Dans Brève histoire de la gauche politique au Québec, François Saillant inscrit l'expérience de Québec solidaire (QS) et certaines formations qui l'ont précédé dans une généalogie d'une gauche politique québécoise qui tracerait ses racines jusqu'aux premiers mouvements ouvriers du 19e siècle. Ce n'est toutefois pas l'histoire du mouvement nationaliste, du mouvement syndical, ou des mouvements sociaux au sens plus large. Saillant définit son objet central comme « les formations actives sur la scène électorale et parlementaire » (15) qui se sont définis par leurs revendications égalitaires contre le statu quo, c'est-à-dire leur orientation « de gauche » selon la définition d'Alain Noël et Jean-Philippe Thérien (Reference Noël, Thérien, Dassas and Saint-Hilaire2010). Le Parti vert du Québec (PVQ) et le Parti québécois (PQ) sont alors exclus en raison de l'ambivalence de plusieurs de leurs membres par rapport au clivage gauche-droite (17). Néanmoins, Saillant discute souvent de ces partis, de même que des mouvements sociaux, en termes de leurs liens poreux avec les formations de la gauche politique avouée.
L'importance particulière de ce livre est l'apport personnel de Saillant, lui-même militant de longue date. Les chapitres 5 à 8 qui traitent de la période de 1980 à aujourd'hui, soit la moitié du livre, reposent en grande partie sur l'archive documentaire personnel de l'auteur. Saillant cite plusieurs de ses documents internes de formations de gauche jusqu'alors obscures. Il a aussi mené plusieurs entrevues avec des personnages clés. Son expérience personnelle a facilité sans doute ses pistes de recherches dans d'autres archives, notamment des publications de gauche. Le livre serait un très bon point de départ pour des recherches sur QS, ou simplement pour comprendre les dynamiques de la gauche québécoise de la fin du 20e siècle et après. L'autre moitié du livre cible la période 1880–1980. Cette partie est plutôt un survol historique, qui tire de plusieurs sources secondaires en les complétant avec des données statistiques électorales et de la recherche dans les archives.
Le livre est essentiellement organisé chronologiquement, commençant par un bref survol de « l'action politique ouvrière » de 1880 à 1920 (19–33). Après quelques initiatives politiques effectuées par le mouvement syndicat naissant à l'appui de candidats libéraux et conservateurs spécifiques, une succession de petits partis politiques ouvriers formels a émergé. La gauche pancanadienne demeurait fragmentée et peu organisée à cette époque, même si un Parti socialiste du Canada et un Parti ouvrier du Canada ont existé (24–32). Saillant passe ensuite à la période 1921–1959, qui a vu d'abord une « difficile implantation du Parti communiste » (37). La Fédération du Commonwealth Coopératif (Cooperative Commonwealth Federation ou CCF), qui concurrençait le parti communiste, était plus ou moins sur un pied d’égalité avec ce dernier. La CCF a effectué une percée moins importante au Québec qu'ailleurs au Canada, en grande partie parce que leur mouvement n'incorporait pas les francophones en grands nombres. Plusieurs militants de la CCF se méfiaient des Canadiens français et de leurs préoccupations (47). Dans cette section, Saillant aurait pu bénéficier d'un dialogue avec Christo Aivalis (Reference Aivalis2018), qui mobilise des sources primaires sur la CCF au Québec dans son travail récent sur la relation entre Pierre Elliott Trudeau et la gauche.
Le chapitre 3 discute les années 1960, qui ont vu des fragmentations à la fois sur l'axe gauche-droite et sur la question nationale. Un « Parti socialiste du Québec » (PSQ) a tenté de jouer un rôle de NPD provincial en quelque sorte, avec une orientation plus nationaliste, avant de « disparaître dans l'indifférence générale » en 1968 (81). Ce parti était proche des travailleurs, mais se trouvait concurrencé par le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), qui prônait un « socialisme modéré » sous son chef Pierre Bourgault (63). Le RIN a connu plus de succès en termes de finances et de membres, mais n'a jamais gagné une grande présence à l'Assemblée nationale (66). Avec l'arrivée du PQ sur la scène provinciale vers la fin de la décennie, plusieurs militants de gauche ont préféré se tourner vers la politique municipale à Montréal plutôt que de militer pour un parti qui regroupait des nationalistes de plusieurs idéologies (84). Le bref chapitre 4 (90–101) traite de la « gauche politique orpheline » à l’époque où le PQ était à la hauteur de son influence.
Les années 1980 (chapitre 5) ont donné naissance au Mouvement socialiste (MS), provenant du milieu syndical, et au Regroupement pour le socialisme (RPS) organisé autour de la revue Presse-Libre. Les deux organismes se concurrençaient (thème qui revient souvent dans cette histoire de la gauche !) et se sont effondrés par la fin de la décennie par défaut de souci à l'organisation. Le zeitgeist néolibéral des années 1980 n'a pas aidé (137). Les années 1990 (chapitre 6) ont vu l’émergence d'un NPD provincial qui a rapidement rompu avec son homologue fédéral sur la question de la souveraineté, se reconstituant comme le Parti de la démocratie socialiste (PDS; 152–162). Simultanément, des acteurs provenant de mouvements sociaux ont formé le Rassemblement pour une alternative politique (RAP) vers 1997, qui a appuyé certains candidats indépendants sans aller jusqu’à former un véritable parti (162–166).
Dans la période 2001–2005, un moment d'esprit altermondialiste, deux formations à l'origine de QS se sont cristallisées : l'Union des forces progressistes (UFP) qui rassemblait le PDS et le RAP entre autres (177–186), et Option citoyenne (OC), qui amenait la culture particulière du mouvement féministe dans un « mouvement non-partisan d'action politique » et ensuite un parti politique (187, 192). L'UFP et OC ont fusionné pour former QS en 2006 (211). Le dernier chapitre raconte l'histoire de la montée électorale graduelle de QS jusqu’à présent, incluant sa fusion avec Option nationale (ON). Saillant conclut en faisant quelques observations stratégiques à la lumière de cette histoire. Il salue notamment la synthèse particulière de la démocratie interne et de la volonté d'unité chez QS, qui semble faire sa force en contraste avec la gauche fragmentée du passé (235).