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Jacques François (dir.). 2021. L'expansion pluridisciplinaire des grammaires de constructions. Caen : Presses universitaires de Caen. P. 276. €20.00.

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Jacques François (dir.). 2021. L'expansion pluridisciplinaire des grammaires de constructions. Caen : Presses universitaires de Caen. P. 276. €20.00.

Published online by Cambridge University Press:  20 April 2023

Patrick J. Duffley*
Affiliation:
Université Laval
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Abstract

Type
Review/Compte rendu
Copyright
Copyright © Canadian Linguistic Association/Association canadienne de linguistique 2023

Cet ouvrage collectif constitue une bonne introduction aux grammaires de constructions développées depuis une quinzaine d'années dans le cadre général de la linguistique cognitive. Hoffmann et Trousdale (Reference Hoffman and Trousdale2013) définissent les constructions comme des « appariements forme-sens conventionnalisés », non pas limités aux signes linguistiques tels que conçus par Saussure, mais étendus à tous les niveaux de description grammaticale, comme par exemple:

  1. 1. des constructions lexicales : apple [æpl] – ‘apple’

  2. 2. des constructions idiomatiques : X takes Y for granted [X TAKE Y fǝ gɹɑ:ntɩd] –

    ‘X doesn't value Y’

  3. 3. des constructions comparatives : John is taller than you [X BE Adjcomparatif ðǝn

    Y] – ‘X is more Adj than Y’

  4. 4. des constructions résultatives : She rocks the baby to sleep [X V Y Z] – ‘X causes Y to become Z by V-ing’

Le volume s'articule en quatre sections. La première a un caractère introductif et comporte deux chapitres traitant, l'un du processus de schématisation (Dominique Legallois, « Illustrations et réflexions sur une opération cognitive fondamentale : la schématisation en linguistique – du lexique aux constructions grammaticales »), et l'autre de la vision des constructions proposée par la grammaire cognitive de R. Langacker (Philippe Gréa, « Grammaire cognitive et construction. Le cas de type et mode de N »).

La deuxième section est consacrée à une extension de l'approche constructionniste à la diachronie. La contribution de Leïla Ben Hamad (« L’évolution de pendant en français: un cas de constructionalisation ») trace le développement de la forme pendant de son origine participiale à son statut actuel de préposition, tandis que celle de Raja Gmir (« Connaître : de la désémantisation à la constructionalisation ») aborde une diachronie plus restreinte en suivant le processus récent de désémantisation du verbe connaître.

La troisième partie de l'ouvrage ouvre une perspective sur l'acquisition de la langue maternelle et des langues secondes. La contribution de Jacques François (« Les grammaires de constructions et l'approche psycho- et neurolinguistique ») a un caractère général et explore la compatibilité entre les grammaires de constructions et les méthodes de la psycholinguistique et de la neurolinguistique ; celle de Christophe Parisse, Aliyah Morgenstern et Sophie de Pontonx (« Les grammaires de constructions comme système dynamique. Le cas de l'acquisition de la déconnexion chez l'enfant ») porte sur l'acquisition par les jeunes enfants de la capacité de se représenter des situations déconnectées du cadre déictique du discours. Michel Achard (« Cognitive linguistics and second language pedagogy. Common goals and mutual benefits ») explore le domaine des apports possibles de la linguistique cognitive à l'enseignement des langues secondes.

Enfin, la quatrième section de l'ouvrage aborde la statistique lexicale et comprend un chapitre de Vannina Goossens, Dominique Legallois et Iva Novakova portant sur l'extraction de constructions à partir de corpus textuels (« Aperçu de quelques méthodes pour l'extraction des constructions en corpus »), et un chapitre de Guillaume Desagulier sur le statut de modèles partiellement productifs (« It is important to note that partially productive patterns may count as constructions »).

Le volume propose un large éventail d'applications des grammaires de constructions qui permet d'apprécier la lumière que jettent celles-ci sur les signes linguistiques et leurs combinatoires. Les limites de l'approche constructionniste se manifestent cependant à quelques reprises. Un des dangers d'une approche qui situe la corrélation forme/sens à tous les niveaux de description grammaticale, y compris aux niveaux complexes d'assemblages syntagmatiques et même phrastiques, est de confondre ce qui est signifié linguistiquement avec ce qui ne l'est pas. Dans sa discussion de la construction N0suj V à N1datif, Legallois attribue à cette construction un sens d’« éloignement », dans des emplois comme un cri lui échappa. Or le signifié de la préposition à, qui d'ailleurs constitue la seule unité proprement linguistique – constituée par l'association d'un signe à un signifié –est, dans cette construction, tout le contraire de l’éloignement : dans cet exemple, à représente l’émetteur du cri comme une personne à qui l'action désignée par le verbe est arrivée de manière involontaire (donc une idée d'afférence et non pas de différentiation). L'impression d’éloignement vient de la confusion du signifié linguistique avec ce qui se passe dans le monde réel quand quelqu'un émet un cri. De façon analogue, la préposition de ne signifie pas un mouvement d'approche dans un énoncé comme Elle s'est approchée de moi. Cette impression provient plutôt du verbe s'approcher. De indique tout simplement que le mouvement d'approche est mesuré à partir du repère désigné par son complément pronominal.

Les limites de la grammaire cognitive de Langacker sont visibles dans la contribution de Gréa. Ce dernier allègue que la différence entre le niveau du lexique (par ex., le nom composé jar lid) et le niveau grammatical (par ex., la construction <NomNom>) n'est pas une différence de nature, mais seulement une différence de schématicité, et qu’étant donné que la schématicité peut être plus ou moins grande, ceci donne lieu à un continuum entre le lexique et la grammaire. Il faut remarquer toutefois que jar lid ne fait pas partie du lexique de l'anglais, mais représente un assemblage syntaxique momentané du discours. Preuve en est l'existence de combinaisons telles jar top, jar bottom, jar side, jar box, bottle lid, garbage can lid, pot lid, cup lid, etc. Ce cas ne constitue donc pas un argument valide pour soutenir l'existence d'un continuum lexique-syntaxe. Par ailleurs, le fait d'appliquer la notion de ‘construction’ à des unités intérieurement simples comme très, mais, pour, ou avec semble abusive.

Le désir d'identifier des constructions à tous les niveaux entraîne parfois l'analyste à créer de fausses dichotomies. Dans son étude diachronique du verbe connaître, Gmir prétend que ce verbe a subi des changements constructionnels successifs faisant de lui un verbe support de prédication nominale sélectionnant des types de sujets dépourvus de tout trait humain, comme c'est le cas dans Le prix de l'essence a connu une forte hausse. Toutefois, ce type d'emploi se trouve sur un continuum avec des emplois tels J'ai connu une baisse d’énergie dernièrement. Qui plus est, le verbe expérimenter a le même genre d'emploi : L'écoute de la musique a expérimenté une progression de 6% depuis 2006. / Depuis 1983 approximativement, l'offre musicale de Bilbao a expérimenté une augmentation de volume et de qualité. À la vue de ces faits, parler d'une construction distincte dans le cas d'emplois comme Le prix de l'essence a connu une forte hausse ne semble pas justifié.

La contribution d'Achard est une des plus intéressantes du volume. À l'aide de quelques exemples concrets (le lien entre les différents sens du substantif canard, les emplois de l'article défini avec des substantifs compléments des verbes manger, boire et prendre, les constructions impersonnelles), il montre comment la linguistique cognitive pourrait permettre d'améliorer la présentation grammaticale dans le cadre de l'enseignement communicatif : en s'appuyant sur les mécanismes subtils qui régissent les choix linguistiques des locuteurs natifs, les linguistes cognitifs et les enseignants de langues peuvent travailler ensemble pour présenter la langue d'apprentissage comme un système social dynamique dans lequel les étudiants pourront trouver leur place et s'exprimer en toute confiance. Dans le cas des constructions impersonnelles, toutefois, il faudrait faire attention pour que l'approche onomasiologique prônée par Achard ne rende la catégorie trop difficile à saisir pour les apprenants (et peut-être même pour certains enseignants). D'une part, on ne peut pas enseigner les constructions impersonnelles en se basant sur la forme linguistique, puisque celles-ci peuvent prendre au moins quatre formes différentes (il n'est plus possible qu'elle y aille / ça n'est plus possible qu'elle y aille / le saucisson d'Arles se fait avec de la viande de mulet / on ne trouve pas toujours facilement en Espagne un endroit pour camper). (D'ailleurs, il faudrait ajouter à la catégorie des usages comme la possibilité qu'elle y aille n'existe plus et un endroit pour camper n'est pas facilement trouvable en Espagne.) D'autre part, ce ne sont pas tous les emplois de ces formes qui sont impersonnels (il est venu à la soirée / ça m'a fait mal / elle se fait belle pour sa soirée / on a travaillé fort hier). Le potentiel de confusion semble donc assez élevé avec cette approche.

En somme, cet ouvrage collectif donne un aperçu intéressant des études menées en grammaire de construction depuis une quinzaine d'années. Non seulement permet-il au lecteur de se faire une bonne idée de la théorie, mais il fournit aussi des exemples concrets de l'application de la théorie à plusieurs domaines différents.

References

Référence

Hoffman, Thomas et Trousdale, Graeme, dir. 2013. The Oxford handbook of construction grammar. Oxford : Oxford University Press.CrossRefGoogle Scholar