Introduction
L'axe identitaire au Québec, de même que les partis politiques s'en revendiquant les porte-étendards, apparaissent de moins en moins prédominants sur la scène politique québécoise. Force est de constater un certain réalignement sur la scène politique québécoise, au profit d'autres formations faisant la promotion d'autres enjeux. Du côté souverainiste, cela impose un réalignement, ou à tout le moins l'adoption d'une stratégie différente de la part de ces partis. De fait, la question qui s'impose est : comment se sont articulées ces différentes tentatives de réalignement, plus précisément au sein du Bloc québécois (BQ)? Le parti souverainiste québécois actif sur la scène fédérale a connu ces dernières années plusieurs défis, autant sur le plan électoral qu'au plan interne. Historiquement dominant au Québec, ce parti doit composer depuis plusieurs cycles électoraux avec la montée des partis fédéralistes au Québec.
Afin d'explorer la question du réalignement stratégique de ce parti en contexte de réalignement politique, nous avons amassé plus de 7500 communiqués de presse du Bloc québécois diffusés entre 2002 et 2021. À l'aide de méthodes d'analyse automatisées, nous illustrons et discutons de la prédominance de l'enjeu souverainiste à travers cette période, ainsi que des prédispositions affectives du parti quant à cet enjeu. Notre analyse démontre que les élections, de même que les résultats de celles-ci, jouent un rôle crucial dans la stratégie communicationnelle du BQ à l’égard de la souveraineté. De façon plus générale, nous observons une baisse marquée de l'attention accordée par le parti envers cet enjeu à travers la période analysée.
Avant de présenter en détail les éléments méthodologiques de la démarche, les prochaines sections se penchent sur l'engouement et la saillance de la souveraineté en politique québécoise, puis dressent un bref historique du Bloc québécois.
1. État du savoir
1.1. L'engouement et la saillance de la souveraineté
À partir de la naissance du Parti québécois (PQ) et de son ascension au cours des années 1970, le débat politique au Québec est marqué par un clivage important entre les partisans de l'indépendance du Québec et ceux qui s'y opposent (Montigny, Reference Montigny2016). Comme le décrit Lamoureux (Reference Lamoureux2002), la dimension identitaire, hautement liée à des éléments tels que la langue française, joue un rôle primordial dans le discours politique québécois ; ce dernier passe effectivement d'un discours mettant de l'avant l'oppression vers un prônant l'affirmation nationale. La langue et l'histoire remplacent la religion comme le point de ralliement de cette identité québécoise (Thomson, Reference Thomson1995; Langlois, Reference Langlois2018).
Un engouement certain pour la souveraineté du Québec se fait sentir au cours de la Révolution tranquille. L'importance grandissante des demandes politiques régionales basées sur des doléances notamment culturelles au sein de l'ensemble canadien a permis à des partis comme le Bloc québécois de naître et de remettre en question l'ordre politique établi (Bodet, Reference Bodet2013). En effet, ayant pour but initial de promouvoir la souveraineté du Québec sur la scène fédérale canadienne et de servir de « loyale opposition de Sa Majesté » (Montigny, Reference Montigny2017), le Bloc québécois se positionne en tant qu'acteur important quant à la représentation des intérêts du Québec à Ottawa. Véritables événements déclencheurs, le rapatriement de la constitution en 1982 et l’échec de l'Accord du Lac Meech en 1990 alimentent, entre autres, l'idée de la présence potentielle de député-e-s souverainistes à Ottawa (Tremblay, Reference Tremblay2015).
Cependant, du côté québécois, après l’échec du deuxième référendum sur la question nationale et d'un déclin possible des attentes économiques et linguistiques procurées par la souveraineté du Québec (Blais, Martin et Nadeau, Reference Blais, Martin and Nadeau1995), on observe une chute des appuis en faveur du Parti québécois (PQ) (Mahéo et Bélanger, Reference Mahéo and Bélanger2018; Villeneuve-Siconnelly, Reference Villeneuve-Siconnelly2020). Non seulement la situation traduit une baisse de l'appui populaire à la cause souverainiste, mais elle représente aussi un défi pour les principaux partis qui portent cette option politique, comme le fait BQ sur la scène fédérale.
N'apparaissant plus systématiquement comme le principal véhicule de la cause souverainiste et de changements sociaux sur la scène provinciale, les électeurs et les électrices se détournent du Parti québécois au provincial (Changfoot et Cullen, Reference Changfoot2011). Les positions tantôt radicales, tantôt modérées du parti ont également pu déplaire à l’électorat, qui oscillent entre une volonté ferme de souveraineté et une perte d'engouement pour la cause (Yale et Durand, Reference Yale and Durand2011; Villeneuve-Siconnelly, Reference Villeneuve-Siconnelly2020).
De fait, depuis les années 1970, le positionnement sur l'axe souverainiste-fédéraliste était un facteur déterminant du comportement électoral, alors qu’à d'autres moments, c'est plutôt le positionnement sur le spectre politique gauche-droite qui explique mieux le comportement électoral (Nadeau, Guérin et Martin, Reference Nadeau, Guérin and Martin1995). De même, depuis l’élection générale québécoise de 2007, le clivage national traditionnel semble être en déclin, mobilisant moins l’électorat face à cet enjeu. Si l'on considère l'apparition d'un nouvel électorat provenant de la Génération Z, l’éclatement des formes de militantisme et la diversification des sources d'informations politiques (Montigny et Villeneuve-Siconnelly, Reference Montigny, Villeneuve-Siconnelly, Montigny and Cardinal2019), nous sommes à même de nous interroger sur la présence d'une nouvelle dynamique électorale et sociétale qui modifie sans nul doute les attaches partisanes traditionnelles.
Cette dynamique électorale s'observe entre autres depuis l’élection générale québécoise de 2012, où s'installent pour de bon la cristallisation du multipartisme et la normalisation de la présence d'autres partis que le Parti libéral du Québec (PLQ) et du Parti québécois (Bodet et Villeneuve-Siconnelly, Reference Bodet and Villeneuve-Siconnelly2020). Cette fragmentation de l'offre politique s'associe à une certaine volatilité de la part de l’électorat (Bastien, Bélanger et Gélineau, Reference Bastien, Bélanger and Gélineau2013). Bien que l'espace politique ait longtemps été structuré autour de la question nationale, l'arrivée de la Coalition Avenir Québec (CAQ) a transformé le paysage politique québécois (Meideros, Gauvin et Chim, Reference Medeiros, Gauvin and Chim2015). Profitant de la fatigue et de la déception des Québécois-es vis-à-vis la souveraineté, le parti remet en question le clivage national et sa pertinence. L'appui massif envers les partis traditionnellement étiquetés souverainistes se détériore, l’électorat trouvant des alternatives au sein des autres partis qui émergent dans le paysage politique québécois et canadien. L'insatisfaction envers les partis davantage institutionnalisés a par ailleurs permis l'appui relativement stable aux élections fédérales pour le Bloc québécois entre 1993 et 2011 dans des circonscriptions appartenant historiquement aux libéraux et aux conservateurs.
Ce faisant, la perception qu'aurait l’électorat envers un parti face à un enjeu donné pourrait les influencer, les amenant ainsi à voter non seulement pour le parti qu'ils pensent le plus crédible, mais aussi selon la saillance qu'ils ou elles accordent à ce même enjeu (Bélanger et Meguid, Reference Bélanger and Meguid2008). L'affiliation partisane influence ainsi fortement et positivement le choix de l’électeur-trice pour chacun des partis, surtout si le parti soutenu est reconnu comme le plus compétent (Bélanger et Meguid, Reference Bélanger and Meguid2005).
L'avantage considérable des candidat-e-s sortant-e-s est aussi à signaler (Blais-Lacombe et Bodet, Reference Blais-lacombe and Bodet2017), en ce sens où cela a pu favoriser la réélection des candidatures bloquistes au fil des rendez-vous électoraux. L'arrivée d'un nouveau chef bloquiste apprécié en 2019, les performances de ce dernier lors des différents débats dans les deux langues et la campagne électorale de manière générale semblent également avoir fortement été bénéfiques pour la remontée du parti.
La montée de nouvelles générations d’électeurs et d’électrices aux priorités divergentes façonne la manière prend forme la politique au Québec ; c'est d'ailleurs au sein de la génération dite des milléniaux que la chute du PQ est la plus significative (Mendelsohn, Parkin et Pinard, Reference Mendelsohn, Parkin, Pinard and Murphy2007), qui voient d'un mauvais œil des projets plus controversés comme la Charte des valeurs en 2014 ou qui ne considèrent tout simplement plus la souveraineté comme une priorité (Mahéo et Bélanger, Reference Mahéo and Bélanger2018). Leur socialisation ayant été différente que celle des baby-boomers et de la génération X, les plus jeunes auront moins tendance à appuyer les partis traditionnels prônant la souveraineté du Québec, rendant ipso facto le clivage national caduc.
En effet, la génération X et les milléniaux ont été socialisé-e-s dans des contextes sociopolitiques différents, avec des conditions de vie et des difficultés autres de celles vécues par leurs prédécesseurs. Avec des avancées en matière de protection linguistique et de bien-être économique, les doléances culturelles, économiques et linguistiques seraient moins saillantes (Pinard, Bernier et Lemieux, Reference Pinard, Bernier and Lemieux1997). La perte d'intérêt pour la souveraineté pourrait donc venir non pas juste d'un désintérêt pour la cause en soi, mais aussi pour la vie politique traditionnelle en général, au profit d'autres enjeux sporadiques. Bien que l'appui à la souveraineté soit donc encore présent, un désengagement général envers la question nationale se fait sentir, plus particulièrement auprès des jeunes (Mendelsohn, Parkin et Pinard, Reference Mendelsohn, Parkin, Pinard and Murphy2007).
1.2. Survol historique et évolutif du Bloc québécois
Afin de s'inscrire en porte-à-faux face aux valeurs fédéralistes présentes chez les autres formations politiques de la scène fédérale et québécoise, le Bloc québécois naît dans la foulée des échecs de l'Accord du Lac Meech (1990) et de Charlottetown (1992). Comme le présentent Dufour et Traisnel (Reference Dufour and Traisnel2009 : 52),
ce « double rejet par le Canada (et par le Québec) d'une reconnaissance spécifique du Québec […] représente une possibilité politique nouvelle pour le mouvement souverainiste. Au palier fédéral notamment, des députés et des ministres conservateurs, déçus de la faiblesse des offres de reconnaissance de la distinction québécoise au sein de la fédération, quittent les rangs du Parti progressiste-conservateur (PPC) pour créer avec Lucien Bouchard en 1990 un second parti souverainiste, cette fois sur la scène fédérale : le Bloc québécois.
Ce dernier parvient à devenir l'opposition officielle en 1993, alors que l'année suivante c'est le Parti québécois sous l’égide de Jacques Parizeau qui remporte le pouvoir sur la scène provinciale : le souverainisme et la raison d’être du Bloc ont le vent dans les voiles.
Néanmoins, après les deux échecs référendaires de 1980 et de 1995, le momentum est difficile à maintenir et le Bloc doit chercher à renouveler son offre. Ses résultats électoraux sont en dents de scie et généralement à la baisse depuis le référendum de 1995. Nous pouvons toutefois observer certains regains sporadiques, notamment après des évènements entourant le débat constitutionnel comme celui de loi fédérale sur la clarté référendaire et le scandale des commandites au début des années 2000. Malgré cette petite hausse au début du siècle, le parti n'est toutefois jamais revenu de manière décisive aux années fructueuses où il constituait l'opposition officielle, comme en 1993. Il est même à noter que le Bloc n'est pas reconnu en tant que parti à la Chambre des communes à la suite des élections de 2011 – coïncidant au moment de la fameuse « Vague orange » du NPD – et de 2015. Le parti fait toutefois une remontée en 2019 en remportant 32 sièges aux élections générales, nombre qu'il maintiendra également en 2021 lors des élections anticipées.
Le choix de la stratégie du parti peut avoir influencé l’électorat, en ce sens où les options considérées plus radicales récolteront moins d'appuis : les références à l'indépendance claire du Québec obtiennent moins de succès que la souveraineté-association par exemple (Langlois, Reference Langlois2018). Si l'on se fie à l'exemple du PQ, la radicalité de la ferveur souverainiste – de même que le manque ponctuel de conviction – ne se corrèle que rarement au succès électoral dans le temps (Villeneuve-Siconnelly, Reference Villeneuve-Siconnelly2020).
Le contexte interne du parti nous éclaire aussi sur des raisons possibles quant au déclin ponctuel. Les différentes dissensions internes du parti ont assurément contribué à sa remise en question et à sa stabilité. À titre d'exemple, le départ de nombreux députés en 2018 de même que le schisme entre les plus antisystèmes et les plus modéré-e-s, ainsi que l'appréciation hautement mitigée de la cheffe par intérim Martine Ouellet sont tous des éléments portant à réflexion sur le sort du Bloc québécois au cours des dernières années.
La mise à mal de la cohésion et de la cohérence interne et externe du parti a pu nuire à son image et donc potentiellement influencer ses résultats électoraux. Ce même phénomène s'observe sur la scène provinciale, où le PQ a maille à partir entre l'alternance et l'usure du pouvoir (Montigny, Reference Montigny2016) et les nombreux changements de chef-fe-s qui teintent à leur façon l'agenda du parti (Villeneuve-Siconnelly, Reference Villeneuve-Siconnelly2020).
Cependant, le renouveau encouru par le chef en place depuis 2019, Yves-François Blanchet, une personnalité médiatique bien connue, et surtout un manque d'enthousiasme d'une part non négligeable de la population québécoise envers les options libérale ou conservatrice, ont pu favoriser la remontée et le maintien du Bloc au cours des dernières années. Par conséquent, nous soulignons l'importance fondamentale du contexte politique et social dans l'historique et le succès de tels partis souverainistes.
2. Méthodologie
Nos analyses emploient l'intégralité des communiqués de presse du Bloc québécois disponibles en ligne sur son site web. Au total, nous avons amassé 7835 communiqués de presse publiés entre le 1er janvier 2000 et le 25 juillet 2021. Ces communiqués ont été collectés à l'aide d'un script de « grattage » (web scraping) en marge de l’élection de 2019 puis actualisés le 25 juillet 2021. La mise en ligne est très parcellaire et inconstante pour les premiers mois de notre corpus ; conséquemment nos analyses débutent véritablement en mars 2002, moment à partir duquel la mise en ligne des communiqués de presse semble plus constante et complète. Cette coupure n'a pour effet que de retirer 43 communiqués de notre corpus.Footnote 1
Afin d'analyser le ton du cadrage du BQ lorsqu'il aborde l'enjeu de la souveraineté, nous employons l'algorithme de Latent Semantic Scaling (ci-après LSS) développé par Kohei Watanabe (Watanabe, Reference Watanabe2021). Le LSS a été conçu afin de permettre au chercheur d'analyser la polarité (ton du cadrage de l'attitude, ou encore simplement le « ton ») de grands corpus de textes autour d'une dimension unique spécifiée par les utilisateurs et utilisatrices (dans notre cas, la question de la souveraineté). L'algorithme effectue deux tâches pour lesquels la personne l'utilisant doit fournir des mots clés pour orienter son travail.
Premièrement, il est question d'analyser le ton. Cet algorithme ne repose pas sur un dictionnaire composé d'une longue liste de mots à connotation positive et négative (voir par exemple Young et Soroka, Reference Young and Soroka2012; ou Duval et Pétry, Reference Duval and Pétry2016), mais plutôt sur quelques mots clés (seed words – qui doivent être très simples et génériques) à partir desquels il est possible d'identifier tous les autres mots se rapprochant de ces mots très polarisés. Ensuite, c'est à l'aide de ces mots automatiquement identifiés et du score de « polarité » qui leur est attribué que l'algorithme peut mesurer le ton des textes. Deuxièmement, il faut fournir au LSS quelques mots-clés qui lui permettront d'identifier la dimension qui nous intéresse. Nous ne désirons pas savoir la tonalité « totale » de tous les textes, mais seulement celle des passages où il est question de souveraineté, ces quelques mots-clés orientant donc l'algorithme en ce sens.
Cette approche a quelques avantages lorsque nous la comparons aux méthodes par dictionnaire et aux méthodes semi-supervisées comme Wordscores. Contrairement, aux dictionnaires, « l'omission » n'est pas possible avec le LSS, étant donné que l'algorithme identifie lui-même les mots chargés affectivement. En comparaison, si un mot est omis d'un dictionnaire, celui-ci n'est tout simplement pas comptabilisé. Les questions relatives à l'usage sont aussi caduques avec cet outil. En effet, les chercheurs et chercheuses qui développent des dictionnaires doivent souvent effectuer des décisions difficiles (et parfois exclure des mots) si ceux-ci peuvent être employés à la fois négativement et positivement (comme par exemple « malade » ou « écœurant » en contexte québécois). Le LSS, quant à lui, repose sur le contexte spécifique d'un seul corpus pour coder correctement lorsque ces mots sont présents.
Le LSS a aussi certains avantages comparativement aux méthodes semi-supervisées comme Wordscore. Contrairement à celles-ci, cet algorithme n'est pas hypersensible aux changements dans le temps et se prête donc mieux aux analyses longitudinales. Le seul inconvénient lié à cette approche est qu'elle requiert des corpus excessivement larges pour bien fonctionner. Pour des textes de longueurs comparables aux nôtres, Watanabe recommande des corpus ayant au minimum 5000 textes. Ainsi, la taille de notre corpus de communiqués de presse nous permet de contourner cette limite en fonction des recommandations de son créateur ou créatrice.
Tel qu'expliqué brièvement ci-haut, nous avons donc fourni deux listes de mots afin de « calibrer » l'algorithme, la première est une liste de mots génériques « positifs » et « négatifs » et la seconde est une brève liste de mots-clés relative au sujet qui nous intéresse.
Tel qu'expliqué dans l'article introduisant cette méthode, la liste de mots « positifs » et « négatifs » (les seed words) doit être simple et générique. Watanabe (Reference Watanabe2021) emploi la liste de seed words de Turney et Litman (2003). Celle-ci se compose des mots positifs suivants : good, nice, excellent, positive, fortunate, correct, superior – et des mots négatifs suivants : bad, nasty, poor, negative, unfortunate, wrong, inferior. On remarque donc le caractère fort simple des seed words même si l'analyse effectuée portait sur le ton entourant l’économie dans le New York Times. Dans cette même lignée, les mots positifs retenus pour notre cas sont les suivants : bon, gentil, excellent, positif, gagner, bien, meilleur, réussite – et les mots négatifs sont les suivants : mauvais, méchant, pauvre, échec, négatif, perdre, mal, problème.
Notre seconde tâche pour paramétrer le modèle consistait à identifier les context words qui permettent de focaliser l'algorithme sur les passages des textes où il est question de souveraineté. Les mots retenus sont : souverai*, indep*, référend* (les * dénotent des terminaisons ouvertes dites « joker », qui permettent de considérer toutes les terminaisons possibles). En guide de comparaison, Watanabe (Reference Watanabe2021) emploie econom*, compan*, job*, consumer* pour l'exemple évoqué au paragraphe précédent.
Il est important de préciser que nous ne nous attendons pas à ce que le Bloc attaque frontalement l'indépendance et la souveraineté dans ses communiqués. Nous nous intéressons plutôt à la tonalité du discours entourant ces enjeux lorsqu'ils sont mis de l'avant, ce que nous avons désigné plus tôt comme « ton du cadrage ». Une mention anodine, sans superlatifs, sans justifications, sans rappeler « l'importance » et le « caractère essentiel » de la chose ne représente pas la même chose qu'une mention les comportant. De plus, il faut aussi souligner que ce sont les variations dans le temps qui nous intéressent plutôt que les scores de chacun des communiqués et le langage spécifique employé ici ou là. Cependant, à titre d'exemple, l'extrait suivant provient d'un communiqué avec un score très positif (1.63, extrait du communiqué du 20 février 2016) :
On s'est donné une exceptionnelle équipe de travail. On s'est donné un plan d'action qui va nous permettre de faire avancer le Québec, c'est ce que j'appelle une bonne journée de travail. Je suis fier de nos membres aujourd'hui. Nous sortons forts de cette journée. Tout le monde est prêt à donner un grand coup d’épaule ensemble en direction de notre indépendance.
À l'inverse, l'extrait suivant provient d'un communiqué codé plutôt négativement (score de -1.16. extrait du communiqué du 25 août 2014) :
Malheureusement, il ne s'est jamais vraiment rallié malgré toutes nos tentatives de rapprochement. » Depuis son élection, Mario Beaulieu et son équipe veulent remettre à l'avant-plan la lutte pour l'indépendance du Québec, tout en continuant à défendre les intérêts québécois à Ottawa. « Ce que je propose pour relancer le Bloc Québécois est en droite ligne avec les principes fondamentaux du Parti. Ce sont simplement les moyens pour faire la promotion de l'indépendance qui ont été renouvelés » a ajouté Mario Beaulieu. Le chef bloquiste ne compte pas baisser les bras. « J’étais conscient dès le départ que ce ne serait pas facile. Ce matin la pente devient encore plus abrupte… »
Ces deux extraits illustrent le type de variations captées par le LSS. On remarque qu'il ne s'agit pas de critique ouverte, frontale, à l’égard de l'indépendance et de la souveraineté, mais plutôt d’élément propre au cadrage, au contexte particulier du moment, bref à la façon d'aborder l'enjeu dans leur discours à un moment donné dans le temps.
3. Résultats et discussion
La Figure 1 présente l'analyse de LSS de nos communiqués de presse telle que détaillée dans la section précédente. La ligne pleine représente le ton (lissé) envers la souveraineté retrouvée dans notre corpus à travers le temps. Les lignes pointillées l'entourant délimitent l'intervalle de confiance autour de ces estimés (au seuil de 95%). Pour faciliter l'interprétation à l'aide d'un seul graphique, des points représentant le ton envers la souveraineté de chacune des unités d'analyses ont été ajoutés, ainsi que des abscisses indiquant les dates de chacune des élections ayant eu lieu durant la période observée.
Le premier constat apparent est que le ton à l’égard de la souveraineté chute légèrement à travers le temps. Si l'on agrège les valeurs de ton obtenus pour les différents mandats compris dans notre analyse, on observe un ton moyen de 0.10 pour les communiqués de presse diffusés avant l’élection de 2004, de −0.01 pour les communiqués diffusés entre l’élection de 2004 et celle de 2006, de −0.04 entre 2006 et 2008, de −0.01 entre 2008 et 2011, de −0.08 entre 2011 et 2015, de −0.10 entre 2015 et 2019 et de −0.20 après 2019. Cette baisse n'est cependant pas linéaire, mais plutôt en dents de scie, comme on peut le voir dans le graphique.
On observe aussi que l'ampleur des écarts grandit passablement dans le temps. Cependant, ce constat témoigne surtout du nombre changeant de communiqués de presse à travers le temps. En effet, jusqu’à l’élection de 2011, l'algorithme est en mesure de saisir des variations passablement plus fines sur des périodes beaucoup plus courtes en raison de la très grande quantité de communiqués de presse. Après l’élection de 2011, on observe une chute draconienne du nombre de communiqués de presse, ce qui se traduit dans des estimés relevant davantage des grandes tendances que des variations plus fines. Cette chute de volume est néanmoins intéressante en soi. Le Tableau 1 rapporte le nombre de communiqués de presse pour la période couverte par notre corpus.
Il s'agit là d'une baisse fulgurante à travers le temps, bien qu'elle semble progresser de manière assez constante depuis le début de notre période. Elle apparaît tout de même se ponctuer de façon marquée à l’élection de 2011 ; élection qui fut, rappelons-le, catastrophique pour le Bloc avec seulement 4 sièges – une baisse de 43 en comparaison avec 2008 – et de loin le pire résultat du Bloc depuis sa création à l'aune de l’élection de 1993. Nos résultats semblent corroborer une certaine mise en pratique de la part du Bloc, du moins dans ses communications, de l'idée voulant que les références à l'indépendance claire du Québec obtiennent moins de succès (Langlois, Reference Langlois2018).
Ceci dit, cette baisse dans le nombre de communiqués ne se traduit pas dans la proportion de ceux-ci qui mentionnent l'enjeu de l'indépendance et de la souveraineté. La figure 2 présente le pourcentage des communiqués qui abordent directement l'enjeu de l'indépendance à travers le temps. Plus précisément, cette figure représente le pourcentage de communiqués mentionnant indép*, référend* ou souverai* face au pourcentage de communiqués total publiés cette même année.
On observe que, malgré la baisse du nombre de communiqués présente entre 2012 et 2019, la proportion de ceux-ci abordant directement l'enjeu est beaucoup plus grande, allant jusqu’à 62% en 2017. Pour les années 2015–2019, ce n'est pas très surprenant si on se souvient de la « Campagne permanente pour l'indépendance du Québec » lancé par le Bloc en 2015. Cependant, on observe que cette mouvance semble avoir débuté bien avant, soit près de trois ans plus tôt.
Un autre constat est l'effet apparemment cyclique qui semble se manifester dans la tonalité envers la souveraineté des communiqués du Bloc. On remarque à la Figure 1 que le ton précédant une élection est habituellement plus positif que le ton qui s'ensuit après celle-ci. Plus précisément, on constate une hausse marquée du ton envers la souveraineté dans les temps qui précèdent la plupart des élections, qui culmine autour de l’élection, avant de péricliter par la suite. Cette dynamique peut s'illustrer à l'aide de quelques chiffres : lorsque l'on compare le ton à l’égard de la souveraineté dans les six mois qui précèdent l’élection de juin 2004 au ton dans les six mois suivant celle-ci, on observe une baisse non négligeable de −0.31 (de 0.23 à −0.08). Des baisses similaires peuvent être observées autour des élections de 2006 (−0.22; de 0.05 à −0.17), de 2008 (−0.18; de 0.16 à −0.02), de 2011 (−0.29; 0.13 à −0.16), de 2015 (−0.27; de 0.12 à −0.15) et de 2019 (−0.35; de 0.07 à −0.28). Il faut aussi mentionner que, dans le cas de l’élection de 2019, on semble observer une baisse linéaire entamée somme toute avant l’élection et qui se poursuit passablement après l’élection ce qui nous laisse penser que cette baisse n'est probablement pas attribuable à des dynamiques électorales.
La Figure 3 présente ce même constat, mais de façon agrégée. La première barre représente la moyenne du ton de l'ensemble des communiqués portant sur la souveraineté publiés 6 mois avant chacune de nos 6 élections, et la seconde représente la même mesure pour les 6 mois après la tenue de chacune de nos 6 élections. On constate que, dans l'agrégé, le ton des mois précédents une élection est passablement plus positif (0.136) que le ton les 6 mois suivant la tenue d'une élection (-0.110). Considérant les données présentées élection par élection dans les paragraphes précédents, ce résultat est loin d’être surprenant, mais soutient néanmoins l'idée générale voulant qu'il puisse y avoir un effet cyclique. Cela étant dit, et bien il serait peut-être un peu osé de prétendre que le ton envers la souveraineté dans les communications du Bloc suit une logique électorale sur la base de seulement quelques observations et cas, il semble que nous observons ici un phénomène qui ne relève pas du hasard.
Un autre constat nous apparait intéressant : l'absence totale de communiqués de presse codés entre le décembre 2017 et le 28 octobre 2018. Cette coupure est la seule présente dans notre base de données entre mars 2002 (début de la mise en ligne constante des communiqués) et juillet 2021 (date de la collecte de données). Il ne s'agit pas d'une coïncidence que cette rupture soit survenue à un moment ou un schisme traversait le parti. En effet, c'est en février 2018 que sept débuté-e-s bloquistes ont quitté le caucus afin de former le groupe parlementaire Québec Debout et justifié cette démarche en pointant du doigt le leadership de Martine Ouellet. C'est seulement sous l'intérim de Mario Beaulieu, après la démission de Martine Ouellet en juin 2018, que la communication semble s’être rétablie.
Ainsi, quelques observations ressortent de notre analyse. Premièrement, les communications du Bloc évoquant la souveraineté ont chuté en nombre dans le temps, mais ont représenté une proportion beaucoup plus grande des communiqués entre 2012 et 2019. Les périodes avant et après semblent somme toute stables à ce titre.
Deuxièmement, l'engouement, ou à tout le moins une mise de l'avant avec un cadrage plus positif, pour la souveraineté revient momentanément avant la tenue d’élections, pour ensuite retomber. Cela semble corroborer l'observation de Young et Bélanger (Reference Young and Bélanger2008) voulant que l'attention aux enjeux liés à la souveraineté du Québec suive davantage l'opinion publique envers cette question, plutôt que de la mener de front. D'autres éléments plus autonomistes ont pris le dessus, notamment en termes de volonté de préserver les compétences provinciales de l'ingérence par le gouvernement fédéral.
Finalement, il est possible de remarquer l'absence quasi totale de communiqués lors des dissensions internes en 2017–2018. Cela peut démontrer une volonté du parti de resserrer ses rangs et de focaliser sur sa cohérence à l'interne, afin de bonifier l'impact de ses sorties médiatiques et éventuels communiqués de presse.
En somme, les résultats présentés dans cette note recherche témoignent d'un changement important dans la saillance des clivages clés du paysage politique québécois. Ayant longtemps été l'enjeu principal du comportement électoral au Québec, la souveraineté ne bénéficie désormais que de peu d'attention de son principal porte-étendard au fédéral. Effectivement, le Bloc québécois s'est délesté de la question nationale dans ses communiqués de presse dans le temps.
Le réalignement électoral québécois (voir Dubois et al., Reference Dubois, Villeneuve-Siconnelly, Montigny and Giasson2022) s'est opéré, au fil des décennies, par l'apparition de nouveaux partis et d'enjeux structurants parlant davantage notamment aux plus jeunes membres de l’électorat. Leur socialisation étant bien différente de celle des générations précédentes, le clivage entre le « Oui » et le « Non » s'atténue, en forçant les principaux partis souverainistes, dont le Bloc québécois, à réorienter ou renouveler leur offre politique, et pas seulement en période électorale. Ce choix stratégique semble avoir été payant, considérant le regain des appuis pour le Bloc lors des deux dernières élections fédérales.
4. Conclusion
Le Bloc québécois constitue sans contredit un acteur politique majeur des scènes fédérale et québécoise. Étant donné l'engouement changeant pour la question nationale et le réalignement politique au Québec, le parti a dû s'adapter et renouveler son offre électorale. Avec un succès longtemps mitigé, le Bloc ne semble pas avoir renié sa raison d’être principale, bien que celui-ci semble s’être tourné vers un discours différent, davantage autonomiste. Considérant l'adhésion moins certaine pour les options d'indépendance promouvant une rupture définitive avec le Canada, il semble également logique que le parti produise en moins grande quantité un contenu arborant une préférence nette pour la souveraineté dans le temps. La socialisation changeante des plus jeunes électeur-trice-s – qui préfèrent orienter leurs votes et engagements politiques vers d'autres enjeux qui leur sont plus saillants – peut également avoir un impact.
À l'aide de méthodes d'analyse automatisées, nous avons procédé à l'analyse des communiqués de presse du Bloc québécois entre 2002 et 2021. Nos analyses ont indiqué que les élections, ainsi que les résultats de celles-ci, jouent un rôle crucial dans la stratégie communicationnelle du Bloc québécois à l’égard de la souveraineté. Le contexte politique et social a une importance sur les communiqués, mentionnant la souveraineté davantage en période électorale, pour diminuer par la suite, au profit d'autres enjeux. Le contexte des échecs référendaires, de succès d'autres formations politiques et des résultats électoraux moindres pour le Bloc tendent à diminuer la présence de la souveraineté dans ses communiqués. Les dissensions au sein du parti ont également pu influencer le contenu produit par le Bloc, devant alors davantage travailler sur sa cohérence à l'interne.
Notre article, par le biais de sa méthodologie et du corpus étudié, présente des résultats permettant un regard nouveau sur la place qu'occupe le Bloc québécois au sein de notre réalité électorale, particulièrement dans le contexte de réalignement politique actuel.
Notre approche n'est cependant pas sans limites. L'analyse automatisée de contenu nous permet de traiter un très grand nombre de communiqués rapidement, cependant celle-ci nous limite à relever des grandes tendances et nous limite également dans notre capacité à les expliquer pleinement. Il va sans dire qu'une analyse qualitative des mêmes communiqués aurait permis une finesse grandement supérieure. Il nous semble aussi évident que la prochaine étape, soit d'expliquer ses tendances, requiert d'interroger les acteurs et actrices clés du Bloc présent-e-s lors des différents moments charnières relevés dans notre étude.
D'un point de vue quantitatif, les prochaines recherches demanderaient d'approfondir les résultats dans le but d’étendre la méthodologie utilisée dans ce présent article aux autres partis souverainistes québécois, afin de déterminer si la tendance s'appliquant au Bloc québécois s'applique également à ces derniers. De même, une analyse des enjeux autres que la souveraineté revendiquée par le BQ permettrait de cibler quelles sont les orientations prochaines du parti et de s'interroger à savoir s'il poursuivra sur sa lancée actuelle, ou si au contraire, il reviendra publiquement et plus fréquemment avec des positions abordant la souveraineté.