No CrossRef data available.
Published online by Cambridge University Press: 24 April 2017
This article suggests a reconceptualization of the way in which social and legal sciences traditionally represented the relation between the judicial system and public opinion. Our analysis is based on Niklas Luhmann’s systems theory and on empirical examples taken from case laws and qualitative interviews demonstrating the heuristic potential of the polycontexturalisation of public opinion. In social and legal sciences, research has mainly focused on the public’s opinion of the judicial system. But the notion of polycontexturality here suggests a new approach which consists of analyzing the structures involved in the selection and judicial shaping of legally relevant public opinions. The goal then is no longer to understand what public opinion thinks of the judiciary but rather to understand what the judiciary believes public opinion thinks of it.
Cet article propose de re-conceptualiser la manière dont les sciences sociales et juridiques se sont traditionnellement représenté le rapport du système judiciaire à l’opinion publique. Nos développements s’appuient sur la théorie des systèmes de Niklas Luhmann de même que sur des exemples empiriques tirés de la jurisprudence et d’entretiens qualitatifs permettant de mettre en évidence le potentiel heuristique d’une polycontexturalisation de l’opinion publique. En sciences sociales et juridiques, si les recherches se sont surtout intéressées au point de vue de l’opinion publique sur la justice du judiciaire, la notion de polycontexturalité nous amène, quant à elle, à déplacer l’angle d’observation et à privilégier l’analyse des structures impliquées dans la sélection et la mise en forme judiciaire des opinions publiques privilégiées. L’objectif n’est alors plus celui de comprendre comment l’opinion publique pense le judiciaire, mais plutôt de comprendre à cet égard comment le judiciaire pense que l’opinion publique pense.
1 Voir notamment Roberts, Julian V. et Doob, Anthony N., « Sentencing and Public Opinion: Taking False Shadows for True Substances », Osgoode Hall Law Journal 27 (1989): 491–515 Google Scholar et Roberts, Julian V. et Grossman, Michelle G., « Crime Prevention and Public Opinion », Canadian Journal of Criminology 32 (1990): 75–90.Google Scholar
2 Voir entre autres Skogan, Wesley G., « The police and public opinion in Britain », American Behavioral Scientist 39, no 4 (1996): 423–434;CrossRefGoogle Scholar Jonathan Allen, Suzanne Edmonds, Alison Patterson et Dominic Smith, Policing and the Criminal Justice System – Public Confidence and Perceptions: Findings from the 2004/2005 British Crime Survey, (Home Office Online Report 07/06, London: Home Office, 2006).
3 À titre d’exemples, voir Roberts, Julian V., « Early release from prison: What do the Canadian public really think? », Canadian Journal of Criminology 30 (1988): 231–249;Google Scholar Francis T. Cullen, Bonnie S. Fisher et Brandon K. Applegate, « Public opinion about punishment and corrections », dans Crime and Justice, a review of research, ed. Michael Tonry (Chicago: The University of Chicago Press, 2000), 1-87; Julian V. Roberts, Anthony Doob et Voula Marinos, « Judicial attitudes to conditional terms of imprisonment: results of a national survey » (Toronto: Report to the Department of Justice Canada, 1999) et Julian V. Roberts et Mike J. Hough, « Public opinion, sentencing and parole: international trends », dans Psychology in the Courts, ed. Ronald Roesch, Raymond R. Corrado et Rebecca Jane Dempster (London et New York: Routledge, 2001).
4 Voir entre autres Natalie Reynolds, Leam A. Craig et Douglas P. Boer, « Public attitudes towards offending, offenders and reintegration », dans Public Opinion and Criminal Justice, ed. Jane Wood et Theresa A. Gannon (Cullompton: Willian, 2009): 166-186; Harold G. Grasmick et Anne L. McGill, « Religion, attribution style, and punitiveness towards juvenile offenders », Criminology 32, no 1 (1994): 23-46; Sarah J. Brown, « Attitudes towards sexual offenders and their rehabilitation: a special case? », dans Public Opinion and Criminal Justice, 187-213.
5 Voir Roberts, Julian V., Crutcher, Nicole et Verbrugge, Paul, « Public attitudes to sentencing in Canada: exploring recent findings », Canadian Journal of Criminology and Criminal Justice 49 (2007): 75–107;CrossRefGoogle Scholar Natalie Reynolds, Leam A. Craig et Douglas P. Boer, « Public attitudes towards offending, offenders and reintegration », dans Public Opinion and Criminal Justice, ed. Jane Wood, et Theresa A. Gannon (Cullompton: Willian, 2009), 166-186; Sandra Evans Skovron, Joseph E. Scott et Francis T. Cullen, « The death penalty for juveniles: An assessment of public support », Crime and Delinquency 35, no 4 (1989): 546-561; Preston Elrod et Michael Brown, Predicting Public Support for Electronic House Arrest: Results from a New York Country Survey (Charlotte: University of North Carolina, 1995).
6 Julian V. Roberts et Anthony N. Doob, « Sentencing and public opinion: Taking false shadows for true substances », op. cit., p. 493.
7 John Tomaino, « Guess who’s coming to dinner? A preliminary model for the satisfaction of public opinion as a legitimate aim in sentencing », Crime, Law and Social Change 27 (1997): 109-119, notamment p. 109.
8 José Roberto Xavier, La Réception de l’opinion publique par le système de droit criminel, Thèse de doctorat, (Ottawa: Université d’Ottawa, 2012).
9 Il est important de noter que bien que nous nous inspirions de Luhmann et de l’épistémologie de la polycontexturalité pour développer la notion d’opinion publique, nous n’avons pas retenu pour les fins de cet article la manière dont Luhmann aborde la notion d’opinion publique, notion plus strictement associée, chez lui, au système politique. Voir Niklas Luhmann, « L’opinion publique », Politix 14, no 55 (2001): 25-59, à la page 34.
10 TPS : taxe sur les produits et services; TVQ : taxe de vente du Québec.
11 Niklas Luhmann, Theories of Distinction: Redescribing the Descriptions of Modernity (Stanford: Stanford University Press, 2002), 52.
12 Niklas Luhmann, « Closure and Openness: on the Reality in the World of Law », dans Autopoietic Law: a New Approach to Law and Society, dir. Gunther Teubner (New York: De Gruyter, 1988), 335-348, à la page 337.
13 Dans la théorie des systèmes de Niklas Luhmann, les systèmes autopoïétiques correspondent à des systèmes qui constituent les éléments dont ils sont constitués à partir des éléments dont ils sont constitués, de manière autoréférentielle et dans l’exercice de leur pleine autonomie. Luhmann parle « d’un système clos, qui produit ses propres opérations, ses propres structures, ses propres frontières par ses propres opérations, n’acceptant aucune détermination et, bien sûr, aucune délimitation externe quelle qu’elle soit » (Niklas Luhmann, « Clôture et couplage », dans Niklas Luhmann observateur du droit, dir. André-Jean Arnaud et Pierre Guibentif (Paris : Librairie Générale de droit et de jurisprudence, 1993), 73-95, à la page 80.
14 Dans la théorie des systèmes, le concept d’irritation « refers to the form with which a system is able to generate resonance to events in the environment » (Niklas Luhmann, The Reality of the Mass Media (Stanford: Stanford University Press, 2000), notamment p. 22).
15 Ibid., p. 23.
16 Précisons avec Luhmann que, chez Gregory Bateson, le concept d’information « meets these demands: according to it, information is ‘any difference which makes a difference in so later event’ » (Ibid., p. 18).
17 Bien sûr, comme le souligne à juste titre Luhmann, « l’environnement peut éventuellement détruire le système, mais il ne peut pas contribuer à ses opérations ou à ses structures » (Niklas Luhmann, « Clôture et couplage », dans Niklas Luhmann observateur du droit, dir. André-Jean Arnaud et Pierre Guibentif, op. cit. p. 79).
18 Sous-entendu ici « l’équité et rien d’autre », mais sous-entendu aussi, « l’équité au sens où l’entend le système », et non au sens que pourrait prendre le médium « équité » dans d’autres systèmes ou d’autres organisations.
19 Niklas Luhmann, Theories of Distinction, op. cit., p. 50.
20 Ibid., p. 50.
21 Luhmann, The Reality of the Mass Media, op. cit., p. 19.
22 Voir Luhmann, Theories of Distinction, op. cit., p. 12, notre souligné.
23 Ibid., p. 7.
24 Niklas Luhmann, « The paradox of decision making », dans Niklas Luhmann and Organization Studies, dir. David Seidl et Kai Helge Becker (Copenhagen: Copenhagen Business School Press, 2005), 85-106, à la page 93.
25 David Seidl, « The basic concepts of Luhmann’s theory of social systems », dans Niklas Luhmann and Organization Studies, op. cit. 42-43.
26 Comme le souligne Amado, dans cette théorie, la complexité correspond en effet à « l’ensemble des événements possibles » (Juan Antonio Garcia Amado, « La société et le droit chez Luhmann », dans Niklas Luhmann observateur du droit, op. cit., p. 103).
27 Niklas Luhmann, Systèmes sociaux. Esquisse d’une théorie générale (Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2010), 63.
28 Luhmann, The Reality of the Mass Media, op. cit., p. 18.
29 Ibid, p. 17-18.
30 Pierre Noreau, « L’innovation sociale et le droit. Est-ce bien compatible? », dans Le développement social au rythme de l’innovation: actes de colloque, dir. Benoît Sevigny (Montréal: Presses de l’Université du Québec, 2004), 73-108, à la page 88. À propos de la cohérence interne du droit, Noreau, dans ce chapitre, précise que « même si cet objectif n’est jamais parfaitement atteint, il faut reconnaître aux légistes et aux juristes la difficile ambition d’assurer cette cohérence du droit » (Ibid, p. 89).
31 Ibid., p. 89.
32 Alvaro Pires, « La rationalité pénale moderne, la société du risque et la juridicisation de l’opinion publique », Sociologie et Sociétés 33, no 1 (2001), 179-204.
33 Voir à cet égard Richard Dubé, Margarida Garcia et Maira Rocha Machado, La rationalité pénale moderne : réflexions théoriques et explorations empiriques (Ottawa : Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2013).
34 Jacques Frémont, « Pouvoir judiciaire et opinion publique : réflexions autour d’un malaise », dans Citizenship/Citoyenneté (Paris : Éditions Thémis, 2001), 249-261, à la page 253.
35 Ibid., à la page 254.
36 Ibid., à la page 254.
37 Alvaro Pires, « La rationalité pénale moderne, la société du risque et la juridicisation de l’opinion publique », op. cit. à la page 181. Voir également José Roberto Xavier, La Réception de l’opinion publique par le système de droit criminel, op. cit., et Denis Salas et Lise Mingasson, « Une transformation de l’économie pénale. Le poids de l’opinion publique et des médias », Caisse nationale d’Allocations familiales. Informations sociales, 2005/7, 127 (2005): 12-20.
38 Ibid., p. 23.
39 Luhmann, « L’opinion publique », op. cit., p. 34.
40 José Roberto Xavier, La Réception de l’opinion publique par le système de droit criminel, op. cit., p. 30 et 31.
41 Notre but n’est cependant pas de trancher la question de savoir si une opinion publique en matière de peines peut néanmoins être considérée plus dominante qu’une autre. Là n’est pas la question, car même si l’on devait empiriquement constater le consensus, la problématique que nous développons ici—laquelle attire l’attention, rappelons-le, sur les mécanismes de sélection et de mise en forme du système-observateur—demeurerait tout à fait pertinente. À ce titre, et Luhmann le faisait d’ailleurs lui-même remarquer, « même lorsque l’opinion est unanime, elle peut avoir une signification différente selon les observateurs et entraîner des conséquences différentes selon les distinctions retenues pour son observation » (Luhmann, « L’opinion publique », op. cit., p. 34). La problématisation du système-observateur et de ses mécanismes de sélection continuerait, même dans ce cadre, de stimuler la recherche.
42 Ibid., p. 32 et 33.
43 Alvaro Pires, « La rationalité pénale moderne, la société du risque et la juridicisation de l’opinion publique », op. cit., p. 198.
44 Voir à cet égard Mike Hough, Ben Bradford, Jonathan Jackson et Julian R. Roberts, Attitudes to sentencing and trust in justice: exploring trends from the crime survey for England and Wales (London, UK: Ministry of Justice analytical series, Ministry of Justice, 2013); Olivier Lamalice, Opinions publiques, incarcération et système pénal aux États-Unis : les influences de la classe politique et des médias (Sainte-Foy: Ministère de la Sécurité public du Québec, 2006), à la page 9; Jacqueline M. Gray, « What shapes public opinion of the criminal justice system? », dans Public Opinion and Criminal Justice, 49-72; Francis T. Cullen, Bonnie S. Fisher et Brandon K. Applegate, « Public opinion about punishment and corrections », dans Crime and Justice, 1-87; Julian V. Roberts et Anthony N. Doob, « Sentencing and public opinion: Taking false shadows for true substances », op. cit.; Julian Roberts et Loretta J. Stalans, « Crime, Criminal Justice, and Public Opinion », dans The Handbook of Crime and Punishment, ed. Michael Tonry (Oxford: Oxford University Press, 1998), 31-57.
45 R. c. Deschênes, 2012, QCCQ 10546, par. 62.
46 Niklas Luhmann, La Légitimation par la procédure (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2001).
47 R. c. Curragh Inc., [1997] 1 RCS 537, 1997 CanLII 381 (CSC), http://canlii.ca/t/1fr2w.
48 R. c. Gervais, 1988, Québec, Cour Supérieure, 42CCC (3d) 352.
49 R. v. Beaulieu (A. J.), 1994, Court of Queen’s Bench of New Brunswick, 150 NBR (2d) 241.
50 R. v. Dedam, 1992, CanLII 2681 (NB QB), http://canlii.ca/t/1n0hm.
51 Luhmann, The Reality of the Mass Media, op. cit., p. 23.
52 William Ross Ashby, An Introduction to Cybernetics (London: Chapman & Hall, 1956).
53 Loïc Blondiaux, La fabrique de l’opinion. Une histoire sociale des sondages (Paris: Éditions du Seuil, 1998).
54 Pires, « La rationalité pénale moderne, la société du risque et la juridicisation de l’opinion publique », op. cit.
55 Alvaro Pires « Codifications et réformes pénales », Crime et sécurité. L’état des savoirs, dans dir. Laurent Mucchielli et Philippe Robert (Paris: Éditions la Découverte, 2002), 84-92.