L’approche actuelle de réconciliation censée guider les rapports qu’entretient l’État canadien avec les peuples autochtones s’inscrit en réponse à une politique colonialiste qui avait maintenu ces derniers, et plus particulièrement les Premières Nations, sous un régime de tutelle. Orienté au premier chef par des objectifs de dépossession territoriale et de transformation culturelle, ce régime colonial incluait, par l’entremise de l’évangélisation et de l’éducation, la promotion du christianisme perçu comme un cadre moral souhaitable pour les Autochtones, car susceptible de favoriser leur transformation en citoyens productifs et respectables dans la société civileFootnote 1. Or, bien que l’État canadien soit désormais plus soucieux de respecter les spécificités culturelles des populations autochtones, la reconnaissance qu’il alloue à leurs particularismes religieux – entendons ici les formes d’expression d’un lien au sacré qui présentent des différences par rapport à la tradition chrétienne – n’est pas sans limites.
Ainsi, les gouvernements accordent désormais volontiers des privilèges symboliques en matière d’expression des religions autochtones dans l’espace public, y compris en des endroits et circonstances qui relèvent de l’action politique, et cela par des avenues qui ne sont pas nécessairement accessibles à d’autres collectivités ethnoculturelles ou ethnoreligieusesFootnote 2. À l’inverse, et en dépit d’avancées notables, il demeure plus difficile pour les peuples autochtones de se voir reconnaître, par les voies politiques et juridiques, des droits formels équivalents à un plein contrôle sur leur sphère religieuse. Cette dissonance s’avère non seulement une source de confusion pour les Autochtones, qui parviennent difficilement à mesurer ce qu’ils peuvent attendre de l’État en matière de reconnaissance de ce qu’ils considèrent des droits religieux, mais elle laisse transparaître une posture étatique en porte à faux avec les principes de respect mutuel et de renforcement de l’exercice des pouvoirs par les Autochtones promus depuis 1998 par la politique de réconciliation.
Essentiellement, il revient encore à l’État canadien de déterminer la nature et la portée des droits religieux des peuples autochtones, en fonction de ses propres intérêts et des orientations politiques et idéologiques de ses institutions. Sur ce point, nous rejoignons les analyses de OtisFootnote 3, BeamanFootnote 4, BorrowsFootnote 5 et ShrubsoleFootnote 6 qui ont montré dans quelle mesure la tradition juridique, les biais culturels et les intérêts économiques de la majorité peuvent constituer des obstacles à la reconnaissance des droits religieux autochtones par les tribunaux. Toutefois, nous souhaitons élargir ici la perspective pour inclure les droits religieux reconnus à certaines nations autochtones dans le sillon des traités modernes, des ententes sur l’autonomie gouvernementale et des ententes sectorielles conclues depuis les années 1990, et vérifier si ces mêmes obstacles, ou d’autres, ont influencé la configuration de ce cadre normatif.
Notre objectif, ici, n’est pas d’établir, par une critique des dispositions légales ou des décisions judiciaires, dans quelle mesure les limites actuelles imposées aux Autochtones en matière de droits religieux sont justifiables ou non, ni de suggérer comment ces limites pourraient, le cas échéant, être modifiées d’un point de vue normatif. Encore moins s’agit-il de promouvoir une reconnaissance absolue de tels droits religieux, d’autant qu’une frange politique autochtone n’y aspire pas, préférant de facto affirmer l’existence de ces droits. Nous souhaitons avant tout faire ressortir, à partir d’un survol des différentes formes de considérations manifestées par l’État canadien à l’égard du fait religieux autochtone, la discontinuité qui les caractérise, et illustrer ses fondements pragmatiques. Cet exercice permet de constater que la reconnaissance des particularismes religieux autochtones peut s’avérer hautement significative lorsqu’elle se résume à une dimension avant tout symbolique, mais qu’elle s’éloigne d’une réelle portée normative à mesure qu’elle entre plus ou moins en concurrence avec des valeurs et des intérêts chers à la majorité.
Ainsi, après un rappel de la place désormais réservée à la dimension religieuse autochtone en contexte protocolaire au Canada, nous présenterons un survol des dispositions légales touchant cette même dimension dans les lois ordinaires du pays ainsi que dans les ententes politiques conclues entre l’État et certaines nations autochtones, en faisant notamment ressortir les limites qu’elles prévoient. Finalement, nous ferons porter notre attention sur quelques décisions des tribunaux pour illustrer certains écueils auxquels se heurtent encore la représentation, l’interprétation et la réception des particularismes religieux autochtones sur le plan juridique.
La reconnaissance symbolique
Dans le sillon de leur mobilisation et de leurs revendications politiques depuis les années 1970, les peuples autochtones ont imposé une reconfiguration de la relation qu’ils entretiennent avec l’État canadien. Un recours plus systématique à la négociation prévaut désormais, une garantie constitutionnelle de leurs droits ancestraux et issus de traités a été obtenue, des ententes en vue d’une plus large autonomie ont été conclues avec certaines nations, et un courant jurisprudentiel plus attentif et réceptif à leurs droits et à leurs particularismes historiques et culturels s’est établi. Ces avancées ont coïncidé avec l’adoption, par le gouvernement fédéral, d’une politique de multiculturalisme favorable à la liberté culturelle et au maintien des particularismes ethnoculturels, y compris ceux des peuples autochtones. À ceci s’est ajoutée, depuis 1998, une politique de réconciliation avec les Autochtones ayant notamment pour principe le respect de leurs culturesFootnote 7. Ce contexte d’ensemble s’avère ainsi favorable aux expressions et à la valorisation des particularismes religieux autochtones, tantôt à des fins d’affirmation identitaire, par l’entremise de cérémonies rituelles publiques par exemple, tantôt à des fins de guérison communautaire par la promotion, dans différentes sphères de la vie sociale comme l’éducation, les soins de santé et la justice, de croyances et de pratiques souvent dites héritées du Créateur et des ancêtres et qui présentent, par conséquent, un caractère sacré.
Dans ce contexte, les occasions de proximité entre l’appareil d’État et ses représentants, et les formes d’expression religieuse autochtones se sont multipliées. Il est désormais fréquent, voire habituel, qu’à des fins protocolaires, des personnes autochtones, leaders spirituels ou autres, récitent des prières, entonnent des chants ou des musiques à connotation religieuse ou pratiquent des rituels de purification lors d’événements politiques. Déjà en 2003, le premier ministre Paul Martin, nouvellement élu, avait fait l’objet d’un tel rituel de fumigation lors de la cérémonie d’assermentation au Parlement d’OttawaFootnote 8, ce qui s’avérait d’autant plus surprenant qu’il est raisonnable de croire qu’une forme de ritualité similaire associée à une autre tradition religieuse, eût-elle été catholique, musulmane ou autre, aurait soulevé des questionnements en lien avec l’obligation de neutralité de l’État et le principe de séparation des pouvoirs politiques et religieux. À titre d’exemple, rappelons que la coutume de réciter la prière avant que les élus ne débutent leurs travaux dans plusieurs enceintes délibératives du pays a non seulement été remise en question ces dernières années, mais fait l’objet de contestations devant les tribunaux. Depuis, les cérémonies à connotation religieuse dans le contexte de rencontres et de dialogues politiques se sont multipliées et voient des représentants de l’État y prendre part, parfois même en arborant des tenues ou des symboles traditionnels autochtonesFootnote 9. Les tribunaux s’inscrivent également dans cette mouvance; par exemple, une personne qui porte serment ou qui témoigne en cour au Manitoba peut désormais tenir une plume d’aigle plutôt que de poser la main sur la Bible. Comme le soulignait la juge en chef de la Cour provinciale à ce sujet, « The courts are committed to reconciliation, and the court acknowledges its responsibility to find a meaningful way to include Indigenous people in the court system and to build their confidence in the administration of justice »Footnote 10.
À l’instar de la représentativité, de l’authenticité et de la crédibilité accordées à ces formes d’expression religieuse en contexte protocolaire, la pertinence de prendre ainsi certaines libertés envers le principe de neutralité est sujette à débat. Cela pourrait être justifié dans la perspective d’une démarche réparatrice et de justice sociale, comme une manière de valider l’importance de la dimension religieuse dans le processus de décolonisation, tout en réhabilitant des traits culturels autochtones comme systèmes religieux d’égale valeur aux autres traditions religieuses. Ce le serait moins si ces écarts tenaient d’abord à un souci d’apparence pour éviter toute impression de perpétuer une attitude coloniale, ou à un conformisme obligé, d’autant qu’ils s’avèrent susceptibles d’alimenter un essentialisme et d’entretenir l’impression d’une distance ethnoculturelle sur plusieurs plans fictiveFootnote 11. Mais ultimement, c’est ce traitement différencié accordé par l’État aux religions autochtones, en marge des principes constitutifs du régime de laïcité, qui donne une portée significative à ce mode de reconnaissance.
Les droits issus des lois ordinaires et des ententes politiques
Ce qui précède ne saurait masquer le fait qu’à l’échelle canadienne, les Autochtones se heurtent encore à de nombreux obstacles en ce qui concerne l’expression de leurs croyances et pratiques religieuses. Ces obstacles peuvent être en lien avec l’accès à des lieux sacrés situés sur des terres publiques ou privées, ou avec le contrôle exercé sur des objets cérémoniels, des restes humains ou tout autre élément symbolique de valeur. Ils peuvent aussi relever d’une compromission de l’autonomie nécessaire pour déployer librement la dimension religieuse à l’échelle communautaire. Or, bien que la dimension spirituelle ait été reconnue par le gouvernement canadien comme un objet légitime de revendication et de négociation pour les AutochtonesFootnote 12, et que ce dernier ait annoncé son appui à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en 2016Footnote 13, cela ne s’est pas traduit au pays par une législation de portée générale en matière de droits religieux pour les peuples en question. Plutôt, ce sont de rares dispositions incluses dans des lois ordinaires fédérales, provinciales et territoriales, de même que des ententes politiques entre les gouvernements et certaines nations autochtones qui balisent au Canada un droit des religions autochtones aussi fragmenté que restreint.
En conformité avec une reconnaissance de principe du droit inhérent des nations autochtones à l’autogouvernanceFootnote 14, et par l’entremise de droits formels à l’autogouvernance découlant d’ententes conclues avec l’État – souvent au terme de longues luttes politiques et en fonction desquelles d’autres droits peuvent être éteints –, certaines de ces nations jouissent désormais d’une capacité législative et administrative d’élaborer des programmes et d’offrir des services en matière de culture et de spiritualité. Elles peuvent ainsi implanter des règles ou des politiques en matière de préservation, de promotion et de développement des lieux, des connaissances et des pratiques à caractère sacréFootnote 15. À l’instar de quelques lois provinciales relatives à la protection de l’enfanceFootnote 16, des ententes politiques reconnaissent également la spécificité de la culture et de la spiritualité autochtones, et la nécessité de respecter et de protéger l’identité culturelle des enfants autochtones pris en chargeFootnote 17. À cela peut s’ajouter un contrôle sur l’utilisation, la reproduction ou encore la représentation de symboles et de pratiques culturelles, incluant potentiellement ceux et celles à caractère religieuxFootnote 18, ou une compétence législative touchant la célébration des rites et cérémonies de mariage et la définition des règles relatives aux personnes pouvant agir comme célébrantsFootnote 19. Dans ce dernier cas toutefois, ces dispositions ne dispensent pas les futurs époux qui souhaitent se marier en vertu des lois de leur nation de posséder un permis de mariage valideFootnote 20.
L’importance du lien culturel et spirituel que les Autochtones entretiennent avec le territoire est également reconnue par les gouvernements. Plusieurs ententes politiques y font explicitement référence, allant jusqu’à reconnaître que l’attachement culturel à la terre doit être pris en compte dans l’évaluation des compensations aux nations affectées par des activités de développement ou des mesures d’expropriation sur des terres où elles possèdent des droits ou des intérêtsFootnote 21. Parallèlement, la Loi sur la gestion des terres des Premières Nations prévoit qu’une bande indienne peut se doter d’un code foncier et adopter des dispositions législatives concernant, entre autres, « la mise en valeur, la conservation, la protection, la gestion, l’utilisation et la possession [des terres] »Footnote 22, alors que des nations signataires d’ententes peuvent exercer un contrôle en vue de gérer, protéger et préserver des sites patrimoniaux ou des lieux qui présentent une valeur spirituelle ou religieuse sur les terres conventionnéesFootnote 23. Le gouvernement fédéral s’est aussi arrogé le pouvoir de suspendre des activités de développement économique liées aux hydrocarbures sur les terres d’une Première Nation qui porteraient atteinte à des sites de valeur spirituelle ou cérémonielleFootnote 24.
Toutefois, lorsqu’il s’agit de lieux et de ressources à caractère religieux situés sur des terres publiques ou privées, l’accès à ce patrimoine ainsi que sa protection présentent des défis importants pour les Autochtones qui, dès lors, demeurent essentiellement tributaires de la volonté des autorités politiques et des intérêts privés. Certes, de rares dispositions dans les ententes permettent à des nations autochtones d’utiliser les eaux ou des ressources animales et forestières sur des terres publiques à des fins spirituelles, ou d’adapter la réglementation existante afin de concilier la protection de la faune et les activités dites traditionnelles, y compris à des fins rituelles. Mais cela est fait en prenant soin de préciser les modalités d’accès et de récolte en fonction des règles déjà en vigueur et des objectifs de conservation, ou en proscrivant l’exploitation des ressources à des fins commercialesFootnote 25. Des lois relatives au patrimoine et aux parcs provinciaux ainsi que des ententes spécifiques prévoient aussi que des territoires ou des sites d’importance culturelle et spirituelle pour les Autochtones peuvent faire l’objet de mesures de protection et de préservation à l’extérieur des territoires conventionnésFootnote 26. Or, tant les mesures à adopter que l’identification des sites ou du patrimoine autochtone digne de protection peuvent relever ultimement d’autorités non autochtones ou de comités décisionnels mixtes, avec ou sans processus de consultation ou de participation prévus, tandis que, dans certains cas, des limites de superficie protégeables sont préétabliesFootnote 27. Autrement, le cadre légal susceptible de protéger les intérêts d’ordre religieux hors des juridictions autochtones se limite à certaines dispositions qui obligent à consulter ou à mener des études d’impact lorsque des projets de développement risquent de porter atteinte aux intérêts autochtones, ou à aviser les nations concernées en cas de découvertes archéologiques fortuitesFootnote 28.
À l’instar du lien au territoire, l’État canadien a reconnu qu’une nation autochtone peut entretenir une relation spirituelle avec son patrimoine mobilierFootnote 29, qu’il s’agisse de formes de représentations, de restes humains ou d’objets cérémoniels ou provenant de sépultures. Par l’entremise d’ententes, certaines nations jouissent d’un droit de propriété ou de contrôle, total ou partagé, sur de tels biens présents ou découverts en territoire réglementé ou traditionnel, et peuvent en disposer tout autant à des fins de protection et de préservation que de mise en valeurFootnote 30. Quelques lois ordinaires et ententes politiques reconnaissent un droit de propriété ou prévoient la remise de ce type d’objets ou de restes humains aux communautés concernées, l’obligation d’informer celles-ci lors de découvertes et de les consulter lorsque l’utilisation du territoire ou des projets de lois ou de recherche sont susceptibles de porter atteinte à de telles composantes patrimoniales, ou encore des modalités visant à protéger le patrimoine matériel, archéologique, funéraire ou autre, et l’accès et la recherche en certains endroitsFootnote 31. Sinon, en l’absence d’une loi de portée générale sur la protection et la gestion du patrimoine mobilier culturel ou religieux autochtone, le cadre normatif en cette matière demeure très limitéFootnote 32, et les biens patrimoniaux et les restes humains situés hors des juridictions autochtones ou des cimetières reconnus appartiennent en général à l’État ou à des propriétaires privés qui, en principe, peuvent en disposer à leur guise.
Le Canada ne dispose pas non plus d’une loi de portée générale sur le rapatriement d’objets patrimoniaux dans les collectivités autochtones. Si quelques provinces ont adopté des dispositions légales dans ce domaine, la décision de retourner ou non des objets demeure la prérogative des autorités politiquesFootnote 33. Des ententes prévoient néanmoins que des nations autochtones peuvent être informées si des objets patrimoniaux qui les concernent se trouvent dans certaines collections muséales, qu’elles sont en mesure de demander et de conclure des ententes pour en obtenir le retourFootnote 34, ou qu’elles en obtiennent effectivement le retour, dans certains cas sous réserve de conditions spécifiques liées au risque, à l’accessibilité ou à l’utilité des biensFootnote 35, ce qui pourrait potentiellement représenter des obstacles pour l’exercice des droits religieux. Tout comme d’autres dispositions prévoient que le gouvernement fédéral et certains musées peuvent ou doivent aider les communautés qui le souhaitent à localiser des artéfacts et des restes humains dans des collections publiques au pays, ou faciliter le retour ou l’accès à des ressources patrimoniales, objets ou restes humains qui se trouvent à l’extérieur des juridictions autochtones, à condition cependant que cela soit compatible avec le maintien de l’intégrité des collections nationales ou territorialesFootnote 36. Certes, les institutions muséales relevant ou non de l’État sont désormais sensibles et disposées à faciliter l’accès aux collections et le rapatriement de tels objets d’importance sur les plans culturel et religieuxFootnote 37, mais rien n’est acquis d’office pour les nations autochtones, car il s’agit d’un contexte de négociation, au cas par cas, et les institutions demeurent contraintes par leur mission et le cadre normatif qui régit leur fonctionnement.
En matière d’éducation, l’importance de la dimension spirituelle pour les Autochtones est également reconnue par l’État canadien. Dans le préambule de la récente entente sur l’éducation conclue avec la Nation Anishinabek, le gouvernement fédéral convient qu’une plus grande autonomie en matière d’éducation est justifiée par un « devoir sacré » qui engage les collectivités concernées « à assurer le bien-être de leur peuple jusqu’à la septième (7e) génération »Footnote 38. De même, des ententes prévoient que les nations concernées peuvent intégrer la dimension spirituelle dans le cursus scolaire ou, plus largement, élaborer des contenus de formation susceptibles de préserver la culture traditionnelle. À cette fin, certaines disposent du pouvoir d’accréditer des enseignants sur la base de critères linguistiques, culturels ou spirituelsFootnote 39. Mais il peut aussi être stipulé qu’il faut assurer une compatibilité entre les contenus locaux et les programmes éducatifs nationaux, en faisant en sorte, par exemple, « que le contenu des cours, les examens et les autres normes permettent le transfert d’étudiants d’un système scolaire à un autre et l’admission dans les institutions postsecondaires »Footnote 40. Que ces dispositions soient jugées dans l’intérêt des élèves autochtones ou non, la portée des droits reconnus demeure balisée par une nécessité d’ajustement aux exigences qu’impose la poursuite d’études postsecondaires dans les institutions d’enseignement très majoritairement non autochtones. Enfin, quelques lois ordinaires contiennent des dispositions qui garantissent explicitement aux parents et aux élèves autochtones des droits similaires aux autres citoyens en matière, par exemple, de dissidence religieuse ou d’absentéisme pour des motifs culturelsFootnote 41.
Sur le plan de la médecine traditionnelle, des nations autochtones disposent de droits reconnus en territoire conventionné pour offrir des services et édicter des lois ou des règlements en ce domaine, y compris en matière d’accréditation de praticiens ou de guérisseursFootnote 42. La loi provinciale de Colombie-Britannique autorise également des personnes autochtones à agir comme sages-femmes dans le respect des pratiques culturelles et spirituelles traditionnellesFootnote 43. Néanmoins, il peut être précisé qu’une telle juridiction « ne comprend pas la compétence de réglementer les produits ou substances réglementés par les lois provinciales d’application générale ou par les lois fédérales », ou encore qu’elle « ne touche pas la réglementation des professionnels de la santé ou de la médecine qui oblige ces derniers à détenir une licence ou une accréditation en vertu des lois provinciales d’application générale »Footnote 44. Ceci tend à situer le recours à la médecine traditionnelle, incluant sa dimension religieuse, dans un cadre circonscrit et ne devant pas porter préjudice au domaine de la médecine professionnelle. Parallèlement, des ententes politiques attribuent un droit de récolter des plantes à des fins médicinales sur les territoires réglementés, voire sur des terres publiques, mais sous réserve de respecter les normes de conservation en vigueur édictées par les gouvernements, ou sous prohibition de cueillette à des fins commercialesFootnote 45.
Dans le domaine de la justice, les services correctionnels sont tenus de répondre, sous réserve de limites raisonnables, aux besoins spirituels de l’ensemble des détenus, y compris ceux des personnes autochtones. Pour ces derniers, cela peut inclure plus spécifiquement « les services d’un chef spirituel ou d’un aîné autochtones », alors qu’il est entendu « que la spiritualité autochtone et les chefs spirituels ou aînés autochtones sont respectivement traités à égalité de statut avec toute autre religion et tout autre chef religieux », et que le Service correctionnel peut demander « conseil à un chef spirituel ou un aîné autochtone dans la prestation de services correctionnels à un détenu autochtone, en particulier pour les questions de santé mentale et de comportement »Footnote 46. Des nations autochtones ont aussi obtenu par voie d’ententes la capacité d’offrir ou de recevoir des services en matière de justice et ainsi de déterminer, dans le respect de leurs valeurs culturelles et spirituelles, les sanctions, les services de probation, les libérations conditionnelles, la réadaptation ou encore l’assistance postpénale pour les personnes condamnéesFootnote 47. Les collectivités autochtones peuvent aussi contribuer à mettre en œuvre des programmes adaptés dans les établissements correctionnels, de même qu’à l’intention de délinquants redirigés dans des établissements qu’elles supervisent (pavillons de ressourcement, centres de guérison autochtones), et dans lesquels les dimensions culturelles et spirituelles peuvent être intégréesFootnote 48. Néanmoins, il demeure que ces prérogatives sont en général conditionnelles au consentement des personnes condamnées et doivent s’apparenter aux autres dispositions légales en vigueur au CanadaFootnote 49.
Finalement, en matière de conditions de travail, une réglementation ténue touchant des projets de développement économique spécifiques exige de respecter les croyances, coutumes et valeurs des peuples autochtones, et de maintenir et aménager des espaces pour les besoins spirituels des travailleurs autochtonesFootnote 50. Des exemptions sont parfois prévues à l’intention de personnes autochtones relativement à l’interdiction de fumer sur les lieux de travail, si cela est à des fins de pratiques culturelles ou spirituelles et avec l’accord des autorités concernéesFootnote 51.
Ce qui précède ne vise pas à minimiser les avancées en matière de reconnaissance et de protection des droits religieux autochtones au Canada, mais d’illustrer que ces droits demeurent émiettés et étroitement circonscrits. La soixantaine de traités et d’ententes modernes sur l’autonomie gouvernementale ou sectorielle ne concerne qu’une cinquantaine de nations autochtones au pays, sur plus de six cents existantes, tandis que plusieurs des lois fédérales, provinciales et territoriales évoquées précédemment n’ont qu’une portée régionale. De plus, la majorité des nations qui bénéficient du régime de droits religieux brossé ici sont établies en régions éloignées des grands centres de peuplement (Yukon, Territoires du Nord-Ouest, Nunavut, Nord de la Colombie-Britannique et du Québec-Labrador principalement), là où ces droits risquent peu de nuire aux intérêts de la population non autochtone, du moins à brève échéance. Plus globalement enfin, ces droits spécifiques demeurent plus ou moins assujettis aux cadres normatifs fédéraux, provinciaux et territoriaux préexistants, de telle sorte que l’autonomie des nations bénéficiaires en matière de configuration et de mise en œuvre de leur cadre de vie religieux demeure balisée, dans une large mesure, par une normativité exogène alignée sur les valeurs et les intérêts de la majorité.
Les droits constitutionnels
Les Autochtones du Canada bénéficient, comme tous les autres citoyens, d’une liberté de conscience et de religion constitutionnellement protégée par la Charte canadienne des droits et libertés (art. 2a). L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 garantit également leurs droits ancestraux et issus de traités, lesquels peuvent inclure des droits de nature religieuse. Les droits ancestraux concernent soit des activités ou des pratiques qui faisaient partie intégrante du mode de vie particulier d’une collectivité autochtone avant le contact avec les colonisateurs européens, soit un droit au territoire (titre aborigène) incluant un droit d’utilisation à diverses fins, y compris pour des activités de nature religieuse. Ces droits ne sont pas absolus et doivent être prouvés sur la base de critères jurisprudentiels établis par la Cour suprêmeFootnote 52. À plusieurs reprises, les Autochtones ont évoqué et défendu ces droits constitutionnels pour des motifs religieux, que ce soit dans le cadre de demandes d’injonctions interlocutoires pour empêcher ou faire cesser des activités de développement économique préjudiciables à des sites d’importance, soit pour contester des lois ou des règlements entravant la libre expression de croyances et de pratiquesFootnote 53. Or, jusqu’ici, les succès obtenus devant les tribunaux ont été pour le moins mitigés, en dépit d’une jurisprudence plus sensible à l’égard des particularismes culturels autochtones.
Ainsi, lorsque l’article 35 a été évoqué pour défendre le recours à des pratiques à caractère religieux, les tribunaux ont eu tendance à subordonner les droits ancestraux à d’autres droits. Quand David Thomas, un membre de la Première Nation Lyackson, en Colombie-Britannique, a été enlevé, séquestré et forcé par des membres de la Somenos Long House à se soumettre à une cérémonie d’initiation qui comprenait des mutilations, ces derniers ont été poursuivis en matière criminelle. Parmi les arguments avancés par la défense, on comptait l’évocation d’un droit ancestral de pratiquer le rituel en question. Or, dans sa décision où il reconnaissait les accusés coupables, le juge Hooden de la Cour suprême de Colombie-Britannique a non seulement souligné que le fait qu’il s’agissait d’une pratique ancestrale en vertu des critères jurisprudentiels n’avait pas été démontré, mais qu’en cas contraire, il n’aurait pas considéré pour autant cet élément de preuve. Selon lui :
[Civil rights] protect citizens from the wrongful conduct of others, including those who engage in such conduct while purporting to be exercising their religious practices or other freedoms or rights. In my opinion, conduct amounting to civil wrongs (rights from the point of view of the person wronged) should stand on the same footing as criminal conduct. If such conduct cannot be separated from the spirit dancing, and thus is an integral part of it, then in my opinion spirit dancing is not an aboriginal right recognized or protected by the law. Footnote 54
While the plaintiff may have special rights and status in Canada as an Indian, the “original” rights and freedoms he enjoys can be no less than those enjoyed by fellow citizens, Indian and non-Indian alike. He lives in a free society and his rights are inviolable. He is free to believe in, and to practice, any religion or tradition, if he chooses to do so. He cannot be coerced or forced to participate in one by any group purporting to exercise their collective rights in doing so. His freedoms and rights are not “subject to the collective rights of the aboriginal nation to which he belongs.” Footnote 55
Peu importe l’appréciation que l’on réserve à la décision du juge, ce qu’il convient avant tout de retenir ici est que des croyances et des pratiques à caractère religieux, et considérées en tant que droits ancestraux par des Autochtones, sont susceptibles d’être reconnues à ce titre par les tribunaux dans la mesure où elles s’avèrent compatibles avec un cadre normatif et ses valeurs à la base exogènes aux collectivités autochtones. Sans ignorer, bien sûr, que des personnes autochtones puissent adhérer et se référer à ces mêmes valeursFootnote 56.
Plus récemment, la décision Hamilton Health Sciences Corp. v. D.H. a fait écho à cette réalité. Celle-ci concernait le cas d’une mère autochtone ayant mis fin au traitement de chimiothérapie de sa fille leucémique de onze ans pour s’en remettre à la médecine traditionnelle, dans le sillon d’une adhésion à la tradition LonghouseFootnote 57. Le conseil de bande, appelé comme intervenant dans la cause, évoquait alors un droit ancestral en ce sens, en réponse aux démarches d’un établissement hospitalier qui demandait au tribunal de forcer la reprise des traitements. Au terme des audiences, le juge a considéré que la preuve permettait d’établir l’existence d’un droit ancestral et statué en faveur de la mère, en plus de souligner dans sa décision que « such [an aboriginal] right cannot be qualified as a right only if it is proven to work by employing the western medical paradigm. To do so would be to leave open the opportunity to perpetually erode aboriginal rights »Footnote 58. Toutefois, le juge a par la suite accepté d’amender son jugement, dans le sillon d’une entente intervenue entre les parties quant à un recours conjoint à la chimiothérapie et à la médecine traditionnelle, pour préciser que le droit ancestral en question ne constituait qu’un élément parmi d’autres dans l’analyse d’une telle situation et que l’intérêt primordial de l’enfant devait ultimement prévaloir :
But, implicit in this decision is that recognition and implementation of the right to use traditional medicines must remain consistent with the principle that the best interests of the child remain paramount. The aboriginal right to use traditional medicine must be respected, and must be considered, among other factors, in any analysis of the best interests of the child, and whether the child is in need of protection. Taking into account the aboriginal right, and the constitutional objective of reconciliation and considering carefully the facts of this case, I concluded that this child was not in need of protection. Footnote 59
Cet amendement laisse ainsi ouverte la possibilité qu’une partie non autochtone soit en mesure d’imposer sa propre appréciation du bien de l’enfant, ne serait-ce qu’en conformité avec les lois étatiques et les conventions internationales, et qu’ainsi le meilleur intérêt d’un enfant autochtone soit déterminé en fonction de valeurs et de critères différents de ceux culturellement et religieusement privilégiés par sa communauté d’appartenance. À nouveau, l’objectif ici n’est pas de critiquer le point de vue de la cour ou de promouvoir des droits absolus pour les Autochtones, mais d’attirer l’attention sur le fait que la reconnaissance de droits ancestraux à caractère religieux semble jusqu’ici devoir passer, en premier lieu, un test de compatibilité avec les valeurs normatives de la majorité. Comme une façon d’éviter l’implantation d’un régime de droit autochtone véritablement distinctFootnote 60.
Des obstacles se dressent aussi lorsqu’il s’agit, pour les Autochtones, de recourir à la garantie constitutionnelle de leur liberté de conscience et de religion. Les quelques jugements rendus en cette matière tendent à montrer, d’une part, que la dimension religieuse évoquée en preuve ne correspond pas forcément, dans son format ethnographique, aux canons du discours jurisprudentiel qui tend à attribuer à la religion un caractère individualisé, volontaire et privéFootnote 61. D’autre part, tout en privilégiant une distinction entre les croyances et pratiques qui relèvent du domaine religieux et celles qui relèvent du domaine séculier, les magistrats tendent à séparer le droit fondamental à la liberté de religion de ses formes potentielles d’expression. Ainsi, dans Jack et Charlie c. La Reine où des Salish se voyaient accusés d’avoir chassé illégalement le cerf en vue de tenir un rituel consistant à brûler de la viande crue au bénéfice d’un ancêtre, la Cour suprême a distingué l’acte séculier de chasser illégal en vertu de la loi provinciale, et la tenue du rituel elle-même exempte de contraintes, pour conclure que la liberté de religion et la religion des Autochtones elle-même n’étaient pas entravées par la loiFootnote 62. En guise d’analogie, les juges soulignaient qu’« Aucun ecclésiastique ne pourrait opposer une défense fondée sur la liberté de religion à une inculpation d’obtention illégale de vin, après la fermeture des points de vente d’alcool, simplement parce que le vin était destiné à servir au sacrement de la Sainte Communion. »Footnote 63 Or, une telle perspective a pour effet d’ignorer non seulement la dimension holiste du rituel qui relie intrinsèquement l’acte de chasse et l’acte cérémoniel, mais le contexte culturel plus large dans lequel s’inscrit cette pratique : « What the court in Jack and Charlie failed to appreciate is that the sui generis content of Aboriginal rights encompasses more than the specific practice itself. The killing of the deer has consequence beyond its “fact” as an isolated Aboriginal practice; it has significance as a Salish legal exigency, and as an event related to the cultural survival of the group ».Footnote 64
Notons que cette décision portait sur une infraction commise quelques années avant l’enchâssement de la Charte des droits et libertés dans la loi constitutionnelle, à une époque où les tribunaux tendaient encore à considérer que la liberté de religion devait être exercée en conformité avec les lois d’application généraleFootnote 65. Or, à la lumière de la récente décision Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique, il est permis de douter qu’une perspective différente aurait prévalu s’il s’était agi d’une cause post-charte.
Dans la cause Ktunaxa, où une Première Nation souhaitait freiner un projet de développement récréatif susceptible de chasser l’esprit de l’Ours Grizzly résidant sur la montagne concernée, la Cour suprême a statué que, contrairement aux prétentions des demandeurs, leur liberté de religion n’était pas brimée puisque le projet de développement ne nuisait pas à leur capacité d’avoir et de manifester leur croyance religieuse. Les juges majoritaires étaient d’avis que :
Les Ktunaxa [devaient] démontrer que la décision du Ministre d’approuver l’aménagement porte atteinte soit à leur liberté de croire en l’Esprit de l’Ours Grizzly, soit à leur liberté de manifester cette croyance. Or, la décision ne porte atteinte à aucune de ces libertés. La présente affaire ne porte ni sur la liberté d’avoir une croyance religieuse ni sur celle de manifester cette croyance, mais plutôt sur l’allégation que l’al. 2a) de la Charte assure la présence de l’Esprit de l’Ours Grizzly dans le Qat’muk. Par cette allégation inédite, on invite la Cour à étendre l’al. 2a) au-delà de ce que reconnaît le droit canadien.
Nous sommes d’avis de décliner cette invitation. L’obligation imposée à l’État par l’al. 2a) ne consiste pas à protéger l’objet des croyances, comme l’Esprit de l’Ours Grizzly. Il incombe plutôt à l’État de protéger la liberté de toute personne d’avoir pareilles croyances et de les manifester par le culte et la pratique ou par l’enseignement et la propagation. Bref, la Charte protège la liberté de culte, mais non le point de mire spirituel du culte. […] en l’espèce, les appelants ne réclament pas la protection de la liberté de croire en l’Esprit de l’Ours Grizzly ou de s’adonner à des pratiques connexes. Ils sollicitent plutôt la protection de l’Esprit de l’Ours Grizzly lui-même et du sens spirituel subjectif qu’ils en dégagent. Cette revendication déborde le cadre de l’al. 2a).Footnote 66
Une décennie avant ce jugement, la Cour suprême de Colombie-Britannique avait statué, d’une façon similaire, que le concept sacré de responsabilité (stewardship) à l’égard d’un lieu de culte autochtone – d’autant qu’il n’était pas fréquenté physiquement – ne pouvait faire l’objet d’une protection en vertu de l’article 2a de la charteFootnote 67. Dissident dans la décision Ktunaxa, le juge Moldaver a souligné dans quelle mesure ce type de perspective ignore certains particularismes fondamentaux des systèmes de croyances autochtones :
Le lien au monde concret, particulièrement à la terre, est un élément primordial des religions autochtones. […] Dans de nombreuses religions autochtones, la terre est non seulement le lieu où s’exercent des pratiques spirituelles au même titre que peut l’être une église, une mosquée ou un lieu saint; la terre peut elle-même être sacrée, en ce sens que c’est là que l’être divin se manifeste. Du point de vue des religions autochtones, une mesure étatique qui touche la terre peut donc rompre le lien avec l’être divin, ce qui priverait les croyances et pratiques de leur signification spirituelle. La mesure étatique qui a cet effet sur une religion autochtone nuit à la capacité d’un croyant de se conformer à ses croyances et pratiques religieuses.Footnote 68
De même, lorsque s’ajoute à ces limites en matière d’appréciation des différences culturelles autochtones la prédominance du paradigme de mise en balance raisonnable des inconvénients qui oriente les tribunaux dans leurs prises de décision, l’on comprend que les particularismes des systèmes de croyances et de pratiques religieuses des peuples autochtones peinent encore à constituer une assise déterminante pour la reconnaissance de droits spécifiques.
Conclusion
Dans son récent rapport d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec, le commissaire Viens constatait que : « …la reconnaissance accordée aux peuples autochtones n’a que difficilement dépassé le stade symbolique. Elle passe le plus souvent – encore aujourd’hui – par des actions morcelées et variables selon les époques, les partis au pouvoir, le statut des nations (conventionnées ou non), voire l’actualité et le niveau de sensibilité de l’opinion publique aux questions autochtones ».Footnote 69
Le traitement que l’État canadien réserve aux droits religieux de ces peuples s’inscrit dans cette mouvance. Si les religions autochtones souvent qualifiées de « traditionnelles » sont désormais largement considérées, voire valorisées, au Canada en tant que systèmes de croyances et de pratiques tout aussi respectables que les autres grandes traditions religieuses, la reconnaissance que leur attribue l’État n’en demeure pas moins ancrée dans une posture coloniale. Certes, sur le plan symbolique, les gouvernements sont désormais disposés à promouvoir ces religions, jusqu’à prendre des libertés envers les principes constitutifs du régime de laïcité. Cependant, lorsque cette reconnaissance doit revêtir une forme légale, ou lorsqu’elle pourrait être chargée d’une portée jurisprudentielle, un souci de circonscrire les droits religieux autochtones en les subordonnant aux dispositions et aux valeurs du droit commun établi par la majorité tend à s’imposer. De même, dans une perspective d’autodétermination, le contrôle exercé par les collectivités autochtones sur leur sphère religieuse présente encore des limites significatives, d’autant que l’on demeure, pour l’essentiel, dans une dynamique de délégation de pouvoirs ou de privilèges, et non d’intégration des normativités, valeurs et visions du monde autochtones dans le cadre normatif canadien. Néanmoins, les propos des juges dissidents dans Ktunaxa, tout comme la perspective adoptée par la juge Hennessy dans la récente décision Restoule laissent croire qu’un retournement de tendance sur ce plan n’est peut-être pas si loinFootnote 70.