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Une sociologie républicaine. L'esprit des lois de la famille selon Jacques Commaille

Published online by Cambridge University Press:  18 July 2014

Jean-Guy Belley
Affiliation:
Faculté de droit, Université Laval

Abstract

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Type
Review Essays (Hors Thems)/Notes critiques (hors-thème)
Copyright
Copyright © Canadian Law and Society Association 1995

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References

1. Commaille, Jacques, «Régulation sociale» dans Arnaud, André-Jean, dir., Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2e éd., Paris, LGDJ, 1993, 523Google Scholar; Jacques Commaille, , «Normes juridiques et régulation sociale: Retour à la sociologie générale» dans Chazel, François et Commaille, Jacques, dir., Normes juridiques et régulation sociale, Paris, LGDJ, 1991, 13Google Scholar; Commaille, Jacques, «D'une sociologie de la famille à une sociologie du droit. D'une sociologie du droit à une sociologie des régulations sociales» (1986) 18:1Sociologie et sociétés 113CrossRefGoogle Scholar.

2. Commaille, Jacques, Les Stratégies des femmes: Travail, famille el politique, Paris, La Découverte, 1993Google Scholar; Commaille, Jacques, «La Régulation politique de la famille» dans de Singly, François, dir., La Famille: L'état des savoirs, 2e éd., Paris, La Découverte, 1992, 265Google Scholar; Commaille, Jacques, «Famille et politique» (1992) 42:3Revue française de science politique 485CrossRefGoogle Scholar; Commaille, Jacques, «Ordre familial, ordre social, ordre légal. Éléments d'une sociologie politique de la familie» (1987) 37 L'Année sociologique 265Google Scholar; Commaille, Jacques, Families sans justice. Le droit et la justice face aux transformations de la famille, Paris, Centurion, 1982Google Scholar.

3. Commaille se réfère à un article de Ost, François, «Jupiter, Hercule, Hermès; trois modèles du juge» dans Bouretz, Pierre, dir., La Force du droit. Panorama des débats contemporains, coll. «Philosophie», Paris, Esprit, 1991, 242Google Scholar.

4. Commaille tire cette citation de l'ouvrage Caillé, d'Alain, La Démission des clercs: La Crise des sciences sociales et l'oubli du politique, Paris, Découverte, 1993Google Scholar.

5. «Toute science humaine doit introduire le soupçon dans son propre développement pour s'interroger sur sa relation historique à un type social. Elle a partie liée avec une forme de culture. Pour se définir à nouveau, elle doit procéder à une analyse contestataire de la civilisation qu'elle postule. Entre une société et ses modèles scientifiques, entre une situation historique et l'outillage intellectuel qui lui est adéquat, un rapport existe qui constitue un système culturel.» de Certeau, Michel, La culture au pluriel, 2e éd., Paris, Christian Bourgeois, 1980 aux pp. 166–67Google Scholar.

6. «La fondamentale hétérogénéité du temps entraîne, pour l'être vivant à court terme, la fondamentale dualité des connaissances scientifiques et non scientifiques … [L]a connaissance morale recule normalement devant la connaissance expérimentale chaque fois que celle-ci parvient à doter l'homme d'une prévision scientifique […] Ce que nous appelons le déclin des idéologies est en réalité la naissance de l'esprit scientifique expérimental [“qui s'applique aussi aux faits humains, à l'économie, à la politique.”]». Fourastié, Jean, Les Conditions de l'esprit scientifique, Paris, Gallimard, 1966 aux pp. 235 et 243–44Google Scholar.

7. Poulat, Émile, L'Ère postchrétienne: Un monde sorti de Dieu, Paris, Flammarion, 1994Google Scholar.

8. «Mentionnons également un fantastique “trou noir” au coeur de notre connaissance, celui de la possession de nos esprits, non seulement par des génies ou des dieux, mais aussi par des doctrines ou idéologies. C'est dire que la “possession” n'est pas seulement un phénomène marginal qui relève de certains rites ou de certaines formes de pathologie mentale. C'est le phénomène normal de la croyance.» Morin, Edgar, La Complexité humaine, coll. «Champs/L'Essentiel», Paris, Flammarion, 1994 à la p. 199Google Scholar.

9. Pour rendre compte des nombreuses tentatives avortées de rénovation du code pénal français depuis deux siècles, l'hypothèse suivante a été proposée: «Il y a dans tout code une dimension d'absolutisme juridique qui exige un certain absolutisme politique. La démocratic pluraliste serait donc antinomique, ou du moins aurait du mal à mener à son terme un tel projet globalisant. Son mode d'intervention favori serait plus particulariste que totalisant et privilégierait les actions tactiques sur les opérations programmatiques de définition et de protection du “bien public”. De là découle, sans doute, la cascade des lois de réforme ponctuelles qui nourrissent, en Europe, un important sentiment d'“inflation législative”.» Lascoumes, Pierre, Poncela, Pierrette et Lenoël, Pierre, Au nom de l'ordre: Une histoire politique du code pénal, Paris, Hachette, 1989 aux pp. 291–92Google Scholar.

10. Commaille a lui-même emprunté cette voie de généralisation en dirigeant une recherche collective sur la comparaison des processus de production des lois relatives à la Filiation en Europe. Assier-Andrieu, Louis et Commaille, Jacques, dir., La Politique des lois en Europe: La Filiation comme modele de comparaison, coll. «Droit et Société», Paris, LGDJ, 1995Google Scholar; voir notamment la conclusion (pp. 283–93) qui enrichit le modèle théorique de production des lois proposé dans l'ouvrage commenté ici. Soulignons aussi que le Séminaire itinérant inter-universités du Réseau européen Droit et Société (REDS), dont Commaille assume la responsabilité scientifique avec André-Jean Arnaud, a consacré plusieurs séances en 1994 et 1995 à l'étude des politiques publiques dans divers domaines du droit. REDS, État des activités et programme 1994-1995 (juillet 1994)à la p. 17Google Scholar.

11. Une méfiance profonde envers le rationalisme cartésien inspire ma critique. Au stade de l'observation, ce subjectivisme cérébral brouille le contact avec les évidences sensibles en incitant trop pesamment à «voir» du sens dans le monde extérieur. Au stade de l'analyse (et du jugement), il verse trop facilement dans l'extrapolation totalisante en oubliant le déséquilibre culturel entre les champions du sens (l'Église, l'État, etc.) et les acteurs de la vie quotidienne. Ces croyances personnelles trouvent une certaine doctrine dans les réflexions de Camus sur le raisonnement absurde et le sens de la mesure ou de l'équilibre dans la pensée grecque: Camus, Albert, Le mythe de Sisyphe: Essai sur l'absurde, Paris, Gallimard, 1942 aux pp. 1590Google Scholar; Camus, Albert, «L'exil d'Hélène» dans L'été, Paris, Gallimard, 1954, 106Google Scholar.

12. «Rien de plus trompeur que l'élite et l'élitisme. En France, l'élite cache la réalité de ce pays.» Lefebvre, Henri, De l'État. l'État dans le monde moderne, t. 1, Paris, Union générale d'éditions, 1976 aux pp. 148–49Google Scholar.

13. Les rares études empiriques disponibles révèlent que si la philosophie volontariste ou contractuelle trouve des appuis significatifs dans certaines catégories de la population (les «nantis», les «familles du type association»), la mentalité populaire reste dominée par une morale pragmatique et providentialiste, en particulier lorsqu'il s'agit de fonder un jugement de justice en contexte d'inégalité des pouvoirs. Voir notamment Kellerhals, Jean et al. , «L'éthique du contrat. (Du rapport entre l'intégration sociale et la morale juridique populaire)» (1993) 43 L'Année sociologique 125Google Scholar; aussi, Kellerhals, Jean, Coenen-Huther, Josette et Modak, Marianne, «Justice and the Family: An Exploratory Analysis» (1990) 31 Archives européennes de sociologie 174CrossRefGoogle Scholar.

14. «À partir d'un certain moment historique, l'intervention de l'État moderne (Étatnation, disposant d'un territoire dit national) introduit une coupure politique dans la connaissance, dans la sociétý, dans l'autorité qui gouverne […] Cette coupure politique porte un nom familier à nos oreilles: la Révolution française.» Henri Lefebvre, supra note 12 aux pp. 126–27.

15. J'emprunte ici le vocabulaire utilisé par Luc Boltanski et Laurent Thévenot pour désigner la pluralité des cités (en parlant notamment de la cité civique sans en faire «la Cité») et des mondes communs. Boltanski, Luc et Thévenot, Laurent, De la justification: Les économies de la grandeur, ParisGallimard, 1991 aux pp. 85263Google Scholar.

16. Dans la mesure où elle se préoccupe peu de cette crise générale des modes de gouvernement dans l'ensemble de la société, la sociologie politique de Commaille s'inscrit dans un courant académique qui conçoit la discipline comme une «science de l'État» plutôt qu'une «science du pouvoir». À ce sujet, voir Balle, Francis, «Sociologie politique» dans Cazeneuve, Jean et Victoroff, David, dir., La Sociologie, Paris, Centre d'étude et de promotion de la lecture, 1970, 336 aux pp. 337–38Google Scholar.

17. «La mondialisation de l'État a plusieurs sens. Et d'abord celui-ci: le côté grandiose de l'État, sa monumentalité s'effrite; son côté créateur se décompose. Par contre, ce qu'il y a de répressif et policier, d'affairiste, de brutal et vulgaire dans l'ordre étatique, s'accentue. L'étatique se déprécie, perdant rapidement prestige et valeur au cours de la mondialisation. La Raison suprême apparaît désormais sans raison.» Henri Lefebvre, supra note 12 à la p. 195.

18. Belley, Jean-Guy, «Georges Gurvitch et les professionnels de la pensée juridique» (1986) 4 Droit et Société 353 aux pp. 365–67CrossRefGoogle Scholar.

19. Le paradoxe d'une science qui se donne l'État pour objet d'étude, mais contribue à son insu à «la surprenante occultation d'un État qui «s'enveloppe de ténèbres et multiplie les zones d'ombre» (par exemple celles où il coopère avec les autres pouvoirs de la société plutôt que de les dominer) est souligné avec force par Henri Lefebvre, supra note 12 à la p. 199 et s.

20. On s'étonne que Commaille ne se réfère pas au courant académique extrêmement important dans la litérature allemande «droit et société» qui, partant de la thèse de la différenciation de la société moderne en systèmes largement autonomes voire autopoïétiques, aboutit à une reconceptualisation globale de la gouverne politique en termes de «corégulation» plutôt que de domination: Teubner, Gunther, Le Droit: un système autopoïétique, trad, par Maier, Gaby et Boucquey, Nathalie, Paris, PUF, 1993 aux pp. 101–91Google Scholar; Luhmann, Niklas, «Clôture et couplage» dans Arnaud, André-Jean et Guibentif, Pierre, dir., Niklas Luhmann observateur du droit, Paris, LGDJ, 1993, 73Google Scholar; Willke, Helmut, «Diriger la société par le droit?» (1986) 31 Archives de philosophie du droit 182Google Scholar.

21. «Une longue suite de plaintes contre l'État prolonge aujourd'hui le christianisme et la vieille rivalité de l'Église et de l'État… Ces vieilles critiques alimentent une contestation que l'on peut nommer: protestantisme d'État…» Henri Lefebvre, supra note 12 à la p. 192.

22. La puissance de l'État moderne étant ce qu'elle est, la revendication d'une pleine participation à la sphère civique contrôlée par lui l'emporte souvent sur l'aspiration a l'autonomie. La théorie féministe peut ainsi plaider pour une politisation de la sphère de l'intimité et se rallier à la doctrine républicaine pour faire avancer la cause des femmes, même si elle n'est pas dupe du réductionnisme qui fait identifier la société à l'État: «Le terme “société” a plusieurs sens, et nous l'employons, dans la présente partie, dans son acception politico-juridique, où il correspond à peu près à la notion d'État et dans son sens plus général de l'ensemble des citoyennes et citoyens, deux sens qui se rejoignent dans une démocratie.» Boivin, Michelle, «Les acquis du féminisme en droit: reconceptualisation de la représentation des femmes et de leur place dans la société canadienne» (1995) 36:1Les Cahiers de Droit 27 à la p. 47CrossRefGoogle Scholar, note 58. Si les aspirations de ses membres à l'égalité juridique et politique ont pour effet de ramener la famille dans le giron de l'État, au risque par exemple de dissoudre le féminisme dans le libéralisme individualiste (Michelle Boivin, ibid. à la p. 59), sur quelles valeurs pourrait-on fonder l'aspiration de la famille à l'autonomie, sinon celles qui expriment le mieux les idéaux spécifiques des relations intimes: l'amour, l'émancipation sexuelle, la solidarité intergénérationnelle, la confiance …? Le sociologue anglais Anthony Giddens s'avance dans cette direction en concevant la relation interpersonnelle authentique («pure relationship») comme le pivot de la restructuration actuelle de l'intimité. Giddens, Anthony, The Transformation of Intimacy: Sexuality, Love & Eroticism in Modern Societies, Stanford, Stanford University Press, 1992 aux pp. 58, 94–96, 134–57Google Scholar. Succombe-t-il lui aussi aux sirènes de la doctrine républicaine en concluant que la nouvelle sphère de la vie personnelle serait implicitement démocratique («Intimacy as Democracy» aux pp. 184–204)?

23. Un indice éloquent de ce phénomène contemporain est la réflexion catastrophiste qu'il suscite chez tous ceux pour qui le bonheur individuel, la vie privée et le sentiment d'appartenance seraient nés avec la République et désormais inaptes à se reproduire en dehors de la révérence à ses lois ou à ses formes instituées. La doctrine républicaine semble frileuse au point de dépérir des premières bouffées d'air que s'autorise la famille pour sortir de l'atmosphère enfumée des institutions étatiques. Plus empathique au désarroi des prêtres de la raison juridique, de «la loi commune» et de la généalogie occidentale (le «legendrisme» français …) qu'aux aspirations des individus, des couples et des families à une plus grande authenticité de leurs relations, le beau livre de la sociologue du droit Irène Théry donne, par exemple, à penser que si la famille vient d'entrer dans une ère très incertaine, sa sortie de la religion d'État est quant à elle de plus en plus évidente. Théry, Irène, Le Démariage: Justice et vie privée, Paris, Odile Jacob, 1993 aux pp. 7–18, 373–93Google Scholar. Les savants tremblent devant le dynamisme du monde réel parce que leur savoir a depuis longtemps évacué le vécu pour ne reposer que sur leur conçu. Si la doctrine républicaine craint tant les débordements de la vie familiale actuelle, c'est qu'elle s'est toujours dissimulé la réalité de la vie quotidienne pour y imposer la politique de l'État: «Dès son émergence, le vécu ne représente pour l'État et les hommes de l'État qu'une matière à façonner, à dévorer, en un mot à dominer. Le contrôle de l'État sur le vécu s'établit par les voies institutionnelles, le mariage, l'état civil, le recensement, la fiscalité, entre autres […] L'État détermine le quotidien dans son délaissement, dans son fonctionnement (entre le travail, le loisir, la famille) […] Déréglez le quotidien, et l'État s'effondre! Car c'est là, à ce niveau, qu'il achève la fabrication (la production) de ses sujets. Ce qui entraîne le quotidien à se révolter après avoir pris conscience de son malaise, de son mal-être foncier […] L'enjeu de la lutte multiforme s'y révèle: ébranlement de l'État et priorité du quotidien sur l'étatique, métamorphose (pratique) du quotidien.» Henri Lefebvre, supra note 12 aux pp. 170, 230–31.

24. «Derrière la morale, se tient la peur. Je crois que la peur, la peur bestiale qui habite au plus profond de l'être humain, est un des grands fondements de la vie en société. Pour des raisons que j'ignore et qui me semblent très mystérieuses, l'être humain a perdu une bonne part de l'instinct animal. N'ayant plus d'instinct, il lui faut le remplacer par une autre instance qui en tienne lieu. Et cette autre instance, c'est profondément et surtout la morale.» Rocher, Guy, Entre les rêves et l'histoire: Entretiens avec Georges Khal, Montréal, VLB, 1989 à la p. 212Google Scholar.

25. Durkheim, Emile, Les Règles de la méthode sociologique, 15e éd., Paris, PUF, 1963 aux pp. 1546Google Scholar.