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Locke et le savoir de probabilité

Published online by Cambridge University Press:  09 June 2010

François Duchesneau
Affiliation:
Université d'Ottawa

Extract

Dans l'Essay concerning Human Understanding, Locke entreprend de déterminer la nature et les limites du savoir pour l'homme. Il accepte, semble-t-il, l'idée d'une certitude a priori, c'est-à-dire, d'après l'usage du XVIIe siècle, d'une certitude liée à la « lumière naturelle », à l'activité de l'entendement, lorsqu'il perçoit la connexion nécessaire des idées. Les critiques contenues dans le Premier Livre de I'Essay indiquent clairement qu'il ne saurait être question d'interpréter le savoir humain comme s'il se fondait sur des principes évidents, « inscrits » dans l'âme de telle sorte qu'elle pût en prendre conscience avant toute expérience effective; mais, par contre, il n'y a jamais, pour Locke, de conflit entre les principes rationnels dans leur nécessité logique et leur émergence progressive dans la conscience à partir de données de l'expérience: les maximes logiques, comme le principe d'identité, ne sont pas innées, mais elles sont certaines, d'une certitude nécessaire.

Type
Articles
Copyright
Copyright © Canadian Philosophical Association 1972

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References

1 Essay concerning Human Understanding, Introd., 2–4. Nos références à l'Essay fourniront l'indication des livres, chapitres et articles, d'après l'édition: Fraser, A. C., New York, Dover Publications [1959] 2 volGoogle Scholar.

2 Cf. IV, xix, 13: « Light, true light, in the mind is, or can be, nothing else but the evidence of the truth of any proposition; and if it be not a self-evident proposition, all the light it has, or can have, is from the clearness and validity of those proofs upon which it is received ».

3 Concernant le principe d'identité Locke affirme que tout homme en reconnaît la nécessité logique, « not because it was innate, but because the consideration of the nature of the things contained in those words would not suffer him to think otherwise, how, or whensoever he is brought to reflect on them (I, i, 21) ».

4 IV, iii, 1–6: particulièrement les constatations suivantes: « that the extent of our Knowledge comes not only short of the reality of things, but even of the extent of our own ideas» — «that our rational Knowledge cannot reach to the whole extent of our ideas: because between two different ideas we would examine, we cannot always find such mediums as we can connect one to another with an intuitive knowledge in all the parts of the deduction; and wherever that fails, we come short of knowledge and demonstration ».

5 La seule exception concerne l'impossibilité de co-existence des différents modes d'une même idée de qualité première, pour un sujet donné, dans l'instant: « as to the incompatibility or repugnancy to co-existence we may know that any subject may have of each sort of primary qualities but one particular at once: v.g. each particular extension, figure, number of parts, motion, excludes all other of each kind » (IV, iii, 15). Qu'est-ce à dire, sinon que la connaissance du réel est soumise au principe de contradiction, lequel pourtant ne peut aucunement intervenir pour nous permettre d'acquérir un savoir positif des essences réelles ? Notre logique, toute négative, n'est pas la logique adéquate, qui nous permettrait de concevoir la nature suivant l'ordre réel.

6 IV, xiv, 2.

7 IV, xiv, 3.

8 IV, xiv, 4.

9 IV, xv, 1.

10 IV, xv, 3.

11 IV, XV, 2.

12 IV, xv, 4.

13 II, i, 2.

14 IV, iv, 11; IV, vi, 13; III, vi, 9–10.

15 IV, iii, 21.

16 « In every act of sensation, reasoning, or thinking, we are conscious to ourselves of our own being; and, in this matter, come not short of the highest degree of certainty. » (IV ix, 3) Locke diffère de Descartes, dans sa théorie du cogito, par la distinction radicale qu'il opère entre le savoir de mon existence comme sujet pensant, qui est certain, et le savoir de ma nature, où la détermination n'est que probable. Cf. l'analyse subtile de l'identité personnelle dans ses rapports avec l'idée de substance, II, xxvii, 11 et 19.

17 IV, x, 1–6. La démonstration se fonde sur la forme négative du principe de raison suffsante. L'affirmation de l'existence de Dieu exerce une fonction régulatrice sur l'entendement lorsque celui-ci applique l'analyse causale aux existences. L'allure limitative de la démarche rationnelle exclut la possibilité d'une démonstration à partir de l'idée de Dieu.

18 IV, xi, 3, 8.

19 Yolton, John W., dans Locke and the Compass of Human Understanding, Cambridge, C.U.P., 1970Google Scholar, interprète la relation d'existence réelle dans un sens voisin du nôtre: cf. p. 110, n. 1: « I know by intuition that I exist and by demonstration that God exists. In these last two cases, the real existence relation seems to be replaced by the truth relation. » (expression soulignée par nous). M. Yolton montre surtout avec précision que mes idées de qualités sensibles impliquent une relation causale, qui se présente comme une nécessité rationnelle implicite.

20 Il importe ici de se référer à la définition de la sémiotique, que Locke nous donne au dernier chapitre de I'Essay; cf. plus particulierement, IV, xxi, 4: « The consideration, then, of ideas and words as the great instruments of knowledge, makes no despicable part of their contemplation who would take a view of human knowledge in the whole extent of it. And perhaps if they were distinctly weighed, and duly considered, they would afford us another sort of logic and critic, than what we have been hitherto acquainted with ».

21 Cf. III, 2, 2,: « words, in their primary or immediate signification, stand for nothing but the ideas in the mind of him that uses them, how imperfectly soever or carelessly those ideas are collected from the things which they are supposed to represent ».

22 Lettre à William Molyneux, 20 janv. 1692/93, citée par Dewhurst, K., John Locke Physician and Philosopher, London, The Wellcome Hist. Med. Library, 1963, p. 310Google Scholar.

23 Préface des Observations Medicae, 5, The Works of Thomas Sydenham, London, The Sydenham Society, 18481850, Tome I, p. 12Google Scholar.

24 Introd., 3.

25 IV, xvi, 6.

26 Idem.

27 Pour F. Bacon, l'induction est un procédé d'élimination qui permet de dégager de toute complexité ou embarras la perception par l'entendement des formes naturelles. Sa base est l'histoire, c'est-à-dire la collection des phénomènes dans leur similitude et leur diversité. Mais la loi n'est pas déduite de la sommation des cas particuliers, elle est l'expression de l'ordre de la Nature.

28 IV, xvi, 12.

29 II, xxxiii, 5.

30 IV, xvii, 2. La fin de ce passage confirme la position de Locke en ce qui concerne la distinction du jugement analogique véritable et de la simple association des idées: « For where the mind does not perceive this probable connexion, where it does not discern whether there be any such connexion or no; there men's opinions are not the product of judgment, or the consequence of reason, but the effects of chance and hazard, of a mind floating at all adventures, without choice and without direction ».

31 IV, xvii, 3.

32 N'oublions pas l'objectif « pratique » de Locke dans l'Essay, qui est de débarrasser le chemin du savoir, afin que les Boyle, Huygens, Newton et Sydenham puissent poursuivre, avec moins d'entraves philosophiques, la decouverte scientifique de la nature: cf. l'Epistle to the Reader, publiée en tête de l'Essay. M. Yolton, dans Locke and the Compass of Human Understanding insiste à juste titre sur l'appartenance de Locke à la Royal Society. A bien des egards, l'Essay est une sorte de justification philosophique pour l' « experimental philosophy » que professent Power, Hooke, Boyle et Newton dans une grande partie de son œuvre. (cf. op. cit., Introduction).

33 IV, xii, 13.

34 Idem.

35 Cf. III, iii, 15: « It is true, there is ordinarily supposed a real constitution of the sorts of things; and it is past doubt there must be some real constitution, on which any collection of simple ideas co-existing must depend ».

36 II, i, 10.

37 De Arte Medica, in Fox-Bourne, The Life of John Locke, London, H. S. King, 1876, T. I, p. 223224Google Scholar, spécialement le passage suivant: « I think I may confidently affirm that the hypothesis which tied the long and elaborate discourses of the ancients, and suffered not their enquiries to extend themselves any farther than how the phenomena of diseases might be explained by those doctrines and the rules of practice accommodated to the received principles, has at last but confined and narrowed men's thoughts » (p. 224), bref il s'agit d'une inversion de l'activité rationnelle dans ce qu'elle a de caracteristique: le pouvoir d'étendre le savoir.

38 « Certainty and demonstration are things we must not, i n these matters, pretend to. By the colour, figure, taste, and smell, and other sensible qualities, we have as clear and distinct ideas of sage and hemlock, as we have of a circle and a triangle: but having no ideas of the particular primary qualities of the minute parts of either of these plants, nor of other bodies which we would apply them to, we cannot tell what effects they will produce; nor when we see those effects, can we so much as guess, much less know, their manner of production ». (IV, iii, 26)

39 « All that we have just dealt with has been the case of the remote causes. Here it is evident to every one, that curious speculators lose their labour; since the investigation and illustration of primary and ultimate causes is a neglect of our capabilities, and a violation of Nature ». Sydenham, Préface des Observationes medicae, art. 20, op. cit., tome I, p. 20.

40 Cf. II, xvi, 8: « This further is observable in number, that it is that which the mind makes use of in measuring all things that by us are measurable, which principally are expansion and duration », et: II, xvii, i: « [Finite and infinite, as the modes of quantity, are] attributed primarily in their first designation only to those things which have parts, and are capable of increase or diminution by the addition or subtraction of any the least part: and such are the ideas of space, duration, and number … ».

41 Lettre à Rémond, 14 mars 1714, in Die philosophischen Schriften von G. W. Leibniz, éd. Gerhardt, t. III, p. 612.

42 Voir sur cette question l'article de Axtell, James L., Locke, Newton and the two cultures, paru dans: John Locke, Problems and Perspectives, ed. by Yolton, J. W., Cambridge, C.U.P., 1969, p. 165182Google Scholar.

43 Cf. Cajori, F., éd., Sir Isaac Newton's Mathematical Principles of Natural Philosophy, Berkeley, Univ. of California Press, 1947Google Scholar, Appendix, note 55. L'hypotheses non Jingo s'appliquerait plus précisément au sujet difficile et subtil de la nature réelle du principe gravitationnel. Newton, pour employer le vocabulaire de Locke, définit l'essence nominate du phénomène de la gravitation, suivant les constantes mathématiques qui rendent compte des observations, mais il évince de la certitude scientifique toute hypothàse sur l'essence réelle.

44 « This sort of probability, which is the best conduct of rational experiments, and the rise of hypotheses, has also its use and influence; and a wary reasoning from analogy leads us often into the discovery of truths and useful productions, which would otherwise lie concealed » (IV, xvi, 12).

45 II serait possible de suivre cette thèse aussi bien chez Boyle et Newton, que chez Locke.

46 Nouveaux Essais sur l'entendement humain, IV, xvi, 9.

47 Arnaud, A. et Nicole, P., La Logique ou l'Art de penser, Paris, P.U.F., 1965, p. 348Google Scholar.

48 Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique, Paris, Hachette, 1851, 2 vol.Google Scholar, cf. ch. III. Du hasard et de la probabilité mathématique et ch. IV. De la probabilité philosophique. — De l'induction et de l'analogie, Tome I, p. 49 et sq.

49 Essai sur les éléments de philosophie ou sur les principes des connaissances humaines avec les éclaircissements, Logique, V., et 6e éclaircissement sur ce qui est dit de l'art de conjecturer, Œuvres complètes de D'Alembert, Genève, Slatkine Reprints, 1967, Tome I, p. 153155Google Scholar; 157–180.