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Kant et l'idée de «Société des Nations»

Published online by Cambridge University Press:  05 May 2010

Simone Goyard-Fabre
Affiliation:
Université de Caen

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L'idée d'une Société des Nations (Völkerbund) que propose Kant à la fin du dix-huitième siècle semble, de prime abord, placée sous le signe de la banalité. Ne correspond-elle pas au voeu généreux, quoique souvent confus, exprimé par les penseurs des Lumières, de faire reculer les guerres qui déshonorent l'humanité et de promouvoir, par le droit des gens, la paix à laquelle jusqu'alors les humanistes s'étaient contentés de rêver en mêlant la politique et l'éthique? Ne trouve-t-on point en elle l'écho amplificateur de la «république européenne» qui, en cette époque où tout s'ébranle, est devenue le lieu commun d'une sensibilité intellectuelle qui croit à la solidarité culturelle et politique du Vieux Continent? N'est-elle pas aussi l'aboutissement de la volonté qui se manifeste en son siècle de rompre avec la culture classique et l'Ancien Régime, étant entendu que l'on pense alors généralement cette rupture comme la condition d'une communauté axiologique nouvelle entre les hommes de bonne volonté?

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Articles
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Copyright © Canadian Philosophical Association 1982

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References

1 Le Conflit des Facultés, trad. Gibelin (Vrin, 1955), 100.Google Scholar

2 «Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, in Philosophie de l'histoire, trad. S. Piobetta (Aubier, 1947), 70.Google Scholar

3 Ibid., 66.

4 Ibid., 60.

5 Ibid., 61.

6 Ibid., 77.

7 Ibid., 61. Il faut noter en cela une vision neuve de l'histoire qui apparente la pensée de Kant à «la philosophie de l'histoire» de Voltaire. Loin de s'attacher seulement au passé, l'intelligibilité historique doit, selon Kant comme selon Voltaire, s'attacher au devenir de l'humanité, donc, à son à-venir dans la mesure où, à partir des significations et des lois déchiffrées dans le passé et le présent, il est possible d'en envisager les grandes lignes. Celles-ci constituent l'épure de «la marche des choses» dont, en 1786, dans Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée?, Kant dira nettement qu'elle est la marche de l'irrationnel vers le rationnel, donc, aussi, la marche de l'asservissement de l'intelligence à sa libération.

8 Ibid., 66.

9 Ibid., 67.

10 Sur ce point, Kant se sépare de Herder, dont il critique les Idées en vue d'une philosophie de l'histoire de l'humanité—il fait en effet le compte rendu de l'ouvrage de Herderen 1785—et semble se situer beaucoup plus près de Ferguson, qu'il lui arrive d'ailleurs de citer, et selon qui l'histoire mondiale serait la promotion graduelle et lente de la vérité de l'homme.

11 «Idée d'une histoire universelle du point de vue cosmopolitique», dans Philosophie de l'histoire, 73.Google Scholar

12 Ibid., 76.

13 Ibid., 76.

14 L'étude parut dans le Mercure allemand de janvier-février 1788.

15 «Sur l'emploi des principes téléologiques dans la philosophie», dans Philosophie de l'histoire, 178.Google Scholar

16 «Conjectures sur les débuts de l'histoire de l'humanité», dans Philosophie de l'histoire, 154.Google Scholar

17 Ibid., 171.

18 Ibid., 172.

19 Ibid., 170.

20 Ibid., 159.

21 Ibid., 160.

22 Qu'est-ce que s'orienter dans lu pensée? (Vrin, 1967), 78 et 73.Google Scholar

23 «Qu'est-ce que les Lumières?», dans Philosophie de l'histoire, 83 sqq.Google Scholar

24 Ibid., 92.

25 Le Conflit des Facultés, 100.Google Scholar

26 Plus tard, en 1796, Kant prendra soin de distinguer l'Union fédérale américaine constitutive d'un Etat avec la Fédération des peuples en tant qu'alliance internationale. Doctrine du Droit, §61, 234.Google Scholar

27 Critique de la faculté de juger, §83.

28 Ibid., §83.

29 «Idée d'une histoire universelle», 66.Google Scholar

30 Critique de la faculté de juger, §83: «La condition formelle sous laquelle seule la nature peut atteindre cette fin finale qui est sienne, est cette constitution dans le rapport des hommes les uns avec les autres où, au préjudice que se portent les libertés en conflit, s'oppose une puissance légale dans un tout qui s'appelle société civile (bürgerliche Gesellschaft): c'est, en effet, seulement en cette dernière que le plus grand développement des dispositions naturelles peut s'effectuer. Si les hommes étaient assez intelligents pour la trouver et assez sages pour se soumettre volontairement à sa contrainte, un tout cosmopolite, c'est-à-dire un système de tous les Etats qui risquent de se nuire réciproquement, serait encore nécessaire».

31 Ibid., §72, 207, Hegel parle aussi du «technicisme téléologique de la nature» dans Foi et Savoir, dans Premières publications, trad. Méry, Ophrys, 222.Google Scholar

32 Nous renvoyons sur ce point à notre Présentation du Projet de Paix perpétuelle de l'abbé de Saint Pierre (Garnier, 1981), 3968.Google Scholar

33 «Idée d'une histoire universelle», 70.Google Scholar

34 Essai sur la paix perpétuelle, trad. Darbellay (PUF), 101.Google Scholar

35 Cf. Juris et Judicii Fecialis, sive Juris inter gentes et Quaestionum de eodem Explicatio (Oxford, 1650Google Scholar; autres éditions Leyde, 1651; La Haye, 1659; Mayence, 1661; traduit en allemand, Francfort sur le Main, 1666).

36 En 1758, la poète von Palthen préconisait, dans son Projekt eines immerwaehrenden Friedens in Europa, la création d'un «Parlement ou tribunal général dont tous les Etats européens s'engageraient à respecter les décisions», sorte de Cour internationale de justice statuant sur la base du droit naturel ou d'un droit des gens positif.—Citons également le De jure naturae et gentium de Rachel, qui date de 1676 et, plus près de Kant, le traité de K. G. Gottlob, Europaisches Völkerrecht (1787)Google Scholar; Schindler, Was ist den grossen Fuersten zu raten um das Wohl und Glueck der Laender zu Befoerdern (Vienne, 1788)Google Scholar; Schlettwein, J. A., Die wichtigste Angelenheit fuer Europa, oder System eines festen Friedens unter den europaeishen Staaten (Leipzig, 1791).Google Scholar

37 Cf. Essai sur la paix perpétuelle, 101.Google Scholar

38 L'Esprit des Lois, Livre IX, chap. 1, 2 et 3.

39 En particulier, la brochure de l'Allemand Toze, Die allgemeine Christliche Republik in Europa (1752)Google Scholar, avait fait un certain bruit. L'auteur, après avoir examiné les projets de Sully et de l'abbé de Saint Pierre, concluait à la nécessité d'instituer une autorité internationale qui serait seule susceptible de trancher les différends entre Etats. Il rejoignait les conclusions de la plaquette anonyme parue en 1745 et intitulée Projet d'un Nouveau Système de l'Europe (préférable au Système de l'Equilibre entre la Maison de France et celle d'Autriche) (32 pages, sans indication de lieu) qui, si elle avait été peu remarquée en France, avait retenu au contraire l'attention des Allemands.

40 Cf. en particulier Die Erziehung des Menschengeschlechts (Berlin, 1780).Google Scholar

41 Le Conflit des Facultés, 110.Google Scholar

42 Sur l'expression courante: il se peut que cela soit juste en théorie, mais en pratique cela ne vaut rien, trad. Guillermit (Vrin, 1967).Google Scholar

43 Platon, dont la Callipolis de La République et l'Atlantide du Critias ont fasciné Kant (cf. Critique de la Raison pure, trad. Tremesaygues et Pacaud [PUF], 264), avait bien vu la fondation transjuridique des rapports de droit. Mais, pour un Grec de son temps, la vie politique ne s'élargissait guère au delà de la Cité.

44 Théorie et pratique, section III, 56.

45 Ibid., 56.

46 Ibid., 59.

47 Ibid., 56.

48 Ibid., section III, note 51.

49 Ibid., section 11, 39.

50 Ibid., 29.

51 II faut entendre cette expression au sens du dix-huitième siècle: droit public ou politique, droit de la Civitas.

52 «Dans l'intelligence commune de l'humanité, la faculté déjuger en matière pratique l'emporte en tout point sur la faculté déjuger en matière théorique», Fondements de la Métaphysique des Moeurs, trad. V. Delbos (Delagrave), Section 1, 106.

53 Nous avons fait cette analyse dans l'Ecole des lettres, No 2, et No 3 (19811982).Google Scholar

54 Essai sur la paix perpétuelle, 13.Google Scholar

55 Ibid., 18–19.

56 La Critique de la Faculté de Juger dit que la guerre est «une tendance supplémentaire» en l'homme, §83, 243.

57 «Idée d'une histoire universelle», 67.Google Scholar

58 Ibid., 68.

59 Ibid., 68.

60 Essai sur la paix perpétuelle, 121.Google Scholar

61 Ibid., 101.

62 «Conjectures sur les débuts de l'histoire de l'humanité», 162.Google Scholar

63 «Idée d'une histoire universelle», 64.Google Scholar

64 Sur ce point, nous renvoyons à notre article «Guerre et paix chez les juriconsultes du droit naturel et des gens», dans «La Référence hobbienne», Revue européenne des sciences sociales 20/61 (1982), 89120.Google Scholar

65 La Religion dans les limites de la simple Raison, trad. Tremesaygues, 35.Google Scholar

66 «Idée d'une histoire universelle», 67.Google Scholar

67 «Conjectures sur les débuts de l'histoire de l'humanité», 162.Google Scholar

68 Essai sur la paix perpétuelle, 89.Google Scholar

69 «Idée d'une histoire universelle», 70.Google Scholar

70 Essai sur la paix perpétuelle, 105Google Scholar: «Aux yeux de la raison, il n'y a pas, pour des Etats entretenant des relations réciproques, d'autre moyen de sortir de l'absence de légalité, source de guerres déclarées, que de renoncer, comme les individus, à leur liberté sauvage (anarchique), pour s'accommoder de la contrainte publique des lois et former ainsi un Etat des Nations (civitas gentium) croissant sans cesse librement, qui s'étendrait à la fin à tous les peuples de la terre».

71 «Mais, comme d'après l'idée qu'ils se font du droit des gens, ils ne veulent point du tout de ce moyen, et rejettent in hypolhesi ce qui est juste in thesi, à défaut de l'idée positive d'une République mondiale, il n'y a, si l'on ne veut pas tout perdre, que l'ersatz négatif d'une alliance permanente, sans cesse élargie, qui puisse préserver de la guerre», Ibid., 105.

72 C'est ce que signifie l'expression «ersatz négatif» (negative Surrogat) d'une alliance permanente des peuples que Kant oppose à l'«idée positive d'une République mondiale» (Essai sur la paix perpétuelle, 105).Google Scholar

73 Ibid., 103.

74 Ibid., 123–125.

75 Ibid., 125.

76 Le règne du droit est indépendant du règne des fins puisqu'il ne demande rien à l'amélioration morale des hommes (Essai sur la paix perpétuelle, 125Google Scholar). Mais cela ne saurait signifier—c'est le sens des deux Appendices de l'Essai—qu'un désaccord peut impunément s'établir entre la politique et la morale.

77 «Idée d'une histoire universelle», 67Google Scholar. La «pire des détresses» est celle «que les hommes s'infligent les uns aux autres».

78 Essai sur la paix perpétuelle, 99.Google Scholar

79 Ibid., 95.

80 Ibid., 93.

81 Les citoyens actifs (Staatbiirger) s'opposent aux citoyens passifs (Staatsgenossen) qui n'ont pas de personnalité civile.

82 Essai sur la paix perpétuelle, 95.Google Scholar

83 Ibid., 97.

84 Ibid., 91.

85 Ibid., 99.

86 Cf. «Définition du concept de race humaine» (1785), dans Philosophie de l'histoire, 142.Google Scholar

87 Essai sur la paix perpétuelle, 103.Google Scholar

88 Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation. Appendice, «Critique de la philosophie kantienne», trad. Burdeau, édition R. Roos(PUF, 1966), 661.

89 II les connaissait bien puisqu'à plusieurs reprises—chose courante d'ailleurs dans les Universités allemandes de l'époque—il avait été chargé du cours sur le droit naturel.

90 Grotius, De jure belli ac pads, Livre I, chap. I, §XII.

91 II s'agit du droit en son extension la plus large: «civil, plus étendu que le civil (le droit des gens) ou plus restreint que le civil (le droit privé des individus)». Grotius, De jure belli ae pacis, livre I, chap. I, XIV.

92 Ibid., Prolégomènes, VIII.

93 Doctrine du Droit, trad. Philonenko (Vrin, 1971), §2, 120121.Google Scholar

94 Ibid., §9, 131 et §15, 140. Sur ce problème fondamental, nous renvoyons à notre Kant et le problème du droit (Vrin, 1975)Google Scholar, en particulier chapitre 3.

95 L'état civil ne se confond pas, selon Kant, qui s'oppose sur ce point au juriste Achenwall, avec l'état social, Doctrine du Droit, Introduction, 116.Google Scholar

96 Critique de la raison pure, trad. Tremesaygues et Pacaud (PUF), 100. Voir également l'Introduction à la Doctrine du Droit, §A et B, où Kant distingue les questions Quid jus?, Quid sit juris? et Quid juris? 103–104. Nous renvoyons sur ce point à nos deux articles «Kant et l'idée pure du droit» et «Kant et la révolution copernicienne du droit» parus dans les Archives de Philosophie du droit, Sirey, respectivement en 1981 et 1982, tomes 26 et 27.

97 Doctrine du droit, §54, 227.Google Scholar

98 Ibid., conclusion, 237.

99 Ibid., §54, 227.

100 «Dans l'état de nature des Etats, le droit de faire la guerre … est le moyen permis à un Etat pour poursuivre par sa force propre son droit contre un autre Etat», ibid., §56, 229. Ce prétendu «droit» se ramène donc à la force: il est le droit du plus fort. Il faut évidemment rapprocher la position adoptée par Kant à cet égard avec les thèses de Hobbes relatives à l'état de nature.

101 Ibid., §54, 227.

102 Ibid., §41, 188.

103 Ibid., §42, 189.

104 Ibid., §61, 233.

105 Ibid., §61. 234.

106 Ibid., §61, 234.

107 «Idée d'une histoire universelle», 70.Google Scholar

108 Essai sur la paix perpétuelle, 103.Google Scholar

109 Doctrine du Droit, §61, 234.Google Scholar

110 Ibid.

111 Critique de la raison pure, 453.Google Scholar

112 Ibid., 558.

113 Doctrine du Droit, Remarques explicatives, 255.Google Scholar

114 Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée? 87.Google Scholar

115 Doctrine du Droit, 255.Google Scholar

116 Ibid., 255.

117 Ibid., §61, 234.

118 Les trois questions qu'énonce en 1781 La critique de la Raison pure: «Que puis-je savoir, que dois-je faire, que m'est-il permis d'espérer?» (543) et que répète la Logique (trad. Guillermit [Vrin, 1966], 25), sont reprises dans la lettre à Stäudlin du 4 mai 1793 et enrichies d'une quatrième question qui indique le sens des trois premières: «Qu'est-ce que l'homme?».

119 II faudrait développer cette idée. Bornons-nous à quelques suggestions: (1) la méthode critique est née de la démarche même des jurisconsultes (Critique de la raison pure, 100); (2) la moralité concrète des hommes implique l'organisation civile de la société par laquelle seulement la justice distributive est rendue possible (Doctrine du Droit, §42); (3) l'inter-subjectivité est impensable sans référence à l'idée du droit (Critique de la faculté de juger, §83); (4) le progrès n'a pas simplement une figure historique mais il n'est rendu possible que par et selon la voie institutionnelle («Idée d'une histoire universelle», «Qu'est-ce que les Lumières?»).

120 Doctrine du Droit, Conclusion, 238.Google Scholar

121 Ibid., Remarques explicatives, 256.

122 Ibid., 256.