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Le Contenu du Cogito augustinien

Published online by Cambridge University Press:  01 March 1966

Guy-H. Allard
Affiliation:
Université de Montréal

Extract

Sous sa forme définitive, le cogito augustinien apparaît, en réponse aux arguments des Académiciens, comme un “si enim fallor, sum: si je me trompe, je suis”. Parallèlement à la Cité de Dieu, Augustin écrivait dans son traité sur la Trinité que cette vérité originaire est une certitude du type “je sais que je vis”. C'est par une science intime (intima scientia) que mon âme a l'intelligence de sa vie si elle se trompe, tout comme elle a la certitude du bonheur même si elle s'égare sur l'objet de sa béatitude.

Type
Articles
Copyright
Copyright © Canadian Philosophical Association 1966

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References

1 Dans la Cité de Dieu, XI, 26. Pour nos références aux textes d'Augustin, nous utilisons 1'édition de la Bibliothèque Augustinienne

2 De la Trinité, XV, 12.

3 Du Bonheur, II, 7. Textes paralleles: Les Soliloques, II, 1; Du Libre Arbitre, 11, 7.

4 Confessions, XIII, 11. “Vellem ut haec tria cogitarent homines in seipsis… dico autem haec tria: esse, nosse, velle. Sum enim et scio et volo; sum sciens et volens et scio esse me et velle et volo esse et scire”.

5 Voir a ce sujet, E. GILSON, Études sur le rôle de la pensée médiévale dans formation du système cartésien, Paris, 1951, et aussi son Discours de la Méthode, 1925. Dans le même sens, consulter G. RODIS-LEWIS, Le problème de I'in-conscient et le carte'sianisme, Paris, 1950, de même son article sur Augustinisme cartésianisme, dans Augustinus Magister, II, Paris, 1954.

6 Analysé dans E. GILSON, Introduction à I'étude de saint Augustin, Paris, 1949; C. BOYER, L'Idée de Vérité dans la philosophie de saint Augustin, Paris, 1920; R. JOLIVET, Dieu soleil des esprits, la doctrine augustinienne de l'illumination, 1934; F. CAYRE, Dieu présent dans la vie de l'esprit, Paris, 1951.

7 Cf. R. BERLINGER, Le temps et l'homme chez saint Augustin, dans Année Théol. Aug., 14 (1953) 260–279. Il serait intéressant de rapprocher cette étude sur les structures temporelles du cogito augustinien de l'interprétation qu'en font Merleau-Ponty dans sa Phénoménologie de la Perception, Paris, 1945, p. 471, et Lavelle, dans le Moi et son destin, Paris, 1936, pp. 222–230.

8 B. GROETHUYSEN, Anthropologie philosophique, Paris, 1952, a bien montré les antécédents de la philosophie d'Augustin en retraçant les composantes essentielles de la philosophie de la vie des penseurs romains et néoplatoniciens, cf. pp. 63–100. Si l'auteur réussit à nous faire voir comment Augustin a hérité de cette philosophie (cf. pp. 103–127), par contre il infléchit trop la pensée d'Augustin dans le sens d'une philosophie “volontariste”.

9 Cet article se trouve à donner raison, par un autre cheminement, á Roger Chabal qui, confrontant la philosophie de Brunschvicg avec celle de Blondel sur les rapports vie-conscience, adopte la solution augustinienne par-delà Malebranche et Pascal. Cf. R. CHABAL, Vers une anthropologie philosophique, Paris, 1964, pp. 3–13. Voi r aussi J. NABERT, Élements pour une éthique, Paris, 1962; J. PALIARD, La Pensée et la vie, Paris, 1950.

10 Confessions, XIII, II. “In his igitur tribus (esse, nosse, velle) quam sit inseparabilis vita et una vita et una mens et una essentia, quam denique inseparabilis distinctio et tamen distinctio, videat qui potest”. cf. De la Trinité, X, II.

11 Dans la perspective d'une philosophic qui se définit comme une éthique, l'idée du Bien est privilégiée par rapport à celle de l'Être de telle sorte que le volo esse renvoit au désir du bonheur et de l'immortalité, manifesté par l'instinct de conservation et par l'effort d'exister. Cf. La Cité de Dieu, XI, 27: “refugiat natura non esse”; De la Trinité, X, 10; XIII, 8;Confessions, XIII, 11. Comparer avec le “conatus” de Spinoza, Ethique, IIIe partie, propositions VI, VII, avec la différence toutefois que “saint Augustin insiste aussi sur la présence, au plus profond du cogito, d'un effort —cogo— d'un choix aussi—eligo— qui témoigne d'une tension de l'âme simultanément tournée vers le haut et le bas. Il évite ainsi un écueil: celui de séparer l'intelligence de la volonté, de faire du cogito un acte réflexif, par là depersonnalisé, sans enracinement profond dans les fonctions et les structures qui le preparent: ce qui risque de conduire a cette affirmation que ce qui pense en moi, ce n'est pas moi-même, mais un Esprit qui accomplit pour moi des opérations dont je serais incapable, Esprit impersonnel sans adhérence à mon être éphémère”, J. CHAIX-RUY, Temps et Histoire chez saint Augustin, Paris, 1956, pp. 25–26.

12 De la Trinité; XIII, 4.

13 De la Trinité, XIII, 8.

14 C'est le livre IXe de la Trinité, qui introduit les réflexions du livre Xe sur l a connaissance.

15 Confessions, X, 23.

16 Confessions, I, 6.

17 Ibidem.

18 De la Trinité, X, 7: “sibi bene conscia est principatus sui quo corpus regit”. L'âme augustinienne se saisit toujours comme “régente” du corps; d'ou d'ailleurs l'erreur de ceux qui la croient corporelle. Augustin, à mon avis, a toujours évité deux écueils: 1) il refuse la perception matérialiste de l'âme — contrairement aux manichéens et aux philosophes anciens qui identifiaient l'âme à un corps subtil, ou à l'un des quatre élements de la matière; 2) d'autre part il refuse l'angélisme et soutient l'unité indestructible du couple âme-corps (voir l'étude de E. FORTIN, Christianisme et culture philosophique au Ve siècle, Paris, 1959, pp. 111–161). Ainsi l'évidence de la vie de l'âme ne saurait être mutilée de sa référence au corps; évidence confuse sans doute quant à la manière d'animer l e corps (cf. De l'origine de l'âme, IV, 5) mais quand même certitude qu'a l'âde sa présence à tout le champ sensoriel (cf. J. ROHMER, L'intentionalité des sensations chez saint Augustin), dans Aug. Mag., Paris, 1954, I, pp. 491–498; J. CHAIX-RUY, Temps et Histoire chez saint Augustin, Paris, 1956, pp. 19–35.

19 ”glutino amoris” comme il est dit dans La Trinité, X, 8.

20 De la Trinite', XV, 12.

21 Voir les belles pages sur la mémoire dans les Confessions X, 8–20. Sur la mémoire comme “imagination épiphanique”, je crois pouvoir ainsi interpreter le texte des Confessions, X, 8: “Et eadem copia etiam similitudines rerum vel expertarum vel ex eis, quas expertus sum, creditarum alias atque alias et ipse contexo praeteritis atque ex his etiam futuras actiones et eventa et spes, et haec omnia rursus quasi praesentia meditor”. Cf. De la Trinité, XV, 12, § 22: “haec igitur omnia et quae per se ipsum et quae per sensus sui corporis et quae testimoniis aliorum percepta scit animus humanus thesauro memoriae condita tenet, ex quibus gignitur verbum verum… quoniam de visione scientiae cogitationis exoritur”.

22 De la Trinité, X, 5: ”cum ergo aliud sit non se nosse, aliud non se cogitare”.

23 De la Trinité, X, 12: ”mentem quippe ipsam in memoria et intelligentia et voluntate suimetipsius talem reperiebamus”.

24 C'est pourquoi il avoue l'impossibilité pour l'âme de se défaire de tout le charnel qui s'est introduit en elle par les perceptions sensibles. Si bien qu'il devient difficile de distinguer en elle la mémoire de soi de l'intelligence de soi; cf. De la Trinité, X, 2: “ac per hoc difficile in ea dignoscitur memoria sui et intelligentia sui. Quasi enim non sint haec duo, sed unum duobus vocabulis appelletur…” A lire aussi X, 8: “Hinc ei (âme) oboritur erroris dedecus dum rerum sensarum imagines secernere a se non potest ut se solam videat… dum se solam nititur cogitare, hoc se putat esse sine quo se non potest cogitare”. Idéalement certes, l'âme doit travailler à la manière plotinienne, à se purifier de cette “gangue” du sensible pour arriver à l'intuition pure d'elle-meme. Un tel projet a l'avantage d'éviter à l'âme toutes sortes d'erreurs sur sa nature (comme s'identifier aux objets corporels ou encore aux images qu'elle contient en elle). C'est pour préserver la grandeur de l'âme et sa dignité spirituelle qu'Augustin parle ainsi de purification (cf. De la Trinité, X, 5-7). Par contre Augustin reconnait que, pour vérifier la certitude vitale intuitive, l'âme doit cheminer par le détour de la réflexion (cogitare) qui est elle-même médiatisée par la concrétude (concrevit) du sensible. Si l'homme vit d'une vie supérieure à celle de l'animal, ou du cadavre ou de la plante, il n'en reste pas moins vrai qu'il est dans l'impuissance (non potest) à se penser sans référence au monde de l'imaginaire. Lorsqu'elle pense le spirituel, Dieu par exemple, l'âme augustinienne pense à une “quandam lucem et quandam vocem et quandam odorem et quandam cibum et quandam amplexum…” (Confessions, X, 6). Ainsi done cette “occultation” de l'âme par ses images et ses signes implique la nécessité où elle se trouve, pour vérifier sa vie intime, de la symboliser. C'est pourquoi l'imagination épiphanique qu'est la mémoire et le cogitare qui en émerge sont indispensables pour l'évidence de sa vie. On peut done dire que la conscience réflexive de soi s'annexe tout l'imaginaire (contenu dans la mémoire) pour y ressaisir l'intimité du moi. A cet égard, Augustin me paraît proche de Maine de Biran et de sa théorie des signes, cf. Mémoire sur la décomposition de pensée, id. P. U. F., Paris, 1952.

25 Confessions, I, 6.

26 Cf. J. CHAIX-RUY, op. cit., p. 19; J. GUITTON, Le Temps et l'éternité, Paris, 1955, pp. 199–217.

27 De la Trinite, XIV, 6; X, 4.

28 Confessions, X, 11: “cogitando quas i colligere… id est velut ex quadam dispersione colligenda, unde dictum est cogitare”. Cette synthèse de tout ce qui est en gestation (gestat) dans la mémoire ne s'adresse pas exclusivement aux connaissances purement intellectuelles dont il est fait mention dans ce chapitre 11, mais aussi à tout ce que nous avons appris par les sens. Voir plus haut au ch. 8.

29 De la Trinité, X, 12: “dum ea tractantur quae ad animum tempore accedunt et quae illi temporaliter accidunt, cum meminit quod antea non meminerat, cum videt quod antea non videbat, et cum amat quod antea non amabat”. Pourrions-nous ainsi expliquer, dans l'æuvre d'Augustin, les multiples tenta-tives de “se confesser”. Bien avant l'ouvrage désormais classique de 397, Augustin nous livre, vers les années 386–387, ses premières confessions: l'une dans Les Soliloques (I, 9–13), l'autre dans son traité du Bonheur (IV–VI); et si l'on accepte la thèse de J. O'Meara (dans Charter of Christendom, The Significance City of God, New York, 1961), la Cité de Dieu serait, transposée à la dimension du moi collectif, une autre prise de conscience construite sur le canevas des Confessions. Pourquoi Augustin aime-t-il tant se raconter? Serait-ce par orgueil? II ne semble pas. Ne serait-ce pas plutot qu'à chaque étape importante de sa vie (personnelle ou de pasteur) il sent le besoin de “ré-approprier” son existence, son moi ? D'opérer le remembrement de son vivere. Sans doute ces exercices de mémoire étaient-ils pour lui, comme dans la vie pythagoricienne, utiles à la connaissance de soi et à la purification de l'âme (cf. J-P. VERNANT, Mythe et pensie chez les Grecs, Paris, 1965, pp. 60–73); mais encore ils visaient à organiser périodiquement l'expérience temporelle de sa vie. La mémoire augustinienne permet l'élaboration d'une histoire personnelle où s'atteste l'unicité du moi puisqu'elle relie nos “moi” successifs et qu'elle confere le fond de densité requis à nos sensations. Par elle, le moi se pose tout en s'opposant au Toi dans un acte d'humilité et d'adoration. C'est dans cet esprit qu'Augustin se raconte devant Dieu!

30 De la Trinite, X, 4.

31 De la Trinite, XIII, 8; X, 10.

32 La Cité de Dieu, XII, 14. Augustin refuse la béatitude cyclique à laquelle aboutissait la théorie de la métensomatose. Un bonheur ne saurait étre vrai s'il n'est pas éternel et définitif, sans possibilité de retour.

33 La Cité de Dieu, XIII, 10.

34 Confessions, IV, 6.

35 Ibid., IV, 10.

36 La Cité de Dieu, XIII, 13.

37 Confessions, IV, 7.

38 Confessions, IV, 4; X, 8.

39 De I'Ante, IV, 7, 8; De la Trinité, V, 1.

40 De I'Ame, IV, 6; De l'Ordre, 1, 2; Confessions, I, 2; X, 24. C'est bien de cette manière aussi que Blondel arrive à poser la présence, au sein même de son moi, de l'Être, c'est-à-dire Dieu. Voir L'Action, Paris, 1893, p. 347.

41 E. GILSON, L'Esprit de la philosophie médiévale, Paris, 1948, p. 226.

42 La Cité de Dieu, XII, 22.

43 FICHTE, Initiation à la vie bienheureuse, trad., Aubier, Paris, 1944, p. 105

44 Confessions, XI, 29.

45 La Cité de Dieu, XIV, 25.

46 Idées reprises par Fichte, op., cit., p. 106 ss.

47 Confessions, XI, 29.

48 De la Trinité, IX, 1.

49 Confessions, I, 1.

50 Ibid., IV, 12; XII, 10.