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Désir Mimétique, Complexe D'Oedipe et Formation du Sujet

Published online by Cambridge University Press:  05 May 2010

Ghyslain Charron
Affiliation:
Université d'Ottawa

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Quelle est la structure du désir et comment le petit d'homme en vient-il à éprouver le désir pour un objet? Freud s'était posé la question et la théorie du complexe d'Oedipe était une pièce essentielle de sa réponse. R. Girard estime que Freud s'est trompé et que la théorie du désir mimétique, elle, fournit une solution au problème. Je retiendrai trois thèses centrales de la théorie de Girard. Après les avoir situées dans leur contexte pour en saisir correctement le sens, je dirai en quoi, à mon avis, ces thèses ne répondent pas à la question de Freud. Je distinguerai trois moments dans la formation du sujet désirant, moments que je mettrai en rapport avec la structuration de la psyché. À la situation oedipienne, il faut opposer un temps pré-oedipien et un temps post-oedipien; ce dernier implique la résolution de l'Oedipe. Je montrerai que le concept d'étayage permet à Freud de comprendre la genèse du désir à partir du besoin tout en marquant la spécificité du désir par rapport au besoin. Au dire de Girard, Freud a pressenti la nature mimétique du désir. L'usage qu'il fait de la notion d'identification le montre bien. Mais cette intuition n'arrive pas à porter tous ses fruits car Freud soutient par ailleurs une thèse qui contredit la première, à savoir que la libido est directement fixée sur la mère.

Type
Articles
Copyright
Copyright © Canadian Philosophical Association 1977

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References

1 Sigle pour Girard, R., La violence et le sacré, Grasset, 1972, p. 249Google Scholar.

2 Entre autres Dostoïevski, Proust, Cervantès, Shakespeare. Girard, Voir R., Mensonge romantique et Vérité romanesque, Grasset, 1961, 318 p. etGoogle ScholarGirard, R., Critique dans un souterrain, L'âge d'Homme, 1976, 216 p. (sigle C.S.)Google Scholar

3 Parlant de I'activité orale-érotique qu'est le suçotement, Freud écrif. «11 est aisé de voir dans quelle circonstance I'enfant a, pour la première fois, éprou-vé ce plaisir qu'il cherche maintenant à renouveler. C'est I'activité initiale et essentielle à la vie de I'enfant qui I'a familiarisé avec ce plaisir, la succion du sein maternel (ou de ce qui le remplace). Nous dirons que les lèvres de I'enfant ont joué le rôle de zone érogène et que I'excitation provoquée par I'afflux du lait chaud a été la cause du plaisir. Au début la satisfaction de la zone érogene fut étroitement liée à la satisfaction du besoin alimentaire. L'activité sexuelle s'est tout d'abord étayée sur une fonction servant à conserver la vie dont elle ne s'est rendue indépendante que plus tard. Quand on a vu I'enfant rassasié abandonner le sein, retomber dans les bras de sa mère, et les joues rouges, avec un sourire heureux, s'endormir, on ne peut manquer de dire que cette image reste le modèle et I'expression de la satisfaction sexuelle qu'il connaîtra plus tard. Mais bientôt le besoin de répéter la satisfaction sexuelle se séparera du besoin de nutrition.» (G.W., V, 82).

4 II faut distinguer hallucination de la satisfaction (reproduction du pur ressenti) et satisfaction par I'hallucination. Ainsi le rêve n'apporte pas une satisfaction réelle du désir, il est accomplissement de désir par son existence même. A ce sujet, voir Laplanche, J., Vie et mort en psychanalyse, Flammarion, 1970, pp. 122 sqGoogle Scholar.

5 À ce propos, voir I'article de Stein, C., «L'identification primaire» dans Revue Franraise de Psychanalyse, 1962, 26, pp. 257265Google Scholar. Comme le fait remarquer C. Stein, «I'enfant contracte simultanément, d'un seul mouvement, un double lien alors qu'il est incapable de chacun de ces liens considérés séparément, de prendre son père comme modèle parce qu'il ne sait pas encore reconnaître ce personnage, de prendre sa mère comme objet parce qu'il n'est pas encore capable d'un lien objectal. Cette simultanéité qui est ici en question est celle même de I'identification primaire» (p. 264). Quant à M.-C. Fusco et V. Smirnoff, ils définissent ainsi I'identification primaire: «L'identification primaire est ce qui structure le fusionnel en tant qu'espace. Nous qualifierons I'identification primaire comme étant le recouvrement, la coinclusion de deux espaces, espace maternel et espace infantile. […] L'ambiguîté, qui régit cet espace fusionnel, se retrouve tout aussi bien dans I'indistinction entre I'investissement objectal et I'identification que Freud repère dès la «phase primitive orale» de I'individu. II va jusqu'à dire que «I'identification est la forme la plus originaire de I'attachement affectif à un objet». II souligne le rôle inaugural de I'identification qui précède I'investissement de d'objet […]». Et les mêmes auteurs ajoutent plus loin: «À I'identification primaire, qui implique une non-différenciation entre libido mater-nelle et libido de I'enfant, succède I'instauration des expériences de satisfaction et de déception, première rupture qui va donner naissance à I'éprouvé du manque. Se dégager de la fusion, instaurer entre le soi et le non-soi un espace potentiel serait déjà accéder au modèle de toute capacité de différenciation ultérieure: différence de I'altérité, différence sexuelle, grâce à quoi le sujet pourra par la suite s'instaurer comme sujet de son désir, sujet de son discours, indispensable pour qu'il puisse se reconnaître dans son identité» (Fusco, M.-C. et Smirnoff, V., «Les limbes de la dépression. Espace fusionnel et faille identificatoire dans Topique no. 17, p. 11, p. 15) Pour une illustration clinique, voir I'ensemble de I'article, pp. 7–33Google Scholar.

6 La tentative de prendre la place matérielle de I'autre n'est pas le propre de I'identification mais plutôt I'indice de I'échec du projet identificatoire. I'identification-copie suppose le vœu d'annuler la différence des générations, de coíncider totalement avec son père, donc de n'avoir plus de dehors, d'être à la fois le père de soi et le fils de ce père, méconnaissant ainsi I'altérité impliquée dans le lien de filiation lui-même. «La notion I'identification au père, tenue pour une des séquelles favorables d'un Oedipe heureusement liquidé n'est pas exempte d'ambi-guïtés. Là où, elle serait littérale, c'est-àdire là où «les directions significatives de la paternité» viendraient à se confondre et à s'épuiser dans la personne du père historique, elle aboutirait à bloquer le sujet dans sa situation infantile. I'identification sera «ratée» des lors qu'elle aboutit simplement à imiter un personnage concret quelconque.» (Waelhens, A. de, La psychose, Nauwelaerts/Louvain-Paris, 1972, pp. 211212) Alors que I'identification-copie compromet I'indépendance présente et future de I6enfant, I'identification qui est intériorisation d'une fonction législatrice met en branle le processus «d'autonomisation»Google Scholar.

7 «Cette ambiguïté originelle se retrouve chez I'adulte, dans la passion de la jalousie amoureuse et c'est là qu'on peut le mieux la saisir. On doit la recon-naître, en effet, dans le puissant intérêt que le sujet porte à I'image du rival: intérêt qui, bien qu'il s'affirme comme haine, c'estàdire comme négatif, et bien qu'il se motive par I'objet prétendu de I'amour, n'en paraît pas moins entretenu par le sujet de la façon la plus gratuite et la plus coûteuse et souvent domine à tel point le sentiment amoureux lui-même, qu'il doit être interprété comme I'intérèt essentiel et positif de la passion. Cet intérêt confond en lui I'identification et I'amour et, pour n'apparaître que masqué dans le registre de la pensée de I'adulte, n'en confère pas moins à la passion qu'il soutient cette irréfutabilité qui I'apparente à I'obsession». (Lacan, J., dans Encyclopedie française, t. VIII, 1938, 8 40–8)Google Scholar.

8 «Au début de la vie les instincts de conservation et I'érotisme sont liés mais ils se différencient progressivement d'un de I'autre. Cependant on peut dire que I'investissement libidinal se fera toujours en s'étayant sur le premier modèle biologique et sur la métaphore première de I'enfant au sein, de I'amour de la mère. Freud a effectivement établi que le premier modèle d'amour persiste comme en filigrane dans tout amour ultérieur; par étayage I'homme aime la temme qui prend soin de lui et la femme aime l'homme qui la protège» (Bigras, J., Les images de la mère, Hachette, Interprétation, 1971, p. 23)Google Scholar.

9 Leclaire, S., «Philon ou I'obsessionnel et son désir» dans Demasquer le réel, Seuil, Paris, 1971, pp. 149150. Pour une discussion de I'ensemble du cas, voir pp. 147–167Google Scholar.

10 S. Leclaire,Ibid., p. 151.

11 S. Leclaire,Ibid., p. 159.

12 Pour une autre illustration clinique fort éclairante voir Leclaire, S., Psychanalyser, Seuil, 1968, pp. 99117Google Scholar. «On aurait pourtant tort de suivre Philippe lorsqu'il prétend, et tend à nous faire croire, qu'il n'a qu'à se plaindre de cet excès de prévenance maternelle; on devine qu'il fut profondément marqué, d'une façon plus que tout autre ineffaçable, par ?étreinte ?assionnée de cette étouffante tendresse. Philippe fut assurément le préféré de sa mère, préféré à son frère, mais aussi sans doute à son père, et I'on retrouve à I'horizon toujours voilé de son histoire cette satisfaction sexuelle précoce dans laquelle Freud reconnaît I'expérience qui introduit au destin de I'obsessionnel. Être choisi, choyé et comblé (sexuellement) par sa mère, c'est […] une béatitude et un exil dont il est difficile de revenir. Aussi la cicatrice, pour Philippe, est-elle avant tout cette marque du préféré et cette clôture des limbes paradisiaques où sont relégués, hors la vie, pas encore nés au désir ou déjà morts, les ombles d'Oedipe trop tôt séduits et comblés par leurs mères» (Ibid., pp. 105–106).

13 S. Leclaire, «Philon…», p. 163.

14 Id., Ibid. Pour une réflexion plus développée sur les rapports entre besoin, demande et désir dans la structuration du sujet, voir Waelhens, A. de, «Linéa-ments pour une problématique du délire» dans Revue Inlernationale de Philosophie, 1965, nos 71–72, pp. 115124Google Scholar.

15 S. Leclaire, «Philon…», p. 164.

16 Pour une discussion de ce concept voir Green, A., «Le narcissisme primaire: structure ou état» dans L'nconscient, 1967, no. 1, pp. 127156Google Scholar; no. 2. pp. 89–116. La question des rapports entre narcissisme primaire, identification primaire, représentation narcissique primaire est si complexe que nous nous réservons de I'aborder en une autre occasion. Nous pensons trouver chez Piera Castoriadis-Aulagnier le fil conducteur qui permettrait de montrer comment s'enclenche le jeu entre le désir maternel et la demande de I'infans. Elle le formule selon une double proposition: «La mère désire qui I'infans demande» et «I'infans demande ce que la mère désire». Ainsi se structure la dialectique impliquée dans I'identification primaire. Cette demande, qui vise le désir de la mère, exprime le vceu «I'être réponse conforme à I'offre…Demande sans objet, demande d'une avidité sans fond et qui dévoile en quoi la visée la plus extreme du narcissisme dit primaire tend à situer le demandeur en un point d'effacement, en un temps mort (ou de la mort) de la demande, en un temps du silence du désir». (Voir Castoriadis-Aulagnier, P., «Demande et identification» dans L'inconscient, 1968, no. 7. pp. 2365Google Scholar; Fusco, Voir aussi M.C. et Smirnoff, V., «Les limbes de la dépression» p. 14)Google Scholar.

17 «Pour Pierre-Marie, c'est la figure de I'enfant-pas-mort-pour-la-consolation-de-sa-mère qui, comme représentant narcissique primaire, règne en tyran sur sa vie fantasmique» (Leclaire, S., On tue un enfant, Seuil, 1975, p. 70)Google Scholar. Pour plus de détails, voir Ibid., pp. 7–28).

18 Leclaire, S., On tue un enfant, Ed. du Seuil, 1975, p. 11Google Scholar. «C'est une vieille hisloire, par laquelle tout commence et recomrríence: un enfant déjà pris dans une troisième personne de rêve (il sera un grand homme…elle épousera un prince…) et dans une deuxième personne de séduction ou I'intimidation (répónds-tu à mon vœu?… viens-tu?), I'histoire ne commence qu'à la première personne: non, «je» n'est pas ça. Il ne naît et renaît que d'une désintrication toujours à reprendre du corps et des mots» (Ibid., pp. 87–88).

19 S. Leclaire, On tue un enfant, pp. 7–28.