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L'antimodèle platonicien de la nouvelle rhétorique

Published online by Cambridge University Press:  01 January 2020

Guy Bouchard*
Affiliation:
Université Laval

Extract

Selon Charles Perelman, la logique, étude des moyens de preuve, a été, dans le prolongement du rationalisme cartésien, progressivement réduite à la logique formelle, étude des techniques démonstratives des mathématiciens. Corrélativement, le champ du rationnel a été considérablement rétréci, et les moyens de preuve utilisés dans les sciences humaines ont été mis au rencart. La raison est devenue incompétente dans tousles domaines qui échappent au calcul, les abandonnant aux forces irrationnelles, aux instincts, à la suggestion, à la violence. Refusant cette dichotomie entre la raison calculatrice et l'irrationnel, Perelman, à la recherche d'une voie intermédiaire, découvrit non pas ce qu'il escomptait, c'est à dire une logique des Jugements de valeur, mais la rhétorique. Celle-ci de nos Jours, est tombée en désuétude. Si l'on veut la rani mer, c'est des Anciens qu'il faut s'inspirer: d'Aristote surtout, mais aussi de Platon. C'est à ce dernier que nous voulons consacrer les pages qui suivent.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © The Authors 1981

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References

1 Nous nous référerons principalement aux ouvrages suivants de Perelman:

A—Exposés généraux de la théorie de I'argumentation:

TA: Traité de I'argumentation, en collaboration avec L. Olbrechts-Tyteca, 3e éd., (Bruxelles: Editions de I'Université 1976), 734p.

ETA: Eléments d'une théorie de I'argumentation (Bruxelles: Presses universitaires 1968), 67 p.

ER: L'empire rhétorique. Rhétorique et argumentation (Paris: Vrin 1977), 196 p.

CL: Cours de logique, 5e éd., (Bruxelles: Presses universitaires1961), Fasc. Ill, p. 75-86.

B—Recueils d'articles:

RP: Rhétorique et philosophie, en collaboration avec L. Olbrechts- Tyteca (Paris: P.U.F. 1952), 161 p.

JR: Justice et raison (Bruxelles: Presses universitaires 1963), 256 p.

DMP: Droit, morale et philosophie, 2e éd., (Paris: Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence 1976) 203 p.

CA: Le champs de I'argumentation (Bruxelles: Presses universitaires 1970), 408 p.

Sur le rétrécissement du champ de la logique, cf. TA, 1-13; ER, 15-9.

2 CL, fasc. III, 76.

3 TA, 9; ETA, 8 (le même texte apparaît dans Logique et argumentation, 2e éd.,(Bruxelles: Presses universitaires 1971) 88, ainsi que dans ‘Une théorie philosophique de !'argumentation,’ in CA, 14); ER, 170; ‘Logique et rhétorique’ (en collaboration avec L. Olbrechts—Tyteca), in RP, 39; ‘De la preuve en philosophie’ in RP, 126; ‘Philosophie, rhétorique, lieux communs,’ in Philosophes critiques d'eux–mêmes, par Mercier, A. et Silvas, M. (Bern: Herbert Lang; Frankfurt M. 1975) 187;Google Scholar ‘Philosophie et rhétorique,’ in Tijdschrift voor Filosofie 41 (1979) 440.

4 Comme celles de Perelman, nos références Platon seront volontairement simplifiées. Le débat, en effet, se situe non au niveau philologique, ni celui des interprétations érudites, mais au niveau d'un Platon rendu accessible tous par les diverses traductions, d'un Platon ‘rhétorique.’

5 Nous mettrons ici l'accent sur la critique platonicienne de la rhétorique traditionnelle. De l'autre ‘rhétorique’ il sera question dans la prochaine section.

6 Dans I'Euthydème (271c–272b), Socrate vante ironiquement la science de deux sophistes: science universelle, qui inclut l'habileté discourir devant les tribunaux et enseigner aux autres comment faire des discours pour les tribunaux, ainsi que la lutte en parole, où ils réfutent tout ce que I’ on dit, que ce soit vrai ou faux. Cette science englobe donc et la rhétorique et la sophistique telles qu'elles sont définies dans le Sophiste.

7 Le rapport entre rhétorique et poésie peut également s'établir indirectement, par le biais d'un rapport entre poésie et sophistique, puis entre sophistique et rhétorique; ce dernier ayant été Justifié plus haut, voici laorte qui ouvre le premier: ‘Pour moi, J'ose affirmer que la profession de sophiste est ancienne; mais ceux qui la pratiquaient dans les premiers temps, craignant la défaveur qui s'y attache la pratiquaient sous le déguisement ou le voile de la poésie, comme Homère, Hésiode, Simonide, ou des mystères et des oracles, comme Orphée, Musée et leurs disciples … “ (Protagoras, 316d).

8 ‘Philosophie, rhétorique, lieux communs,’ 187.

9 TA,9 et 59; ETA, 8 et 23 (texte repris dans Logique et argumentation, 88 et 103, ainsi que dans ‘Une theorie philosophique de l'argumentation,'in CA, 14); ER, 164 et 169-70; CL, fasc. Ill, 76-7; ‘De la preuve en philosophie,’ in RP, 126; ‘How Do We Apply Reason to Values?,’ in The Journal of Philosophy 52 (1955) 800; 'Philosophie et rhétorique,’ in Tijdschrift voor Filosofie 440.

10 Barthes, RolandL'ancienne rhétorique,’ in Communications 16 (1970) 177.CrossRefGoogle Scholar Dixon, Peter (Rhetoric (London: Methuen 1971) 10-3)Google Scholar parle d'une ‘redéfinition' de la rhétorique dans le Phèdre; Victor Goldschmidt (Les dialogues de Platon (Paris: P.U.F. 1947) 307-8 et 326), de la ‘bonne’ rhétorique qui sera le sujet du Phèdre, de la ‘vraie’ rhétorique distinguée de la ‘fausse'; Kennedy, George (The Art of Persuasion in Greece (Princeton, M.J.: Princeton U.P. 1963)Google Scholar mentione aussi la ‘vraie’ rhétorique; Paul Kucharski (La spéculation platonicienne (ParisLouvain: Nauwelaerts 1971) 174-90) prétend que le Gorgias et le Phèdre soulèvent les mêmes problèmes et y apportent la mème solution, soit de faire de la rhétorique un ‘art véritable'; Léon Robin enfin, dans sa présentation du Phèdre ((Paris: Les Belles-Lettres 1933) VI et XXXVII- XXXVIII) parle d'une ‘vraie’ rhétorique, d'une ‘rhétorique de droit,’ d'une ‘rhétorique philosophique.’ Mais on peut aller un peu plus loin dans cette dernière veine, com me le fait Goldschmidt (op. cit., 331): ‘L'orateur accompli devra êtra dialecticien, mais alors, il ne sera plus orateur.’ Cest cette direction que nous entendons suivre.

11 ‘Une théorie philosophique de I'argumentation’ in CA, 13; voir aussi: TA, 5; ETA, 7; ‘Logique et rhétorique,’ in RP, 1; ‘Acte et personne dans I'argumentation’ (en collaboration avec L. Olbrechts-Tyteca), in RP, 50; ‘De la preuve en philosophie,’ in RP, 125.

12 Le rapport entre la ‘bonne rhétorique’ et la vérité ou la connaissance objective n'est mentionné par Perelman que dans trois textes sur dix (TA, 59; ER, 164; ‘De la preuve en philosophie,’ 126); dans le premier cas, d'ailleurs, I'allusion la vérité est séparée par une cinquantaine de pages de I'utilisation de la référence au Phèdre com me modèle de la nouvelle rhétorique. En cinq autres textes (ETA, 8; ER, 170; Logique et argumentation, 88; ‘Une théorie philosophique de I'argumentation,’ in CA, 14; ‘Philosophie et rhétorique,’ 437 et 445), la rhétorique est présentée comme un moyen qu'admettrait Platon pour communiquer autrui une vérité découverte par d'autres moyens; ce thème, cependant, n'est pas platonicien car si le sage acquiert la perfection de l'art oratoire, ‘ce ne sera pas pour parler aux hommes.'

13 ‘Dialectique et dialogue,’ in CA, 229.

14 Cf. TA, 6–7; ETA, 7.

15 Moreau donne la référence suivante: Euthyphron, 7 b-d.

16 ‘Rhétorique, dialectique et exigence première,’ in La théorie de I'argumentation. Perspectives et applications (en collaboration) (Louvain - Paris: Nauwelaerts 1963) 207.

17 Cf.ETA, 8; Logique et argumentation, 88; ER, 176; Logique Juridique. Nouvelle rhétorique (Paris: Dalloz 1976) 102; ‘Une théorie philosophique de !'argumentation,' in CA, 14; ‘Dialectique et dialogue,’ in CA, 230; ‘Philosophie, rhétorique, lieux communs,’ 158–86; ‘Philosophie et rhétorique,’ 436–7.

18 ‘Philosophie, rhétorique, lieux communs,’ 185.

19 ‘Philosophie et rhétorique,’ 437; voir également: ‘Dialectique et dialogue,’ in CA, 229, ainsi que ER, 169–70.

20 Qu'en est–il, par exemple, de la dialectique purgative par rapport cette dialectique qui est ‘Ia seule qui, rejetant les hypothèses, s'élève Jusqu’ au principe même pour établir solidement ses conclusions’ (Rép, 533–c–d), et qui constitue ‘le couronnement suprême de nos études‘(Rép., 534e)? Voir également: Le politique, 285–c–287b; Philèbe, 16b–18–d et57e.

21 ‘Logique et rhétorique,’ in RP, 21.

22 ‘De la preuve en philosophie,’ in RP, 128–9.

23 Goblot, La logique des Jugements de valeur (Paris 1927) 16-7;Google Scholar cité par Perelman dans ‘La méthode dialectique et le rôle de l'interlocuteur dans le dialogue,’ in Revue de métaphysique et de morale, (1955) 27 (article repris dans JR, 132–9).

24 TA, 47–8.

25 CL, fasc. I, 16.

26 ER, 45.

27 TA, 25; ETA, 21; ER, 25.

28 La description qui suit s'inspire de: TA, 46–53; ER, 28–9; ‘Logique et rhétorique,' in RP, 20–1; ‘Rhétorique et philosophie,’ in Etudes philosophiques, 1 (1 969) 22–3 (repris dans CA, 219–27).

29 TA, 643.

30 Au sens d'Aristote et de Todorov, la poétique est la théorie de la littérature.

31 Cette description de la communication romanesque provient de: G. Bouchard, 'Communication romanesque et communication philosophique,’ in Philosophie et littérature (en collaboration) (Montréal: Bellarmin ColI. ‘L'univers de la philosophie’ 1979). En ce texte, la distinction ici posée entre narrataire et lecteur I’ est entre lecteur et liseur (réel), ce qui peut prêter confusion du fait que, dans l'usage courant, ces deux derniers termes sont interchangeables.

32 En fait, cette expression n'est pas de Platon, mais de Perelman.

33 ER, 176.

34 ‘Logique et rhétorique,’ in RP, 40.

35 ‘Philosophie et rhétorique,’ in Tijdschrift voor Filosofie, 445.

36 ‘De la méthode analytique en philosophie’ in JR, 88–9.

37 Dans le Gorgias, on se souvient que c'est de la Justice que la rhétorique est considérée comme la caricature: il serait intéressant cet égard de comparer la conception platonicienne de la Justice (par exemple dans Ia République) celle que Perelman expose dans ‘De la Justice,’ in JR, 9–80; ‘Les trois aspects de la Justice,' in JR, 1 55–74; ‘La règie de Justice,’ in JR, 224–33; ‘Cinq leçons sur la Justice,’ in DMP, 15–66.

38 ‘Philosophie et rhétorique,’ 444.