À l’occasion du 50e anniversaire de la Crise d’Octobre au Québec, différents ouvrages sur la question ont été réédités, comme celui de Bernard Dagenais (2020)Footnote 1, puis celui de Louis Fournier. L’ouvrage de Louis Fournier constitue la synthèse la plus complète publiée au Québec sur l’histoire du mouvement terroriste du Front de libération du Québec (FLQ), un mouvement qui aura marqué l’histoire du Québec de son empreinte. C’est souvent aussi à travers le prisme des procès que se donne à lire l’histoire de ce mouvement, comme on l’observe dans l’ouvrage de Fournier qui en est à sa troisième édition, remaniée et légèrement enrichie (il le fait d’abord publier chez Québec Amérique en 1982, puis rééditer chez Lanctôt éditeur en 1998 et enfin en 2020). Nul ne doutera du fait qu’il s’agit là du principal ouvrage sur l’histoire du FLQ. Le journaliste Louis Fournier procède à l’inverse des monographies sur la Crise d’Octobre qui commencent par un chapitre d’introduction ou de contexte pour évoquer les différents actes posés par le FLQ à partir de 1962-63. Il consacre son ouvrage entièrement à l’histoire des felquistes et relate les actes que les différentes cellules du mouvement ont posés si bien que la Crise d’Octobre ne concerne qu’une infime partie de son travail. À ce titre, on ne saurait considérer que l’apport historiographique au traitement du sujet soit novateur, puisque sa mise en position secondaire empêche de l’approfondir. Depuis la première édition de l’ouvrage de Louis Fournier, en 1982, un nombre important de monographies ont été publiées, rendant pour ainsi dire moins originale sa contribution à la Crise d’Octobre. On regrette notamment l’absence totale d’exploitation des fonds d’archives, voire des sources policières qu’il mentionne parfois sans références précises. Les publications des membres des cellules du FLQ sont par contre exploitées de manière exhaustive, montrant que Fournier a fait plus que simplement relater les articles de presse parus à l’époque des faits. Dans cette nouvelle édition, la principale contribution de Fournier, il me semble, est de révéler l’identité des rédacteurs du journal La Cognée et d’identifier certains membres du Rassemblement pour l’Indépendance Nationale (RIN) associés à différentes cellules du FLQ. Néanmoins, à cet égard, les lecteurs auraient aimé lire que Germain Archambault, du Mouvement de libération du taxi, de même que les felquistes Jacques Lanctôt, Paul Rose et Francis Simard furent aussi des militants du RIN puis du Parti Québécois. Le sens critique de Fournier n’est pas toujours évident et le style est résolument journalistique, sans indications précises des sources. C’est ce qui le conduit, par exemple, à déclarer que Guy Fiset avait trouvé une cache pour les felquistes à la demande du militant Robert Dupuis, sans que la source ne soit précisée. Il affirme que le père de Jacques Cossette-Trudel fut un employé des Affaires extérieures du Canada; or, l’ingénieur Alphonse Cossette-Trudel fut un proche de René Lévesque à titre de haut fonctionnaire et affecté à la Régie de l’électricité et du gaz. Le lecteur déplorera aussi le fait que Louis Fournier a omis de tirer parti, eu égard à la Crise d’Octobre, des ouvrages de Claude Lavallée (2010)Footnote 2 et de Claude-Jean Devirieux (2012)Footnote 3 ou la biographie de Jean-Charles Panneton (2012)Footnote 4 consacrée à Pierre Laporte.
Le contexte historique de l’époque est à peine effleuré, de même que le profil de la principale cible du FLQ, Pierre Laporte. L’auteur aurait pu ici nous apprendre des faits nouveaux sur la carrière de Pierre Laporte, quitte à proposer un mobile différent qui aille au-delà des raisons vagues avancées dans les déclarations des felquistes et de l’incertitude concernant la préméditation. À ce titre, d’ailleurs, Louis Fournier rejette toute hypothèse complotiste, mais n’explique pas pourquoi les felquistes n’ont jamais décrit avec précision les circonstances exactes du décès de Pierre Laporte. Or, la Loi sur les coroners a été remplacée, sous le mandat de Marc-André Bédard, par la Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès Footnote 5. La Loi sur les coroners, adoptée à la fin des années 1960, autorisait, pour ainsi dire, à se reconnaître collectivement responsable d’un acte criminel au nom de principes idéologiques sans passer aux aveux, ce qu’ont fait les felquistes.
Si l’on fait exception de la description des faits relatifs à la Crise d’Octobre, l’exhaustivité et l’esprit de synthèse de Fournier ne sont guère à critiquer. Ainsi, il décrit méticuleusement les opérations, donne souvent quelques précisions biographiques sur les auteurs des actes criminels et offre une vue d’ensemble fiable du mouvement. Mais il ne faut pas se tromper, c’est avant tout l’histoire des felquistes qui l’intéresse. Le contexte historique de l’époque est relaté à grands traits sans que pour autant n’apparaisse avec précision l’histoire politique du Québec, si ce n’est une analyse fine et poussée de l’histoire des partis et mouvements de contestation, les partis indépendantistes, séparatistes, nationalistes. Cette histoire de la gauche et du militantisme nationaliste, malgré tout assez sommaire, se fait néanmoins au détriment des articulations du pouvoir en jeu, des luttes au sein du parti libéral fédéral et provincial. L’auteur exploite peu, par ailleurs, l’éventuelle relation qu’il aurait pu établir entre les activités du ministère des Affaires fédérales-provinciales (devenu ministère des Affaires intergouvernementales du Québec), dont la création est contemporaine de la naissance des mouvements terroristes et du FLQ. L’histoire de la présence française et surtout soviétique au Québec aurait pu faire l’objet d’une plus grande attention. L’auteur s’intéresse certes, par exemple, aux attentats qui ont visé la délégation commerciale de Cuba, mais c’est oublier qu’il y eut plus qu’une opération de déstabilisation des autorités cubaines sur le territoire québécois. À ce titre, les lecteurs trouveront peu d’informations novatrices concernant la présence cubaine au Québec et le rôle de l’avocat Bernard Mergler à cet égard à partir de 1959. Bref, si l’auteur prétend d’emblée que le sujet de la Crise d’Octobre a été traité suffisamment pour qu’il soit exclu d’admettre des thèses ou des hypothèses autres que la version de Francis Simard, il n’en demeure pas moins que lui-même a dû éviter de mentionner l’auteur de l’assassinat de Pierre Laporte pour des raisons juridiques, contrairement à son intention initiale. En outre, s’il nous convainc de sa connaissance phénoménale et encyclopédique de l’histoire des felquistes et de leurs opérations, il ne saurait en revanche nous convaincre qu’il a traité le sujet de la Crise d’Octobre en profondeur au point de n’y relever aucune irrégularité dans les déclarations des felquistes.