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Les juridictions traditionnelles et la justice pénale internationale

Published online by Cambridge University Press:  09 March 2016

Pacifique Manirakiza*
Affiliation:
Faculté de droit, Université d’Ottawa
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Sommaire

L’ampleur de la criminalité internationale et de l’impunité qui en résulte exige que la communauté internationale développe de nouvelles stratégies afin de venir à about de ce phénomène. Bien que les juridictions pénales internationales soient souvent présentées comme une panacée, force est de constater que les juridictions étatiques interviennent pour leur prêter main forte dans la lutte contre l’impunité. Cet article se propose d’analyser l’opportunité de l’intervention des juridictions étatiques traditionnelles ou communautaires dans l’administration de la justice pénale internationale. Après avoir établi que leur intervention trouve des assises en droit international, l’auteur conclut que les juridictions traditionnelles ne sont pas juridiquement ni logistiquement outillées pour réprimer les crimes internationaux les plus graves. Néanmoins, dans les Etats où des violences massives ont eu lieu impliquant la participation de la population, l’auteur estime que celle-ci ainsi que les institutions populaires existantes peuvent être associées dans le règlement judiciaire de la crise afin de mieux définir de nouvelles bases de cohabitation sociale. L’implication judiciaire des institutions traditionnelles est envisageable à deux niveaux: la répression des infractions mineures, en l’occurrence celles contre les propriétés, qui sont commises à l’occasion de la perpétration des crimes odieux qui offensent la conscience de toute l’humanité d’une part, et, d’autrepart, l’implication des juges-citoyens comme jurés dans le cadre des procès pour crimes internationaux proprement dits. La population quant à elle peut être appelée à jouer un rôle de premier plan dans la recherche de la vérité historique et dans la manifestation de la vérité judiciaire.

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References

1 de Bueule, C., “La justice internationale peut-elle contribuer à la construction de la Paix dans la région des Grands Lacs?Journée européenne-Rwanda organisée sous le thème La Justice internationale face à la crise rwandaise, Lille, le 16 février 2002.Google Scholar

2 II s’agit du Tribunal international pour juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ ex-Yougoslavie depuis 1991, en sigle TPIY, créé le 25 mai 1993 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, voir Doc. NU S/RES/827 (1993); du Tribunal pénal international chargé déjuger les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d’États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994, en sigle TPIR, créé le 8 novembre 1994 par le même Conseil de sécurité, voir Doc. NU S/RES/g55 (1994); de la Cour pénale internationale (C.P.I.) dont le Statut a été adopté le 17 juillet 1998 parla Conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations Unies sur la création d’une Cour criminelle internationale tenue à Rome, Italie, voir Doc. NU A/CONF. 183/9.

3 II s’agit par exemple, pour la Sierra Leone, du Tribunal spécial pour la Sierra Leone créé par suite de l’Accord entre l’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement sierra-léonais sur la création d’un Tribunal spécial pour la Sierra Leone; voir Rapport de ta mission de planification en vue de la création d’un Tribunal spécial pour la Sierra Leone, DOC. ONU S/ 2002/246, 8 mars 2002. Pour le Timor Oriental, voir la Regulation No. 2000/15 on the establishment of panels with exclusive jurisdiction over serious criminal offences, UNTAET/REG/2000/15, 6 juin 2000.

4 Le Rwanda est par exemple en plein processus de répression des crimes qui ont été commis sur son territoire entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994.

5 La Belgique réclame M. Ntuyahaga, ancien major dans l’armée rwandaise et actuellement en détention en Tanzanie aux fins de répondre des accusations re-latives à l’assassinat des 10 casques bleus du contingent militaire belge opérant dans le cadre de la MINUAR au Rwanda en 1994.

6 Certains pays ont engagé des poursuites contre des suspects criminels internationaux présents sur leurs territoires. C’est le cas de la Belgique; voir notamment l’affaire Ministère publice. Ntezimana et al., Cour d’assises, Bruxelles, juin 2001; de la France, voir notamment l’affaire Dupaquier et autres c. Munyeshyaka, Chambre d’accusation de la Cour d’appel, Nîmes, 20 mars 1996, n° 96–0160; de la Suisse, voir notamment l’affaire Niyonteze, en ligne: http://www.diplomatiejudiciaire.com/Niyonteze.htm, dernière visite en date du 15 octobre 2002; etc.

7 Ainsi, le TPIR est compétent pour les crimes commis au Rwanda entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994, la CPI est compétente pour les crimes commis à partir du 1er juillet 2002, date d’entrée en vigueur du statut qui l’institue, etc.

8 Au Rwanda par exemple, avec la guerre de 1994, beaucoup de magistrats ont été soit tués soit contraints à l’exil. A la fin d’octobre 1995, le Ministère de la justice comptait en son sein 387 juges, 110 greffiers, 20 officiers du ministère public et 312 inspecteurs de police judiciaire; mais ces chiffres demeurent largement en deçà des besoins en personnel judiciaire. Ceux-ci sont estimés par l’Opération droits de l’homme au Rwanda — et seulement pour le “démarrage” — à 664 magistrats, 330 greffiers, 163 officiers du ministère public et 312 inspecteurs de police judiciaire. Voir Rapport sur la situation des droits de l’homme au Rwanda soumis par M. René Degni-Ségui, Rapporteur special de la Commission des droits de l’homme, en application du paragraphe 20 de la résolution S-3/1 du 25 mai 1994, Doc. NU E/CN.4/1996/68, 29 janvier 1996 au par. 49. Pourtant, on devrait juger, au début du processus, plus de 200 000 détenus inculpés de génocide et/ou de crimes contre l’humanité et satisfaire le besoin de justice d’autant de victimes, y compris la communauté internationale.

9 Neuf ans après la tragédie rwandaise de 1994, plus de 103 000 personnes sont encore détenues et accusées de génocide et de crimes contre l’humanité. Voir Amnesty International, Gacaca: une question de justice, Doc. AFR 47/004/02, Londres, novembre 2002 à la p. 1.

10 C’est le cas en Afrique du Sud de la Truth and Recondliation Commission mise en place après la chute du régime d’apartheid.

11 C’est le cas du Rwanda qui a reconnu la compétence aux tribunaux traditionnels dits Gacaca de réprimer les crimes de génocide et les crimes contre l’humanité; voir à cet effet la Loi organique n” 40/2000 du 26/01/2001 portant création des “juridictions Gacaca “ et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1” octobre 1990 et le 31 décembre 1994, dans J.O.R.R., n° 6 du 15 mars 2001 (ci-après “Loi 40/2000”). Elle a été amendée par la Loi organique n” 33/2001 du 22/06/2001 modifiant et complétant la loi organique n” 40/2000 du 26/01/2001 portant création des “juridictions Gacaca “ et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994. Voir J.O.R.R. n° 14 du 15 juillet 2001 à la p. 15 et s.

12 On dénombre à peu près 25 catégories de crimes internationaux; pour une énumération de ces crimes; voir Bassiouni, M. C., “The sources and content of international criminal law: a theoretical framework” dans Bassiouni, M. C., International criminal law: Crimes, vol. 2, 2e éd., 1999 à la p. 48 Google Scholar; voir également Bassiouni, M. C., “The Nuremberg legacy” dans Bassiouni, M. C., International criminal law: Enforcement, vol. 3, 2e éd., New York, Transnational Publishers, îggg aux pp. 209230 Google Scholar (ci-après Enforcement). Aux fins de cet article, nous entendons, par crimes internationaux, le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, infractions considérées comme les plus graves en ce sens qu’elles “défient l’imagination et heurtent profondément la conscience humaine” (Statut de la CPI, supra note 2, préambule au par. 2 ).

13 Au Pakistan, les juridictions traditionnelles connues sous l’appellation de jirga sont pilotées par des chefs tribaux appelés Sardar; voir Amnesty International, Pakistan — Le système de justice tribale, ASA 33/024/02, Londres, octobre 2002. Au Rwanda, les juridictions coutumières Gacaca sont coordonnées par des sages appelées lnyangamugayo; voir notamment Ntampaka, Charles, “Le gacaca: une juridiction pénale populaire.” Voir en ligne: Reyntjens, Felip, “Le gacaca ou la justice du gazon au Rwanda” (1990) 40 Revue politique Africaine 31,Google Scholar Le droit et ses pratiques; Loi organique n° 40/2000, supra note 11.

14 On peut signaler par exemple la cérémonie d’initiation dite Ukwatirwa en vigueur au Burundi au cours de laquelle une assemblée de sages reconnaît et confère publiquement la qualité de personne intègre (UMUSHINGANTAHE) aux candidats après quoi ils peuvent siéger et prendre part aux séances de délibérations à l’issue des audiences publiques.

15 Amnesty International, supra note 13 à la p. 13.

16 Ibid. et texte correspondant.

17 Amnesty International, supra note 13 à la p. 14.

18 Albrecht, H. J., Settlements out of court: a comparative study of European criminal justice systems, South African Law Commission, Project 73, 2001 à la p. 7.Google Scholar Dans ce rap port, le Prof. Albrecht écrit: “Among the crime phenomena that are placing criminal justice systems under new strains, mass crime and mass delinquency rank high & Mass crimes and complex crimes have caused capacity and overload problems and have contributed to a significant trend towards simplification and streamlining of basic criminal law and criminal procedure.”

19 Sur la notion de sanctions alternatives à la prison, voir les rapports de l’ONG Penal Reform International, en ligne <http://www.penalreform.org/francais/ frset_bib_fr.htm>.

20 Albrecht, supra note 18 à la p. 23.

21 South African Law Commission, The harmonisation of the common law and indigenous law: Traditional courts and the judicial function of traditional leaders, Projet 90, mai 1999 à la p. 17, par. 5.3.

22 Voir le Resistance Committees (Judicial Powers) Statute, No.1 of 1988 qui porte sur l’organisation et la compétence de ces institutions judiciaires.

23 Albrecht, supra note 18 à la p. 24.

24 Onyango, O. et al., “Popular Justice and Resistance Committee Courts in Uganda” mimeo, Kampala, 1994, cité par South African Commission, supra note 21 à la p. 17, par. 5.3.Google Scholar

25 C’en est le cas avec les Traditional Leaders’ Courts du Zimbabwe et les Resistance Committee Courts de l’Ouganda.

26 Les jirgas tranchent les questions de terres et de l’eau et sont compétentes pour les homicides et autres atteintes à l’intégrité physique ou morale des personnes.

27 Rapport du Secrétaire général sur l’Administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental (pour la période du 27 juillet 2000 au 16 janvier 2001), Doc. NU S/2001/42, 16janvier 2001, par. 27.

28 Albrecht, supra note 18 à la p. 24.

29 Dans la société pakistanaise traditionnelle, l’inconduite sexuelle d’une femme ou toute agression sexuelle contre une femme portent atteinte à l’honneur de sa famille, en particulier les hommes. Elles constituent ainsi un crime “d’honneur” qui doit être sévèrement réprimé; voir Amnesty International, supra note 13 aux pp. 8–9.

30 Contrairement à la justice pénale occidentale qui met en avant les droits individuels et favorise la détermination du gagnant et du perdant, les juridictions traditionnelles favorisent la réconciliation et privilégient les intérêts du groupe et la conciliation au conflit. On vise donc l’harmonie sociale tout en réglant les différends qui opposent des membres d’une communauté donnée.

31 South African Law Commission, supra note 21 à la p. vii, par. 2: “These community courts should apply the general sense of justice and common sense.”

32 Ibid. à la p. 29, par. 6.3.1: “As far as customary law is concerned, every adult member of the ethnic group is supposed to know it, and since the chiefs are sup-posed to be the custodians of the law of their community they are presumed to know the customary law. Even the parties are expected to know the law, the only question being the application of the law to the facts.”

33 Amnesty International, supra note 13 à la p. 13.

34 South African Law Commission, supra note 21 à la p. 10.

35 Ibid., à la p. vii, par. 2: “These community & should aim at reconciling the disputants and establishing harmony in the community.”

36 South African Law Commission, supra note 21 au par. 7.5.2.

37 Propos d’un plaignant devant une jirga rapportés par Amnesty International, supra note 13 à la p. 26.

38 South African Law Commission, supra note 21 au par. 6.4.5.

39 Albrecht, supra note 18 à la p. 26.

40 L’administration de la justice pénale met traditionnellement un accent sur les droits des accusés, en l’occurrence le droit à un procès équitable, et la protection de la société en général. Jusqu’à une certaine époque, les victimes ne sont pas, en tant que telles, prises en considération par les tribunaux répressifs. C’est dans ce cadre que les victimes ne peuvent pas intervenir devant les juridictions internationales ad hoc sauf à titre de témoins à charge. Néanmoins, elles jouissent désormais d’une protection internationale aux termes de la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir; voir Doc. NU A/Rés/40/34 adoptée par l’Assemblée générale en 1985; voir également les art. 75 et 79 du Statut de la CPI, supra note 2; voir aussi Ensemble de principes et de directives fondamentaux concernant le droit à des victimes de violations flagrantes des droits de l’homme et du droit humanitaire établi par M. Theo van Boven en application de la décision 1995/171 de la Sous-commission (des Nations Unies) de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, Doc. NU E/CN.4/Sub.2/1996/17, p. 4, §7. Ces principes ont été dégagés sur base d’une étude menée par M. Theo van Boven (Rapporteur spécial de la Sous-commission), Étude concernant le droit à la restitution, compensation et réhabilitation des victimes des violations graves des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Doc. NU, E/CN.4/sub.2/1996/17.

41 Amnesty International, supra note 13 à la p. 15.

42 Ibid. à la p. 35.

43 Voir supra note 11.

44 Voir Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des rrudades dans les forces armées en campagne, RTNU, 1950, n° 970 à la p. 32, art. 49 (ci-après Convention de Genève I); Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer, RTNU, 1950, vol. 971 à la p. 86, art. 50 (ci-après Convention de Genève II); Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, RTNU, 1950, n° 972 à la p. 136, art. 129 (ci-après Convention de Genève III); Convention de Genève relative à la protection des personnes aviles en temps de guerre, RTNU, 1950, n° 973 à lap. 288, art. 146 (ci-après Convention de Genève IV); Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, RTNU, 1979, n° 17512 à la p. 271, art. 85 (ci-après Protocole I). Ces textes peuvent être consultés en ligne sur le site du CICR: http://www.icrc.org/ihl.

45 Principes de coopération internationale en ce qui concerne le dépistage, l’arrestation, l’extradition et le châtiment des individus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, 3 décembre 1973, Doc. NU, A/RES 3074 (XXVIII).

46 Ibid., Doc. NU, A/RES 3074 (XXVIII), principe 5.

47 Le juge d’instruction belge Vandermeersch considère “… qu’il existe une règle coutumière du droit des gens, voire du jus cogens, reconnaissant la compétence universelle et autorisant les autorités étatiques nationales à poursuivre et à traduire en justice, en toutes circonstances, les personnes soupçonnées de crimes contre l’humanité.” Voir Tribunal de première instance (Bruxelles), juge d’instruction, Ordonnance n° 216/98, (1999) 2 Rev. dr. pén. et crim. 286 àia p. 288.

48 Voir Affaire Javor et autres, résumée dans Sassoli, M. et Bouvier, A. A., How does law protect in war? Cases, documents and teaching materiah on contemporary practice in international humanitarian law, Genève, CICR, 1999 à la p. 1252 Google Scholar et s. Dans cette affaire, le juge d’instruction Getti soutient que “… contrairement à ce qui est soutenu par le ministère public, les principes de coopération internationale concernant le dépistage et le châtiment, notamment, des individus coupables de crimes de guerre, ont bien la force obligatoire et l’effet direct d’un texte conventionnel. ”

49 Ordonnance n° 216/98, supra note 47 à la p. 288.

50 II faut noter par ailleurs que cette jurisprudence relative à la force obligatoire de cette résolution peut trouver un fondement solide dans l’avis de la CIJ sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires. Dans cet avis, la CIJ a estimé que “les résolutions de l’Assemblée générale, même si elles n’ont pas force obligatoire, peuvent parfois avoir une valeur normative. Elles peuvent, dans certaines circonstances, fournir des éléments de preuve importants pour établir l’existence d’une règle ou l’émergence d’une opinio juris. Pour savoir si cela est vrai d’une résolution donnée de l’Assemblée générale, il faut en examiner le contenu ainsi que les conditions d’adoption; il faut en outre vérifier s’il existe une opinio juris quant à son caractère normatif,” Affaire de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, CIJ, Avis consultatif, 8 juillet 1996 au par. 70.

51 Statut de la CPI, supra note 2, art. 1er.

52 Elles le feraient en vertu de la compétence territoriale car, comme le dit C. Beccaria, un des fervents défenseurs du principe de la territorialité, le lieu du châtiment ne peut être que le lieu du délit, attendu que c’est là et non ailleurs qu’existe l’obligation de sévir contre un particulier pour défendre le bien public.” Voir Beccaria, C., Des délits et des peines, Droz, Genève, 1965,Google Scholar c. XXIX à la p. 55. (Paru en 1766 en italien sous le titre Dei delitti e delle pene, cet ouvrage a été traduit en français par Maurice Chevalier en 1965).

53 Elles agiraient en vertu des principes de la personnalité ou de l’universalité selon que l’auteur ou la victime du crime est un national de l’État poursuivant ou non. Sur ces principes de compétence juridictionnelle, voir notamment Henzelin, M., Le principe de l’universalité en droit pénal international. Droit et obligation pour les Etats de poursuivre et juger selon le principe de l’universalité, Genève, Helbing & Lichtenhahn, Faculté de droit de Genève, 2000 à la p. 123 Google Scholar; voir également United States c. Yunis, District Court, DC, 12 février 1988, dansILR, 1990, vol. 82 aux pp. 347–50 et 353. Signalons à toutes fins utiles que l’exercice de la compétence universelle est désormais soumis à l’arrêt Yerodia qui reconnaît l’immunité juridictionnelle des Ministres des Affaires étrangères pour les crimes commis pendant l’exercice de leurs fonctions; voir Affaire du Mandat d’arrêt international (République démocratique du Congo c. Belgique), CIJ, arrêt du 12 février 2002; voir en ligne: <http://www.icj<ij.org/cijwvw/cdocket/cCOBE/cCOBEframe.htm>, dernière visite: 15 octobre 2003.

54 Le Committee on International Human Rights Law and Practice de l’International Law Association soutient par exemple, dans son rapport de 2000, que “domestic courts and prosecutors bringing the perpetrators to justice are not acting on behalf of their own domestic legal system but on behalf of the international legal order.” Voir International Law Association, Conférence annuelle, Londres, 2000. Voir également l’arrêt Demjanjuk “The underlying assumption is that the crimes are offenses against the law of nations or against humanity and the prosecuting nation is acting for all nations. This being so, Israel or any other nation regardless of its status in 1942 or 1943, may undertake to vindicate the interest of all nations by seeking to punish the perpetrators of such crime,” Demjanjuk c. Petrovsky, 776F. 2D 571, US Court of Appeal, 6th circuit, 31 Octobre 1985, publié dans A.J.I.L., vol. 80, 1986 aux pp. 656–58.

55 Ci-dessus, aux pp. 57–58.

56 South African Law Commission, supra note 21 au par. 6.5.1.

57 S’agissant du génocide, voir à cet effet les affaires Procureur c. Kambanda (1998), Affaire ICTR-97–23-S (TPIR, Chambre de première instance I), Sentence, par. 10–16; Procureur c. Akayesu (1998), Affaire ICTR-96-4-T (TPIR, Chambre de première instance I), Sentence, par. 11.

58 Voir ci-dessus, aux pp. 57–58.

59 Par exemple, la qualification de l’infraction de génocide n’est pas un exercice facile en ce sens qu’elle exige la détermination du dolus specialis juridiquement requis pour conclure à son existence. Voir jugement Kambanda, supra note 57 au par. 16; aussi Procureur c. Akayesu (1998), affaire ICTR-96-4-T, (TPIR, Chambre de première instance I) Jugement, par. 498.

60 South African Law Commission, supra note 21 à la p. 29, par. 6.3.1 (notre emphase).

61 “[L]es personnes sélectionnées pour remplir les fonctions de magistrat doivent être intègres et compétentes et justifier d’une formation et de qualifications juridiques suffisantes.” Voir Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, adoptés par le septième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à Milan du 26 août au 6 septembre 1985 et confirmés par l’Assemblée générale dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985, principe 10. Il faut noter que ces principes ont été établis pour les juges de carrière, “mais ils s’appliquent aussi, le cas échéant, aux juges non professionnels.” Voir ibid., préambule au par. 10.

62 Au Rwanda par exemple, l appareil judiciaire est dominé par les Tutsi et le Front patriotique rwandais (FPR) vainqueur de la guerre de 1994. Il est vu et en fait agit comme un organe étatique destiné à juger uniquement les Hutu et à protéger les intérêts des Tutsi au détriment de ceux des autres groupes ethniques. Ce que le Prof. Cousineau appelle la “tutsification” du système judiciaire; voir Cousineau, M., “L’établissement de l’État de droit au Rwanda: un but irréali-sable” (1996–1997) R.D. Ottawa 83.Google Scholar

63 Voir ci-dessus, aux pp. 59–60.

64 Sur l’importance de l’avocat dans une procédure judiciaire, voir Hon. J. Lachapelle et W.A. Schabas, Pour un système de justice au Rwanda, Rapport révisé d’une mission exploratoire effectuée au Rwanda du 27 novembre au 6 décembre 1994, Montréal, Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, 1994 à la p. 16.

65 II faut noter que le droit pénal international reconnaît cette garantie judiciaire pour toute personne accusée de crimes internationaux: “En toutes circonstances, les inculpés bénéficieront de garanties de procédure et de libre défense qui ne seront pas inférieures à celles prévues par les articles 105 et suivants de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949.” Voir Convention de Genève I, art. 49, par. 4; Convention de Genève II, art. 50, par. 4; Convention de Genève III, art. 129, par. 4; Convention de Genève IV, art. 146, par. 4.

66 Ci-dessus, aux pp. 58–59.

67 Ci-dessus, à la p. 59.

68 Voir supra note 40.

69 Ci-dessus, à la p. 57.

70 Ci-dessus, aux pp. 57–58.

71 Les tribunaux ordinaires internes prononcent, à l’encontre des personnes reconnues responsables de ces infractions, des peines pécuniaires, sous forme d’amendes ou d’indemnités de compensation pour les victimes. Donc, même au niveau de la peine, il n’y a pas de grande différence entre les deux systèmes pénaux.

72 La South African Law Commission soutient que “if magistrates’ courts are not to be overwhelmed, that at least some minor offences continue to be within the jurisdiction of the traditional leaders’ courts while the more serious are excluded from such courts and left to be administered by magistrates’ courts or higher,” Voir South African Law Commission, supra note 21 au par. 6.6.3.

73 Voir à cet effet Human Rights Watch, Shattered lives: Sexual Violence during the Rwandan Genocide and its Aftermath, Washington, DC, 1996.

74 “[T] rained para-legals should be appointed by the Ministry of Justice to assist traditional courts as clerks of court. This would help the courts to assess and avoid decisions that might be in violation of the Constitution or the law or that are beyond the jurisdiction of the court.” Voir South African Law Commission, supra note 21 au par. 5.7.

75 Au Canada, en vertu de l’art. 471 du Code criminel, le procès devant un jury est un principe obligatoire en matière criminelle, à moins que le procureur et l’accusé consentent à la renonciation de ce droit pour certaines catégories d’infractions, notamment celles prévues à l’art. 469. Voici son prescrit: “Sauf disposition expressément contraire de la loi, tout prévenu inculpé d’un acte criminel doit être jugé par un tribunal composé d’un juge et d’un jury.”

76 Le Prof. C. Ntampaka est également de cet avis; voir Ntampaka, supra note 13.

77 Selon Bassiouni, “Since World War II alone, it is estimated that more than 250 conflicts of non-international character, internal conflicts and tyrannical regime victimization have occured. These post-World War II situations have resulted in an estimated 86 million casualties.” Voir Bassiouni, M. C., “The need for international accountability” dans Enforcement, supra note 12 à la p. 4.Google Scholar

78 Monseigneur Desmond Tutu, président de la Truth and Reconciliation Commission en Afrique du Sud soutient le caractère complémentaire de cette institution quand il dit que “it is just a small part of a process in which the whole nation must be engaged,” propos cités par Baehr, P. R., ‘How to deal with the past,’ in Joyner, C. et Bassiouni, M. C. (eds.), Reining in impunity for international crimes and serious violations of fundamental human rights: proceedings of the Siracusa conference, Toulouse, Ères, 17–21 Septembre 1998, à la p. 424.Google Scholar Le Secrétaire général des Nations unies soutient aussi que “[L]a vérité et la réconciliation ne sauraient toutefois se substituer à la mise en cause devant la justice des responsabilités individuelles,” voir Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité sur la protection des civils dans les conflits armés, DOC. ONU S/2001/331, 30 mars 2001 au par. 13. Pour une analyse de certains mécanismes complémentaires aux poursuites pénales, voir notamment Olson, L., “Mechanisms complementing prosecution,” 84 (2002) 845 RICR àla p. 173.Google Scholar

79 Baehr, supra note 78 à la p. 424.

80 Baehr, M. soutient que “the first and foremost task of the commission is to present the true facts, or rather to recognize those facts. After all, often the true facts are already well-known among the people involved, but they ask for an official recognition.” Voir Baehr, , supra note 78 à la p. 425.Google Scholar

81 Biramvu, J. P., Justice et lutte contre l’impunité au Rwanda: la poursuite des crimes de génocide et des crimes contre l’impunité, en ligne: http://droit.Francophonie.org/acct/rfj/actu/o8Biramv.htm, dernière visite: le 12 septembre 2003.Google Scholar

82 II nous faut néanmoins préciser que le pardon auquel aboutit généralement ce processus ne peut pas être accordé aux gens qui donnent leurs témoignages de la vérité factuelle mais dont les comportements ont été caractérisés par une gravité d’une grande ampleur qui les rangeraient dans la catégorie juridique de crimes internationaux sous examen dans cet article. En effet, comme le dit le Prof. H. Ascensió, la réconciliation pour ces crimes doit passer par des procès car “s’il n’y a pas de procès, il y a un passé qui ne passe pas.” Voir l’intervention du Prof. Ascensió au colloque organisé à Limoges les 22–23 novembre 2001 et rapportée dans Gaboriau, S. et Pauliat, H., La justice pénale internationale, Limoges, PULIM, 2002 à la p. 53.Google Scholar

83 “Chaque peuple a le droit inaliénable de connaître la vérité sur les événements passés, ainsi que sur les circonstances et les raisons qui ont conduit, par la violation massive ou systématique des droits de l’homme, à la perpétration de crimes aberrants. L’exercice plein et effectif du droit à la vérité est essentiel pour éviter qu’à l’avenir les violations ne se reproduisent.” Voir Ensemble de principes pour laprotection et la promotion des droits de Vhommeparla lutte contre l’impunité, annexé au Rapport final révisé établi par M. L. Joinet, en application de la décision 1996/119 de la Sous-Commission, adopté par la Commission des droits de l’homme (Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités), Doc. NU E/CN.4/Sub.2/1997/20/Rev.ι du 2 octobre 1997, principe 1.

84 Ibid. principe 3: “Indépendamment de toute action en justice, les victimes, ainsi que leurs familles et leurs proches, ont le droit imprescriptible de connaître la vérité sur les circonstances dans lesquelles ont été commises les violations et, en cas de décès ou de disparition, sur le sort qui a été réservé à la victime.”

85 Ibid. principe 2: “La connaissance par un peuple de l’histoire de son oppression appartient à son patrimoine et, comme telle, doit être préservée par des mesures appropriées au nom du devoir de mémoire qui incombe à l’État. Ces mesures ont pour but de préserver de l’oubli la mémoire collective, notamment pour se prémunir contre le développement de thèses révisionnistes et négationnistes.”

86 Baehr, supra note 78 aux pp. 423–24.

87 Le gouvernement du 3e Reich tenait régulièrement les procès-verbaux des réunions où se planifiaient les crimes. Ces documents ont constitué une mine d’in-formations et de preuves à l’accusation.

88 Kambanda c. Procureur (2000), Affaire n° ICTR-g7-23-A (TPIR, Chambre d’appel), par. 10(3). L’accusé a invoqué comme motif d’appel que la Chambre de première instance “a accepté la validité de l’Accord de plaidoyer sans s’être assurée que l’aveu de culpabilité était volontaire, a été fait en toute connaissance de cause, était sans équivoque et reposait sur des faits propres à établir le crime et la participation de l’Appelant à sa commission compte tenu soit d’indices indépendants, soit de l’absence de tout désaccord fondamental entre les parties sur les faits de la cause.”

89 Voir notamment Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’homme (LIPRODHOR), Problématique de la preuve dans les procès de génocide: l’institution imminente des juridictions Gacaca constitue-elle une panacée?, Kigali, Centre de Documentation et d’Information sur les Procès de Génocide (CDIPG), juin 2000 à la p. 50.

90 Les TPI ad hoc ont essentiellement recours aux témoignages des personnes privées, victimes ou pas, pour reconstituer la base factuelle de la vérité. Le pro-cureur entend par exemple, à lui seul, appeler à la barre plus de 228 témoins et produire 500 documents dans l’affaire Procureurc. Milosevic et autres, affaire IT-99–37, TPIY, Conférence de mise en l’État (relativement à l’acte d’accusation du Kosovo), 30 Octobre 2001 et 250 témoins dans le dossier dit des militaires devantle TPIR (Procureurc. Bagosora et autres, affaire ICTR-98–41-T, TPIR, Chambre de première instance III).

91 Devant les Chambres spécialisées, la LIPRODHOR affirme que 95 % de la preuve est obtenue par le biais de témoignages, voir LIPRODHOR, supra note 89.

92 Voir la Résolution 955 (1994), supra note 2 qui énonce, au par. 7 de son préambule: “Convaincu que, dans les circonstances particulières qui régnent au Rwanda, des poursuites contre les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire permettraient d’atteindre cet objectif et contribueraient au processus de réconciliation nationale ainsi qu’au rétablissement et au maintien de la paix;” voir également M. de Bueule pour qui “la justice n’est pas un but en elle-même, mais un instrument de régulation de l’ordre dans la société;” voir de Bueule, supra note 1.