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Le sens du titre Etre et temps

Published online by Cambridge University Press:  13 April 2010

Jean Grondin
Affiliation:
Université Laval

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Dans des notes de 1941, publiées en annexe à son cours sur Schelling, Heidegger met en relief trois significations bien distinctes du titre Sein und Zeit. Ce titre serait, en premier lieu, le nom d'un événement dans l'être lui-même; ensuite, le mot d'ordre d'une méditation au sein de l'histoire de la pensée; enfin, le titre d'un traité qui tente un parcours de cette pensée. L'ouvrage intitulé Etre et temps doit done être distingué de la « nécessité » qu'indiquent l'événement et la méditation historiale Sein und Zeit. Quatorze ans après sa publication, Sein und Zeit est devenu un événement de l'être lui-meme ainsi qu'une balise de l'histoire de la pensée occidentale. La projection, apparemment présomptueuse, de Etre et temps dans l'histoire de l'ětre reléve-t-elle de l'auto-interprétation tardive du second Heidegger ou etait-elle déjá à la racine de l'oeuvre de 1927, le chef-d'oeuvre philosophique du vingtième siècle? Dequel droit, plus généralement, le titre d'un livre peut-il se déclarer événement de l'être? Afin de répondre à de telles questions, il faut, bien sûr, avoir compris, ou entrevu, ce que signifie la formule Sein und Zeit. Titre assurément énigmatique, même s'il ne se constitue que de vocables très familiers. « Etre », « temps », « et »: autant de mots que nous employons tous les jours, sinon dans toutes les phrases. Mais « être et temps »? Quel est le sens d'un titre pareil? Cette étude se propose d'esquisser une réponse à cette question en cernant l'horizon des questions délimité par ce titre en 1927 en vue de saisir pourquoi, depuis les bases posées dans Sein und Zeit, ce titre en est venu à circonscrire un événement de l'être et un tournant de la philosophie.

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Articles
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Copyright © Canadian Philosophical Association 1986

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References

1 Heidegger, M., Schellings Abhandlung über das Wesen der menschlichen Freiheit (Tübingen: Max Niemeyer Verlag, 1971), 229Google Scholar; trad, fr., Schelling (Paris: Gallimard, 1977), 324Google Scholar.

2 Ibid., « nous distinguons par conséquent la nécessité qui est désignée par les mots “Etre et temps” et le livre ainsi intitulé ».

3 Cf. aussi Heidegger, M., Gesamtausgabe (sigle GA), Band 54 (Frankfurt am Main: V. Klostermann, 1982), 113,Google Scholar oú les étapes essentielles de l'occident sont placées sous les titres « Etre et mot »(la pensée présocratique), « Etre et raison »(la metaphysique de Platon a Nietzsche) et « Etre et temps ».

4 Notre époque parait ětre d'un autre avis. Fait significatif peut-ětre, la conjonction « et » brille dans un nombre appréciable de titres philosophiques du vingtiéme siécle, symptome de la defaveur relative de la pensee systematique. Rappelons quelques-uns des titres les plus programmatiques de notre siecle: Histoire et conscience de classe (Lukacs); Le Moi et le ca, Totem et tabou (Freud); Matiere et memoire, La pensee et le mouvant (Bergson); Process and Reality (Whitehead); Experience et jugement, Logique formelle et logique transcendantale (Husserl); Le furmalisme en ethique et I'e'thique mate'riale des valeurs (Scheler); Vethique protestante et I'esprit du capitalisme, Economie et societe (Weber); Marxisme etphilosophie (Korsch); Etre et temps, Kant et le probleme de la metaphysique, Identite et difference (Heidegger); Etre et avoir (Marcel); Raison et existence (Jaspers); Theorie traditionnelle et theorie critique (Horkheimer); Droit nature! et dignite humaine (Bloch); L'etre et le neant (Sartre); Eros et civilisation (Marcuse); Le visible et I'invisible (Merleau-Ponty); The Open Society and its Enemies (Popper); Word and Object (Quine); Verite et methode (Gadamer); Les mots et les choses (Foucault); La voix et le phenomene, Ecriture et difference (Derrida); Theorie et praxis, Connaissance et interet (Habermas); Philosophy and the Mirror of Nature (Rorty); Experience esthe'tique et hermeneutique litteraire (Jauss); Temps et recit (Ricoeur); Raison, verite et histoire (Putnam); etc.

5 Cf. Heidegger, M., Einführung in die Metaphysik (Tubingen: Max Niemeyer Verlag, 1953; 4.Google Scholar Aufl., 1976), 157; trad. fr., Introduction á la métaphysique (Paris: Gallimard, 1983), 209:Google Scholar « “Etre et temps” designe, dans une meditation de ce genre, non pas un livre, mais ce qui est propose comme tache ».

6 Heidegger, M., Sein und Zeit (sigle SZ) (14. Aufl.; Tübingen: Max Niemeyer Verlag, 1977), 437Google Scholar; trad, fr., Etre et temps, trad. Martineau, E. (Paris: Authentica, 1985), 296Google Scholar.

7 Heidegger, M., Kant und das Problem der Metaphysik (4. Aufl.; Frankfurt am Main: V. Klostermann, 1973), 235Google Scholar; trad, fr., Kant et le probleme de la metaphysique (Paris: Gallimard, 1953), 298Google Scholar.

8 GA, Band 31, 115–116.

9 SZ, 39; trad, fr., 49. Nous savons que seuls les deux tiers de la premiere partie ont été publiés, ce qui complique, bien sur, l'intelligence du titre Etre et temps. Les huit pages du paragraphe 6 sont done tout ce que nous savons du projet systematique de la seconde partie. Son projet plus proprement historique peut ětre reconstruit, car les cours de cette periode nous permettent de retracer les grandes lignes du debat projete avec le schematisme kantien (II. I), le cogito cartesien (II.2) et le traite d'Aristote sur le temps (II.3).

10 SZ, 5–6; trad, fr., 28–29. Nous reprenons les traductions proposées par E. Martineau.

11 SZ, 17; trad, fr., 36.

12 Redisons que l'identificationde la métaphysique et du complexe « Etre et temps » peut etre constatee dés 1930.

13 Heidegger, , Kant et le probléme de la métaphysique, et les cours de cette période en énuméreront quelques autres. Cf. á ce sujet notre étude Le tournant dans la pensée de Martin Heidegger (Paris: P.U.F., 1987).Google Scholar

14 SZ, 18; trad, fr., 37.

15 SZ, 25; trad, fr., 41.

16 Nous renvoyons encore une fois á l'étude citee dans la note 13.

17 SZ, 18; trad, fr., 37.

18 SZ, 26; trad, fr., 41. Cf. Einfiihrung in die Metaphysik, 157; trad. fr. (modifiée), 208: « Car des l'instant oil, a la fin de la philosophic grecque, chez Aristote, s'instaure une meditation sur l'essence du temps, le temps lui-meme doit necessairement etre pris comme un present quelconque, ousia tis. Cela s'exprime en ceci, que le temps est concu a partir du maintenant, de ce qui est a chaque fois et uniquement present. Le passe est “ce qui n'est plus maintenant”, le futur un “maintenant qui n'est pas encore”. L'etre au sens de la subsistance (presence) devient la perspective pour la determination du temps. Mais le temps ne devient pas la perspective expressement empruntee pour l'interpretation de l'etre ». Cf. aussi Heidegger, M., Vier Seminare (Frankfurt am Main: V. Klostermann, 1977), 7576; trad, fr.,Google ScholarQuestions IV (Paris: Gallimard, 1976), 271272Google Scholar.

19 Ce que fera, entre autres, le paragraphe 81 de Sein und Zeit.

20 SZ, 12, 42; trad, fr., 33, 54.

21 SZ, 329; trad, fr., 231.

22 SZ, 12; trad, fr., 33.

23 SZ, 337; trad, fr., 237. « Comment dissocier maintenant de l'avenir authentique l'avenir inauthentique? »

24 Pour tout ce qui suit, cf. SZ, §68.

25 Mot oú résonne le propre de 1'Eigentlkhkeit, auquel fera écho I'Ereignis de la seconde philosophic de Heidegger.

26 SZ, 338; trad, fr., 238.

27 Cf. SZ, 426; trad, fr., 290: « La temporalité ekstatico-horizontale se temporalise primairement á partir de I'avenir. La compréhension vulgaire du temps, au contraire, voit le phénomene fondamental du temps dans le maintenant, plus précisément dans le maintenant pur, amputé de sa structure pleine, que I'on nomme present. »

28 SZ, 424; trad, fr., 289.

29 SZ, 424; trad, fr., 288.

30 SZ, 248; trad, fr., 183.

31 GA, Band 61, 197; cf. 196: « prinzipieller Atheismus ».

32 G/4, Band 20, 109–110.

33 GA, Band 20, 434.

34 Comme l'atteste l'index Bast, de R. A. et Delfosse, H. P., Handbuch zum Textstudium von Martin Heideggers “Sein und Zeit” (Stuttgart: Frommann-Holzboog, 1979).Google Scholar

35 GA, Band 26, 211, cité d'aprés la traduction Birault, de H., « Philosophie et theologie: Heidegger et Pascal », dans Martin Heidegger (Paris: L'Herne, 1983), 394.Google Scholar

36 Ferry, L. et Renaut, A., « Heidegger en question: essai de critique interne », Archives dephilosophie 41 (1978), 597639,Google Scholar ont bien diagnostique l'incapacite de la metaphysique « a penser le temps » (608), mais ils n'en tiennent aucunement compte dans leur tentative de critique interne, preferant s'en tenir, solution de facilite, a l'usage que fait Heidegger du grec ancien pour denoncer l'impasse et finalement l'imposture du trajet heideggerien. Une veritable critique interne devrait, il nous semble, partir de la question de Heidegger, celle de l'etre et du temps.

37 SZ, 339; trad, fr., 238. D'oú le poids du terme « repetition » dans le rapport de la philosophie de Heidegger á la tradition, dans le livre sur Kant par exemple.

38 SZ, 339; trad, fr., 238.

39 Heidegger, M., Wegmarken (2. Aufl.; Frankfurt am Main: V. Klostermann, 1978), 325Google Scholar; trad. fr., Lettre sur I'humanisme (Paris: Aubier-Montaigne, 1964Google Scholar; 3iéme edition, 1983), 69 (aussi dans Heidegger, M., Questions III [Paris: Gallimard, 1966], 97).Google Scholar II s'agit d'un texte de 1946, mais la premiere phrase de SZ le laissait deja pressentir: « la question est aujourd'hui tombee dans l'oubli » (SZ, 2, 21; trad, fr., 27, 39). Sur l'oubli de l'etre, cf. notre etude « De Heidegger a Habermas », Les Etudes philosophiques (1986), 15–31.

40 SZ, 23; trad, fr., 39. Cf. Marion, J.-L., « La fin de la fin de la metaphysique », Laval theologique et philosophique 42 (1986), 27:Google Scholar « la destruction de l'histoire de l'ontologie n'a pas pour resultat de detruire la question de l'etre, mais, exactetnent a l'inverse, de la rendre possible ».

41 C'est done á partir de la temporalité authentique que se realisera la promesse de la premiere tache impartie á SZ (19; trad, fr., 37): « C'est dans l'exposition de la problematique de l'etre-temporal qu'est pour la premiere fois donnee la reponse concrete a la question du sens de l'etre ». SZ, 39; trad, fr.,49: « la question du sens de l'etre est la plus universelle et la plus vide; toutefois, elle contient en meme temps la possibility d'etre individuee de maniere plus aigue sur le Dasein singulier ».

42 GA, Band 31,121: « Die Grundfrage nach Sein und Zeit zwingt uns zur Frage nach dem Menschen. »

43 Sur ce point cf. Vattimo, G., Introduction á Heidegger (Paris: Cerf, 1985), 21, 25sq.Google Scholar

44 GA, Band 20, 437–438.

45 Nous concedons que ce projet et sa réalisabilité puissent etre problematises. Notre seule intention ici est de faire voir ce qu'implique le theme « Etre et temps ».

46 SZ, 38; trad, fr., 48.

47 Heidegger, , Wegmarken, 353Google Scholar; trad, fr., Lettre sur I'humanisme, 151 (Questions III, 141).

48 Heidegger, M., Was heisst Denken? (Tübingen: Max Niemeyer Verlag, 1971), 42Google Scholar; trad, fr., Qu'appelle-t-on penser? (Paris: P.U.F., 1967), 77:Google Scholar « atravers la question “Etreet temps”, ce qui est vise e'est l'impense de toute metaphysique ».

49 SZ, 22; trad, fr., 39.

50 SZ, 13; trad, fr., 33.

51 GA, Band 26, 199.

52 Cf. Heidegger, , Schellings Abhandlung, 229; trad, fr., 324.Google Scholar

53 Cf. Heidegger, , Einführung in die Metaphysik, 157; trad, fr., 209.Google Scholar