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La question de l'objectivité de la réalité pratique des idées de la raison pure

Published online by Cambridge University Press:  27 April 2009

Sophie Grapotte
Affiliation:
Université du Luxembourg

Abstract

My aim in this article is to demonstrate that the reality of ideas of pure reason (liberty, God, and the immortality of the soul) in the practical use of reason is less objective than the reality of pure concepts of understanding in their function of determining the object. To this end I explain how the objective reality of ideas of God and the immortality of the soul can be qualified as “subjective,” and in what sense the objective reality of the idea of liberty as a res facti can be considered as incomplete in terms of theoretical objectivity. Finally, I propose that the acquisition of practical objective reality does not entail expanding our theoretical knowledge of the objects of these three ideas.

Type
Articles
Copyright
Copyright © Canadian Philosophical Association 2006

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References

Notes

1 Voir plus particulièrement Critique de la raison pratique, AK V 03–06. Pour les références à l'œuvre de Kant, nous renvoyons aux Kants Werke, Akademie Ausgabe [AK], Berlin, Walter de Gruyter, et pour la traduction française aux trois volumes des Œuvres Philosophiques [cité OP], Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1981, 1985, 1986.Google Scholar

2 Sur une découverte selon laquelle toute nouvelle critique de la raison pure serait rendue superflue par une plus ancienne, AK VIII 188–189; OP II, p. 1311.Google Scholar

3 Est «problématique» un concept logiquement possible, c'est-à-dire qui ne renferme pas de contradiction, qui s'enchaîne à d'autres connaissances et dont on ne peut pas affirmer (ni d'ailleurs infirmer) la réalité objective. Voir Critique de la raison pure, A 254 / B 310, AK III 211.

4 Voir plus particulièrement Critique de la faculté de juger, AK V 468.

5 Il y a trois types de faits. Les faits dont la réalité objective peut être prouvée par l'expérience, ceux dont la réalité objective peut être prouvée par des données théoriques de la raison (c'est le cas des propriétés mathématiques des grandeurs) et ceux ou, plus exactement, celui, car il n'y en a qu'un, dont la réalité objective peut être prouvée par des données pratiques de la raison: le concept de causalité par liberté.

6 Critique de la raison pratique, AK V 31.

7 Voir AK V 47–48, 133.

8 «Faktum der reinen Vernunft [Faktum rationis]».

9 Voir AK V 04.

10 Kant ira jusqu'à soutenir que l'idée de liberté est la seule des idées théoriques à laquelle on puisse procurer de la réalité objective: «de tout l'intelligible il n'y a absolument que la liberté qui ait de la réalité… » (Critique de la raison pratique, AK V 70). Cf. Logique, AK IX 93: «On ne peut conférer de réalité objective à aucune des idées théoriques non plus que les démontrer, à l'exception de la seule idée de liberté qui, elle, est la condition de la loi morale dont la réalité est un axiome…» (Logique, traduction Guillermit, Paris, Vrin, 1989, p. 101Google Scholar, traduction légèrement modifiée).

11 Critique de la raison pratique, AK V 04 (nous soulignons).

12 Voir Logique, AK IX 93.

13 Selon le §91, les mere credibile sont au nombre de trois: le souverain Bien et les deux objets requis pour sa possibilité, l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme. En effet, font l'objet de croyance les trois idées dont nous ne pouvons pas assurer la réalité objective théorique, mais dont nous devons reconnaître la réalité objective dans un rapport pratique, soit parce que l'objet de l'idée constitue le but final suprême que nous devons travailler à réaliser (le souverain Bien), soit parce que cet objet est la condition sous laquelle seulement nous pouvons penser la possibilité du but suprême de la volonté moralement determinée (l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme). Voir Critique de la faculté de juger, AK V 469.

14 Il n'est pas rare que Kant comprenne la liberté parmi les postulats de la raison pratique (voir Critique de la raison pratique, AK V 132–134, 142). Toute la question est alors de décider si la liberté, dont la préface de la Critique de la raison pratique souligne qu'elle forme la clé de voûte de l'édifice du système de la raison pure, et la notion de liberté comme postulat sont une seule et même notion ou s'il s'agit de deux notions distinctes. C'est là une difficulté d'autant plus complexe à résoudre pour l'exégète que les textes nous autorisent à soutenir les deux hypothèses. Ainsi, Victor Delbos, suivi par Léon Brunschvicg (p. 198 et 253–254, du tome I de ses Écrits philosophiques, Paris, PUF, 1951)Google Scholar et par Carnois, Bernard (La cohérence de la doctrine kantienne de la liberté, Paris, Seuil, 1973, p. 179190)Google Scholar, soutient que la liberté «postulée pai la loi» doit être différenciée de la liberté comme «faculté qu'a la volonté pure d'être autonome et d'instituer une législation universelle» (La philosophie pratique de Kant, Paris, PUF, 1969 3, p. 400)Google Scholar. Au contraire, Martial Gueroult soutient que l'affirmation de l'existence de la liberté au nom de la loi morale rentre bien dans la définition du postulat (voir «L'antidogmatisme de Kant et de Fichte», Revue de métaphysique et de morale [1920], p. 222224).Google Scholar

Il ne nous est pas possible ici de trancher cette difficile question. Dans la perspective de cet article, nous avons, par conséquent, choisi de traiter simplement de deux postulats, le postulat de l'existence de Dieu et celui de l'immortalité de l'âme.

15 Voir Critique de la raison pratique, AK V 134: «Donc la possibilité de ces objets de la raison pure spéculative, la réalité objective que celle-ci ne pouvait leur assurer, est postulée par la loi pratique qui ordonne l'existence du souverain Bien possible dans un monde.» OP II, p. 771772 (nous soulignons).Google Scholar

16 Voir Logique, AK IX 66, traduction Guillermit, p. 73: l'assentiment, c'est-à-dire «le jugement par lequel quelque chose est représenté comme vrai — le rapport à un entendement et par conséquent à un sujet particulier — est subjectif…».

17 Les postulats de la raison pratique sont, en effet, des hypotheses théoriques émises sous un rapport nécessairement pratique. Pour une définition des postulats de la raison pratique, on se rapportera à la Critique de la raison pratique, AK V 132, à la Logique, AK IX 112, ainsi qu'à l'Annonce de la prochaine conclusion d'un traité de paix perpétuelle où Kant définit, dans une note, les postulats comme des impératifs pratiques donnés a priori qu'on ne peut pas expliquer (voir AK VIII 418).

18 Il y a deux modes d'assentiment lié à la conscience de la contingence ou de la possibilité du contraire, l'assentiment subjectivement et objectivement insuffisant (l'opinion) et l'assentiment subjectivement suffisant, mais objectivement insuffisant (la foi).

19 Critique de la raison pure, A 822 / B 850, AK III 533; OP I, p. 1377Google Scholar, traduction légèrement modifiée: «Quand l'assentiment n'est suffisant que subjectivement et qu'en même temps il est tenu pour objectivement insuffisant, il s'appelle foi

20 Voir Logique, AK IX 66.

21 Voir ibid., AK IX 70.

22 Logique, note AK IX 69, traduction Guillermit, p. 77: «je peux donc dire seulement: je me vois contraint par ma fin selon les lois de la liberté d'admettre comme possible un souverain Bien dans ce monde, mais je ne puis contraindre personne d'autre que moi par des raisons (la croyance est libre).»

23 Voir Logique, AK IX 68.

24 «Gesetzliches Bedürfnis».

25 Critique de la raison pratique, AK V 05; OP II, p. 611.Google Scholar

26 Ibid., AK V 143.

27 Voir ibid., AK V 125–126.

28 Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée?, AK VIII 141.

29 Voir Critique de la raison pratique, AK V 126 et Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée?, AK VIII 141: «une foi de la raison est celle qui ne se fonde sur d'autres données que celles qui sont contenues dans la raison pure.»

30 Voir Logique, AK IX 72.

31 Logique, AK IX 72–73, traduction Guillermit, p. 81.

32 À la différence de la «foi doctrinale», qui a quelque chose de vacillant (voir Critique de la raison pure, A 827 / B 855, AK III 536).

33 Voir Critique de la raison pratique, AK V 146.

34 Kant lui-même souligne, dans le manuscrit des Progrès, que le point de vue pratiquement dogmatique est subjectivement moral. Voir Les progrès de la métaphysique en Allemagne depuis Leibniz et Wolff [cité Progrès], AK XX–7 305.

35 Logique, AK IX 70, traduction Guillermit, p. 78.

36 Cf. La doctrine kantienne de l'objectiviteé L'autonomie comme devoir et devenir (Paris, Vrin, 1967)Google Scholar où Bernard Rousset souligne (p. 536) qu'il y a «une connaissance de la liberté, qui est bien plus que la foi inhérente au postulat, mais bien moins qu'une science de l'objet libre […]: elle ne possède pas l'objectivité théorique complète.»

37 Critique de la raison pratique, AK V 04.

38 Kant ne dit pas que nous connaissons (erkennen) la possibilité de la liberté, mais que nous savons que la liberté est possible. Cette distinction a son importance. En effet, alors que wissen est le premier degré de l'assentiment (assentiment subjectivement et objectivement suffisant), erkennen a trait à la teneur objective de la connaissance et signifie «savoir quelque chose avec conscience» (Logique, AK IX 65).

39 Nous proposons de traduire Gehalt par «teneur» plutôt que par «valeur» afin d'éviter toute confusion avec l'expression «validité (Gültigkeit) objective».

40 À ne pas confondre avec le second degré: percipere (percevoir).

41 Logique, AK IX 65.

42 Ibid. La compréhension, en tant que septième et dernier degré de la teneur objective de la connaissance en général, ne doit pas être confondue avec la connaissance, «connaître (kennen) quelque chose avec conscience» (ibid.), quatrième degré de la hiérarchie.

43 Critique de la raison pratique, AK V 133: «on ne comprend pas par là comment la liberté est seulement possible, et comment on doit se représenter, théoriquement et positivement, cette sorte de causalité; on comprend seulement que la liberté existe, postulée par la loi morale et à son intention. Il en est de même des autres idées, qu'aucun entendement humain ne parviendra à sonder quant à leur possibilité…» (OP II, p. 771).Google Scholar

44 Voir Critique de la raison pratique, AK V 47.

45 Dans la Préface de la Critique de la raison pratique, Kant souligne que si ceux qui se vantent de connaître parfaitement le concept de liberté et de pouvoir en expliquer la possibilité en le considérant simplement du point de vue psychologique, «l'avaient d'abord examiné soigneusement au point de vue transcendantal, ils auraient reconnu non seulement qu'il est indispensable comme concept problématique pour l'usage complet de la raison spéculative, mais aussi qu'il est totalement incompréhensible (die völlige Unbegreiflichkeit desselben)» (AK V 07; OP II, p. 614).Google Scholar

46 Critique de la raison pratique, AK V 46–47; OP II, p. 664.Google Scholar

47 La religion dans les limites de la simple raison (cité Religion), note de la deuxième édition, AK VI 144; OP III, p. 176Google Scholar: «nous comprenons très bien ce qu'est la liberté d'un point de vue pratique (lorsqu'il est question du devoir), tandis qu'au point de vue théorique en ce qui touche sa causalité (pour ainsi dire sa nature) nous ne pouvons même pas sans contradiction songer à vouloir la comprendre.»

48 Voir Religion, AK VI 138.

49 «Unerforschlichen», voir Critique de la raison pratique, AK V 47; Religion, AK VI 138.

50 Voir Critique de la raison pratique, AK V 99. Cf. AK V 46: «comment cette conscience des lois morales, ou, ce qui revient au même, la conscience de la liberté est-elle possible? C'est ce qu'on ne peut expliquer davantage…» (OP II, p. 663).Google Scholar

51 Fondements de la métaphysique des maurs, AK IV 459; OP II, p. 331.Google Scholar

53 Sur l'impossibilité de trouver une intuition qui corresponde au concept de causalité par liberté, voir plus particulièrement Critique de la raison pratique, AK V 15, 55–56, 134.

54 Carnois, B., La cohérence de la doctrine kantienne de la liberté, p. 99.Google Scholar

55 Critique de la raison pratique, AK V 56; OP II, p. 676Google Scholar (traduction légèrement modifiée).

56 Ibid., AK V 134.

57 Ibid., AK V 136.

58 Souligné par Kant lui-même, ibid., AK V 135.

59 La fin de toutes choses, AK VIII 332–333; OP III, p. 316 (traduction modifiée).Google Scholar

60 Progrès, AK XX–7 298 (traduction Guillermit, p. 60 modifiée): «Le credo en trois articles de la confession de la raison pure pratique: je crois en un seul Dieu, source de tout bien dans le monde, comme à la fin ultime de ce dernier; je crois en la possibilité, autant qu'il est au pouvoir de l'homme, d'accorder cette fin ultime avec le souverain bien dans le monde; je crois à une vie future éternelle comme à la condition sous laquelle le monde peut se rapprocher incessamment du souverain bien possible en lui; — ce credo […] ne comporte […] aucun impératif (aucun: crede!) et le fondement de la démonstration de sa justesse n'est aucunement la preuve de la vérité de ces propositions considérées comme théoriques, il n'enseigne donc pas objectivement la réalité effective (Wirklichkeit) de leurs objets, ce qui est impossible à l'égard du suprasensible, mais il enseigne subjectivement, d'une façon valable pour la pratique, et donc suffisante à ce point de vue, à agir comme si nous savions que ces objets existaient effectivement…».

61 Critique de la raison pure, A 698 / B 726, AK III 458.

62 Voir ibid., A 663 / B 691, AK III 439; A 669 / B 697, AK III 442.

63 Annonce de la prochaine conclusion d'un traité de paix perpétuelle en philosophie, AK VIII 416; OP III, p. 423.Google Scholar

64 Les textes dans lesquels Kant souligne la «restriction» de la réalité objective de ces idées à la sphère pratique ne manquent pas (nous soulignons pour tous les textes cités les adverbes exprimant cette restriction): Critique de la raison pratique, AK V 06; OP II, p. 612Google Scholar: «voici […] la raison pratique qui […] confère de la réalité à un objet suprasensible de la catégorie de causalité, c'est-à-dire à la liberté (quoiqu'elle ne lui accorde, comme à un concept pratique, que pour l'usage pratique)… »; AK V 70; OP II, p. 693Google Scholar: l'idée de liberté n'a de réalité «qu'autant qu'elle est une supposition inséparable de la loi morale» et «tous les objets intelligibles, auxquels la raison pourrait peut-être encore nous conduire en prenant cette loi pour guide, n'ont à leur tour de réalité pour nous qu'en vue de cette loi même et pour l'usage de la raison pure pratique…»; AK V 55; OP II, p. 675Google Scholar: le concept d'une causalité par liberté justifie sa réalité objective entièrement a priori dans la loi morale «quoique (comme on le voit aisément) cela ne concerne pas l'usage théorique, mais seulement l'usage pratique de la raison»; AK V 138; OP II, p. 776Google Scholar: «le concept de l'objet d'une volonté moralement déterminée (le concept du souverain Bien), et avec lui les conditions de sa possibilité, les idées de Dieu, de liberté et d'immortalité, sont dotés de réalité, quoique toujours seulement en relation avec l'exercice de la loi morale (et non à des fins spéculatives)»; Annonce de la prochaine conclusion d'un traité de paix perpétuelle en philosophie, AK VIII 418; OP III, p. 426Google Scholar: «parce qu'ils sont des Idées du suprasensible, aucune réalité objective ne peut leur être conférée du point de vue théorique, si une telle réalité doit pourtant leur être procurée, elle ne pourra leur être accordée que d'un point de vue pratique, comme postulats de la raison moralement pratique», etc.

65 Critique de la raison pratique, AK V 48, 49.

66 Ibid., AK V 56.

67 Voir Critique de la faculté de juger, AK V 175.

68 Critique de la raison pratique, AK V 56; OP II, p. 676Google Scholar. Cf. AK V 136: «la réalité des concepts requis pour la possibilité du souverain Bien est suffisamment assurée sans produire cependant par cet apport la moindre extension de la connaissance s'effectuant suivant des principes théoriques» (OP II, p. 774Google Scholar, traduction modifiée).

69 Sur la distinction entre extension de la connaissance théorique de la raison et extension de la raison théorique, voir Critique de la raison pratique, AK V 135.

70 Critique de la raison pratique, AK V 134.

71 Ibid., AK V 135; OP II, p. 772773Google Scholar: «on ne peut par là porter sur eux aucun jugement synthétique ni en déterminer théoriquement l'application: par conséquent, on ne peut en faire le moindre usage rationnel théorique, en quoi consiste proprement toute connaissance spéculative.»

72 Nous n'affirmons pas par là que la réalité objective pratique des idées de liberté, de Dieu et de l'immortalité de l'âme est négligeable. Ce serait ne pas comprendre Kant, qui soutient, au contraire, dans une note de la seconde édition de la Critique de la raison pure, que «La métaphysique n'a pour fin propre de ses recherches que trois idées: Dieu, la liberté et l'immortalité […]. Tout ce dont cette science s'occupe par ailleurs n'est pour elle qu'un moyen d'arriver à ces idees et a leur réalité» (B 395, AK III 260).