que d'une entente trop platement empiriste de la théorie correspondantiste de la vérité, ce n'est nullement pour renoncer à la dualité sujet-objet, ni à celle de correspondance, mais pour repenser celles-ci dans le cadre spéculatif d'une philosophie de l'esprit et du conceptFootnote 30. On ne saurait donc assimiler l’Aufhebung hégélienne de la Vorstellung à une remise en cause de la «spectator theory of knowledge» : pour le meilleur et pour le pire, l'idéalisme hégélien demeure une spéculation (qui certes n'est pas une «théorie» ordinaire), non un éloge de la pratique au détriment de la théorieFootnote 31. Parler à son sujet d'antireprésentationalisme reviendrait à durcir en une discontinuité et en une opposition ce qui relève selon lui d'une élaboration dialectique continueFootnote 32 : cela reviendrait à appliquer à un tel idéalisme une opposition d'entendement («ou bien — ou bien») dont il est le premier à remettre en cause la pertinence.
(4) Le rapprochement de Hegel et du pragmatisme suppose ici non seulement une sélectivité discutable des thèses et des textes hégéliens, mais aussi, symétriquement, une sélectivité tout aussi discutable des thèses représentatives du pragmatisme. Gimmler s'appuie ici essentiellement sur des thèmes qui proviennent des positions instrumentalistes de Dewey (relues avec des lunettes rortyennes pour en faire un «antireprésentationalisme») et assume ainsi d'emblée de ne considérer qu'une portion très congrue de l'ensemble du mouvement pragmatisteFootnote 33. Cette double sélectivité, qui pourrait en soi avoir sa légitimité dans le cadre d'un dispositif méthodologique apte à en motiver l'adoption, devient un écueil dans le cadre d'un discours prétendant statuer de manière générale sur le «pragmatisme» de la «pensée hégélienne» : on perd alors sur tous les tableaux, puisque l'on s'interdit à la fois une perspective vraiment générale sur l'ensemble du pragmatisme et l'ensemble de la pensée de Hegel, et une perspective plus spécifique qui reviendrait à s'intéresser aux lectures effectives de cette pensée par tel ou tel grand représentant du pragmatisme. Ce n'est qu'en procédant à une double réduction, de l'idéalisme hégélien à une théorie «antireprésentationaliste» de la connaissance et du pragmatisme à une perspective instrumentaliste sur le rapport de la théorie à la pratique, qu'un recoupement des deux trajectoires devient vaguement plausible : si «Hegel» n'est plus vraiment Hegel, pas plus que le «pragmatisme» n'est vraiment le pragmatisme, les présupposés de départ finissent par miner le projet d'ensemble et le vider de sa substance. Il est donc nécessaire d'envisager une autre stratégie pour établir un rapport entre Hegel et le pragmatisme, qui soit compatible avec une interprétation moins sélective et moins partiale des deux termes du rapport.
3. Une deuxième stratégie : la recherche d'un critère unique d'identification d'une perspective commune au pragmatisme et à Hegel
Une manière d’échapper aux écueils de la première stratégie de rapprochement de Hegel et du pragmatisme consisterait à adopter une position plus englobante et à se demander, comme le fait Robert Stern, «s'il existe une perspective philosophique partagée par Hegel et les pragmatistes, ou si, sur un point crucial, ces positions sont vouées à se séparer»Footnote 34. Selon Stern, c'est sur le plan «épistémologique» qu'une telle question doit être posée en priorité, dans la mesure où c'est là «que se trouve le cœur de la perspective pragmatiste» (Stern, Reference Stern2009, p. 210)Footnote 35. La première étape suppose donc (1) de déterminer ce que pourrait être une telle perspective (épistémologique) commune aux grands représentants du pragmatisme, après quoi la seconde étape consistera (2) à examiner la pensée hégélienne pour voir dans quelle mesure elle peut s'inscrire dans une telle perspective. Examinons successivement ces deux points.
(1) Une fois reconnue l'impossibilité «de réduire la perspective du pragmatisme à une simple formule», telle que la fameuse «maxime pragmatiste»Footnote 36 de Peirce ou ses variantes chez James, la recherche de Stern s'oriente vers un «réseau de croyances pragmatistes» afin d'en repérer le «centre», qu'il croit pouvoir identifier à une «épistémologie anticartésienne, dont on peut considérer que c'est à partir d'elle que le reste de la perspective pragmatiste se développe» (Stern, Reference Stern2009, p. 210–211). Cette fois-ci, c'est non pas Dewey, mais Peirce, le père fondateur du pragmatisme, qui constitue le point de départ privilégié : on trouve en effet dans ses premiers grands articles des années 1860–1870 — notamment «Quelques conséquences de quatre incapacités»Footnote 37 — une critique dévastatrice des grands piliers de la conception cartésienne de la connaissance que sont le recours préalable au doute méthodique et le rôle fondationnel dévolu à l'intuition. La première cible d'une telle critique est la «méthode cartésienne [qui] suppose que le fait que nous ne possédions pas une raison forte de croire à une proposition nous fournit une raison d'en douter»Footnote 38 et qui généralise un tel présupposé sous la forme du doute méthodique. À l'idée d'un doute radical, hyperbolique et universel, Peirce oppose les réserves suivantes :
Nous ne saurions commencer par le doute complet. Il nous faut commencer avec tous les préjugés qui sont effectivement les nôtres quand nous abordons l’étude de la philosophie. Ces préjugés ne sauraient être dissipés par une maxime, car ce sont des choses dont il ne nous viendrait pas à l'esprit qu'elles puissent être mises en question. Ce scepticisme initial ne sera donc que duperie de soi, et non un doute réel; et aucun de ceux qui suivent la méthode cartésienne ne sera jamais satisfait qu'il n'ait auparavant recouvré toutes ces croyances qu'il a abandonnées pour la forme. C'est donc un préliminaire aussi inutile que d'aller au pôle Nord pour se rendre à Constantinople en descendant régulièrement le long d'un méridien. On peut, il est vrai, trouver au cours de ses recherches des raisons de douter de ce que l'on avait commencé par croire : mais en ce cas on doute parce qu'on a une raison positive de le faire, et non en tenant compte de la maxime cartésienne. Ne feignons pas de douter en philosophie de ce dont nous ne doutons pas en nos cœursFootnote 39.
Cette critique du doute méthodique (par opposition à un «doute réel», motivé par des «raisons positives») s'articule à une critique de l’intuitionnisme cartésien, qui sous-tend le privilège accordé au critère de la clarté et de la distinction des idées : un tel critère s'avère «insidieusement individualiste et immédiat» (Stern, Reference Stern2009, p. 212), car il enferme le penseur dans le quant-à-soi de ses propres convictions (subjectivisme) au lieu d’élargir l'examen d'une idée à «la communauté des enquêteurs»Footnote 40 (intersubjectivité). Ce rejet de l'intuitivité du critère de clarté et de distinctionFootnote 41 se prolonge dans la critique du fondationalisme cartésien — l'idée d'un unique ordre des raisons fondé sur des premiers principes indubitables — qui, tout en reposant sur l'intuitionnisme déjà critiqué, se trouve en porte-à-faux avec la méthode effective — caractérisée par une approche plus faillibiliste et englobante — des «sciences qui ont connu des succès» : «ses raisonnements [de la philosophie] ne devraient pas prendre la forme d'une chaîne, laquelle ne sera jamais plus forte que son maillon le plus faible, mais d'un câble dont les fibres peuvent être extrêmement fines, pourvu qu'elles soient suffisamment nombreuses et tissées serré»Footnote 42. Un tel fondationalisme revient en outre à faire reposer l’édifice de la connaissance sur «un terme ultime absolument inexplicable et inanalysable»Footnote 43 qui contredit l'impératif de «médiation» de son ordre des raisons. Peirce oppose ainsi à l’épistémologie cartésienne une conception concrète (on doute quand on a des raisons effectives de douter), discursive (l'intuition, pas plus que le sentiment ou la conviction, n'est un argument), collective (l'autorité épistémique vient de la communauté des chercheurs, pas de la conviction subjective d'un esprit solitaire), faillibiliste («Je n'admettrai pas […] que nous connaissions quoi que ce soit avec une certitude absolue» [Peirce, 1931–1958, 7.108]) et antifondationaliste (il n'existe pas de principes premiers soustraits à l'examen, qu'ils soient connaissables ou inconnaissables) de la connaissance.
Selon Robert Stern, cette critique de la conception cartésienne de la connaissance constitue un socle commun à l'ensemble du pragmatisme, quoi qu'il en soit des différenciations et bifurcations qui ont scandé son développement ultérieur. En premier lieu, le rejet du doute méthodique au profit du «doute réel» conduit à une «image neurathienne de la connaissance»Footnote 44 (Stern, Reference Stern2009, p. 213) d'après laquelle le fait que toute croyance soit susceptible d’être remise en cause (faillibilisme) n'implique aucunement la nécessité de remettre toutes nos croyances en cause d'un seul coup, avant même d'avoir «quitté le port» (doute méthodique) : nous sommes voués à réparer notre bateau en pleine mer, planche par planche, dans un effort critique motivé par des obstacles réels, collectivement validé et conçu comme une tâche indéfinie. Comme on a pu le faire remarquer, une telle image «peut être considérée comme la conception qui se trouve au cœur des pensées de Peirce, James et Dewey»Footnote 45 : il est également possible de retrouver cette idée chez certains «néopragmatistes»Footnote 46.
La conception peircienne du «doute réel» se trouve aussi à la base d'une sensibilité typiquement pragmatiste à l'ancrage des pratiques de connaissance dans la vie concrète des individus et des groupes humains : l'incertitude est d'abord une question pratique, celle qui régit ce que Dewey nommera les «situations problématiques» en lesquelles s'amorcent les procédures d'enquête et de résolution des problèmes. Contrairement au doute cartésien, le pragmatisme souligne l'impact des questions théoriques sur les conduites concrètes et sur la vie des individus — eux-mêmes appréhendés dans leur environnement naturel et social — aux prises avec des situations d'incertitudeFootnote 47.
Dans la continuité de Peirce, les représentants du pragmatisme soulignent en outre la nécessité de s'intéresser à la pratique effective des sciences de la nature et au rôle précis qu'y joue le doute dans le cadre intersubjectif et social des communautés de chercheurs. Face au scepticisme solitaire, artificiel et abstrait de l'auteur des Méditations métaphysiques, il s'agit de promouvoir un faillibilisme collectif, ancré dans les pratiques réelles de la recherche théorique et motivé par les obstacles réels que celles-ci rencontrent. Cela vaut aussi, et d'abord, de la métaphysique, qui doit elle-même prendre ses distances vis-à-vis de «l'esprit de théologie» et adopter une démarche résolument expérimentale et faillibiliste analogue à celle des sciences de la nature (selon Peirce)Footnote 48, quand elle ne doit pas être abandonnée purement et simplement, et avec elle l'ambition anachronique d'une prima philosophia surplombant les autres secteurs de la culture (selon Dewey et Rorty)Footnote 49. Il s'agit alors d'opérer une désolidarisation de l'entreprise du doute cartésien d'avec son arrière-plan métaphysique : coupé de son objectif théorique initial (la quête d'une certitude absolue et définitive, séparée des contextes effectifs d'enquête), le doute peut être rendu aux pratiques contextuelles et évolutives de la recherche (et à sa quête de certitudes relatives et provisoires).
En dépit de la variété des manières d'en exploiter les potentialités, les grands gestes «anticartésiens» de Peirce paraissent constituer un noyau commun à l'ensemble de la tradition pragmatiste. Il semble donc envisageable de se servir d'une telle «épistémologie anticartésienne» comme critère de base permettant d'assimiler une philosophie au pragmatisme : à cet égard, il paraît opportun de s'interroger sur le «pragmatisme» de Hegel, ce qui suppose désormais de se demander si sa propre conception de la connaissance peut être considérée comme «anticartésienne», selon des modalités sinon identiques, du moins analogues à celles que proposait Peirce dans ses premiers grands textes sur la nature de la connaissance. En deçà des ressemblances partielles avec tel ou tel penseur pragmatiste qu'il est possible de repérer (le réalisme conceptuel, qu'il partage pour partie avec Peirce, la critique des dualismes abstraits, que l'on retrouve chez Dewey, l'historicisation des formes de la culture, abondamment thématisée par Rorty), en deçà aussi des divergences de vues parfois considérables qui se sont faites jour dans l'histoire du pragmatismeFootnote 50, il serait possible de disposer d'un point de recoupement plus large, d'un engagement théorique fondamental et commun, qui concerne l’ensemble des représentants du pragmatisme classique et contemporain. Il deviendrait alors secondaire de s'interroger sur les nombreux thèmes (à commencer par celui de «l'esprit absolu») qui paraissent de nature à exclure d'emblée l'auteur de la Phénoménologie de l'esprit d'une telle tradition : la remontée vers un critère commun de définition du pragmatisme laisse entrevoir la possibilité d'une caractérisation primaire de Hegel comme étant (ou n’étant pas) pragmatiste.
(2) Une étape décisive de l'argumentation de Stern consiste dès lors à s'interroger sur la pertinence des interprétations de l'idéalisme hégélien qui reconduisent celui-ci à une forme de stratégie philosophique «cartésienne» (une telle manière de lire Hegel étant incarnée selon l'auteur, à tort ou à raison, par les commentaires de Stephen HoulgateFootnote 51) et semble à ce titre invalider par avance une telle stratégie de rapprochement entre Hegel et le pragmatisme. Cette lecture «cartésianisante» de Hegel suppose de mettre en exergue les passages où celui-ci exige une «complète absence de présupposition» de la science philosophique au moment où celle-ci s'instaure en son commencement :
Tous les […] présupposés ou préjugés sont à abandonner quand on entre dans la science, qu'ils soient empruntés à la représentation ou à la pensée; car c'est dans la science seulement que sont examinées toutes les déterminations de ce genre et que doit être reconnu ce qui est en elles et dans leurs oppositions. […] La science devrait être précédée par le doute à l’égard de tout, c'est-à-dire par l'entière absence de présupposition en toutFootnote 52.
Un passage de ce genre laisserait entendre, du point de vue de Stephen Houlgate, que Hegel reprend (sous une forme différente et avec des objectifs différentsFootnote 53) l'exigence cartésienne de libérer la science rationnelle de tout présupposé par la remise en cause de tout ce que celle-ci pourrait considérer comme acquis. La mise à l’écart de tout présupposé doit dégager le terrain pour la présentation de l’être pur, qui lance l'examen dialectique des catégories dans la Science de la logique. Aucun contenu déterminé ne saurait ici interférer avec la thématisation minimale de l’être, pas plus qu'une quelconque méthode préétablie et arbitrairement imposée de l'extérieur au «contenu» logique : il s'agit de se donner l’être pur, de «regarder faire [look on]» et de «voir ce qui se passe [see what happens]» (Stern, Reference Stern2009, p. 217)Footnote 54. Dans une telle perspective, le projet hégélien est interprété comme «complétant [le] projet kantien d'une autocritique radicale, que Kant lui-même a échoué à accomplir dans la mesure où il tenait trop de choses pour acquises concernant la nature de la pensée et des catégories» (ibid., p. 217), et indirectement comme complétant le projet cartésien d'une «libération de la conscience humaine» (ibid.) dont le criticisme kantien constituait déjà un premier prolongement. Hegel accomplirait ainsi le projet de la modernité, celui de l’élaboration «d'une pensée autocritique» en vue de fonder la connaissance scientifique, mais aussi «la liberté et la dignité humaines» (ibid., p. 218) : en poussant un tel projet jusqu’à ses plus extrêmes limites, il apparaîtrait donc comme la «quintessence du philosophe moderne»Footnote 55.
Pour peu que l'on accepte les conclusions d'une telle lecture, de l'aveu de Stern, l'idée de rattacher Hegel au pragmatisme — selon le critère précité — paraît «totalement erronée, en dépit des ressemblances superficielles que l'on peut trouver entre eux» (2009, p. 218). Pour autant, si les textes qui portent sur le commencement de la Logique peuvent rendre plausible une lecture «cartésienne» de Hegel, d'autres textes permettent de tirer des conclusions opposées. C'est notamment le cas — une fois encore — de l'introduction à la Phénoménologie de l'esprit, en laquelle s'expose une argumentation «très proche de la distinction peircienne entre le doute réel et le doute artificiel», qui peut servir de pierre de touche à une présentation «anticartésienne» de la philosophie hégélienne. Stern mobilise le début de l'introduction, dans lequel Hegel prend pour cible une «représentation naturelle»Footnote 56 de la connaissance (que l'on peut rattacher à Kant et à Reinhold, mais aussi, dans une certaine mesure, à Descartes et à Locke) selon laquelle il serait nécessaire, antérieurement à la mise en œuvre de toute connaissance déterminée, de procéder à un examen préalable des modalités qui rendent celle-ci possible, afin de se prémunir par avance contre «les nuées de l'erreur» là où l'on entend atteindre «le ciel de la vérité»Footnote 57. À l'instar de l'auteur de l’Essai sur l'entendement humain et de celui de la Critique de la raison pure, on veut «examiner la faculté de connaître avant de connaître», donc «on veut connaître déjà avant de connaître», nonobstant le fait que «cet examen est lui-même déjà un acte de connaissance»Footnote 58. D'une telle représentation découle l'assimilation de la connaissance à un «instrument», un «intermédiaire», un «outil» ou un «milieu passif», donc à un «moyen»Footnote 59 qui se tient entre le sujet connaissant et son objet (l'absolu), et dont il convient d'inspecter la nature propre avant de se mettre en quête d'une connaissance effective de l'absolu. Selon Hegel, le mal est ici dans le remède : en se représentant que «l'absolu se tiendrait d'un côté et que, de l'autre côté, la connaissance […] qui, en tant qu'elle est en dehors de l'absolu, est bien aussi en dehors de la vérité, serait pourtant vraie», on cède à une «supposition par laquelle ce qui s'appelle crainte de l'erreur se fait connaître comme crainte de la vérité»Footnote 60. Pour examiner mes capacités cognitives, je dois déjà connaître, et je fais alors face à un dilemme : ou bien ces capacités sont fiables et l'examen préalable s'avère dès lors superflu, ou bien elles ne le sont pas et l'examen lui-même est rendu impossible, faute d'un instrument valide pour évaluer la validité théorique de cet instrument.
Une telle prudence méthodologique est donc infructueuse, mais elle est aussi déplacée, car elle ne correspond pas à la manière dont l'enquête rationnelle procède effectivement : plutôt que de «se tourmenter avec [c]es échappatoires», la science peut «s’épargner la peine de prêter quelque attention que ce soit à de telles représentations et manières de parler par lesquelles la science elle-même doit être écartée»Footnote 61. Selon Stern, un tel argument est typiquement «peircien» (2009, p. 220) : tandis que Descartes cède à ce que Hume nommait l’«antecedent scepticism»Footnote 62, Hegel enjoint à la science de se mettre en œuvre sans préalables inutiles et d'affronter non pas les «doutes» abstraits de la réflexion méthodologique, mais l’équivalent phénoménologique du «consequent scepticism» de Hume, à savoir le «désespoir» réel des contradictions rencontrées en cheminFootnote 63. Là où le doute ne fait qu’«ébranler telle ou telle vérité présumée», le désespoir est le «scepticisme en train de s'accomplir» et à ce titre, il ne saurait se réduire au «propos de ne pas, dans la science, s'en remettre, sur autorité, aux pensées d'autrui, mais de tout examiner par soi-même et de ne suivre que sa conviction propre, ou mieux encore : de tout produire soi-même et de ne tenir pour le vrai que ce que l'on fait soi-même»Footnote 64. Il est un «scepticisme qui se dirige sur tout le champ de la conscience prise en son apparaître» et qui «amène à désespérer des représentations, pensées et opinions prétendument naturelles […] et dont la conscience qui se met directement à examiner est encore remplie et affectée»Footnote 65 : le désespoir phénoménologique est l’épreuve effective d'un cheminement épistémique en train de se faire, non l'examen préalable d'un cheminement possible. En croyant se libérer de toute présupposition par un tel examen, le philosophe (cartésien, lockien, kantien, reinholdien) demeure sous l'emprise d'une présupposition soustraite à l'examen, celle de la connaissance conçue comme un instrument (ou intermédiaire) qu'il faut soumettre à une critique préalable de ses capacités. Il cède par ailleurs à l'inconséquence de mettre en œuvre une connaissance (soustraite à l'examen) pour mener l'examen critique de ses pouvoirs cognitifs (ce qui conduit soit à une régression à l'infini dans l'examen desdits pouvoirs, soit à une pétition de principe qui ne dit pas son nom). Aux doutes abstraits et provisoires du cartésianisme, il faut donc substituer la mise à l’épreuve effective des prétentions épistémiques de la conscience dont la Phénoménologie de l'esprit se veut la présentation immanente.
On peut donc trouver dans une telle critique de la manière dont certaines philosophies conçoivent l'examen préalable de la possibilité de connaître l’équivalent du contraste peircien entre «doute artificiel» et «doute réel» : contrairement au doute cartésien, les doutes de la conscience aux prises avec les contradictions de ses propres présupposés épistémiques (qui s'objectivent dans son expérience) sont des doutes motivés, concrets, liés à des configurations précises du savoir en proie à ses propres contradictions. Face au «questionnement infondé de nos croyances» incarné dans le doute cartésien (Stern, Reference Stern2009, p. 225), il s'agit de proposer des «raisons réelles» de douter : il semble donc possible de dégager, à partir de telles considérations, un «terrain commun à Hegel et au pragmatisme». Mais cela suppose d'invalider les lectures «cartésiennes» précédemment évoquées, en particulier leur interprétation de l'exigence hégélienne de «l'absence de tout présupposé» comme se situant sur le même plan que le doute méthodique de Descartes.
En s'appuyant sur des analyses de John SkorupskiFootnote 66, Stern opère une distinction décisive entre deux conceptions de la «liberté» de la pensée susceptibles de sous-tendre les projets philosophiques de la modernité. La première, identifiée à «l'idée cartésienne», est censée se prolonger dans l'ensemble de la philosophie allemande moderne, de Kant à Hegel : il s'agit d'un examen de la pensée par elle-même, de ses possibilités, de ses limites et de ses présuppositions. La seconde, nommée «la pensée de l'intérieur [thinking from within]», illustrée notamment par John Stuart Mill, consiste non pas à refuser tout présupposé (ce qui est impossible), mais à adopter une «ouverture d'esprit critique permanente au sujet de tout ce que nous estimons savoir»Footnote 67, dans une optique naturaliste (le sujet de la connaissance fait partie du monde qu'il connaît), holiste (le travail critique s'opère au sein de la totalité de nos convictions) et faillibiliste (rien n'est par principe soustrait à la critique) : c'est ici non pas l'absence de présuppositions, mais l'absence de contraintes (ou de limites arbitraires à l'autocritique permanente de la pensée) qui joue le rôle de critère de la liberté de penser. Le pragmatisme, par son faillibilisme critique proclamé, s'inscrit clairement dans cette lignée. Qu'en est-il de Hegel? Selon Skorupski, si l'exigence de l'absence de présupposés rattache celui-ci à la première tradition (cartésienne), néanmoins «la méthode de Hegel, soit dit en passant, pourrait aussi être décrite comme une pensée de l'intérieur»Footnote 68 dans la mesure où elle consiste à partir d'une situation socio-historique déterminée du penseur («chacun est de toutes façons un fils de son temps»Footnote 69) et à élaborer une critique immanente d'un tel contexteFootnote 70.
Cette ambiguïté de la conception hégélienne de la liberté de penser incite à préciser le sens de son exigence de renoncer à tout présupposé : selon Stern, les «présuppositions» que Hegel prend pour cible ne sont pas des croyances présentes dans l'individu, mais des choses qui sont «posées avant» la pensée et qui ne peuvent être «saisies ni comprises» (Stern, Reference Stern2009, p. 228), à l'instar du Dieu de Jacobi, sans recourir à des moyens extra-discursifs («positifs») d’établissement de l'autorité épistémique (intuition ou révélation). En ce sens, il s'agit pour Hegel de refuser toute présupposition externe, susceptible de contraindre l'exercice de la libre pensée de l'extérieur du champ rationnel et de l'empêcher à ce titre d’être «chez elle [bei sich]», donc libre. En réalité, selon Stern, l'exigence de renoncer à tout présupposé concerne un domaine particulier de la philosophie hégélienne : le commencement de la logique. Dans un tel cadre, il existe des motivations spécifiques (des «raisons positives», dirait Peirce) permettant de justifier un tel renoncement :
1) contrairement aux autres sciences, la logique ne peut présupposer aucune méthode de pensée, puisque celle-ci fait partie de son objet de rechercheFootnote 71;
2) contrairement aux autres sciences, la logique ne peut présupposer aucune représentation de son objet, dans la mesure où la pensée (conceptuelle) excède le registre de la Vorstellung Footnote 72;
3) là où les sciences empiriques opèrent avec des procédés contingents, la logique doit mettre en évidence la nécessité de son propre déploiement, donc ne pas être tributaire de présuppositions qui ne font pas l'objet d'une déduction rationnelle (ce que l'on pourrait appeler la «clause fichtéenne» de la logique)Footnote 73.
Le refus de toute présupposition est donc lié ici non pas à la nature générale de l'activité philosophiqueFootnote 74, mais à la nature spécifique du projet de la science de la logique, qui prend pour objet de sa recherche ce qui constitue habituellement un présupposé de la recherche (méthode de la science, représentations préalables de l'objet de la science, représentations considérées comme des points de départ absolus ou des «principes» de la science).
Pour user d'un vocable peircien, un tel refus renvoie non pas à un «doute artificiel», mais à un «doute réel», motivé par des problèmes précis liés à l'originalité du projet de la Science de la logique : c'est précisément le rôle de la Phénoménologie de l'esprit, conçue comme une introduction critique au «système de la science», que de mettre en scène les «doutes réels» qui surviennent à la faveur de l’épreuve des contradictions des présupposés épistémiques de la conscience puis de dégager les conditions d'un «savoir absolu», «délié» de telles présuppositions qui font barrage à l'investigation immanente de la pensée libreFootnote 75. On comprend alors que «l'exigence d'un tel scepticisme accompli», qui requiert «l'entière absence de présupposition en tout», se traduise par «la résolution de vouloir purement penser, grâce à la liberté qui fait abstraction de tout et saisit sa pure abstraction, la simplicité de la pensée»Footnote 76 : une telle liberté n'est pas celle, inutile et infructueuse, du doute cartésien (qui n'en constitue qu'une préfiguration imparfaite), mais la mise en œuvre d'un scepticisme radical à l’égard des présupposés qui viennent faire obstacle à la mise en œuvre strictement immanente de la «pensée pure». Cette exigence, loin d’éloigner Hegel du pragmatisme (en le rapprochant du cartésianisme), semble au contraire répondre à des raisons précises, motivées, «réelles» de douter, et le rapprocher à ce titre de la conception peircienne de l'enquête scientifique.
On pourrait néanmoins se demander, comme le fait Stern (Reference Stern2009, p. 234), si l'exigence hégélienne de refuser tout présupposé à la recherche logique, quand bien même elle serait motivée par des obstacles spécifiques à la mise en œuvre de ce projet, ne garde pas une allure fondamentalement cartésiano-kantienne (donc anti-pragmatiste), par le seul fait d'estimer réalisable une telle libération à l’égard de tout présupposé : n'entre-t-elle pas ici en contradiction avec l'injonction peircienne à «commencer avec tous les préjugés que nous avons effectivement»? Faute de remettre en cause la légitimité de l'exigence de renoncer à tout présupposé, ne faut-il pas à tout le moins, d'un point de vue pragmatiste, remettre en cause la croyance en la faisabilité d'un tel renoncement? Une telle exigence ne risque-t-elle pas de «bloquer le chemin de l'enquête» en rendant impossible toute progression théorique, faute de point d'appui disponibleFootnote 77? Quoi qu'il en soit, l'essentiel de la démonstration demeurerait valide : Hegel partagerait avec le pragmatisme une conception anticartésienne de l’épistémologie et son exigence de renoncer à tout présupposé dans l'abord de la logique serait, tout bien considéré, compatible avec une telle épistémologie, quand bien même la question de la possibilité de réaliser une telle mise entre parenthèses de tout présupposé pourrait constituer une pomme de discorde avec certains représentants du pragmatisme.
À présent, comment évaluer la pertinence d'une telle stratégie de rapprochement de Hegel et du pragmatisme? En premier lieu, il est patent qu'elle constitue un procédé beaucoup plus convaincant que le précédent (illustré par l'article de Gimmler), dans la mesure où elle suppose de se rapporter à un socle commun de thèses partagées par l’ensemble (ou peu s'en faut) des représentants du pragmatisme, plutôt que de mobiliser de manière arbitraire certaines caractéristiques isolées de certaines versions de ce mouvement (Dewey, Rorty). En outre, sur l'autre versant, cette stratégie permet d'exploiter non pas seulement certains textes isolés de Hegel (eux-mêmes tirés d'une seule œuvre, censée représenter l'ensemble de la philosophie hégélienne alors qu'elle n'en est que l'introduction : la Phénoménologie de l'esprit) en absolutisant de manière illégitime leur portée (relative), mais un réseau beaucoup plus étendu de textes fondamentaux permettant d'affermir l'hypothèse de départ. En sa forme, la démarche de Stern semble donc beaucoup plus légitime, dans la mesure où elle articule ce qui est commun aux pragmatistes (en deçà de leurs différences doctrinales) et la pensée hégélienne envisagée dans son ensemble (au-delà du contenu apparent de tel ou tel aspect isolé de celle-ci).
Que penser, par ailleurs, de son contenu? Sur ce plan, les résultats de cette démarche s'avèrent — de l'aveu même de l'auteur — bien modestes : la mise en évidence d'une «épistémologie anticartésienne» à certains égards commune à Hegel et au pragmatisme constitue une thèse qui est somme toute de faible portée, dans la mesure où il est patent qu'il existe une immense variété de manières d’être «anticartésien». Il ne serait sans doute pas impossible de démontrer que ce qui vaut ici de Hegel vaut aussi bien de l’ensemble des philosophes qui ont suivi Descartes (pour ne pas parler de ceux qui l'ont précédéFootnote 78) : déjà, Gassendi, Hobbes, LeibnizFootnote 79, Spinoza et Malebranche se sont nettement démarqués de la conception cartésienne de la connaissance, et l'empirisme moderne (Locke, Berkeley, Hume), le kantisme et les diverses formes de postkantisme se sont élaborés dans une constante opposition à Descartes et à sa conception du doute, de l'intuition, de la méthode, du cogito, de la liberté, des critères de vérité, des rapports de l’âme et du corps, de Dieu, etc. Voudrait-on préciser la perspective et n'entendre par «épistémologie cartésienne» qu'une définition de la connaissance par le rôle fondationaliste dévolu à l'intuition et le rôle méthodiquement préliminaire dévolu au doute universel, là encore il serait aisé d'inclure la quasi-totalité des successeurs de Descartes dans la catégorie des promoteurs d'une «épistémologie anticartésienne». Un tel critère de démarcation est si ténu qu'il s'avère impropre à établir une authentique ligne de séparation entre les «cartésiens» et les «anticartésiens», dans la mesure où le seul «cartésien» authentique de l'histoire de la philosophie (y compris en ramenant le cartésianisme au rôle dévolu à l'intuition et au doute méthodique) n'est autre que Descartes lui-même. On peut certes tenter de proposer (comme le fait Skorupski) des regroupements en lignées plus englobantes, et distinguer par ce biais différentes conceptions de la liberté de penser : mais là encore, Hegel, dans sa tentative de «penser de l'intérieur», se retrouve accompagné de tant d'autres penseurs par ailleurs si différents de lui (Mill!) que l'on en vient à douter de l'opportunité de tels regroupements.
Que la pensée de Hegel se démarque de l’«épistémologie cartésienne», c'est ce que ses leçons sur la philosophie de Descartes permettent de confirmer aisémentFootnote 80. Mais faute de spécifier les raisons d'une telle démarcation (qui s'avèrent bien différentes chez Hegel et chez Peirce : pour Hegel, c'est d'abord l'adhésion de Descartes à une pensée d'entendement rebelle à toute dialectisation qui voue le doute cartésien à l'ineffectivité des «commencements vides»Footnote 81), les arguments pour en inférer une forme de «pragmatisme» hégélien s'avèrent beaucoup trop indéterminés pour emporter l'adhésion. On peut sans doute s'en tenir à une stratégie purement défensive — comme le fait Stern lui-même — consistant à montrer que la conception hégélienne de la connaissance n'est pas rigoureusement incompatible avec le socle «anticartésien» de l’épistémologie pragmatiste : mais une telle stratégie de repli ne permettra pas de démontrer grand-chose, si ce n'est que Hegel, tout bien considéré, et tout comme l'ensemble des innombrables successeurs de l'auteur des Méditations métaphysiques, n'est pas cartésien. Cela ne suffit pas, loin s'en faut, à en faire un pragmatiste.
4. Remarques conclusives
Nous faisons donc face à un double constat d’échec : l'approche thématique a montré ses limites, qui consistent pour l'essentiel dans une sélectivité très discutable des thèses et des textes mobilisés pour faire se rejoindre, de manière quelque peu forcée, les deux côtés du rapport «Hegel/pragmatisme» autour d'intitulés qui sont au mieux approximatifs (primat de la pratique), au pire totalement inadaptés (antireprésentationalisme). De son côté, l'approche critérielle, tout en évitant salutairement de tels écueils et en faisant droit à une prise en compte beaucoup plus large des textes hégéliens et des différentes tendances du pragmatisme, doit s'en tenir à une définition minimaliste de son point de recoupement (le rejet du «doute artificiel»), ce qui implique un usage trop peu discriminant de la distinction entre les positions «cartésienne» et «anticartésienne», laquelle ne permet de caractériser de manière satisfaisante ni le pragmatisme (qui n'a guère le monopole de l'anticartésianisme), ni l'hégélianisme (qui ne se définit pas de manière essentielle par rapport au cartésianisme). Si la première approche pèche par une audace excessive, maniant sans complexe l'anachronisme et les raccourcis interprétatifs, la seconde pèche par une prudence apparente qui révèle, à plus ample examen, le caractère inadéquat du critère sur lequel repose son argumentation.
De tels échecs n'excluent certes pas que d'autres stratégies plus convaincantes soient possiblesFootnote 82, mais ils invitent néanmoins à faire montre d'une certaine prudence à l’égard de la tentation de vouloir proposer une interprétation générale du rapport du pragmatisme à Hegel. Le nominalisme historique doit ici reprendre ses droits : face à cette «rage philosophique de la généralisation»Footnote 83 qui s'empare volontiers des chantres du «pragmatisme hégélien», il semble plus opportun de substituer l’étude de cas singuliers, eux-mêmes dûment replacés dans leur contexte intellectuel et culturel respectif, à un diagnostic (prétendument) universelFootnote 84. Fort heureusement, nous ne manquons pas de supports textuels pour cela : Peirce, James, Royce, Dewey, Mead, Rorty et Brandom ont eux-mêmes explicitement thématisé des perspectives aussi originales qu'instructives sur la manière de se confronter à Hegel en «pragmatiste»Footnote 85. Il est peu probable que la comparaison de ces diverses confrontations singulières à l'auteur de la Phénoménologie de l'esprit révèle un «noyau» commun permettant de répondre, sous une forme unitaire et définitive, à la question initiale. Mais une telle diversité, loin d’être un défaut, est à la mesure de la richesse foisonnante d'un courant philosophique en incessante transformation, qui n'a jamais eu la vocation de se scléroser sous la forme d'une école partageant des dogmes figésFootnote 86. D'un point de vue pragmatiste, la question «Hegel est-il pragmatiste?» est susceptible de recevoir autant de réponses qu'il y aura de «situations problématiques» requérant la «reconstruction» du questionnement pragmatiste, et par contrecoup la reconstruction du sens et de la pertinence de la pensée hégélienne pour le pragmatisme.