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Le Mythe dans le double univers du langage et du sacré*

Published online by Cambridge University Press:  09 June 2010

Jean-Paul Audet
Affiliation:
Ecole Biblique et Archéologique Française de, Jérusalem et Faculté Dominicaine de Théologie d' Ottawa

Extract

Le mythe n'est pas un phénomène qui se nourrit en quelquesorte de sa propre substance. Le phénomène du mythe entretient, au contraire, des liens particulièrement étroits avec le double univers du langage et du sacré. Entre ces trois phéno-mènes, les rapports sont multiples, et, vous le devinez, extrême-ment complexes. Il ne saurait être question d'épuiser ici un aussi vaste sujet. J'aurai atteint mon but si je paryiens à circonscrire quelques-unes des données fondamentales du problème. J'essaierai d'être clair et bref.

Type
Articles
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Copyright © Canadian Philosophical Association 1969

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References

1 Je pense ici en premier lieu, il va sans dire, au Prométhée d'Hésiode et d'Eschyle. A I'arrière-fond du mythe, il y a l'idée qu'à l'origine, le feu, « trésor sans prix » et « source de tous les arts », était non seulement inconnu des homines: ce qui nous paraitrait normal, mais encore, à la lettre, « caché » à leurs yeux. Inaccessible en droit, en vertu d'une disposition initiale du tout-puissant destin, ou rendu tel à un moment ou I'autre par le gouvernement des dieux, il n' y avait done, de toute façon, aucun espoir réel que les hommes découvrent le feu par leur propre industrie. Hésiode est explicite sur ce point: « Zeus t' a caché (ékrupsé) ta vie, le jour où, l'âme en courroux, il se vit dupé par Prométhée aux pensers fourbes. De ce jour aux hommes il prépara de tristes soucis. II leur cacha le. feu » (krupsé dé pur) (Hésiode, Travaux, 42–50; trad. Mazon). Dans son Prométhée enchaîné, Eschyle dit à peu près la même chose sous une autre forme, puisque, dans sa pensée, avant le larcin commis par le titan, le feu était un « privilège » exclusif des Immortels (29s., 38, 83, 612), la « fleur » de leurs possessions (7). « Caché », le feu n'appartient done pas, de soi, à la sphère des choses humaines, mais à celle des choses divines. Bref, tranchons le mot: le feu est d'abord sacré, il est d'abord réservé, les dieux se l'étant approprié dès le commencement. En conséquence, e'est aux besoins et aux plaisirs des dieux, non à ceux des mortels, qu'il était originellement destiné à pourvoir. Un dieu, Héphaistos, forgeron en titre, l'avait même reçu en apanage. Aussi bien est-ce à ce dieu, et non aux hommes, que les arts du feu se sont comme dévoilés d'eux-mêmes à l'origine. J'ai déjà esquissé, là-dessus, une comparaison entre la tradition juive et Pantiquité grecque: La revanche de Prométhée, ou le drame de la religion et de la culture, dans Revue biblique, LXXIII, 1966, pp. 5–29.

2 Pour plus de détails, on pourra voir « Le sens du Cantique des cantiques », dans Revue biblique, LXII, 1955, pp. 197–221.

3 Dans La Pensée sauvage (Paris, 1962), Claude Lévi-Strauss a consacré chapitre, à bien des égards très éclairant, à ce qu'il appelle la « science du concret » chez les «primitifs » (pp. 3–47). Les opérations de classement l'amènent à parler de la pensée mythique comme d' « une sorte de bricolage intellectuel » (p. 26). Une relation se trouve ainsi reconnue entre le mythe et les répertoires issus des classifications. C'est un premier gain. J'insisterais, cependant, moins que Lévi-Strauss ne le fait sur le caractère « hétéroclite » des matériaux mis en œuvre par la pensée mythique. Celle-ci, en fait, n'est pas plus un « bricolage intellectuel » que la taille du silex, par exemple, ne fut, pour l'homme de la préhistoire, un bricolage technique. Une faucille néolithique n'est pas le produit d'une sorte de sous-ingénieur. Ce qu'il faut comprendre, c'est plutôt que nous sommes ici en présence de divers âges de culture dont les équilibres internes étaient différents de ceux qui nous sont devenus familiers. Différents, ces équilibres possédaient, néanmoins, leur propre cohérence et leur propre fécondité. Le « génie » de l'enfance n'est pas un « colage » par rapport à celui de Padolescence, et le « génie » de Padolescence n'est pas non plus un « bricolage » par rapport à celui de la maturité. C'est en un sens analogue que je parle ici d'âges de culture. Les ruptures sont relatives: elles ne doivent pas nous Cacher les continuités profondes de la progression globale. Les observations sur lesquelles nous nous appuyons ici, dans nos réflexions sur le mythe, sont indépendantes de celles de Lévi-Strauss.

4 Les éléments les plus récents de cette liste ethnogéographique sont antérieurs au Vile siècle avant notre ére; ses éléments les plus anciens peuvent facilement remonter au Xlle.

5 J.-P. Sartre, Les Mots, Paris, 1964, p. 136.

6 Le mythe proprement dit, — ce que nous avons appelé ici le « grand mythe », — ne doit pas être confondu, entre autres choses, avec les récits de fondation des lieux de culte, ni non plus avec les récits justificatifs des diverses célébrations cultuelles. Ces récits, historiques ou légendaires, avaient, à tous égards, et, si l'on ose dire, par définition, une perspective et une fonction normalement beaucoup plus restreintes que celles du grand mythe (comp., de ce point de vue, par exemple, le récit d'Adam et Eve, Genèse, 2:4–3:24, et le récit de la construction d'un autel par David sur l'aire d'Arauna le Jébuséen, 2 Samuel, 24:18–25). D'autre part, c'est évidemment le grand mythe qui était, au premier chef, transmis par l'initiation. Le grand mythe est, en effet, partie intégrante de l'héritage du groupe comme tel. De là son lien étroit avec Pentrée, par l'initiation, dans la plénitude de la vie du groupe, au moment où l'individu atteint l'âge requis pour accéder au statut définitif de membre à part entière.