Hostname: page-component-586b7cd67f-2plfb Total loading time: 0 Render date: 2024-11-21T21:44:55.701Z Has data issue: false hasContentIssue false

Quelques mythes à propos du système vocalique de l'arabe du Caire

Published online by Cambridge University Press:  26 September 2024

Radwa Fathi*
Affiliation:
Laboratoire de Linguistique de Nantes, UMR 6310, Nantes, France
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Résumé

Depuis Spitta-Bey (1880), une littérature riche et détaillée décrit invariablement l'inventaire vocalique de surface de l'arabe du Caire comme incluant des voyelles moyennes brèves, [e] et [o]. Une nouvelle ère s'ouvre un siècle plus tard avec l'apparition soudaine d'un consensus massif sur l'idée que les voyelles moyennes brèves ne sont pas attestées en arabe cairote. Une différence d'une telle nature et d'une telle ampleur a nécessairement des conséquences sur l'analyse du système phonologique. Certaines de ces conséquences sont mises en évidence dans le présent article. Il est montré que le déni de la présence de [e] et [o] dans la langue conduit mécaniquement à inférer l'existence de processus phonologiques fictifs, et qu'une description de la réalité impose la reconnaissance de ces voyelles. La littérature pertinente est passée en revue, des tests originaux permettant de vérifier cette affirmation sont proposés, ainsi que le témoignage de mesures instrumentales.

Abstract

Abstract

Since Spitta-Bey (1880), a rich and detailed literature has continuously described the surface vowel inventory of Cairo Arabic as including short mid vowels, [e] and [o]. A new era dawned a century later with the sudden appearance of an overwhelming consensus on the idea that short mid vowels are not attested in Cairo Arabic. A difference of this nature and magnitude necessarily has consequences for the analysis of the phonological system. This article highlights some of these consequences. It is shown that the denial of the presence of [e] and [o] in the language mechanically leads to the inference of fictitious phonological processes, and that a description of reality requires the recognition of these vowels. The relevant literature is reviewed, and original tests to verify this assertion are proposed, together with evidence from instrumental measurements.

Type
Article
Copyright
Copyright © Canadian Linguistic Association/Association canadienne de linguistique 2024

1. IntroductionFootnote 1

Après un siècle et demi d'investigation du système sonore du parler arabe du Caire, la question de la présence ou de l'absence en surface de voyelles moyennes brèves, e et o, fait toujours l'objet de débat. Le fait même qu'il y ait débat est surprenant pour deux raisons. La première est que e et o prolifèrent littéralement dans le système cairote.Footnote 2 Qui plus est, leur présence est régulièrement mentionnée dans la documentation depuis la fin du 19e siècle. La seconde raison est que rien dans les différentes approches théoriques qui ont encadré les discussions ne milite en faveur ou en défaveur de la reconnaissance des voyelles brèves moyennes dans le système. Les théories sont neutres sur ce point ; la question est donc d'ordre strictement empirique. Cette question non résolue continue de peser comme une hypothèque sur toutes les discussions du système phonologique du cairote.Footnote 3 On pourrait penser qu'il suffit d'observer attentivement le comportement des locuteurs pour déterminer s'ils produisent ou non des voyelles moyennes brèves, mais l'expérience prouve que cette approche ne conduit qu’à une confrontation stérile d'opinions personnelles. Plutôt que de décrire ce que je pense moi-même entendre et d'ajouter à mon tour une opinion à celles déjà émises, je propose de chercher une réponse par l'examen du rôle de ces voyelles dans l'organisation du système phonologique de la langue, c'est-à-dire dans l'ensemble des processus qui relient les représentations sous-jacentes et les représentations de surface.Footnote 4 Je reformule donc la question de recherche comme suit : quels sont les avantages respectifs pour l'analyse phonologique du déni ou de l'acceptation de l'existence des voyelles moyennes brèves ? Ma réponse est qu'il y a un prix très lourd à nier leur existence. En effet, comme je le montre dans la discussion de Broselow (Reference Broselow1976) et Watson (Reference Watson2002) en section 4, ignorer l'existence des voyelles moyennes brèves conduit à reconnaître des phénomènes fictifs.

L'article est organisé comme suit. Dans la section 2, je donne quelques éléments d'information sur le système phonologique sous-jacent, notamment sur les facteurs qui contrôlent la réalisation en surface des voyelles comme brèves ou longues.Footnote 5 En section 3, je tente de donner une idée de la variété déconcertante des opinions qui ont été avancées sur la présence ou l'absence des voyelles moyennes brèves. Dans la section 4, je discute de façon critique les propositions de Broselow (Reference Broselow1976) sur le système vocalique du cairote. Une brève cinquième section présente les résultats instrumentaux de Norlin (Reference Norlin1987). Je résume mes propres résultats en conclusion.

2. La quantité vocalique, son conditionnement et sa distribution en surface

La nature des timbres vocaliques brefs (autres que a) est la question centrale de cet article. Je propose donc une très brève présentation préliminaire des facteurs qui conditionnent la distribution de la brièveté vocalique en surface. Les voyelles brèves ont deux sources : les voyelles sous-jacentes brèves elles-mêmes, qui restent toujours brèves ; et les voyelles sous-jacentes longues lorsqu'elles ont été soumises à l'abrègement.

Les voyelles sous-jacentes longues sont données en (1a) et les voyelles sous-jacentes brèves en (1b).Footnote 6 Les voyelles moyennes longues /e:, o:/ correspondent aux diphtongues /ay, aw/ d'autres versions, anciennes et contemporaines, de la langue arabe. Youssef (Reference Youssef2010) soutient que le système cairote sous-jacent doit inclure ces diphtongues à la place des voyelles moyennes /e:, o:/. Rien de ce qui suit ne dépend d'une résolution préalable de cette question ; j'adopte donc le système en (1a).

  1. (1)

Les voyelles brèves sous-jacentes restent brèves dans toutes circonstances. L'accent, en particulier, n'a pas pour effet de les allonger. Ainsi, la première voyelle de katábha ‘il l'a écrite’ (< /katab+ha:/) est brève hors accent, et reste brève sous accent, kátab ‘il a écrit’ (< /katab/).

Les voyelles longues sous-jacentes se distinguent des voyelles brèves par le fait que leur quantité en surface est variable. Elles ne manifestent leur longueur que sous accent, 1) soit en syllabe ouverte, par exemple sá:bu (< /sa:b-u:/) ‘ils ont laissé’, sabú:na (< /sa:b-u:+na:/) ‘ils nous ont laissé(e)s’, bá:bak (< /ba:b+ak/) ‘ta porte (à toi-M)’, 2) soit en syllabe fermée finale, par exemple masabuná:š (< /ma:+sa:b-u:+ na:+ š/) ‘ils ne nous ont pas laissé(e)s’, bá:b ‘porte’. Partout ailleurs, ces voyelles longues sous-jacentes sont abrégées. Premièrement, elles sont toujours abrégées en syllabe fermée non-finale, par exemple sábna (< /sa:b+na:/) ‘il nous a laissé(e)s’ vs. sá:bak (< /sa:b+ak/) ‘il t'a laissé (toi-M)’, bábna ‘notre porte’ (< /ba:b+na:/) vs. bá:bi ‘ma porte’ (< /ba:b+i:/). Deuxièmement, elles sont toujours abrégées en syllabe ouverte atone, comme on le voit avec babé:n ‘deux portes’ (< /ba:b+e:n/), ou encore avec sá:bu ‘ils ont laissé’ (< /sa:b-u:/) vs. masabuná:š ‘ils ne nous ont pas laissé(e)s’ (< /ma:+sa:b-u:+na:+š), où toutes les voyelles sous-jacentes longues ont été abrégées en raison de leur atonicité.

Le mot phonologique en arabe du Caire porte un accent primaire unique. La longueur vocalique en surface étant dépendante de l'accent, il s'ensuit qu'il ne peut pas y avoir plus d'une voyelle longue par mot phonologique.Footnote 7

La distribution des voyelles sous-jacentes dans les formes lexicales est libre, à part une restriction : les voyelles sous-jacentes brèves n'apparaissent jamais en position finale absolue d'une représentation lexicale. En conséquence, lorsqu'une forme de surface se termine par une voyelle brève, par exemple katábtu ‘vous avez écrit’ ou katábti ‘tu-F as écrit’, on peut être certain que ces voyelles finales sont des voyelles sous-jacentes longues et qu'elles ont été abrégées en position atone, ainsi /katab-tu:/ et /katab-ti:/. On peut le vérifier par le fait que les voyelles finales de katábtu et katábti récupèrent leur longueur dès qu'elles coïncident avec l'accent. On le voit avec makatabtú:š ‘vous n'avez pas écrit’ (< /ma:+katab-tu:+š/) et makatabtí:š ‘tu-F n'as pas écrit’ (< /ma:+katab-ti:+š/).Footnote 8

3. La diversité des positions quant aux voyelles moyennes brèves [e, o]

La documentation présente un panorama turbulent en ce qui concerne la présence en surface de voyelles moyennes courtes. Certains soutiennent qu'on entend des voyelles moyennes en arabe égyptien ; cette position est majoritaire pour les travaux portant sur l'arabe égyptien depuis un siècle et demi. D'autres affirment qu'on n'en entend pas. Cette seconde position sous-tend pratiquement tous les travaux génératifs ou post-génératifs.Footnote 9

Le premier point de vue est attesté, entre autres, dans les travaux de Spitta-Bey (Reference Spitta-Bey1880), Vollers (Reference Vollers1890), Willmore (Reference Willmore1905), Gairdner (Reference Gairdner1925), Mitchell (Reference Mitchell1956, Reference Mitchell1990, Reference Mitchell1993), Jomier et Khouzam (Reference Jomier and Khouzam1964), Jomier (Reference Jomier1976), Badawi et Hinds (Reference Badawi and Hinds1986), Boutros (Reference Boutros1993), Abboud-Haggar (Reference Abboud-Haggar2003, Reference Abboud-Haggar2015), par les auteurs (inconnus de moi) de deux entrées Wikipedia d'excellente qualité,Footnote 10 ainsi que par Audebert et al. (Reference Audebert, Fuad, Steet, Khouzam, Elkassas, Yousef, El-Din, Ibrahim and Gaubert2012).Footnote 11 À tous ces auteurs, il faut ajouter les structuralistes de l'après-guerre. Tous les travaux structuralistes que j'ai pu consulter – Birkeland (Reference Birkeland1952), Harrell (Reference Harrell1957), Blanc (Reference Blanc1959), Tomiche (Reference Tomiche1964), Selim (Reference Selim1967), Cowan (Reference Cowan1970), Drozdik (Reference Drozdik1973) – posent une même question relativement au e et au o brefs : ces objets sont-ils ‘phonémiques’ ? Si tous ces chercheurs structuralistes posent la question du statut de e et o brefs, c'est évidemment qu'ils les ont ‘entendus’.

Le témoignage de Tomiche (Reference Tomiche1964) sur l'existence de voyelles de surface moyennes brèves est particulièrement clair. Je le présente en plusieurs étapes, en commençant par une comparaison avec l'arabe classique : « Sur le plan diachronique, en nous référant au vocalisme de l'arabe classique, nous constatons que, dans le système des voyelles brèves […] les deux voyelles les plus fermées [de l'arabe classique] sont réalisées plus ouvertes [en arabe du Caire] : ie et uo » (Tomiche Reference Tomiche1964 : 46). Ceci corrobore les observations du P. Georges Chehata Anawati (Reference Anawati1958 : 448), qui note en introduction à sa compilation de proverbes et d'expressions populaires du Caire que « […] la prononciation [du cairote] déroute le plus les arabisants habitués à la prononciation classique […] très souvent la voyelle i [de l'arabe classique] devient e, et le ou devient o’, par exemple oskoti ya wesh-en-nakad !, littéralement : ‘tais-toi, visage de tristesse !, i.e. tais-toi vieille chipie !’. »

La place qu'assigne Tomiche à ces voyelles moyennes brèves dans le système mérite d’être examinée avec attention : « Le dialecte arabe du Caire possède, comme l'arabe classique, trois timbres vocaliques qui forment un système triangulaire à trois classes de localisation : antérieure (e), médiale (a), postérieure (o) et à deux degrés d'aperture, le degré d'aperture maximal étant médial quant à la localisation » (Tomiche Reference Tomiche1964 : 47). Tomiche insiste ici sur le fait que le degré d'aperture minimal pour la réalisation des phonèmes /i/ et /u/ est moyen. Il est difficile d’être plus clair quant au fait qu'il s'agit de voyelles moyennes, [e] et [o]. Tomiche ne conteste pas l'existence de timbres [i] et [u] brefs. Mais, pour elle, leur source est parfaitement claire : « En fait, phonologiquement, i et u brefs, n’étant que les réalisations des voyelles longues ī et ū abrégées par position, ne sont pas des phonèmes mais de simples variantes » (Tomiche Reference Tomiche1964 : 46).

Selon Tomiche, la représentation sous-jacente de ‘mon livre’, /kita:b-i:/, est donc réalisée phonétiquement [ketá:bi], c'est-à-dire avec abaissement du /i/ sous-jacent initial et abrègement par position (atone) du /i:/ final. Autrement dit, les deux voyelles atones du mot sont phonétiquement brèves, mais aucunement identiques. Crucialement, la première est bien moyenne, comme le note Tomiche de façon répétée : ketabēn el-walad ‘les deux livres du garçon’, ketabkom ‘votre livre’, da ketābak ? ‘C'est ton livre ?’ (Tomiche Reference Tomiche1964 : 183, 194, 203).

Les personnes qui nient l'existence des voyelles moyennes brèves se divisent en deux groupes. D'une part, certains ne mentionnent pas leur existence, et ces voyelles n'apparaissent simplement pas dans leurs notations. C'est le cas, par exemple, de Gadalla (Reference Gadalla2000), ainsi que de la quasi-totalité des travaux des syntacticiens générativistes. D'autres, en revanche, contestent explicitement leur existence. C'est le cas de Broselow (Reference Broselow1976) et Watson (Reference Watson2002).

D'après Broselow, « The chief peculiarity of the ECA vowel system is the asymmetry resulting from its lack of short mid vowels » (Broselow Reference Broselow1976 : xiii). Watson pour sa part (Reference Watson2002 : 22) déclare : « Among the majority of speakers of Cairene, short mid vowels are not attested. »

Lorsque la base empirique des discussions comprend des descriptions aussi contradictoires, on peut s'attendre à des « dérapages ». J'en cite quelques exemples de la part de contributeurs importants. Chacun implique, d'une manière ou d'une autre, les questions de timbre et de brièveté dont traite cet article.

Un des exemples que donnent Abdel-Massih et al. (Reference Abdel-Massih, Abdel-Malek, Badawi and McCarus1979) d'un e bref est betna ‘notre maison’. Mais quelques pages plus loin, ils notent bitha pour ‘sa maison (à elle)’. Dans les deux cas, la voyelle du nom résulte de l'abrègement d'une voyelle originellement longue (ici, celle de be:t ‘maison’) suite à la suffixation des pronoms possessifs +na ou +ha. Pourquoi les formes ne sont-elles pas notées uniformément, soit betna et betha, soit bitna et bitha ? On pourrait penser que cette incohérence notationnelle n'est qu'une faute de frappe accidentelle et isolée, mais ce n'est pas le cas. En effet, ce type de flottement est très précisément circonscrit : il ne se produit qu’à propos des voyelles moyennes brèves. Ainsi, la littérature ne donne, à ma connaissance, jamais d'exemples de flottement dans la notation des voyelles longues, comme ó:ti ‘ma voix’ à côté d'un supposé ṣú:tu ‘sa voix (à lui)’ ; ou inversement un supposé ṣú:ti à côté de ṣó:tu ; de fait, les voyelles longues sont toujours notées correctement, à savoir ṣó:ti et ṣó:tu pour les exemples en question. En revanche, pour les voyelles brèves, l'incohérence ou l'hésitation sont endémiques, non seulement, comme on vient de le voir, chez Abdel-Massih et al., mais déjà chez Willmore : « A long vowel followed by two consonants […] becomes shortened, ê and ô being generally changed to i and u respectively, as: […] bêt/bitna (or betna), gôz ‘husband’/guzha (or gozha) » (Willmore Reference Willmore1905 : 7). Plus gravement, le flou dominant conduit à des erreurs factuelles, dont voici deux exemples, le premier se trouvant chez Birkeland (Reference Birkeland1952 : 42) : « […] we would expect the opposition *katab'tini “you (masc.) wrote me” against *katab'tīni “you (fem.) wrote me”, because else the masc. has short and the fem. long vowel before suffixes.Footnote 12 But, strange to see, this opposition is not realized. The i is short in both cases! »

Il est difficile de décrire le timbre d'une voyelle de manière absolue. Il est beaucoup plus fructueux, en revanche, de comparer deux voyelles dans des contextes identiques ou comparables, et de se demander si ces voyelles sont différentes ou non. En choisissant de comparer les deux expressions dans cette citation, Birkeland opte pour la procédure la plus sûre. Malheureusement, son évaluation est simplement incorrecte : les deux expressions qu'il mentionne sont parfaitement distinctes à l'oreille et permettent d'observer de façon très nette un contraste de longueur et de timbre. En raison de l'importance cruciale de ce contraste, j'y reviens en détail dans la section suivante. Je note toutefois dès maintenant que quelques lignes seulement après avoir ‘raté’ le contraste de longueur éclatant qui oppose les deux expressions de son exemple, Birkeland (Reference Birkeland1952 : 43) impute aux locuteurs eux-mêmes son incapacité à le saisir, déclarant que « […] Egyptians have a very feeble sense of vowel quantity ».

Le second exemple d'erreur apparaît cette fois-ci sous la plume d'un descripteur méticuleux du système phonétique des parlers arabes, T.F. Mitchell. Dans un manuel qu'il produit à la demande de l'Anglo-Egyptian Oilfields Ltd. et de la Shell Company of Egypt Ltd. pour leurs employés, Mitchell écrit que « The qualities of ii and i in ší:li ‘take away (fem.)!’, šilí:h ‘take (fem.) it (masc.) away!’, siib ‘leave!’ and síbha ‘leave it (fem.)!’ are substantially the same, and the i of, e.g. síbha is not pronounced as i in, e.g. bint ‘girl’ » (Mitchell Reference Mitchell1956 : 112) et que « ii is regularly shortened in certain contexts, e.g. šilhum ‘remove them!’, but the sound of the vowel remains as for ii » (Mitchell Reference Mitchell1956 : 10–11). La description de Mitchell est exacte en ce qui concerne le fait que le timbre du ii et du i est le même dans les deux voyelles de ší:li et dans les deux voyelles de šilí:h, ainsi que dans siib. En revanche, l'auteur est nettement dans l'erreur en ce qui concerne la première voyelle de šílhum (selon sa notation) et de síbha (idem) : cette voyelle n'est aucunement la même que la première voyelle de šilí:h ou la dernière voyelle de ší:li. Contrairement à ce qu'avance Mitchell, les voyelles de síbha et de šílhum sont bien les mêmes que celle du mot pour ‘fille’ (noté par lui bint).Footnote 13 J'y reviens dans la section suivante.

Il est significatif que cette voyelle soit aussi celle des flottements d'Abdel-Massih et al. entre betna et bitha ; c'est enfin la même que dans l'exemple que donne Birkeland pour ‘tu-M m'as écrit’ et qu'il note katab'tini.

La perplexité s'intensifie lorsque l'on compare les deux descriptions ci-dessous du timbre de la voyelle épenthétique, particulièrement les passages reproduits en gras. L'une de ces assertions est nécessairement fausse.

  1. a. […] if a word ending with two consonants […] occurs before one beginning with a consonant, i is added to the former: dars before muhímm occurs as dársi muhímm ‘an important lesson’. It is useful to be able to identify this final added vowel, and therefore it is written above the line. There is, however, no difference in pronunciation between an i above or on the line; dársi nonfinally in a sentence and dársi ‘my lesson’ are pronounced alike.       (Lehn et Abboud Reference Lehn and Abboud1965 : 269)

  2. b. When in a sequence of two words, the first word ends in two consonants and the second begins with a consonant, a vowel is added to the end of the first word; the vowel is a variant of i which is usually shorter and more lax than the other variants. In the following examples, the extra vowel is represented by a raised i :

    /šuft/ ‘I saw’, /ṛaagil/ ‘a man’, [šufti ṛaagil] ‘I saw a man’

    Notice the difference in pronunciation between šufti ṛaagil ‘I saw a man’ and šufti ṛaagil ‘You (fem.) saw a man’.       (Abdel-Massih et al. Reference Abdel-Massih, Abdel-Malek, Badawi and McCarus1979 : 321)

Je reviens sur ce point dans les sections suivantes de manière détaillée, mais j'indique dès maintenant que la description de Lehn et Abboud constitue une erreur à la fois évidente et grave, et que la description correcte est celle de Abdel-Massih et al. (Reference Abdel-Massih, Abdel-Malek, Badawi and McCarus1979).

Dans la section suivante, j'examine en détail la version la plus claire du déni de l'existence des voyelles moyennes brèves, c'est-à-dire celle de Broselow (Reference Broselow1976).

4. Broselow (Reference Broselow1976)

La thèse d'Ellen Broselow est le premier travail consacré à la phonologie de l'arabe du Caire dans un cadre théorique qui, historiquement, se situe au carrefour de la phonologie générative classique de Chomsky et Halle (Reference Chomsky and Halle1968) et la phonologie post-générative. On doit à Broselow le premier traitement de type autosegmental de la propagation de l'emphase dans un parler arabe, sur la base de la théorie de la structure syllabique de Kahn (Reference Kahn1976). On lui doit également des analyses pionnières, sur la base des propositions de Selkirk (Reference Selkirk1972), de plusieurs phénomènes se situant à l'interface de la phonologie et de la syntaxe (par exemple, l’état construit ou la cliticisation), ainsi qu'une évaluation sur la base de données cairotes de la thèse d'Aronoff (Reference Aronoff1974). Il s'agit d'une contribution majeure et influente. La thèse de Broselow contient également une discussion détaillée du système vocalique, dont le point fort est son caractère explicite : ce travail se prête, de ce fait, à une identification nette des points sur lesquels il est impératif de continuer de progresser.

4.1 Le dispositif de Broselow

Broselow (Reference Broselow1976) propose le système sous-jacent en (2a) et (2b) : un système à cinq voyelles longues (2a) et trois voyelles brèves (2b). Le système de surface qu'elle endosse est donné en (2c).

  1. (2)

Dans ce dispositif, le nombre de timbres de surface brefs, trois, est inférieur au nombre de voyelles sous-jacentes longues, cinq. L'abrègement de ces voyelles longues devra donc nécessairement se traduire par des convergences de timbre. Il est clair que dans le dispositif de Broselow, /e:/ et /i:/, lorsqu'elles s'abrègent, devront converger en [i], tandis que /o:/ et /u:/ convergeront en [u], (3).Footnote 14

  1. (3)

Je passe en revue les prédictions faites par ce système. Pour simplifier l'illustration, la présentation des exemples se limite à l'abrègement des voyelles antérieures, /i:/ et /e:/.

Mon premier exemple illustre l'abrègement de /i:/ en syllabe ouverte non-accentuée. La configuration de base est celle de l'impératif pluriel gí:bu ‘apportez !’. Lorsqu'une préposition et son objet 1SG sont suffixés à gí:bu, soit gí:b-u + l + i ‘apportez à moi’, l'accent se déplace vers la droite et la voyelle longue maintenant inaccentuée de gí:bu (soulignée en (4)) s'abrège.

  1. (4) /gí:b-u:+l+i:/ → [gibú:li] ‘apportez à moi !’

L'exemple suivant illustre l'abrègement attendu pour /i:/ en syllabe fermée. Ici, il s'agit de l'impératif du même verbe à la 2M.SG gi:b suffixé à nouveau par +l +i ‘à moi’. L'abrègement de la voyelle longue doit donner, selon le schéma en (3), le résultat indiqué en (5), où la voyelle pertinente est soulignée.

  1. (5) /gi:b+l+i:/ → [gíbli] ‘apporte-M à moi !’

L'abrègement de /e:/ en position non accentuée doit se dérouler comme en (6). L'exemple choisi implique ħabbé:tu ‘vous avez aimé’. Lorsque l'objet direct 1SG ‘+ni’ est suffixé à ħabbé:tu, l'accent se déplace vers la droite, et la voyelle longue maintenant inaccentuée (soulignée en (6)) s'abrège. Si /e:/ s'abrège en [i], comme le soutient Broselow, le résultat doit être comme en (6).

  1. (6) /ħabbe:tu:+ni:/ → [ħabbitú:ni] ‘vous m'avez aimé(e)’

En syllabe fermée, il est attendu que /e:/ s'abrège également en [i]. L'exemple implique ħabbé:t ‘tu-M as aimé’. La suffixation de l'objet direct pronominal 1PL ‘+na’ doit donner le résultat en (7), où la voyelle en question est soulignée.

  1. (7) /ħabbé:t+na:/ → [ħabbítna] ‘tu-M nous as aimé(e)s’

Enfin, la voyelle épenthétique est (par défaut) une voyelle brève antérieure : selon Broselow, il ne peut donc s'agir que de [i]. La suffixation de la préposition +l et de son objet 1PL à gí:b ‘apporte-M !’, soit gí:b + l + na ‘apporte à nous !’, déclenche l’épenthèse entre l et n afin de couper la séquence de trois consonnes consécutives, et le résultat doit être comme en (8), où la voyelle épenthétique est soulignée.

  1. (8) /gi:b+l+na:/ → [giblína] ‘apporte-M à nous !’

Pour résumer, le système défendu par Broselow conduit aux écritures en (9), en regard de chacune desquelles je rappelle le phénomène impliqué :

  1. (9)

Il y a donc, selon Broselow, sept sources possibles pour le i bref de surface : les cinq indiquées en (9), auxquelles il faut ajouter les réalisations du /i/ bref sous-jacent en syllabe ouverte (kitá:b ‘livre’, líbis ‘il s'est habillé’) ainsi qu'en syllabe fermée (yíktib ‘il écrit’).

La convergence présumée de ces sept sources en [i] est représentée en (10). Au niveau supérieur du tableau en (10) figurent les trois segments sous-jacents /i:/, /e:/, et /i/ ainsi que ø, ‘zéro’, qui dénote le site d'insertion de la voyelle épenthétique. Le comportement de chacun de ces segments sous-jacents est présenté au niveau immédiatement inférieur, d'abord en syllabe ouverte, ensuite en syllabe fermée (pour /i:/ et /e:/, j'indique pour rappel que l'abrègement en syllabe ouverte ne se produit que lorsque cette dernière est atone).

Chaque cas est numéroté pour faciliter les références : 1 réfère à l'abrègement de /i:/ en syllabe ouverte atone interne ou finale, 2 réfère à l'abrègement de /i:/ en syllabe fermée, 3 réfère à l'abrègement de /e:/ en syllabe ouverte atone, etc. Le cas 7 correspond à l’épenthèse. Chacun de ces sept cas converge en [i].

  1. (10)

La configuration de convergences en (10) représente la thèse de Broselow relativement aux voyelles indiquées, selon laquelle les voyelles résultant des processus en (10) sont identiques. Dans la section suivante, je montre que cette thèse est inadéquate. Le cas 1 est correctement décrit, mais je soutiens que les cas 2, 3, 4, 5, 6 et 7 ne le sont pas. Je procède donc de la façon suivante : je compare le timbre de la voyelle résultant du processus en 2 au timbre de la voyelle résultant du processus en 1, et je soulève la question de l'identité (ou non) de ces timbres. Ensuite, je pose la même question à propos de 3 et de 1, puis de 4 et de 1, etc. Cette méthode évite que mon argumentation repose sur des affirmations invérifiables de ma part quant à la valeur absolue d'un timbre. La procédure que je propose constitue, au contraire, un test reproductible : le lecteur pourra vérifier, pour n'importe lequel des cas en (10), si sa voyelle est identique ou non à n'importe quel autre de ces cas.

4.2 Les cas 1 et 5

Dans un premier temps, je réfute la notion que les cas 1 et 5 convergent en [i].

En (11), je propose à l'attention du lecteur deux paires de formes (notées ici comme le prévoit le dispositif de Broselow). Les voyelles initiales des formes en (11a) expriment le i sous-jacent bref, /i/, et les voyelles initiales des formes en (11b) représentent la version abrégée en syllabe ouverte atone de /i:/. Selon Broselow, toutes les voyelles soulignées en (11) doivent être identiques, [i].

  1. (11)

En réalité, tel n'est pas le cas : les voyelles initiales des formes en (11a) sont différentes des voyelles initiales des formes en (11b). Un contraste existe donc entre les deux blocs. Mais, avec un timbre de surface unique pour les voyelles brèves antérieures ([i]), le système de surface préconisé par Broselow est incapable d'exprimer ce contraste. Ce système doit donc être enrichi en conséquence.

Pour décider comment il doit être enrichi, il faut examiner les termes du contraste. La première voyelle des formes en (11b) est une voyelle haute (ou fermée), antérieure, tendue et brève, un véritable i, autrement dit la voyelle classiquement notée [i]. Sur ce point, il y a consensus : le comportement phonologique de cette voyelle est bien clair. Premièrement, on ne rencontre cette voyelle qu'en syllabe ouverte atone (c'est la version abrégée dans ce contexte du segment sous-jacent /i:/). Deuxièmement, elle est totalement stable au sens où elle n'est jamais sujette à un phénomène de syncope discuté ci-dessous.

La première voyelle des formes en (11a) est, elle, beaucoup plus basse. La comparaison que propose Gairdner (Reference Gairdner1925 : 40) est très réaliste : « This vowel is very near the French é in thé, and the German sound ee in Heer. It does not occur in Southern English, its place being taken by a diphthong of the type ei or ɛi, thus dei or dɛi. Northern English and Scotch people, however, pronounce it pure, thus de: ‘day’. » Mitchell (Reference Mitchell1990) la décrit comme une voyelle mi-fermée d'avant. L'exemple qu'il donne du timbre archétypique de ce qu'il caractérise comme mi-fermée antérieure est celui de la voyelle du mot français fée, [fe] (1990 : 17).Footnote 15

Le comportement phonologique de cette voyelle moyenne est, lui aussi, bien connu. Elle est la réalisation de surface du i bref sous-jacent, /i/. Ce segment apparaît en syllabe ouverte ou fermée dans toutes les positions du mot, sauf en finale absolue. Sa brièveté est stable qu'il soit accentué ou non. Enfin, il syncope en syllabe ouverte dès qu'il est précédé d'une autre syllabe ouverte, comme dans les exemples en (12).

  1. (12)

    1. a. [ya z_bú:ni] (< /ya: zibu:n+i:/) ‘ô, mon client !’

    2. b. [ʔana z_mí:lak] (< /ʔana: zimi:l+ak/) ‘je suis ton-M collègue’

    3. c. [gí:bu k_tá:bak we k_tá:bi] (< /gí:b-u: kita:b+ak wi kita:b+i:/) ‘apportez ton-M livre et mon livre !’

La façon dont la voyelle initiale de zebú:n, zemí:l, et ketá:b se prête à la syncope est une des caractéristiques qui distinguent son comportement phonologique de celui de la voyelle initiale de gibú:(h) et gibí:(h). La voyelle initiale de ces deux dernières formes ne peut jamais être élidée comme en (12) ; ainsi *[g_bú:(h)] est impossible, comme je le montre en (13).

  1. (13) sí:bu z_mí:li h_ná:k we gibú:(h) (*we g_bú:(h)) baʕdé:n.

    /si:b-u: zimi:l+i: hina:k wi gi:b-u:+h baʕde:n/

    ‘Laissez mon collègue là-bas et amenez-le (ici) plus tard.’

La règle de syncope est l'une des tâches auxquelles est confronté l'enfant cairote lors de l'acquisition de sa langue maternelle, dont une composante est l'identification des voyelles visées par le phénomène. Si, comme ce serait le cas selon Broselow, l'enfant est exposé à kitá:b et gibú:(h), la question se pose de savoir comment il décide que la voyelle initiale du premier mot (mais pas du second) peut syncoper. Si par contre, comme je le soutiens, l'enfant est mis face à ketá:b et gibú:(h), il est concevable qu'il forme une hypothèse très simple : /i/ (et non pas [i]) est la cible de la syncope.Footnote 16

Je conclus cette première sous-section en rectifiant en (14) la portion pertinente du tableau de convergences en (10).

  1. (14)

4.3 Les cas 7 et 1

Je réfute maintenant la notion que la voyelle épenthétique soit identique au produit de l'abrègement de /i:/ en syllabe ouverte atone. Il s'agit des cas 7 et 1 de (10). Les exemples qui vont être discutés sont empruntés à Ola Hafez (Reference Hafez1996). Ils impliquent le nom kalb ‘chien’ et l'adjectif bonni ‘marron’. En (15a), je donne la forme du nom suffixée du possessif de première personne du singulier kalbi ‘mon chien’ suivie de l'adjectif ; en (15b), je donne la forme nue du nom, kalb, puis l'adjectif.

L'adjacence, en (15b), des deux dernières consonnes du nom et de la première consonne de l'adjectif déclenche l'insertion d'une voyelle épenthétique. Pour les besoins de la discussion, je commence par supposer qu'il s'agit d'un [i], comme le soutient Broselow. Comme, d'autre part, tous les /i:/ en (15) sont inaccentués, tous devraient être identiquement réalisés [i], et les deux expressions en (15) devraient donc être homophones.

  1. (15)

En fait, elles ne sont aucunement homophones. Mais, le système de Broselow ne permet que les écritures en (15), et ne peut donc pas représenter le contraste qui oppose ces deux expressions. Les véritables termes du contraste sont donnés par Hafez, en (16).Footnote 17

  1. (16)

La position de Hafez n'est pas isolée. De fait, ses observations vérifient celles de Harrell (Reference Harrell1957 : 60). Avec les exemples en (17) reproduits selon sa notation (e pour la voyelle épenthétique !), Harrell observait la même différence que celle identifiée par Hafez entre la réalisation de /i:/ en syllabe ouverte atone et la voyelle épenthétique.Footnote 18

  1. (17)

    1. a. kúnti fé:n ‘où étais-tu-F ?’ < /kunti: fe:n/

    2. b. kúnte fé:n ‘où étais-tu-M ?’ < /kunt fe:n/

Sur la base de ce qui précède, je rectifie la partie pertinente du tableau de convergence (10) comme en (18a). Ce résultat est consolidé avec le résultat de la sous-section précédente en (18b).

  1. (18)

La convergence en (18b) est confirmée par Blanc (Reference Blanc1959) : « the epenthetic vowel of /šufte-mi:n/ is not distinct from medial unstressed /i/ in e.g. /muslimí:n/ ‘Muslims’ […] ». Elle avait été observée beaucoup plus tôt par Vollers (Reference Vollers1890), comme en témoignent deux passages de Vollers et Burkitt (Reference Vollers and Burkitt1895). Le premier, qui fait partie de leur description des voyelles, indique que « e (the a in ‘many’)Footnote 19 […] also occurs in very short open unaccented syllables […], for example kebîr, great; ketîr, much; the prefixes ye, te, ne, me, etc. » (Vollers et Burkitt Reference Vollers and Burkitt1895 : 19). Ils décrivent aussi comment « In continuous speech a short e […] is inserted between words ending with two consonants and the following word, for example kulle râgil, every man; ginse ṭaiyib, a good sort; tulte-mîyä, 300, etc. » (Vollers et Burkitt Reference Vollers and Burkitt1895 : 22).

Deux remarques peuvent être faites. La première est qu'avec les exemples de Hafez et Harrell, confirmés par les témoignages de Vollers et Blanc, on voit que a) le timbre de la voyelle épenthétique est le même que celui de la première voyelle de zebú:n, et b) le contraste de timbres observé pré-toniquement à la faveur d'une paire comme zebú:n vs. gibú:(h) est reproduit, post-toniquement, avec kálbe bónni vs. kálbi bonni.

La seconde remarque concerne le propos de Birkeland cité dans la section 3, dont j'ai dit qu'il ne reflétait pas la réalité. Birkeland avançait que les expressions correspondant à ‘tu-M m'as écrit’ et ‘tu-F m'as écrit’ (= tu as noté mon nom) sont homophones. Voyons ce qu'il en est. ‘tu-M m'as écrit’ implique la forme verbale katab-t ‘tu-M as écrit’ à laquelle est suffixé un morphème accusatif de première personne singulier ‘+ni’ pour donner ultimement ‘tu-M m'as écrit’. L'ensemble implique la juxtaposition de trois consonnes, /katab - t + ni:/, et ce groupe consonantique est brisé par l'insertion d'une voyelle épenthétique : katabténi. L'autre membre de la paire considérée par Birkeland implique la forme verbale katab-ti ‘tu-F as écrit’ à laquelle est suffixé ‘+ni’. La voyelle de ‘-ti’ est également une de ces voyelles dont la quantité en surface est conditionnée par sa position relativement à l'accent. Étant ici accentuée, elle est longue : katabtí:ni (< /katab-ti:+ni:/). Un contraste est donc bien attesté – contra Birkeland – dans l'environnement katabt_ni. Mais si l'erreur de Birkeland sur l'homophonie supposée des deux expressions est maintenant corrigée, le contraste qui en ressort, e/i:, n'est pas encore exactement celui que je cherche à documenter pour la comparaison entre les cas 7 et 1 (voyelle épenthétique vs. /i:/ atone). En effet, le e de katabténi étant bref par nature et le i de katabtí:ni étant long par position, cette paire de formes ne nous donne pas l'occasion de comparer les seuls timbres. Une manipulation simple permet de le faire : il suffit de déplacer l'accent vers la droite de manière à ce que le i de katabtí:ni redevienne bref, neutralisant ainsi la distinction de longueur qu'on observait précédemment et ne laissant subsister que les purs timbres. La négation est l'agent de ce déplacement. En (19), je donne les formes affirmatives et négatives. Dans les formes négatives, l'accent a migré vers la droite par rapport à la position qu'il occupait dans les formes affirmatives. En raison de ce déplacement, la voyelle de ‘-ti’ en makatabtiní:š a perdu la longueur qu'elle avait sous accent (katabtí:ni), et c'est un contraste de purs timbres – e/i – qui distingue maintenant les deux formes négatives, le même que celui qui distingue kálbe bónni et kálbi bonni, zebú:n et gibú:(h).

  1. (19)

Il est évident qu'un système comme celui de Broselow, parce qu'il ne reconnaît pas de voyelles moyennes, ne peut assigner aux formes négatives en (19) qu'une représentation unique, à savoir makabtiní:š. Il est incapable de saisir ce qui distingue les deux expressions.

4.4 Les cas 2, 4, et 6

J'examine ici les cas 2, 4, et 6 de (10), c'est-à-dire le comportement des trois segments sous-jacents /i:/, /e:/, et /i/ en syllabe fermée afin d’établir si, dans ce contexte, ils convergent bien avec le cas 1 (/i:/ en syllabe ouverte atone), comme le soutient Broselow. Concrètement, il s'agit de vérifier si les voyelles en caractères gras italiques en (20) sont identiques.

  1. (20)

    1. a. /gi:b+l+i:/ → [gíbli] ‘apporte-M à moi !’

    2. b. /ħabbe:t+na/ → [ħabbítna] ‘tu-M nous as aimé(e)s’

    3. c. /libis-na/ → [libísna] ‘nous nous sommes habillé(e)s’

    4. d. /gi:b-u:+l+i:/ → [gibú:li] ‘apportez à moi !’

Je commence par une sous-discussion du cas 6 de (10), illustré par (20c) en le discutant conjointement avec líbis ‘il s'est habillé’ pour le contraste accentuel.

Le point de départ de ma discussion est commun à tous les chercheurs : les deux voyelles de líbis sont identiques, et les deux premières voyelles de libísna également. Lorsqu'on note ces formes [líbis] et [libísna], l'implication est qu'elles sont prononcées avec les mêmes timbres qu'en français (hors Québec) pour l'ibis, par exemple en (21).

  1. (21)

    1. a. [libis_pεʃæmæʁebas] ‘l'ibis…pêche à marée basse’

    2. b. [libisnæ_padpʁedætœʁ] ‘l'ibis n'a…pas de prédateur’

En réalité, la partie notée en gras des énoncés du français en (21) ne ressemble que de loin à l'arabe cairote pour [líbis] et [libísna]. Nous avons les moyens de voir pourquoi. Sur la base de ce qui a été établi à propos de la différence entre zebú:n, zemí:l d'une part, et gibú:h, gibí:(h) d'autre part, il est clair que le timbre de la voyelle initiale du mot français l'ibis est celui de gibú:h ou gibí:(h), alors que le timbre requis pour prononcer correctement les premières voyelles de líbis et libísna est celui de zebú:n et zemí:l. Bien sûr, ces voyelles syncopent à la première occasion : ma l_besná:š ‘nous ne nous sommes pas habillé(e)s’ (< /ma:+libis+na:+š/), leb_su (< /libis-u:/) ‘ils/elles se sont habillé(e)s’.

Les voyelles de líbis et les deux premières voyelles de libísna sont considérées par tous les analystes comme étant identiques. Il s'ensuit que si le timbre de la première voyelle de ces deux formes est réellement celui de zebú:n et zemí:l, tel doit aussi être le cas de la seconde. J’écris donc [lébes], [lebésna], et aussi [yékteb] ‘il écrit’, [bént] ‘fille’, etc.

Harrell (Reference Harrell1957) est particulièrement clair sur ce point : les timbres ‘tendus’ – comme le [i] de [gibú:(h)] ou [gibí:(h)] – n'apparaissent pas en syllabe fermée (ceci exclut d'emblée que [líbis] et [libísna] soient des transcriptions adéquates). Il décrit la réalisation de la voyelle antérieure en syllabe fermée comme « Free variation from somewhat below [ɪ] to a lax [e] » (Harrell Reference Harrell1957 : 53).

Harrell cite toujours ses exemples sous leur forme phonémique, et jamais sous leur forme phonétique. Cependant, sur la base de cette description, on peut déduire que, selon lui, ses exemples, /kibda/ ‘foie’, /kidb/ ‘le fait de mentir’, /bint/ ‘fille’, /tilt/ ‘tiers (fraction)’, /dinna/ ‘notre religion’, /binkum/ ‘entre vous’ sont réalisés [kebda], [kedb], [bent], [telt], [denna], et [benkom].Footnote 20

Je rectifie donc la partie pertinente du tableau (10) comme en (22a), et je consolide ce résultat avec les résultats précédents en (22b).

  1. (22)

J'aborde maintenant les cas 2 et 4 de (10), c'est-à-dire le comportement de /i:/ et /e:/ en syllabe fermée non-finale. L'abrègement de ces deux segments sous-jacents en syllabe fermée est présenté comme menant à une neutralisation en [i], non seulement par Broselow (Reference Broselow1976 : 18) mais aussi par Watson (Reference Watson2002), qui affirme que « In closed syllables, […] /ē/ and /ī/ are shortened to [i], and /ō/ and /ū/ are shortened to [u] » (Watson Reference Watson2002 : 66). Il est exact que les abrègements de /i:/ et /e:/ en syllabe fermée conduisent à une neutralisation des timbres, mais la neutralisation opère au profit de [e], et non pas de [i] ; de [o], et non pas de [u]. Cette neutralisation reflète mes propres observations et les productions de mes informateurs, mais elle est aussi largement corroborée dans la littérature.

Harrell examine deux paires minimales : d'une part /di:n/ ‘religion’ et /de:n/ ‘dette’, et d'autre part /bu:s/ ‘embrasse-M !’ et /bo:s/ ‘le fait d'embrasser’. Deux neutralisations sont observées lorsque l'affixation d'un suffixe à consonne initiale déclenche l'abrègement de la voyelle radicale. Les suffixes sont +na ‘notre’ et +ha ‘son (à elle)’ pour les exemples que donne Harrell. Selon la notation de Harrell, les deux premières formes se neutralisent en /dinna/ ‘notre religion’ ou ‘notre dette’ ; les deux autres en /busha/. Mais, là encore, il faut bien lire ce que dit Harrell (Reference Harrell1957) relativement à l'interprétation phonétique de /i/ et /u/ en syllabe fermée tonique : 1) /i/ = « free variation from somewhat below [ɪ] to a lax [e] » (1957 : 53) ; 2) /u/ = « usually somewhat lower than [ʊ], but with occasional allophones as low as lax [o] » (1957 : 54). Le témoignage de Harrell (Reference Harrell1957 : 55) est donc sans ambiguïté : dans les deux cas, la neutralisation se fait au profit de la voyelle moyenne, et non pas de la voyelle haute.

Cette neutralisation comporte deux facettes : a) le maintien du timbre des voyelles moyennes longues lorsqu'elles s'abrègent en syllabe fermée, b) l'abaissement du timbre des voyelles hautes longues dans le même contexte. Ces deux aspects de la neutralisation sont rapportés de façon indépendante par plusieurs chercheurs.

Gairdner (Reference Gairdner1925) note les abrègements de /e:/ et /o:/ comme en (23), c'est-à-dire sans aucune montée du timbre à [i] et [u]. Mitchell (Reference Mitchell1956), lui, corrobore la stabilité du timbre des voyelles moyennes en syllabe fermée, en notant comme en (24). Le second aspect de la neutralisation, l'abaissement des voyelles longues hautes comme corollaire de leur abrègement en syllabe fermée, est rapporté par Tomiche (Reference Tomiche1964), comme en (25).

  1. (23)

  2. (24)

  3. (25)

Je rectifie en conséquence la partie pertinente du tableau (10) comme en (26). La convergence en (26) est illustrée par le triplet en (27).

  1. (26)

  2. (27)

4.5 Les cas 1 et 3

J'aborde maintenant la question de savoir si les abrègements de /i:/ et de /e:/ en syllabe ouverte atone convergent ou non en [i] comme l'affirment Broselow et Watson. Il s'agit des cas 1 et 3 de (10).

Avec des exemples comme gí:bu ‘apportez !’ vs. gibú:(h) ‘apportez-le !’, ou encore šú:fi ‘regarde-F !’ vs. šufí:(h) ‘regarde-F -le !’ ou šá:fu ‘ils ont regardé’ vs. šafú:(h) ‘ils l'ont regardé’, nous avons l'occasion d'observer comment la réalisation des voyelles sous-jacentes cardinales longues /i:, u:, a:/ dépend de leur position relativement à l'accent ; encore une fois : longues en syllabe ouverte accentuée et brèves en syllabe ouverte atone.

Les voyelles moyennes longues sont soumises à la même loi. Plusieurs contextes permettent de l'observer, notamment la formation du duel, qui est formé par la suffixation du morphème +é:n à un nom. Ce suffixe porte toujours l'accent principal. En conséquence, toutes les autres voyelles longues sous-jacentes du nom (s'il en comporte) étant ‘hors accent’, elles sont abrégées (28b). Cet abrègement n'est accompagné d'aucune modification de timbre : la voyelle reste moyenne, /e:/ → [e] et /o:/→ [o] comme indiqué ci-dessous.

  1. (28)

Cette affirmation de ma part est incompatible avec les descriptions de Broselow (Reference Broselow1976) et de Watson (Reference Watson2002), qui notent le résultat de l'abrègement comme bité:n, yumé:n. Sur cette base, ces auteures infèrent l'existence d'un phénomène qu'elles caractérisent respectivement comme suit :

  1. a. Mid vowels become high when shortened […]. The following alternations provide further evidence that […] the alternation between mid and high vowels persists in this case: ḥabbeéna ‘we loved’/ma ḥabbinaáš ‘we didn't love’, yoóm ‘day’/yumeén ‘two days’.       (Broselow Reference Broselow1976 : 18–19)

  2. b. Shortened /ē/ is realized as [i] and shortened /ō/ as [u]. This is exemplified in the shortening of unstressed /ē/ in /bēt + ēn/ > bitēn ‘two houses’.  (Watson Reference Watson2002 : 228)

Ces assertions sont déconcertantes non seulement pour un locuteur natif mais aussi pour un lecteur de la documentation. En effet, des formes comme beté:n et yomé:n reviennent constamment en tant qu'exemples dans les travaux sur l'arabe du Caire, et on peut facilement vérifier qu'elles sont bien notées comme je l'affirme (beté:n, yomé:n et non pas bité:n, yumé:n) : Spitta-Bey (Reference Spitta-Bey1880 : 132), Willmore (Reference Willmore1905 : 238, 322), Jomier et Khouzam (Reference Jomier and Khouzam1964 : 37), Mitchell (Reference Mitchell1956 : 25, 36, 124, 126, etc.), Jomier (Reference Jomier1976 : 111), Badawi et Hinds (Reference Badawi and Hinds1986 : 965). Comme indiqué plus haut, je soutiens que le phénomène décrit dans les citations ci-dessus est fictif et que la confusion qui conduit à inférer son existence est un artefact du déni de l'existence des voyelles moyennes. Je discute tour à tour les deux assertions citées.

Le travail de Broselow s'appuie sur un ouvrage de Lehn et Abboud (Reference Lehn and Abboud1965), Beginning Cairo Arabic, un recueil de ‘drills’ destiné à accompagner l'enseignement de la langue. Ces ‘drills’ visent exclusivement l'acquisition des structures syntaxiques de base.Footnote 21 Dans le projet pédagogique de Lehn et Abboud, les questions de prononciation sont gérées ailleurs et autrement.Footnote 22 Pour les besoins d'un manuel dont l'objectif est aussi précisément défini, il n'est pas nécessaire que les transcriptions soient d'une grande finesse phonétique. Néanmoins, le niveau minimal d'adéquation de ces transcriptions doit satisfaire à au moins trois conditions. Il faut a) que les géminations consonantiques soient indiquées, b) qu'une notation spécifique permette de ne jamais confondre les consonnes emphatiques et les non-emphatiques, c) que les voyelles puissent être distinguées les unes des autres. Les transcriptions de Lehn et Abboud satisfont aux deux premières conditions. En revanche, la notation des voyelles ne permet pas de saisir des différences importantes.Footnote 23

J'illustre ce point avec un exemple utilisé plus tôt, celui de [ketá:bi] ‘mon livre’, que Lehn et Abboud notent kitá:bi. Cette confusion est attendue dès lors que l'on sait que ces auteurs ne relèvent pas de distinction entre darsi muhimm ‘un cours important’ et darsi muhimm ‘mon cours est important’. Mais dans ce dernier cas, même si le lecteur de Lehn et Abboud est explicitement induit en erreur quant à l'homophonie supposée de ces deux expressions, elles restent distinctes graphiquement dans leur texte. Avec le temps et en croisant les informations obtenues de plusieurs informateurs, il est possible que le chercheur arrive à la conclusion que la voyelle que Lehn et Abboud notent en exposant n'est en fait pas la même que celle qu'ils notent sur la même ligne que les autres segments. Autrement dit, leur commentaire quant à l'identité des deux voyelles est faux, mais une différence graphique est néanmoins systématiquement présente dans leurs notations. Avec kitá:bi, la situation est complètement différente. Ici, le même symbole, i, est utilisé pour noter deux voyelles différentes. Dès lors qu'il ne permet pas de représenter la différence entre la première et la dernière voyelle d'un énoncé comme celui-là, le système de ces auteurs cesse d’être une notation phonétique (même grossière) : il présente des ambiguïtés comparables à celles des conventions orthographiques de l'anglais, où le même graphème, a, est utilisé pour noter des voyelles différentes comme dans vanity [vænıtı] et famous [feyməs]. Les conséquences de ces ambiguïtés se font sentir lorsque Lehn et Abboud décrivent l'abrègement des voyelles atones en syllabe ouverte en écrivant que « […] /i/ is the short equivalent of both /ii/ and /ee/, /u/ of /uu/ and /oo/, and /a/ of /aa/. Hence /fiil/+/een/ is /filéen/ ‘two elephants’ and /beet/ + /een/ is /bitéen/ ‘two houses’ […] and /yoom/ + /een/ is /yuméen/ ‘two days’ » (Lehn et Abboud Reference Lehn and Abboud1965 : 269). Contrairement à ce qu'avance Broselow (Reference Broselow1976),Footnote 24 les notations de Lehn et Abboud sont très imprécises et ne nous renseignent aucunement quant à l'identité des premières voyelles : les i de filé:n et bité:n sont-ils les mêmes que celui qu'ils notent kitá:bi ? ou que celui qu'ils notent kitá:bi ? Le i de filéen est-il le même que celui de bitéen ? De fait, ces notations ne permettent pas de savoir lesquelles des réalisations en (29) décrivent le comportement des locuteurs.Footnote 25

  1. (29) {filé:n, bité:n} ou {felé:n, beté:n} ou {felé:n, bité:n} ou {filé:n, beté:n} ?

Watson (Reference Watson2002 : 227) s'appuie sur Harrell (Reference Harrell1957) et Woidich (Reference Woidich1999) pour soutenir la même position que celle que je viens de critiquer de la part de Broselow. En réalité, une lecture attentive des textes de Harrell et Woidich conduit à des conclusions inverses à celles de Watson.

Harrell (Reference Harrell1957 : 87) écrit bien /yo:m/ et /yume:n/, et aurait certainement écrit /be:t/ et /bite:n/ s'il avait discuté cet exemple. Mais, encore une fois, il faut lire les clefs qu'il donne pour l'interprétation des symboles qu'il inclut entre barres obliques : /u/ est « somewhat lower than [ʊ], but within the range of the vowel of English put » (Harrell Reference Harrell1957 : 50) tandis que /i/ est « somewhat lower than [ɪ], but well within the range of the vowel of English sit » (Harrell Reference Harrell1957: 49).Footnote 26 Il n'est donc aucunement question pour Harrell d'une ‘montée’ du /ē/ à [i] ou du /ō/ à [u] lorsque ces phonèmes sont abrégés par position.

Woidich (Reference Woidich2006 : 31) note lui aussi yume:n et bite:n, mais il indique clairement les valeurs phonétiques des symboles de son système d'orthographe romanisée (pp. 7–8) : i est réalisé [ɪ], et u est réalisé [ʊ]. Autrement dit, lorsque Woidich écrit yume:n et bite:n, il réfère à [yʊme:n] et [bɪte:n]. Pas plus que Harrell, Woidich n'avance que /ē/ s'abrège en [i], ou /ō/ en [u] en syllabe ouverte prétonique.

Je conclus cette sous-section en proposant un test reposant sur l'existence de paires minimales comme dí:n ‘religion’ et dé:n ‘dette’. Si l'on suit Broselow et Watson, la formation des duels de ces noms devrait conduire à des réalisations homophones : [diné:n] ‘deux religions’ sans modification de la voyelle originale du nom et [diné:n] ‘deux dettes’ avec fermeture (ou ‘montée’) de la voyelle moyenne originale de /de:n/.

En revanche, si l'on conteste la réalité de ce phénomène, comme je le fais, on s'attend à ce que le contraste de timbres observable dans di:n/de:n survive à la formation du duel, soit [diné:n] vs. [dené:n], et j'affirme que tel est bien le cas. Watson (Reference Watson2002 : 227) le concède, mais avec une réserve drastique que je souligne : « When the unstressed long vowel is either of the mid-vowels /ē/ or /ō/, the melody is subject to the negative constraint on monomoraic mid-vowels. This holds in all but the most careful speech of educated speakers. […] Shortened /ē/ is realized as [i] and shortened /ō/ as [u]. This is exemplified in the shortening of unstressed /ē/ in /bēt + ēn/ > bitēn ‘two houses’ » (Watson Reference Watson2002 : 227–228).Footnote 27 Des distinctions comme [diné:n] vs. [dené:n] (ou [filé:n] vs. [beté:n]), où le timbre moyen d'une voyelle survit à l'abrègement, seraient selon Watson le fait exclusif d'un groupe de locuteurs « instruits » lorsqu'ils s'expriment « de la façon la plus soignée » et en dehors de ce groupe, la distinction n'aurait pas cours. Deux questions distinctes et indépendantes sont mêlées dans cette phrase. L'une relève de la sociolinguistique. L'autre concerne la qualité du discours et son impact sur la prononciation.

Un comportement linguistique spécial est imputé sans autre indication à un groupe de locuteurs « instruits ». Il est difficile de voir précisément de quoi il s'agit. Le parler dont discute cet article est notamment la langue maternelle des millions de locuteurs de la classe moyenne du Caire et du tissu urbain de la Basse-Égypte dans lequel il se propage rapidement par les médias. Les membres de cette classe moyenne ont incontestablement accès à des ressources lexicales et à des registres d'expression acquis lors de la scolarisation, à l'occasion du contact avec l'arabe classique et standard. Il ne s'ensuit pas que leur système phonologique se distingue de celui des autres locuteurs du parler : plusieurs locuteurs de la classe moyenne ont en effet acquis leur langue maternelle au contact de parents et de grands-parents qui, eux, n'appartenaient pas (ou pas encore) à cette classe sociale. Je partage les doutes de Niloofar Haeri quant à la pertinence d'une catégorie « locuteur instruit » distincte, particulièrement en ce qui concerne la phonologie.

There is much insistence on the part of some scholars to define a distinct variety that is said to belong to the speech of educated speakers. It is not clear why the speech of such speakers should be set apart […]. The speech of educated speakers everywhere shows influences from learned varieties. Thus, just as in the United States we would not treat the speech of educated speakers as something distinct, such as ‘Educated Spoken English’, so we cannot treat Arabic influenced by the classical variety as a separate entity. The speech of educated Egyptians […] is part and parcel of what has often been called “Colloquial Egyptian Arabic”.       (Haeri Reference Haeri1996 : 13–14, italiques dans l'original)

La seconde question soulevée par la citation de Watson porte sur la qualité du discours (the most careful speech). Ni Woidich ni Watson ne donnent d'exemple du genre de circonstances dans lesquelles le locuteur est amené à s'exprimer de la façon « la plus soigneuse », mais Woidich (contrairement à Watson) évoque la rapidité du discours. Selon lui, [e] et [o] brefs survivent lorsque le locuteur instruit s'exprime de façon soignée et lente. Qu'en est-il exactement et qu'advient-il de /diné:n/ et /dené:n/ en discours rapide ?

Le discours rapide efface des distinctions présentes en discours moins rapide. Pour comprendre ces effets, il faut au préalable s'interroger sur le contexte systémique général dans lequel ils interviennent.

L'arabe du Caire est doté d'un système accentuel de type « stress-accent with postlexical intonational pitch accents », comme le démontre Hellmuth (Reference Hellmuth2006) dans une étude instrumentale fine et détaillée. Dans un tel système, l'accent impartit de façon caractéristique à la voyelle sur laquelle il tombe trois propriétés : a) une hauteur mélodique très marquée, b) une « force » (loudness) particulière, et c) une durée prolongée (cf. Mitchell Reference Mitchell1975 : 94). La conséquence de ces effets conjugués est une beaucoup plus grande saillance des contrastes sous accent que hors accent (inversement, une plus faible saillance des contrastes hors accent). Dans ce contexte, on s'attend à ce que les contrastes entre des timbres aussi proches que [e] et [i] en position inaccentuée voient diminuer leur saillance lorsque la rapidité du débit augmente. C'est bien le cas de [diné:n] et [dené:n] qui peuvent en effet devenir non-distincts en discours très rapide. En fait, c'est le cas de tous les contrastes sur lesquels je me suis penchée dans cet article, [zebú:n] vs. [gibú:(h)], [makatabtení:š] vs. [makatabtiní:š], [kalbe bonni] vs. [kalbi bonni], etc. Que peut-on dire de cet état de choses ?

Deux points, d'importance inégale, doivent être notés.

Premièrement, lorsque [diné:n] et [dené:n] deviennent indistinguables en discours rapide, la réalisation commune aux deux expressions est [dené:n], et non pas [diné:n] comme le soutiennent Broselow et Watson. Ici, il ne s'agit pas que de mon propre jugement et de mes observations personnelles, puisque c'est précisément ce que rapporte Harrell (cf. note 18) à propos de l'abolition de la distinction entre [i] et [e] post-accentuels en discours rapide.

Deuxièmement, et de façon beaucoup plus importante, la question qui intéresse le phonologue est de comprendre si ces suspensions de contrastes sont l'effet d'un authentique phénomène de neutralisation phonologique, ou s'il s'agit d'un banal effet de discours rapide. L'anglais fournit un exemple de ce que j'appelle « banal effet de discours rapide ». En anglais, them et him peuvent tous deux être optionnellement réalisés en discours rapide, par exemple dans I saw them/him. Personne n'en déduirait que la distinction entre them et him est dépourvue de réalité, car cette distinction reste toujours possible (même en discours rapide). De ce point de vue, on peut comparer la différence entre le cas de /dí:n + na/ ‘notre religion’ et /dé:n + na/ ‘notre dette’ d'une part, et le cas des deux duels /di:n + é:n/ et /de:n + é:n/ d'autre part. Dans le premier cas, la neutralisation est authentiquement phonologique : quelle que soit la rapidité du discours, [denna] est la seule réalisation possible. Dans le second cas, en revanche, la distinction entre [diné:n] et [dené:n] reste toujours possible, encore une fois sans aucune affectation ou pédanterie, tant que le débit n'atteint pas un seuil de rapidité particulier. Si une véritable neutralisation phonologique était à l’œuvre, le contraste [diné:n]/[dené:n] ne serait jamais possible, même en débit modéré.

Je conclus donc cette section en modifiant les parties pertinentes du tableau en (10).

  1. (30)

Dans la section suivante, je passe en revue les résultats pertinents de l’étude instrumentale de K. Norlin.

5. Norlin (Reference Norlin1987)

L'enfant apprenant sa langue n'a pas accès à des informations graphiques, diachroniques, comparatives ou instrumentales. Dans la discussion qui précède, j'ai tenu à n'utiliser que les outils dont dispose l'enfant : sa capacité à identifier des contrastes vocaliques de surface et à produire des hypothèses sur le système sous-jacent. Je soutiens que le système auquel parvient le locuteur natif de l'arabe du Caire inclut le sous-système présenté en (31a), côte à côte avec celui de Broselow en (31b) pour comparaison.

  1. (31)

J'ai développé mon raisonnement indépendamment de données instrumentales. Il est donc d'autant plus intéressant de confronter mes affirmations et celles que je conteste aux résultats d'une étude phonétique consacrée aux voyelles du parler du Caire, celle de Norlin (Reference Norlin1987).

Norlin représente les voyelles sous la forme d'ellipses (ou de poches) de dispersion déterminées par les valeurs de F1 et F2 de chaque voyelle. Alors que les tableaux phonologiques, comme en (1), décrivent les voyelles sous la forme d'un point particulier de l'espace acoustique, les ellipses donnent une image de l'ensemble de la zone où une même voyelle peut être réalisée. Pour les poches correspondant à deux voyelles données, il est donc possible de voir si ces poches sont proches ou éloignées l'une de l'autre, si elles sont adjacentes, si elles ont une intersection ou non, et de comparer leurs formes. L'approche de Norlin est directement utile pour répondre aux questions posées dans cet article. En effet, il prend pour point de départ la configuration phonémique quasi-unanimement admise – cinq voyelles sous-jacentes longues et trois brèves – et pose la question du lieu de réalisation de chacune des voyelles dans l'espace acoustique. Le résultat apparaît dans un tableau intitulé « Plain long and short vowels » ainsi que dans les commentaires qui entourent le tableau (Norlin Reference Norlin1987 : 32) ; ce tableau est reproduit en (32).

  1. (32)

    Figure Page 32 de Norlin

Sans surprise, le timbre ‘i’, c'est-à-dire celui de /i:/ en syllabe ouverte, est représenté par une ellipse occupant la partie supérieure et antérieure de l'espace acoustique. Ce qui nous intéresse dans les constatations de Norlin, c'est la place des ellipses correspondant à la réalisation des segments phonologiques de (31) autres que /i:/. Je rappelle que si, comme le soutiennent Broselow et Watson, ces segments sont réalisés comme en (31b), c'est-à-dire s'ils convergent sur le timbre de [i], les ellipses correspondant à tous ces segments de surface devraient être non-distinctes de celles de [i].

Je présente les constations de Norlin en deux temps, en commençant par l'ellipse des réalisations de /i/, en syllabe ouverte (/kita:b/) ou fermée (/yiktib/), les cas 5 et 6 de (31).

Comme le montre la figure en (32), non seulement cette ellipse ne forme pas d'intersection avec celle de [i], mais elle ne lui est même pas adjacente. De fait, elle est beaucoup plus basse. Il s'agit d'une véritable voyelle moyenne. Autrement dit, /kita:b/ est bien prononcé [keta:b] et /yiktib/ est bien prononcé [yekteb]. On comprend alors pourquoi le contraste entre la première et la dernière voyelle de ketabi ‘mon livre’ (< /kitá:bi:/) est si facilement perceptible à l'oreille.

Qu'en est-il des réalisations de /e:/, en syllabe fermée (/be:t+na/) ou en syllabe ouverte atone (/be:té:n/), les cas 3 et 4 de (31) ? L'ellipse de ces réalisations se superpose exactement à celle des cas 5 et 6, [yekteb] et [keta:b], comme on le voit en (33), adapté de Norlin (Reference Norlin1987 : 29): il s'agit du même évènement phonétique.Footnote 28

  1. (33)

    Figure Page 29 de Norlin

Norlin (Reference Norlin1987: 49) conclut : « Thus, on the phonetic, but not on the phonemic level, there are five short vowels in Egyptian Arabic. »

Conclusion

Dans cet article, j'ai soutenu qu'il est impossible de proposer une image réaliste du système vocalique de l'arabe du Caire tant que n'est pas écarté le mythe que ce système n'inclut que trois voyelles brèves de surface (i, u, a).

Je propose que l'inventaire sous-jacent est comme en (34a). C'est exactement le même que celui de Broselow. L'inventaire de surface diffère de celui de Broselow en un seul point, la présence de voyelles moyennes brèves (34b).

  1. (34)

La différence entre le système que je préconise et celui de Broselow porte sur deux points. Premièrement, le [i] de surface – celui qu'on entend tendu et bref – a une source unique, à savoir l'abrègement de /i:/ en syllabe ouverte inaccentuée. Tous les autres segments sous-jacents de (32) se réalisent comme [e]. Le [e] de surface a donc six sources différentes (en incluant la voyelle épenthétique). Une retombée de mon argumentation est qu'elle rend compte de la prolifération des voyelles moyennes brèves en cairote. En effet, ce n'est qu'avec la thèse de Broselow (Reference Broselow1976) qu'un déni radical de la réalité de ces voyelles moyennes est avancé. Cette position est aujourd'hui acceptée sans discussion. J'ai soutenu qu'elle relève du mythe.

Le succès de ce mythe constitue en soi un phénomène remarquable. D'une part, il a réussi à s'implanter dans un environnement qui, pour deux raisons, aurait dû lui être défavorable. La première raison est l'existence d'une documentation réunie sur près d'un siècle reconnaissant expressément la présence de [e] et [o] dans le parler. La seconde raison est la réalité elle-même : les voyelles moyennes brèves que Spitta-Bey avait reconnues à la fin des années 1870 sont toujours présentes de manière évidente dans le parler. Mystérieusement, ces deux facteurs semblent n'avoir pesé d'aucun poids. D'autre part, l'enracinement de ce mythe est récent : il coïncide avec l'entrée de la phonologie générative dans sa phase post-SPE. Étonnamment, il n'y a pas de rapport de cause à effet entre le contenu des différents courants théoriques par lesquels se renouvelle le paradigme génératif dans les années 1970 et le déni des voyelles moyennes brèves du cairote : aucun des différents courants théoriques néo-génératifs n'a de position doctrinale quant à la question de savoir si un système de surface peut ou non présenter des voyelles moyennes brèves.

La position que j'ai réfutée n'est donc ni fondée empiriquement, ni motivée théoriquement. Heureusement, et c'est au crédit de ceux qui la défendent, elle est formulée avec une précision qui la rend réfutable. De fait, lorsqu'elle est poussée au bout de sa propre logique, il est possible de montrer qu'elle conduit à reconnaître des phénomènes fictifs.

Footnotes

1 Depuis l'automne 2008, j'ai interrogé sur place des dizaines de locuteurs de l'arabe du Caire. Ces personnes, des deux sexes, âgées de 4 à 74 ans, appartiennent à différentes classes sociales, mais sont majoritairement issues de la classe moyenne. Il m'est impossible de les mentionner toutes. Pour leur patience et pour leur coopération, je tiens néanmoins à exprimer ma reconnaissance particulière à Ahmed Abdelkader, Kamelia Abdelkader, Amal Amir, Marwa El Maimouny, Marwa Saleh et Nadia Saleh. Je tiens également à remercier trois évaluateurs de la revue pour leurs commentaires et suggestions.

2 Il suffit pour s'en convaincre de visionner quelques-unes des centaines de vidéos d'interviews ou de talkshows maintenant accessibles sur internet.

3 Une certaine fébrilité est perceptible. Woidich (Reference Woidich2006) est le travail le plus complet et détaillé qui existe sur la grammaire de l'arabe du Caire. Bien que cet ouvrage ne soit pas particulièrement consacré à la phonologie, sa toute première phrase soulève précisément la question de la place des voyelles moyennes brèves dans le système.

4 Lorsque je donne, néanmoins, mon propre point de vue sur la base de mon expérience avec ma langue maternelle et des productions de mes informateurs, je le confronte dans la mesure du possible avec les résultats de mes prédécesseurs. Il en résulte une discussion extensive de la documentation. Lorsque mes prédécesseurs sont cités, leurs exemples sont reproduits selon leurs propres systèmes de notation, par exemple kebyr (Spitta-Bey, Reference Spitta-Bey1880), kebîr (Willmore, Reference Willmore1905), ki'bīr (Birkeland, Reference Birkeland1952) ; lorsque je discute les mêmes exemples, je note plutôt kebí:r.

5 Dans cet article, je distingue entre ‘segment sous-jacent’ et ‘segment de surface’ au sens de la phonologie post-structurale. Le terme ‘phonème’ est réservé à la citation et/ou la discussion de travaux structuralistes. Les segments sous-jacents et les représentations sous-jacentes sont présentés entre barres obliques, par exemple /i/, /a/, /katab/ ‘il a écrit’. Les segments de surface sont présentés entre crochets, par exemple [i], [ħ], [ħabbéni] ‘il m'a aimé(e)’. La longueur vocalique, qu'il s'agisse du niveau sous-jacent ou de surface, est notée ‘:’, par exemple [i:], [ħabbe:t], /katabna:/. En outre, comme dans tous les parlers arabes, les consonnes gutturales et emphatiques du cairote impactent la réalisation des voyelles. Afin d’éviter l'interférence de ce facteur, j'ai pris soin d'utiliser des exemples où ces consonnes (lorsqu'il y en a) ne sont pas en position d'affecter la réalisation des voyelles.

6 La voyelle basse ne joue aucun rôle dans la discussion proposée dans cet article. Pour des raisons de simplicité graphique, je la note toujours ‘a’ ou ‘a:’. Son authentique valeur phonétique dans tous les exemples cités ici est [æ].

7 Ni le système d'assignation de l'accent en cairote, ni l'analyse de son impact sur la longueur vocalique de surface ne sont pertinents dans le contexte de cet article, et toutes les formes de surface seront présentées avec leur accent. Le lectorat intéressé par cette seconde question pourra consulter Fathi (Reference Fathi2013) et (Reference Fathi2023).

8 Le scénario esquissé ici est celui que propose, entre autres, Tomiche (Reference Tomiche1964). D'autres options ont été envisagées, par exemple Selim (Reference Selim1967), Kussaim (Reference Kussaim1968), Watson (Reference Watson2002). Mon intention n'est pas de préconiser l'une ou l'autre option, mais simplement de proposer un prisme permettant de visualiser la distribution en surface des voyelles longues et brèves, et leur correspondance avec le système sous-jacent.

9 Abboud-Haggar (Reference Abboud-Haggar2003), McCarthy (Reference McCarthy2005) sont des exceptions.

11 Il est également intéressant de voir comment, dans des domaines à la marge de l'analyse linguistique, des auteurs égyptiens décrivent leur propre variété. Je donne un exemple cité d'une étude menée par Liesbeth Zack sur deux travaux du 19e siècle destinés à enseigner l'arabe à des francophones et des anglophones, et le français et l'anglais à des arabophones (Zack, Reference Zack2016). Les auteurs sont des Égyptiens, et leurs notations (d'une cohérence variable) font état de voyelles moyennes brèves en arabe égyptien : enta ‘tu-M, toi-M’, bokrah ‘demain’, al bosta sâfret ? ‘le courrier est-il parti ?’.

12 Le ni de ces exemples de Birkeland est un accusatif et non pas un datif, c'est-à-dire que le sens des deux expressions est de l'ordre de ‘tu as noté mon nom’ et non pas ‘tu m'as écrit (une lettre)’.

13 La même erreur est reproduite avec les mêmes exemples dans (Mitchell Reference Mitchell1962 : 24), mais elle n'apparaît pas dans Mitchell (Reference Mitchell1990 , Reference Mitchell1993). Elle se perpétue dans Cowan (Reference Cowan1970 : 99) et McCarthy (Reference McCarthy2005 : 20).

14 Le présent article ne s'intéresse pas à l'abrègement de /a:/ en [a].

15 Nous verrons en section 5 comment les descriptions de Gairdner (Reference Gairdner1925) et Mitchell (Reference Mitchell1990) sont confirmées par l’étude phonétique de Norlin (Reference Norlin1987).

16 Quelles que soient les stratégies déployées par les enfants pour découvrir comment fonctionne la syncope, ils y parviennent tôt ou tard. En revanche, il est totalement impossible d'enseigner la chose à des apprenants adultes tant qu'est maintenue la fiction que la voyelle initiale du mot pour ‘livre’ en cairote est la même que la voyelle initiale de l'impératif ‘apportez-le’, gibú:(h).

17 Le lecteur reconnaîtra ici l'erreur de Lehn et Abboud relevée à la fin de la section 3.

18 Harrell (Reference Harrell1957 : 60) ajoute un commentaire : « The contrasts listed above exist only in consciously careful speech. For illustrations of the alternations, compare the contrast of careful speech:

  • /ʔinti kunti fe:n/ ‘where were you (f.sg.)?’

    /ʔinta kunte fe:n/ ‘where were you (m.sg.)?’

With the same sentences (morphologically) in more rapid speech:

  • /ʔinte kunte fe:n/ ‘where were you (f.sg.)?’

    /ʔinta kunte fe:n/ ‘where were you (m.sg.)?’ »

Je reviens sur la question du discours rapide dans la section 4.5.

19 Les exemples dans l'original allemand (Vollers Reference Vollers1890) sont Geld ‘argent’, gestern ‘hier’. On notera la similitude entre cette description et celle donnée par Gairdner, citée à la section 4.2.

20 Pour le u de /binkum/ réalisé [o], cf. Harrell (Reference Harrell1957 : 54) sur u en syllabe fermée : « Usually somewhat lower than [ʊ], but with occasional allophones as low as a lax [o] ».

21 « This college-level text consists of a set of drills and notes on the basic or commonly used phrase and sentence patterns of Cairo Arabic » (Lehn et Abboud (Reference Lehn and Abboud1965 : page de garde)).

22 « Each lesson is designed to be used with tape recordings » (Lehn et Abboud (Reference Lehn and Abboud1965 : page de garde)).

23 « English has many more vowels than Arabic, and the speaker of English will hence at first hear more vowels in Arabic than the transcription distinguishes » (Lehn et Abboud Reference Lehn and Abboud1965 : 268).

24 « The principal source of data for this study is the text Beginning Cairo Arabic by W. Lehn and P. Abboud. Lehn and Abboud's transcriptions are the most consistent and accurate to be found in any of the texts on Egyptian Arabic » (Broselow Reference Broselow1976 : xix).

25 Pour des transcriptions de qualité impeccable, voir Tomiche (Reference Tomiche1964) et Abboud-Haggar (Reference Abboud-Haggar2003) pour les textes intégralement transcrits qui figurent à la fin de son livre.

26 Un évaluateur note à juste titre sa perplexité devant cette formulation. Selon Harrell, la voyelle en question est plus basse que celle de l'anglais sit, mais « proche » d'elle. Que signifie « proche » dans ce contexte ? La seule interprétation possible est qu'il s'agit d'un [e]. En effet, Harrell (Reference Harrell1957 : 59–60) dit qu'un /i/ bref non accentué est identique à la voyelle épenthétique (qu'il note [e]). Cette équivalence est précisément la même que celle que relève Blanc, comme on l'a vu plus haut.

27 Selon Watson, cette caractérisation apparaît dans Woidich (Reference Woidich1999 : 26, 49). Elle apparaît comme la première phrase de Woidich (Reference Woidich2006 : 7).

28 « Short [e] shows a practically complete overlapping with short [i]. […] The ellipses of [o] and [u] do not overlap completely, but paired t-tests nevertheless show that differences are nonsignificant for all formants, as is the case with [e] and [i]. » (Norlin Reference Norlin1987: 27)

References

Références

Abboud-Haggar, Soha. 2003. Introducción a la dialectología de la lengua árabe [Introduction à la dialectologie de la langue arabe]. Granada: Fondacion El Legado andalusi.Google Scholar
Abboud-Haggar, Soha. 2015. Syllabic structure and stress in Cairene Arabic : a didactic approach, BIBLID [0544-408X], 64: 19–30.Google Scholar
Abdel-Massih, Ernest, Abdel-Malek, Zaki, Badawi, El-Said, and McCarus, Ernest. 1979. A Reference grammar of Egyptian Arabic. Ann Arbor : Center for Near Eastern and North African Studies, University of Michigan.Google Scholar
Anawati, Georges Ch. 1958. Contribution à l’étude de l'arabe parlé du Caire. La Revue du Caire 220 : 421451.Google Scholar
Aronoff, Mark. 1974. Word structure. Thèse de doctorat, Massachusetts Institute of Technology.Google Scholar
Audebert, Claude France, Fuad, Salwa, Steet, Samia Abu, Khouzam, Hoda, Elkassas, Dina, Yousef, Asmaa, El-Din, Amany Ezz, Ibrahim, Mostafa, et Gaubert, Christian. 2012. Dictionnaire contextuel raisonné des verbes du dialecte égyptien (parler du Caire). https://www.ifao.egnet.net/bases/verbeseg/Google Scholar
Badawi, El-Said and Hinds, Martin. 1986. A dictionary of Egyptian Arabic. Beyrouth : Librairie du Liban.Google Scholar
Birkeland, Harris. 1952. Growth and structure of the Egyptian Arabic dialect. Avhandlinger Utgitt av Det Norske Videnskaps-Akademi i Oslo 1952, II. Historisk-Filosofisk Klasse : 1–57. Oslo : Jacob Dybwad.Google Scholar
Blanc, Haim. 1959. Compte rendu de R.S. Harrell, The phonology of Colloquial Egyptian Arabic. Word 15 : 539543.Google Scholar
Boutros, Wadie. 1993. Ahlan wa sahlan : méthode d'arabe égyptien du Caire. Le Caire : Dar al-Nashr Hatier.Google Scholar
Broselow, Ellen. 1976. The phonology of Egyptian Arabic. Thèse de doctorat, University of Massachusetts.Google Scholar
Chomsky, Noam et Halle, Morris. 1968. The sound pattern of English. New York : Harper and Row.Google Scholar
Cowan, William. 1970. The vowels of Egyptian Arabic. Word 26(1) : 94100.CrossRefGoogle Scholar
Drozdik, Ladislav. 1973. The vowel system of Egyptian Colloquial Arabic. Asian and African Studies IX : 121128.Google Scholar
Fathi, Radwa. 2013. La longueur vocalique en arabe égyptien : une nouvelle conception. Thèse de doctorat, Université Paris 7.Google Scholar
Fathi, Radwa. 2023. Vowel length and Prominence in Cairene Arabic. Dans Elements, Licensing and Government, sous la direction de Florian Breit, Yuko Yoshida et Connor Youngberg, 89–98. Londres : UCL Press.Google Scholar
Gadalla, Hassan. 2000. Comparative morphology of Standard and Egyptian Arabic. Munich : Lincom Europa.Google Scholar
Gairdner, William H.T. 1925. The phonetics of Arabic. Londres : Oxford University Press.Google Scholar
Haeri, Niloofar. 1996. The sociolinguistic market of Cairo. Londres : Kegan Paul International.Google Scholar
Hafez, Ola. 1996. Phonological and morphological integration of loanwords into Egyptian Arabic. Égypte/Monde arabe 27/28 : Les langues en Égypte : 126.Google Scholar
Harrell, Richard S. 1957. The phonology of Colloquial Egyptian Arabic. New York : American Council of Learned Societies.Google Scholar
Hellmuth, Sam. 2006. Intonational pitch accent distribution in Egyptian Arabic. Thèse de doctorat, School of Oriental and African Studies, Londres.Google Scholar
Jomier, Jacques. 1976. Lexique pratique français-arabe. Le Caire : Institut français d'archéologie orientale du Caire.Google Scholar
Jomier, Jacques et Khouzam, Joseph. 1964. Manuel d'arabe égyptien. Paris : Éditions Klinsksieck.Google Scholar
Kahn, Daniel. 1976. Syllable-based generalizations in English. Thèse de doctorat, Massachusetts Institute of Technology.Google Scholar
Kussaim, Samir. 1968. L'accent de mot dans l'arabe du Caire. Arabica XV-3 : 289316.CrossRefGoogle Scholar
Lehn, Walter and Abboud, Peter. 1965 Beginning Cairo Arabic. Austin: The Middle East Center, University of Texas.Google Scholar
McCarthy, John. 2005. The length of stem-final vowels in Colloquial Arabic. Dans Perspectives on Arabic Linguistics XVII–XVIII : Papers from the 17th and 18th Annual Symposia on Arabic Linguistics, sous la direction de Mohammed T. Alhawary et Elabbas Benmamoun, 126. Amsterdam : John Benjamins.Google Scholar
Mitchell, Terence F. 1956. An introduction to Egyptian Colloquial Arabic. Londres : Oxford University Press.Google Scholar
Mitchell, Terence F. 1962. Colloquial Arabic, the living language of Egypt. Londres : The English Universities Press.Google Scholar
Mitchell, Terence F. 1975. Principles of Firthian Linguistics. Londres : Longman.Google Scholar
Mitchell, Terence F. 1990. Pronouncing Arabic 1. Oxford : Clarendon Press.CrossRefGoogle Scholar
Mitchell, Terence F. 1993. Pronouncing Arabic 2. Oxford : Clarendon Press.Google Scholar
Norlin, Kjell. 1987. A phonetic study of emphasis and vowels in Egyptian Arabic. University of Lund. Department of Linguistics and Phonetics. Working papers 30.Google Scholar
Selim, George. 1967. Some contrasts between Classical Arabic and Egyptian Arabic. Dans Linguistic studies in memory of Richard Slade Harrell, sous la direction de Don Graham Stuart, 133152. Washington DC : Georgetown University Press.Google Scholar
Selkirk, Elisabeth O. 1972. The phrase phonology of English and French. Thèse de doctorat, Massachusetts Institute of Technology.Google Scholar
Spitta-Bey, Wilhelm. 1880. Grammatik des arabischen vulgärdialectes von Aegypten [Grammaire de l'arabe vernaculaire d'Égypte]. Leipzig : J.C. Hinrichs'sche Buchhandlung.Google Scholar
Tomiche, Nada. 1964. Le parler arabe du Caire. Paris : Mouton.Google Scholar
Vollers, Karl. 1890. Lehrbuch der Aegypto-Arabischen Umgangssprache [Manuel d'arabe égyptien contemporain]. Kairo : Selbstverl.Google Scholar
Vollers, Karl and Burkitt, Francis C.. 1895. The modern Egyptian dialect of Arabic. Cambridge: Cambridge University Press.Google Scholar
Watson, Janet. 2002. The phonology and morphology of Arabic. Oxford : Oxford University Press.CrossRefGoogle Scholar
Willmore, John S. 1905. The spoken Arabic of Egypt. Londres : David Nutt.Google Scholar
Woidich, Manfred. 1999. Grammatik des Kairenisch-Arabische [Grammaire de l'arabe du Caire]. Ms. University of Amsterdam.Google Scholar
Woidich, Manfred. 2006. Das Kairenisch-Arabische [L'arabe du Caire]. Wiesbaden : Harrassowitz Verlag.Google Scholar
Youssef, Islam. 2010. Against underlying mid vowels in Cairene Arabic. Zeitschrift für Arabische Linguistik 52 : 538.Google Scholar
Zack, Liesbeth. 2016. Nineteenth-century Cairo Arabic as described by Qadrī and Naḫla. Dans Arabic varieties: far and wide, sous la direction de George Grigore et Gabriel Bițună, 557569. Bucarest : Editura Universității din Bucureşti.Google Scholar