Contrairement aux préjugés, qui considèrent que sexualité se conjugue nécessairement avec jeunesse, les personnes aînées ne sont pas asexuelles ou post-sexuellesFootnote 1. Elles veulent encore faire des rencontres amoureuses et vivre leur sexualité, quelle que soit leur orientation sexuelle, leur expression ou leur identité de genre. La génération des babyboomers a connu la libération sexuelle des années 1970, l’accès à la contraception efficace, les revendications féministes, ainsi que la dissociation de la sexualité et de la procréation. Avec leur arrivée dans des lieux d’hébergement, où elles seront prises en charge, ces personnes aînées demanderont que leurs modes de vie et leurs droits sexuels soient respectésFootnote 2.
Pourtant, des études ont démontré que ces droits ne sont pas toujours respectésFootnote 3. Les droits à la vie privée, à l’intimité, à la confidentialité des personnes aînées vivant en établissements privés ou publics (ailleurs que dans leur propre logement) sont très souvent ignorés, soit en raison du manque de formation ou de temps du personnel, de l’aménagement des lieux (des chambres et des salles de bain partagées), ou de préjugés âgistes et genrés du personnel, des autres résident.e.s et des familles. Les droits des personnes aînées membres de la communauté LGBT+ sont encore moins respectésFootnote 4.
Pour contrer ces atteintes aux droits fondamentaux, le législateur québécois, par sa Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité Footnote 5, impose plusieurs mesures de protection. Entre autres, cette loi propose une définition large de la maltraitanceFootnote 6. À la maltraitance physique, psychologique, financière et organisationnelle s’ajoute celle de nature sexuelle. Le Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées 2022-2027 Footnote 7 définit la maltraitance de nature sexuelle. Priver la personne aînée d’intimité, la traiter comme un être asexuel ou l’empêcher d’exprimer sa sexualité constituent des formes de maltraitance de nature sexuelle au sens de ce plan d’action, tout comme les propos ou attitudes suggestifs, les blagues de nature sexuelle, la promiscuité, les comportements exhibitionnistes et les agressions à caractère sexuel.
Si toute personne – peu importe son âge, son sexe, son orientation sexuelle, son expression ou identité de genre ou son milieu de vie – est titulaire de droits sexuels, reconnus dans de nombreux textes législatifsFootnote 8, la mise en œuvre de ces droits pose des défis, particulièrement pour les personnes aînées souffrant de problèmes neurocognitifs qui altèrent leur capacité de consentirFootnote 9 et vivant en établissement, parce que tous les aspects de leur vie sont pris en charge. Le droit criminel canadien interdit de façon très claire toute activité sexuelle entre une personne qui ne peut consentir et toute autre personne, que celle-ci puisse consentir ou non (art 273.1 (2) b) du Code criminelFootnote 10). Par ailleurs, soulignant l’importance du toucher pour les êtres humains et les bienfaits de l’activité sexuelle sur la santé des personnes aînéesFootnote 11, des chercheur.euse.s proposent que des activités sexuelles entre personnes aînées aient lieu si ces activités ne présentent pas de risques et que ces personnes semblent apaisées par la suite, même si elles ne sont peut‑être pas en mesure de comprendre toute la portée de leurs gestes et sont considérées comme incapables sur le plan juridiqueFootnote 12. Alors, comment peut-on appliquer le droit criminel canadien tout en respectant le droit à l’expression sexuelle des personnes âgées souffrant de problèmes neurocognitifs et les protéger?
À mon avis, même si les critères imposés par le Code criminel pour évaluer le consentement à l’activité sexuelle semblent trop sévères pour des personnes qui ont perdu leurs capacités cognitives en raison de la maladie, ce qui nie leur droit à l’expression sexuelle, la protection de leur grande vulnérabilité doit primer et leur sécurité doit être assurée. La position contraire, soit permettre l’expression sexuelle malgré l’absence d’une réelle aptitude à consentir, mène à envisager un double régime de protection juridique dans ce domaine : un régime très exigeant appliqué par les tribunaux criminels pour s’assurer du consentement libre, éclairé et continu de toute personne s’engageant dans des activités sexuelles, et un autre plus souple fondé sur les avantages des activités sexuelles, au bénéfice des personnes souffrant de maladies neurocognitives qui ne peuvent consentir et qui sont tout aussi vulnérables que les premières.
Après avoir présenté mon cadre théorique et la définition des termes employés, je propose une réflexion en deux temps. D’abord, j’analyse les dispositions du Code criminel en matière de consentement et d’agression sexuelle. Ensuite, je propose une analyse de ces exigences législatives et du contexte particulier qui nous intéresse.
Partie préliminaire : situer l’analyse
Ma réflexion adopte un cadre théorique féministe : elle s’appuie sur les outils et les concepts développés par les chercheuses féministes. Peu importe le courant de pensée féministeFootnote 13, les militantes et les chercheuses dénoncent la violence systémique envers les femmes de toutes les cultures, de toutes les époques et de tous les âges, tant dans la sphère privée que publique. Dans la société patriarcale hétérosexuelle, le corps des femmes est encore perçu comme un objet sexuel à la disposition des hommes. Ainsi, une réflexion portant sur la capacité à consentir à des activités sexuelles de personnes âgées atteintes de troubles neurocognitifs ne peut faire l’impasse sur la violence sexuelle que les femmes âgées subissent, et qui est peu rapportéeFootnote 14. Les femmes endurent la violence sexuelle à tous les âges et celle-ci ne s’arrête pas avec la vieillesse. Les agressions sexuelles envers les femmes âgées demeurent un tabou parce que la société les considère comme asexuelles et non attirantes sur le plan sexuel. Pourtant, sans lien avec l’attirance, la violence sexuelle constitue un contrôle du corps des femmes par les hommes (dans les relations hétérosexuelles). Comme nous le verrons, des progrès législatifs et jurisprudentiels importants ont été accomplis en matière de respect du consentement libre, éclairé et continu à l’activité sexuelle. Aucune forme d’accommodement ou de brèche visant à réduire ces acquis ne peut être envisagée au risque de les menacer et de réintroduire les mythes et les stéréotypes au sujet du consentement des victimes de violence sexuelle dénoncés dans l’arrêt Ewanchuk Footnote 15. Le respect du droit à l’intégrité, à l’égalité et à la dignité des femmes influence mes prises de position.
Mon analyse tente de trouver un équilibre entre la protection des personnes aînées, particulièrement les femmes, et le respect de leur droit à l’expression sexuelle, que l’on peut définir comme « des droits humains liés à la sexualité »Footnote 16. Ils sont garantis par la liberté de conscience (qui comprend le droit à la vie privée) (art 2 a)), le droit à la liberté et à la sécurité (art 7), et le droit à l’égalité (art 15), protégés par la Charte canadienne des droits et libertés Footnote 17. Par expression sexuelle ou activité sexuelle, j’entends ici tout attouchement de nature sexuelle avec une autre personne, tel embrasser, caresser, ou avoir un rapport sexuelFootnote 18. Est exclue de la présente analyse toute activité sexuelle avec soi-même. Le caractère sexuel d’un geste au sens du Code criminel et de la jurisprudence est abordé plus loin.
Sujet de mon étude, la définition de la catégorie « personne aînée » varie d’une société à l’autre, d’une époque à l’autre et englobe des personnes aux réalités diverses. La littérature distingue entre les « jeunes » aînés et les « vieux » aînés, le grand âge et le groupe des « super centenaires »Footnote 19. Aux fins de mon propos, les personnes aînées sont âgées de plus de 65 ans, parce que ce critère d’âge est retenu au Canada pour percevoir les prestations du Régime de pensions du Canada. Comme mon étude s’intéresse aux personnes aînées qui vivent en établissements privés ou publics, ces dernières sont souvent plus âgées que 65 ans et ce sont surtout des femmes qui, après 85 ans, représentent 64% de ce groupe, selon le recensement canadien de 2021Footnote 20.
La question de l’activité sexuelle des personnes aînées appelle celle de l’âgismeFootnote 21 et des préjugés qu’elles subissent de la part des familles, du personnel soignant et des résident.e.s. Ces préjugés se cachent souvent sous des objectifs de protection et de supposées volontés antérieures des personnes âgées. Si les hommes âgés endurent de l’âgisme, les femmes âgées souffrent à la fois de l’âgisme et du sexismeFootnote 22.
Le consentement est au cœur de mon analyse. D’abord, la faculté de prendre des décisions éclairées est progressivement altérée chez la personne âgée souffrant de troubles neurocognitifsFootnote 23. La maladie d’Alzheimer, le trouble neurocognitif le plus courant, endommage les cellules cérébrales, ce qui entraîne une détérioration de la capacité de réflexion et de la mémoire avec le tempsFootnote 24. L’aptitude à consentir de la personne atteinte de troubles neurocognitifs déclinera et un régime de représentation, qui limitera sa capacité juridique (art 154 du Code civil du Québec (CcQ)), sera parfois mis en place par la familleFootnote 25. J’utiliserai indifféremment les termes aptitude/ inaptitude et capacité/ incapacité à consentirFootnote 26. Ensuite, le consentement constitue l’élément essentiel de l’infraction d’agression sexuelle. Le Code criminel définit le consentement à l’activité sexuelle comme l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle (art 273.1 (1) C cr). La capacité à consentir doit être intacte pour que le consentement existeFootnote 27. Nous verrons que le Code criminel explicite les qualités de cet accord volontaire afin que le consentement soit libre, éclairé et continu, c’est-à-dire un « véritable consentement »Footnote 28.
Afin d’analyser le présent sujet, des techniques de repérage appropriées en droitFootnote 29 ont été utilisées pour établir un corpus documentaire constitué de lois et de règlements, de documents internationaux, de jurisprudence, de doctrine, ainsi que de littérature en gériatrie sociale et en théories féministes.
Le consentement à l’activité sexuelle au sens du Code criminel : un consentement libre, éclairé et continu
Le consentement à l’activité sexuelle à l’étape de l’actus reus constitue « l’assise sur laquelle sont fondées les règles de droit canadiennes relatives aux agressions sexuellesFootnote 30». Le récent arrêt Kirkpatrick Footnote 31 de la Cour suprême du Canada rappelle les objectifs législatifs des modifications de 1991, en matière d’agression sexuelle, au Code criminel. Les parlementaires voulaient promouvoir l’égalité des sexes et protéger l’autonomie personnelle des individus pour opérer des choix au sujet de leurs corps et choisir de se livrer ou non à une activité sexuelleFootnote 32. Le plus haut tribunal rappelle aussi que les agressions sexuelles constituent un crime genréFootnote 33 et qu’elles sont indissociables des notions de pouvoir et de contrôleFootnote 34. On ne peut passer sous silence ici les batailles menées par les groupes féministes afin de faire reconnaître et corriger les lacunes du droit criminel en matière d’agression sexuelleFootnote 35. Dans l’arrêt Kirkpatrick, la juge Martin reprend les propos de la juge en chef McLachlin exprimés dans l’arrêt Mabior Footnote 36 : « Se livrer à des actes sexuels avec une autre personne sans son consentement c’est la traiter comme un objet et porter atteinte à sa dignité humaineFootnote 37 ».
Le Code criminel définit le consentement comme l’accord volontaire de la plaignante à l’activité sexuelle (art 273.1 (1) C cr) et énumère des situations où il ne peut y avoir de consentement (art 273.1 (2) C cr). Le consentement libre, éclairé et continu doit être donné par la personne concernée (art 273.1 (2) a) C cr), alors qu’elle est capable de consentir et de comprendre la nature et les conséquences de l’activité sexuelle. Il s’agit de « l’état d’esprit subjectif dans lequel se trouvait en son for intérieur la plaignante à l’égard des attouchements, lorsqu’ils ont eu lieuFootnote 38 ». Seul le point de vue de la personne plaignante est déterminant : elle a consenti ou elle n’a pas consenti à l’acte physique sexuel à un moment précis.
Le consentement peut se donner clairement par la parole, et aussi se déduire du comportement (art 273.1 (2) d) C cr). Il ne se déduit toutefois pas du silence, de l’absence de résistance, ou ne peut être implicite. Ce consentement libre, éclairé et continu peut être accordé, refusé, retiré à tout moment par la personne. Le consentement à l’activité sexuelle ne se présume jamais, puisqu’il ne peut être donné une fois pour toutes (art 273.1 (2) e) C cr). Il doit être renouvelé et exister lors des contacts sexuels (art 273.1 (1.1) C cr)Footnote 39. La plaignante doit être capable de consentir, puisque la capacité et le consentement sont inextricablement liésFootnote 40. Ainsi, la plaignante ne peut être inconsciente (art 273.1 (2) a.1) C cr), sous l’effet de drogues ou d’alcool, ou présenter des problèmes mentaux qui l’empêchent de donner son consentementFootnote 41. Le consentement ne peut être donné sous la menace de la force (art 265 (3) b) C cr), dans une situation d’exploitation ou de dépendance (art 273.1 (2) c) C cr). Enfin, la personne qui prend l’initiative de l’activité doit adopter des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement véritable de son ou sa partenaire (art 273.2 b) C cr)Footnote 42.
L’aptitude à consentir des personnes souffrant de maladies neurocognitives doit être évaluée à l’aune des exigences imposées par l’article 273.1 C crFootnote 43. La personne aînée doit être en mesure de consentir, donc de comprendre la nature et les conséquences de l’activité sexuelleFootnote 44. Elle doit ainsi être capable de distinguer entre des gestes de nature sexuelle et non sexuelle, d’exprimer ses choix, de refuser les avances verbalement ou par ses comportements, de refuser la violence ou l’exploitation, de comprendre qu’il y a des lieux et des moments pour tenir de telles activitésFootnote 45. Seule la personne concernée peut consentir (art 273.1 (2) a) C cr).
En clair, l’article 273.1 C cr interdit les activités sexuelles lorsqu’un consentement libre, éclairé et continu ne peut être donné par un des partenaires ou les deux. Ainsi, une personne apte à consentir (par exemple, le conjoint) et une personne souffrant de troubles neurocognitifs, inapte à consentir (par exemple, sa conjointe), ne peuvent participer à des activités sexuelles ensemble au sens du Code criminelFootnote 46. Dans cet exemple, le conjoint doit prendre des mesures raisonnables pour vérifier l’aptitude à consentir de sa partenaire avant et pendant l’activité (art 273.2 b) C cr). Il connaît certainement l’état de santé de sa conjointe et ne devrait pas s’engager dans des contacts intimes si elle ne peut consentir. J’aborde plus loin la période intermédiaire de la maladie, alors que les fluctuations dans l’aptitude à consentir rendent son évaluation complexe. Selon le Code criminel, il n’est pas pertinent, pour déterminer la qualité du consentement, que la personne démente ait pris l’initiative de l’activité. De plus, le simple fait qu’elle ne s’oppose pas ne peut être interprété comme un consentement. Le conjoint en un tel cas pourrait théoriquement être accusé d’agression sexuelle (si toutes les autres conditions sont par ailleurs respectées). Dans le cas où la résidente s’engage dans des activités sexuelles avec un homme qu’elle croit faussement être son conjoint, on peut douter de son aptitude à consentir et de l’existence même de son consentementFootnote 47.
Les tribunaux ont précisé que, lorsqu’une personne souffre de limitations cognitives importantes, le fardeau de son ou sa partenaire est encore plus lourd aux fins de vérification du consentement réel de la personne vulnérableFootnote 48. Le consentement à l’acte sexuel ne peut être donné par la famille ou le représentant légal de la personne (art 273.1 (2) a) C cr). Dans le cas de deux personnes aînées souffrant de troubles neurocognitifs, incapables de consentir (incapables de donner un consentement libre, éclairé et continu) et participant à des activités sexuelles, il est possible que la personne qui a entrepris les avances ne puisse pas être tenue criminellement responsable d’agression sexuelle en raison de ses problèmes neurocognitifs et de son incapacité à comprendre la portée des gestes de nature sexuelle (art 16 C cr)Footnote 49.
Rappelons que les éléments de l’infraction d’agression sexuelle doivent être prouvés selon un fardeau de preuve très élevé, celui de la preuve hors de tout doute raisonnable. L’établissement qui héberge des personnes aînées pourrait être poursuivi en responsabilité contractuelle par la famille ou le tuteur pour ne pas avoir protégé ces dernières (art 1458, 1590 CcQ)Footnote 50.
Le consentement libre, éclairé et continu de la personne doit porter sur des activités de nature sexuelle. La Cour suprême a élaboré un critère pour déterminer le caractère sexuel des gestes posés : « Compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable peut-elle percevoir le contexte sexuel ou charnel de l’agression? La partie du corps qui est touchée, la nature du contact, la situation dans laquelle cela s’est produit, les paroles et les gestes qui ont accompagné l’acte, et toutes les autres circonstances entourant la conduite, y compris les menaces avec ou sans emploi de la force, constituent des éléments pertinents. »Footnote 51
En raison du contexte, certains gestes ne portent pas atteinte à l’intégrité sexuelle de la personne. Ainsi, dans un établissement hébergeant des personnes âgées, le fait qu’un.e résident.e prenne les mains d’un.e autre résident.e, lui touche la joue ou les cheveux, sans menace et sans emploi de la force, ne constitue pas pour la personne raisonnable des gestes de nature sexuelle (par comparaison avec toucher les fesses, les seins, les organes génitaux d’une personne sans son consentement). Il est fort possible qu’un baiser déposé sur une joue n’équivaille pas à un acte de nature sexuelle pour la « personne raisonnable » dans notre société, le caractère sexuel de certains gestes étant éminemment culturel. Qu’en est-il du baiser sur la bouche, qui peut être considéré comme un acte de nature sexuelle? Le contexte doit être analyséFootnote 52.
Le fait de toucher les parties génitales ou des zones érogènes ne permet pas de toujours conclure à un geste de nature sexuelleFootnote 53. Ainsi, dans le domaine qui nous intéresse, des préposé.e.s aux bénéficiaires touchent, dans le cadre de soins d’hygiène, des parties du corps des résident.e.s, ce qui peut être associé à des gestes de nature sexuelle. Selon le contexte, ces gestes ne sont pas toujours d’une telle natureFootnote 54.
Comment peut-on appliquer le droit criminel en matière de consentement à l’activité sexuelle tout en respectant le droit à l’expression sexuelle des personnes âgées souffrant de problèmes neurocognitifs et les protéger?
Comment respecter le droit à l’expression sexuelle lorsque l’aptitude à consentir disparaît?
Par une approche binaire (soit la personne manifeste un consentement libre, éclairé et continu, soit elle n’est pas en mesure de consentir), les exigences du Code criminel en matière de consentement à l’activité sexuelle mettent un terme à toute expression sexuelle d’une personne avec un tiers apte et consentant, dès que des problèmes neurocognitifs affectent l’aptitude à comprendre et à consentir, entre autres chez les personnes âgées. Les dispositions du Code criminel nient ainsi le droit à l’expression sexuelle de ces personnesFootnote 55. Ces normes législatives peuvent-elles être réinterprétées en tenant compte du contexte particulier qui nous intéresse ici?
Dans son avis Amour, sexualité et démence en milieu d’hébergement Footnote 56, le Comité national d’éthique sur le vieillissement (CNEV) propose une approche en trois temps pour tenir compte de l’évolution de la perte cognitive et de l’aptitude à consentir des personnes âgées aux activités sexuelles. Voyons ces trois étapes et les réflexions qu’elles suscitent en regard du droit criminel et du droit civil.
Au début de la maladie, la personne aînée est en mesure de consentir à des activités sexuelles avec son ou sa conjoint.e, un nouveau conjoint.e ou toute autre personne consentante. Ainsi, son droit à l’expression sexuelle et à l’intimité doit être respecté. Le milieu d’hébergement doit faciliter l’exercice de ce droit par des mesures d’accommodementFootnote 57. Le consentement à l’activité sexuelle ne se présume jamais (art 273.1 (2) e) C cr); il doit donc être évalué par l’équipe soignante si des événements qui peuvent menacer la sécurité de la personne et des autres résident.e.s suscitent un doute.
Lors d’un deuxième temps – qualifié de « zone grise » par le Comité en raison de l’évolution de la maladie – une analyse des circonstances s’avère nécessaire. Les auteur.e.s de l’avis suggèrent d’évaluer l’aptitude à consentir de la personne aînée au-delà de la parole et de prendre en compte d’autres formes d’expression du consentement, comme le comportement, qui sont mieux adaptés aux troubles neurocognitifs, ce que permet le Code criminel (art 273.1 (2) d) C cr). Ils reconnaissent aussi la difficulté pour le personnel soignant de déterminer l’aptitude à consentir qui fluctue.
Au troisième temps de la maladie, la personne aînée n’est plus en mesure de consentir à des activités sexuelles, avec son ou sa conjoint.e ou toute autre personne. Ces activités sont interdites selon le Code criminel. Le Comité admet l’impératif du consentementFootnote 58. Il reconnaît aussi que l’exigence du consentement libre et éclairé exprimé avant et pendant l’activité sexuelle nie en quelque sorte l’exercice d’un droit fondamental pour ces personnes aînéesFootnote 59.
Par ailleurs, le Comité distingue les activités sexuelles des signes de tendresse et d’affectionFootnote 60. Des personnes aînées peuvent être inaptes à consentir à des activités sexuelles au sens du Code criminel, mais être en mesure de donner un assentiment (une façon d’indiquer sa volonté sans être en mesure de donner un consentement au sens juridiqueFootnote 61) à des signes de tendresse comme se tenir les mains, caresser la joue de l’autre personne, en raison du peu de risque impliqué, de l’absence d’abus dans la relation et des avantages pour les personnes aînées concernéesFootnote 62. Selon la définition jurisprudentielle donnée plus haut aux gestes de nature sexuelleFootnote 63, la personne raisonnable analysant le contexte ne percevrait pas dans ces signes d’affection des comportements de nature sexuelle.
Comme d’autres études citées ici portant sur le respect des droits sexuels de personnes présentant des problèmes neurocognitifs, les auteur.e.s de l’Avis veulent respecter ce droit tout en protégeant les personnes aînées. Il ne faut pas voir une opposition entre le respect des droits sexuels des personnes vivant avec des problèmes cognitifs et leur protection. Une meilleure protection permet en fait d’assurer leur expression sexuelle. Ainsi, les personnes âgées seront mieux protégées contre les agressions sexuelles si elles peuvent se confier au personnel et savent qu’elles seront écoutéesFootnote 64.
Rappelons que, dans la première phase de la maladie, alors que la personne aînée est en mesure de comprendre et de consentir à des activités sexuelles, la famille n’a pas à être informée ou à donner une autorisation quelconque. Comme la personne aînée est apte et capable de manifester un consentement libre, éclairé et continu, il n’est pas question de « consentement substitué » (comme en matière de consentement aux soins de santé, art 15 CcQ) à l’activité sexuelle. D’ailleurs, il ne peut jamais y avoir de consentement substitué dans ce domaine, que la personne soit apte ou inapte (art 273.1 (2) a) C cr). Dans la première phase de la maladie, le droit à la vie privée de la personne aînée doit être respecté.
La confusion s’installe souvent chez les familles au sujet du consentement aux activités sexuelles de la personne aînée. Comme elles participent à l’élaboration du plan de soins de santé avec l’équipe soignante, elles pensent aussi qu’elles doivent donner leur autorisation pour l’activité sexuelle de la personne aînéeFootnote 65. Les familles sont souvent très réticentes à toute forme d’intimité de leur parent âgé avec une autre personneFootnote 66. Leur position est fréquemment fondée sur leur vision personnelle de la sexualité chez les personnes âgées ou encore sur leur interprétation des valeurs de leur parent avant l’apparition des troubles neurocognitifs. Les familles s’attendent à ce que le personnel de la résidence surveille et intervienne pour empêcher ces activités. Même si l’autorisation de la famille à l’activité sexuelle d’une personne âgée n’est jamais requise sur le plan juridique, des auteur.e.s recommandent d’informer la famille afin qu’elle comprenne et accepte la situationFootnote 67. On pourrait voir dans cette recommandation une atteinte au droit à la vie privée et un consentement substitué dans les faits (qui se manifeste souvent par un refus de la part de la famille). La personne âgée devrait elle-même décider d’en informer ou non sa famille.
Au troisième temps de la maladie, alors que la personne aînée n’est plus en mesure de consentir à l’activité sexuelle au sens du Code criminel, il ne peut être question de consentement substitué, donné par une autre personne comme un membre de sa famille, l’établissement ou le ou la représentant.e légal.e (comme pour les soins de santé, art 15 CcQ). Une personne ne peut prévoir dans son mandat de protection que son mandataire prenne les décisions au sujet de ses activités sexuelles, qu’il s’agisse de les permettre ou de les interdireFootnote 68.
Les enjeux du consentement à l’activité sexuelle se présentent avec plus d’acuité dans la « zone grise », une période pendant laquelle la maladie fluctue ainsi que l’aptitude à consentir. Les auteur.e.s de l’Avis affirment : « Peut-être faudra-t-il faire cette évaluation [du consentement] au ressenti, au contextuel, en se basant sur la manière d’être de la personne dans le présent de sa maladie et avec autrui, sur sa communication non verbale, sur ses émotions, sur les impressions qu’elle reflète à l’observateur, et la comprendre à demi-motFootnote 69 ».
Au lieu de l’approche binaire (la plaignante a exprimé un consentement libre et éclairé ou elle n’a pas consenti) imposée par le Code criminelFootnote 70, de nombreux auteur.e.s considèrent que le consentement devrait plutôt être appréhendé à partir d’un ensemble de critères, tels que les risques ou les abus potentiels, la nature des gestes posés, les avantages pour les résident.e.s et l’évolution de leur aptitude à consentir à l’activité sexuelleFootnote 71 :
To illustrate, the decision to engage in cuddling or kissing involves a low level of risk, whereas the decision to engage in intercourse has decidedly higher risk and potential for harm, especially when considering the relevant physical, cognitive, and emotional limitations of the older adult. The potential benefits to the resident are considered, and it is understood that intimate interactions that provide physical and psychological benefits for older adults and buffer against lonelinessFootnote 72.
Ces dernières auteures proposent d’aller plus loin. Même si le ou la résident.e après évaluation est inapte à consentir, mais intéressé.e à des rencontres sexuelles, l’équipe soignante, la famille (si possible) et le ou la résident.e (si possible) pourrait déterminer si cette activité intime favorise l’intérêt supérieur des deux parties concernéesFootnote 73. L’équipe pourrait trouver des moyens pour éviter des effets négatifs.
Bien que l’évaluation du consentement à partir d’un faisceau d’éléments semble plus respectueuse du droit à la vie privée et à l’expression sexuelle des personnes âgées, parce qu’elle semble plus flexible et qu’elle cherche tout indice de consentement, elle s’éloigne des objectifs législatifs de respect de l’autonomie décisionnelle et d’égalité du Code criminel en matière de consentement à l’activité sexuelleFootnote 74. Le consentement peut se manifester tant verbalement que par le comportement (art 273.1 (2) d) C cr), mais il ne peut devenir un critère parmi d’autres. Le plus haut tribunal canadien est clair à ce sujet : le consentement est au cœur de l’infraction d’agression sexuelleFootnote 75. Les facteurs de risques ou d’abus potentiels, et les avantages pour les résident.e.s ne font pas partie de l’évaluation du consentement au sens du Code criminel. Ils servent plutôt à assurer la sécurité de la personne, ce qui demeure une obligation du lieu d’hébergementFootnote 76. Le consentement à l’activité sexuelle, évalué à partir du point de vue de la plaignante et non d’impressions d’observateurs externes, doit d’abord exister avant que soit considérée l’évaluation des risques. Sinon, on pourrait très bien soutenir qu’à la troisième étape de la maladie, même si la personne ne présente pas d’aptitude à consentir, elle pourrait participer à des activités sexuelles dans la mesure où elle ne subirait aucun risque et en retirerait des avantages.
Il pourrait être argumenté que les critères imposés par le Code criminel pour déterminer la validité du consentement à l’activité sexuelle s’avèrent trop exigeants et non adaptés aux réalités des personnes souffrant de problèmes neurocognitifs. Selon certains auteur.e.sFootnote 77, la notion de consentement devrait être remplacée par celle d’assentiment, qui est moins exigeante, et utilisée entre autres pour des projets de recherche dans le domaine de la santé menés avec des mineurs incapables de consentir sur le plan juridique, mais en mesure de comprendre en fonction de leur âgeFootnote 78. Cette notion, qui ne remplace pas celle de consentementFootnote 79, a été récupérée en gériatrie pour obtenir la participation du patient souffrant de maladies neurocognitives dans la prise de décision avec sa famille au sujet de soins de santé. Molinari et ses collègues précisent bien les objectifs de la notion d’assentiment auprès des patient.e.s souffrant de problèmes neurocognitifs :
Geriatric assent exhorts health professionals to evaluate remaining capacity for autonomous decision-making, to identify the patient’s longstanding values and preferences, to assess plans of care in terms of safety and independence in light of the patient’s values and preferences, to protect remaining autonomy, and to cultivate the professional virtues of steadiness, self-effacement, and self‑sacrifice. In implementing geriatric assent, it is therefore important to keep in mind that many patients with dementia can still express their values and preferences, even when they remain irreversibly below thresholds of decision-making autonomy Footnote 80 .
Selon l’état du droit canadien, la notion d’assentiment ne peut être retenue comme un équivalent à la notion de consentement. D’abord, le Code criminel ne connaît pas cette notion. On mesure les risques à vouloir édulcorer le critère de consentement libre, éclairé et continu exigé en matière d’activité sexuelle, compte tenu de la vulnérabilité des personnes âgées et de la réalité des violences sexuelles. Rappelons que, parmi les personnes âgées, ce sont surtout les femmes qui subissent ces violencesFootnote 81. Ensuite, la notion d’assentiment ne peut être appliquée en matière de consentement à des activités sexuelles, parce qu’il ne peut y avoir de consentement substitué dans ce domaine. En effet, l’assentiment, notion issue de la bioéthique, est utilisé pour le consentement aux soins de santé de la personne inapte, domaine où le consentement substitué est possible.
Dans l’évaluation du comportement, les auteur.e.s de l’Avis suggèrent « quelques indices de consentement dans un comportement qu’il faut savoir lire ». Ils citent Teresa AnuzaFootnote 82 qui propose « de déceler si la personne a eu du plaisir suite à l’expérience, regarder si elle est encore contente quelque temps après, si elle a peur de son partenaire ou si au contraire elle recherche sa proximité et semble vouloir répéter l’expérience ».
On peut interpréter de deux façons le comportement mentionné à l’article 273.1 (2) a) C cr comme manifestation du consentement à l’activité sexuelle. D’abord, la notion de comportement peut être appréhendée de façon large et inclure le langage du corps, comme Mme Anuza le décrit dans le paragraphe précédent. Les comportements constatés après l’acte pourraient témoigner de ce qui s’est passé pendant l’acte et pourraient respecter le Code criminel. Ou, selon une seconde interprétation de l’article 273.1 C cr, on peut refuser d’utiliser ce comportement évalué après l’acte comme indice de consentement pour des raisons de sécurité. Cet élément de preuve constaté après l’acte constitue l’un des éléments à prendre en considération parmi un faisceau de faits, mais ne peut cependant pas remplacer l’absence de consentement a priori et pendant l’activité sexuelle.
La position plus flexible demande en quelque sorte que des règles juridiques différentes encadrent les activités sexuelles des personnes aînées souffrant de maladies neurocognitives et vivant en établissement, afin de ne pas taire leur expression sexuelle. À mon avis, ce serait nier le phénomène des agressions sexuelles en CHSLDFootnote 83. Même si cette violence est difficile à chiffrer, les agressions sexuelles envers les femmes aînées vivant en établissement ou ailleurs existentFootnote 84. En raison de leur grande vulnérabilité, ces femmes ne sont pas toujours en mesure de demander de l’aide ou de porter plainte. Ces règles juridiques différentes (ou une interprétation plus large des critères du Code criminel) s’appliqueraientelles lorsqu’il s’agit d’un ou une employé.e en relation d’autorité qui pose des gestes de nature sexuelle à l’égard d’un.e résident.e? L’article 273.1 (2) c) C cr affirme clairement que la relation d’abus vicie le consentement de la victime de l’agression. Sans nier le droit à l’expression sexuelle des personnes aînées, il faut trouver un juste équilibre entre le respect de l’expression sexuelle et la protectionFootnote 85. Comme les règles en matière d’agression sexuelle ont été élaborées pour protéger l’intégrité, la dignité et le droit à l’égalité des victimesFootnote 86, une interprétation trop large du terme « comportement » à l’article 273.1 (2) a) C cr permettrait de diluer l’objectif législatif. Pour reprendre l’expression du CNEV dans son avis, cette interprétation créerait en fait des zones gris pâle, gris moyen, gris foncé, à l’image du caractère évolutif de la maladie, zones très difficiles à découper.
Les critères servant à évaluer l’aptitude à donner un consentement libre, éclairé et continu à des activités sexuelles peuvent être rapprochés de ceux en matière médicale et testamentaire. À mon avis, la qualité du consentement dans ces trois domaines doit répondre aux mêmes standards très élevés et on ne peut les distinguer. Ils concernent le respect de l’autonomie et de la dignité de la personneFootnote 87. Évidemment, le fardeau de la preuve n’est pas le même et le consentement en matière d’agressions sexuelles ne peut être implicite, tandis que, dans le domaine médical et testamentaire, la capacité d’exercer ses droits constitue la règle, à moins de preuve contraire (art 2 et 154 CcQ). L’objectif ici est de démontrer que, dans ces deux derniers domaines, les critères sont stricts, ils se rapprochent de ceux imposés par le Code criminel et ils ne sont pas remis en question.
Les règles en matière de consentement substitué aux soins de santé ont été élaborées par la Cour d’appel dans l’affaire Institut Philippe-Pinel de Montréal c G (A) Footnote 88. Elles sont résumées ainsi : (i) La personne comprend-elle la nature de la maladie pour laquelle un traitement lui est proposé? (ii) La personne comprend-elle la nature et le but du traitement? (iii) La personne saisit-elle les risques et les avantages du traitement si elle le subit? (iv) La personne comprend-elle les risques de ne pas subir le traitement? (v) La capacité de comprendre de la personne est-elle « affectée » par sa maladie? Si la personne ne respecte pas ces conditions, elle n’est pas en mesure de consentir aux soins de santé et une autre personne, son représentant ou son tuteur (art 15 et 258 CcQ), prendra la décision. Rappelons qu’il ne peut y avoir de consentement substitué à l’activité sexuelle.
En matière testamentaire, les tribunaux ont élaboré des critères très stricts pour s’assurer que le testateur jouit de sa pleine aptitude. Le tribunal doit rechercher les éléments suivants chez le testateur : « Connaître sans qu’on l’aide la nature et l’étendue des biens qu’il possède; connaître et comprendre la nature de l’acte qu’il s’apprête à effectuer; connaître (et se souvenir) le nom et l’identité des personnes désignées; connaître la nature de la relation qu’il a avec elles; comprendre et se souvenir de tous ces faits; être capable de comprendre les relations de tous ces facteurs entre eux; avoir la capacité de se souvenir de la décision qu’il a priseFootnote 89 ». Le Tribunal doit aussi analyser les critères suivants : « la capacité de communiquer sur le contenu de la décision à prendre; une indication claire et répétée de préférence quant à la décision à prendre; la capacité de comprendre et de peser les options quant au choix à prendre; la capacité de rationaliser ce choixFootnote 90 ». Ces critères ont aussi été utilisés en matière de consentement au mariageFootnote 91. Il est difficile de justifier des critères plus exigeants en matière d’aptitude à tester et à se marier (et pour le consentement aux soins médicauxFootnote 92) que dans le domaine du consentement à l’activité sexuelleFootnote 93, à moins de voir dans l’exigence de l’aptitude à tester et à se marier les seules conséquences patrimoniales qui mériteraient une plus grande protection du consentement, ou de comparer le consentement à l’activité sexuelle au choix du dessert que des personnes souffrant de troubles neurocognitifs peuvent encore exercerFootnote 94.
La liberté de se marier ou nonFootnote 95, tout comme celle d’avoir ou non des activités sexuelles, et le respect de l’intégrité de la personne en matière de soins de santé font partie des libertés fondamentales et doivent être protégées de la même façon. On ne peut retenir l’argument de la « zone grise », qui permettrait le recours à d’autres critères que ceux du Code criminel pour évaluer le consentement libre, éclairé et continu, au moment où l’aptitude de la personne âgée à consentir fluctue.
Comme le Code criminel exige une participation consentie à l’activité sexuelle, les équipes soignantes qui voient à la sécurité et au bien-être des résident.e.s doivent évaluer leur aptitude à consentir. Pour faciliter leur tâcheFootnote 96, des modèles d’évaluation de l’aptitude à consentir à l’activité sexuelle ont été proposés. Ils ressemblent aux critères élaborés en matière d’aptitude à consentir aux soins de santé qui visent à vérifier si la personne comprend la nature et les conséquences de la maladie et du traitement proposéFootnote 97.
Résumant les divers modèles d’évaluation du consentementFootnote 98 et se basant sur l’état du droit criminel canadien, Hayter propose les critères suivants : une connaissance de base des parties du corps; une aptitude à distinguer entre un toucher sexuel et non sexuel; une aptitude à distinguer entre un toucher sexuel abusif et non abusif; une aptitude à exprimer un choix; une aptitude à résister à l’exploitation; une aptitude à refuser verbalement ou autrement une proposition sexuelle; une aptitude à reconnaître le refus du partenaire et d’arrêter l’activité; une aptitude à comprendre qu’il y a des lieux et des moments pour tenir des activités intimesFootnote 99. L’aptitude à consentir doit être évaluée régulièrement et non une fois pour toutes.
Comme le soutient le CNEV, il ne suffit pas de reconnaître le droit à la sexualité des personnes aînées; des mesures concrètes doivent être adoptées et appliquéesFootnote 100. L’absence d’intimité et de confidentialité que vivent les résident.e.s dans un milieu où tout est contrôlé rend l’expression de l’activité sexuelle souvent illusoire. Des informations sur la santé de la personne sont facilement accessibles; le personnel entre souvent dans la chambre sans frapper; le seul espace privé de la personne aînée se résume parfois à un lit. Des mesures concrètes doivent être prévues. On pense à mettre une affiche sur la porte des chambres « Ne pas déranger », frapper à la porte et attendre d’être invité avant d’entrer; respecter la confidentialité de la personne; offrir des chambres individuelles, des salles de bain privées, des lits à deux places; prévoir des chambres d’intimité; manifester une plus grande sensibilité à la conjugalité (lorsque l’un des conjoints est hébergé et l’autre ne l’est pas). La formation du personnel et la collaboration d’équipes soignantes spécialisées doivent aussi être organisées.
Les établissements doivent adopter des codes d’éthique qui mentionnent le droit à la confidentialité et à la discrétion des résident.e.sFootnote 101, ainsi que des politiques et des protocoles pour répondre aux besoins sexuels et affectifs des personnes aînées, afin d’éviter que les situations se règlent de façon discrétionnaire ou selon les valeurs ou les préjugés des intervenant.e.s ou des prochesFootnote 102.
Les exigences du Code criminel en matière de consentement à l’activité sexuelle, bien résumées par le slogan « sans oui, c’est non », peuvent sembler inadaptées à des personnes qui ne peuvent communiquer ou consentir en raison de problèmes neurocognitifs. Cependant, la violence systémique dont sont victimes les femmes touche aussi les femmes âgées et handicapées. Le Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées 2022-2027 mentionne l’importance de respecter l’expression sexuelle des personnes aînéesFootnote 103. Mais il reconnaît aussi un autre enjeu majeur : « La violence sexuelle à l’égard des femmes âgées doit retenir plus d’attention des chercheurs et des décideurs. Il est nécessaire d’enrayer les croyances selon lesquelles les personnes âgées vivent peu ce type de violence, parce qu’elles sont perçues comme « asexuelles », « postsexuelles » et non attirantes, alors que la violence sexuelle n’a rien à voir avec l’attirance »Footnote 104.
Conclusion
Mon étude a analysé un enjeu majeur en matière de lutte contre la maltraitance envers les personnes aînées : comment reconnaître et respecter à la fois le droit à l’expression sexuelle des personnes aînées vivant en établissement et leur droit à la sécurité, lorsque des maladies neurocognitives altèrent leur aptitude à consentir? Ma réflexion est inspirée d’un cadre théorique féministe qui prend en compte la violence sexuelle dont sont victimes les femmes, entre autres les femmes âgées et handicapées, dont les facultés neurocognitives sont très diminuées. Le travail des groupes féministes et des parlementaires a placé le consentement véritable de la plaignante au cœur de l’infraction d’agression sexuelle. Aucune interprétation s’éloignant du consentement libre, éclairé et continu ne peut être acceptée au risque d’ouvrir une brèche dans ce domaine.
Si la personne aînée est en mesure de consentir à des contacts sexuels selon les critères imposés par le Code criminel et qu’elle comprend que son partenaire aussi doit être en mesure de consentir, la famille et le personnel soignant doivent respecter sa décision. Par ailleurs, lorsque les capacités neurocognitives de la personne sont très diminuées par la maladie et que l’obtention du consentement n’est plus possible, cette personne ne peut s’engager dans des activités sexuelles avec autrui. L’assentiment, l’évaluation des risques, une analyse large du comportement ne peuvent remplacer le consentement libre, éclairé et continu tel qu’imposé par le Code criminel. La complexité de la question se présente davantage dans la phase intermédiaire de la maladie, lorsque les capacités cognitives de la personne aînée fluctuent. Outre la formation du personnel soignant sur les besoins sexuels et affectifs des personnes aînées et l’aménagement des lieux pour permettre une réelle intimité, les équipes soignantes doivent être en mesure d’évaluer l’aptitude à consentir des résident.e.s. Si la maltraitance sexuelle chez les personnes aînées doit être combattue afin de permettre leur expression sexuelle, l’intégrité et la dignité des femmes aînées doivent aussi être respectées.