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La Vengeance, l'tat et la peine

Published online by Cambridge University Press:  18 July 2014

Philippe Robert
Affiliation:
Centre national de la recherche scientifique, Guyancourt, France

Abstract

The author begins with an evaluation of the topic of the present issue, “Law as an exclusion factor”, by fleshing out the strong polysemantics of expressions and concluding that relations between law and exclusion are probably ambiguous. To compare the different meanings and to play with the ambiguity generated by their coexistence, is the object of this article which relates to penal law because the suspicion of exclusion takes a large part of it. However, the penal theory presents it, on the contrary, as an effort to tear the humanity out of the archaic game of vindication. On the contrary, relying on recent anthropological works, the author suggests visualizing both the vindictive and penal spheres as two forms of legality equally regulated, of which the most exclusionary is the latter. But since nothing is simple in this game of law and exclusion, the author searchs next to verify the affirmation in examining the contemporary operations of penal law -the creation of incrimination and its application. By demonstrating different scenarios, the author finally achieves the demonstration of the complexity of the relation between law and exclusion and the impossibility of a too brief or a priori conclusion.

Résumé

L'auteur commence par soupeser le thème du numéro, «le droit comme facteur d'exclusion», en cherchant à débusquer la forte polysémie des termes pour conclure que les rapports du droit et de l'exclusion sont probablement ambigus. Comparer les différentes acceptions, jouer sur le flou que suscite leur coexistence, voilà l'objet de cet article qui s'attache au droit pénal car la suspicion d'exclusion y prend beaucoup de relief. Cependant la théorie pénaliste le présente, à l'inverse, comme un effort pour arracher l'humanité au jeu archaïque du vindicatif. S'appuyant sur des travaux souvent récents d'anthropologie, l'auteur propose de voir, au contraire, dans le vindicatoire et dans le pénal deux formes de juridicité également réglées dont la plus excluante, au moins dans son principe, est probablement la seconde. Mais comme rien n'est simple dans ce jeu du droit et de l'exclusion, il cherche ensuite à vérifier le propos en examinant les opérations contemporaines du pénal—la création de l'incrimination et sa mise en œuvre. En démontant plusieurs cas-types, l'auteur parvient finalement à montrer la complexité de la relation du droit et de l'exclusion et l'impossibilité d'une conclusion trop brève ou trop aprioriste.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Canadian Law and Society Association 1996

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9. Verdier, ibid.

10. Remarque d'autant plus avérée que les individus ne sont pas véritablement les sujets de ce droit, mais seulement les communautés tribales ou familiales; or, à ce niveau, aucun propos d'exclusion ne figure dans la logique de la vengeance.

11. Courtois, supra note 1.

12. Verdier, supra note 5.

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27. Courtois, supra note 1 à la p. 11 et s., relève que le stoïcisme mène la charge contre la vengeance au moment où se découvre la solitude dans une société où le pouvoir public s'étatise, où la cité et son civisme dépérissent, où le vindicatoire refoulé tend à se réduire à un ressentiment vindicatif.

28. Si la Rome de la fin de la République s'étatise, et plus sûrement encore celle du principát, et encore davantage celle du dominat (pour une analyse juridique de ce passage de la civitas à l'État, voir, par exemple, Ellul, J., Histoire des institutions, vol.1–2: L'Antiquité, Paris, Presses universitaires de France, 1972 (le éd. 1961). aux pp. 363435)Google Scholar, le premier feodalisme des sociétés européennes présente manifestement des sociétés non étatisées et il faudra attendre le passage au feodalisme centralisé puis à l'absolutisme royal pour voir réapparaître une étatisation progressive du politique.

29. Tout ceci dit de manière idéal-typique que l'on peut cependant tenter d'appliquer à des situations historiques: ainsi de la pénalisation judiciaire qui accompagne le passage de relais des gouvernements urbains aux États princiers territoriaux d'après les travaux de Muchembled ou de Rousseaux. Voir Muchembled, R., Le temps des supplices, de l'obéissance sous les rois absolus, XVème–XVIIIème siècles, Paris, Armand Colin, 1992Google Scholar; Rousseaux, X., Taxer ou châtier: l'émergence du pénal; enquête sur la justice nivelloise (1400–1650), Louvain-la-Neuve, Université catholique de Louvain, 19891990.Google Scholar Incapables de faire face à la pression dans leurs Contados de masses rendues mobiles par leur appauvrissement, les villes doivent passer la main aux États territoriaux. Dans le même temps on glisse d'une justice peu pénalisée d'amendes, d'indemnisations et de pèlerinages à une justice de peines corporelles.

30. Voir Villey, M., «De l'indicatif dans le droit» (1974) 19 Archives de philosophie du droit 33Google Scholar; mais aussi Kelsen, H., Théorie pure du droit, introduction à la science du droit, Neufchâtel, La Baconnière, 1953Google Scholar et même Durkheim, E., De la division du travail social, Paris, F. Alcan, 1893Google Scholar, rééd. Presses universitaires de France, 1960 à la p. 41.

31. Supra note 18 à la p. 27.

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34. Durkheim, supra note 30.

35. Rémi Lenoir en doute: il fait remarquer que Durkheim retravaille les concepts apparemment juridiques dont il use dans un sens qui les éloigne souvent de celui des juristes. Voir Lenoir, R., «Le Droit et ses usages» dans Besnard, P., Borlandi, M. et Vogt, P., Division du travail et lien social: Durkheim un siècle après, Paris, Presses universitaires de France, 1993, 165Google Scholar [ci-après Le Droit et ses usages]; Lenoir, R., «Mœurs, morale et droit chez Durkheim» (1994) 19 Droits, Revue française de théorie juridique 23Google Scholar [ci-après Mœurs, morale et droit]. On peut soutenir, jusqu'à un certain point, qu'en parlant de passage du rétributif au restitutif, Durkheim a plus en vue les balbutiements de la société assurantielle qui commence à émerger sous ses yeux que le vindicatoire des sociétés antiques ou médiévales faiblement étatisées. Toutefois, je ne crois pas qu'il faille pousser trop loin dans cette interpétation au moins pour ce qui concerne La Division, même s'il est probable que la pensée durkheimienne se nuance par la suite: dans son article de 1900, par exemple, il semble reconnaître la difficulté qu'il y aurait à rompre l'articulation État-pénal. À vrai dire, je crois l'hypothèse d'un passage du rétributif au restitutif très mal adaptée pour comprendre la place du pénal. En revanche, elle peut éclairer bien davantage le passage d'une responsabilité civile fondée sur la recherche d'une faute à celui d'une responsabilité fondée sur le risque et traduite par une articulation de l'assurance et du judiciaire. Castel, supra note 24, a excellemment analysé la place de la pensée durkheimienne dans la genèse de ce qu'il appelle l'État social.

36. J'ai essayé de développer cette conception, ses fondements et ses conséquences dans une intervention au Centre de recherches en droit public de l'Université de Montréal. Voir P. Robert, «Remarques sur l'effectivité des droits» dans Théories et émergence du droit: pluralisme, surdétermination et effectivité, colloque des 20 et 21 octobre 1995, [non publié]. Je ne m'y arrête pas plus longuement ici.

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40. Mœurs, morale et droit, supra note 35.

41. Lenoir, «Le droit et ses usages», supra note 35.

42. Encore que la formulation juridique puisse parfois survivre à l'évolution des mœurs, ce qui est le cas de la délinquance antérograde, celui de Socrate.

43. Durkheim, supra note 39 à la p. 67.

44. Mœurs, morale et droit, supra note 35.

45. Birnbaum s'est naguère attaché à expliquer pourquoi Durkheim arrêtait toujours l'enquête sociologique au moment où elle risquait de soumettre l'action et les mécanismes de l'Etat à son analyse. Voir Birnbaum, P., «Durkheim, le socialisme et l'État» dans Birnbaum, P., Dimensions du pouvoir, Paris, Presses universitaires de France, 1984, 11.CrossRefGoogle Scholar Comme le dit Mucchielli, Durkheim fait accomplir à la sociologie un immense progrès; en même temps, ses constructions ferment des pans entiers de recherche. Voir Muchiellli, L., «Heurs et malheurs du durkheimisme: problèmes historiographiques, enjeux méthodologiques et pédagogiques d'une mémoire disciplinaire: la sociologie» (1995) 29 Politix 55CrossRefGoogle Scholar à la p. 75.

46. C'est peut-être en ce sens que Bourdieu dénonce que la parole en droit produit le monde social mais qu'elle est produite par lui. Voir Bourdieu, P., «Mœurs, morale et droit chez Durkheim» (1994) 19 Droits, Revue française de théorie juridique 23.Google Scholar

47. Durkheim, supra note 39 à la p. 35.

48. Voir, par exemple, Robert, P., La Création de la loi et ses acteurs: l'exemple du droit pénal, Oñati, International Institute for the Sociology of Law, 1991Google Scholar, et les cas analysés.

49. Sellin voit la prescription pénale comme officialisation des normes du groupe social le plus puissant, et l'on trouverait une conception proche chez les criminologues du conflit. Voir Sellin, supra note 23 aux pp. 21 et 57. Toutefois, la formulation paraît trop simple outre que faussement facile à opérationnaliser.

50. Voir, Bourdieu, P., Le Sens pratique, Paris, Minuit, 1980, c. 78 et s.Google Scholar

51. Il est probablement peu de meilleurs guides sur ce point que Gauchet, M., La Révolurion des droits de l'homme, Paris, Gallimard, 1989.Google Scholar

52. C'est même probablement la force de son locuteur (étatique dans le cas du pénal) qui distingue cette parole normative d'une simple énonciation d'opinion et la revêt d'une puissance performative. Sur ce point, je suis assez largement Bourdieu, P., Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982.Google Scholar

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55. Bourdieu, supra note 46.

56. Bourdieu, supra note 53.

57. On peut se référer, sur ce point, à la reprise par Jacques Lombard de la distinction wébérienne entre Macht et Herrschaft. J. Lombard, «Les Formes de la violence et les processus d'acquisition de la domination dans les structures étatiques traditionnelles» dans Le Roy et Trotha, dir., supra note 26, 59.

58. Bourdieu, supra note 46.

59. C'est peut-être cette voie que tente d'explorer André Berten. Berten, A., «D'une sociologie de la justice à une sociologie du droit; à propos des travaux de L. Boltanski et L. Thévenot» (1993) 1:2Recherches sociologiques 69.Google Scholar S'appuyant sur les constructions philosophiques de Boltanski et Thévenot, il campe le monde de la justice comme mode d'arrêt provisoire du désaccord entre divers ordres de justification. Toutefois, lui-même marque les limites de la tentative en relevant que cette construction privilégie l'accord et gomme la force et la domination, également que l'emprunt à la philosophie politique risque de s'opérer au détriment des possibilités d'enquête sociologique empirique. Mais il tente d'esquisser un dépassement de ces limites en observant encore que ce monde de la justice a de plus grandes affinités avec certains ordres de justification qu'avec d'autres.

60. La même règle s'applique à tous, du moins à tous ceux entrant dans la même catégorie.

61. On appliquera demain la même règle qu'aujourd'hui (du moins jusqu'à ce qu'elle soit éventuellement modifiée ou supprimée en suivant la même procédure).

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75. Pour le cas français auquel j'emprunte la plupart de mes exemples, voir Robert et al., supra note 72 aux pp. 253–59.