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Exploiter des techniques cinélégales pour mieux ressentir les effets qu’a la réglementation sur les personnes en situation d’itinérance

Published online by Cambridge University Press:  10 October 2019

Suzanne Bouclin*
Affiliation:
Professeure Agrégée Faculté de Droit Université d’[email protected]

Résumé

Dans cet article, nous empruntons le vocabulaire des études cinématographiques pour visualiser le droit tel qu’il est utilisé, interprété et construit du point de vue des personnes en situation d’itinérance. Nous avançons que les modalités du droit s’expriment différemment dans les lois élaborées pour règlementer les personnes en situation d’itinérance. Les techniques cinélégales que nous proposons sont au fond des métaphores qui permettent de mieux nuancer les représentations sceptiques et instrumentalistes du droit. Ces façons d’éprouver la réglementation des personnes itinérantes peuvent également favoriser l’incarnation de la perception des interactions urbaines entre les personnes en situation d’itinérance et leurs interlocuteurs.

Abstract

Engaging cinelegal techniques to better sense the regulation of street-involved people

In this article, I borrow concepts from the cinema to imagine law as navigated, interpreted and constructed from the standpoint of street-entrenched people. These sites/sights of law, I argue, are different from the perspectives instantiated in legislation and other law designed to classify and regulate people experiencing homelessness. What I call cinelegal techniques are essentially metaphors that may add nuance to more sceptical and instrumentalist views of law that are circulated by activists and scholars working with and for street-involved communities. The four alternative ways of sensing regulation may also facilitate an embodied perception of street life by the people with whom street-involved people interact.

Type
Articles
Copyright
Copyright © Canadian Law and Society Association / Association Canadienne Droit et Société 2019 

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Footnotes

*

Nous remercions les examinatrices et examinateurs anonymes ainsi que les rédactrices et rédacteurs pour leurs précieuses suggestions ainsi que leurs commentaires constructifs. Nous sommes également reconnaissantes aux personnes suivantes des commentaires opportuns et judicieux qu’elles ont formulées pour une version antérieure de cette étude : Rod Macdonald, Darin Barney, Kim Brooks, Anne McGillivray, Carrie Rentschler et Will Straw. Nous sommes endettées envers Brigitte Murray pour ses révisions exceptionnelles ainsi qu’à Ali Benhachem pour son assistance de recherche. Toutes erreurs ou omissions sont les nôtres. Toutes erreurs ou omissions sont les nôtres.

References

1 Bazin, André, Qu’est-ce que le cinéma (Paris : Éditions Du Cerf, 1958), 134.Google Scholar

2 Contrairement à d’autres identités reconnues dans le droit, j’ai soutenu ailleurs que le groupe social qu’on appelle les « sans-abris » est plutôt un conglomérat de personnes ayant une condition sociale commune, mais que c’est aussi un marqueur d’identité qui a des connotations différentes : Bouclin, Suzanne, « Identifying Pathways to and Experiences of Street Involvement through Case Law », Dalhousie Law Journal 38, no 2 (2015): 346383,Google Scholar à la p. 348 (notes de bas de page omises). Ce présent article s’appuie sur ce constat et sur les recherches menées dans le cadre de ma thèse de doctorat : Suzanne Bouclin, « Street Law’s Sites, Sights and Media » (thèse de doctorat, Université McGill, 2011).

3 Notamment : Silbey, Jessica, « A History of Representations of Justice: Coincident Preoccupations of Law and Film », dans A Representation of Justice, dir. Masson, Antoine et O’Connor, Kevin (Bruxelles : P.I.E. Peter Lang, 2007), 131;Google Scholar Buchanan, R. et Johnson, R. « Strange encounters: Exploring law and film in the affective register, » Studies in Law, Politics, and Society 46 (2009), 3360.CrossRefGoogle Scholar

4 Howes, David, « Introduction: Empire of the Senses », dans Empire of the Senses: The Sensual Culture Reader, dir. Howe, David (Oxford : Berg, 2005), 120.Google Scholar

5 Sobchack, Vivian, The Address of the Eye: A Phenomenology of Film Experience (Princeton, NJ : Princeton University Press, 1991).Google Scholar

6 Elle définit la vision haptique comme étant une familiarité avec le monde que le spectateur individuel connaît grâce aux sens liés à la vision : Marks, Laura, The Skin of the Film: Intercultural Cinema, Embodiment and the Senses (Durham, NC : Duke University Press, 2000).CrossRefGoogle Scholar

7 Vivian Sobchack, « In Conversation with Scott Bukatman », Journal of e-Media Studies 2, no 1 (2009): 2.

8 Martha Marie Kleinhans et Roderick A. Macdonald, « What is a Critical Legal Pluralism », Revue canadienne droit et société 2, no 25 (1988): 25–46; Margaret Davies « The Ethos of Pluralism. » (2005) 4 Sydney L Rev 27, p. 29.

9 Macdonald, Rodrick A., Background Document: The Governance of Human Agency (Ottawa: Gouvernement du Canada, 2002), 14 [notre traduction].Google Scholar

10 Neil Smith a inventé l’expression the revanchist city, que nous traduisons comme « ville revancharde » : The New Urban Frontier: Gentrification and the Revanchist City (Londres et New York : Routledge, 1996). J’emploie ici l’expression comme forme abrégée des métaphores de la ville qui se chevauchent, telles que « panoptique », « divisé », « punitif » et « post-justice » et qui ont été utilisées pour conceptualiser la gouvernance dans et par les espaces urbains.

11 Dimendberg, Edward, Film Noir and the Spaces of Modernity (Cambridge, MA : Harvard University Press, 2004), 47 [notre traduction].Google Scholar

12 Marie-Eve Sylvestre, La pénalisation et la judiciarisation des personnes itinérantes au Québec (Québec : Commission Parlementaire sur l’Intinérance de Québec, 2008).

13 Pour un resumé de cette littérature, voir notamment : Bouclin, Suzanne, « Faire basculer le climat de profilage social à Ottawa : le Programme de contestation des contraventions », Reflets 22, no 1 (2016): 123157.CrossRefGoogle Scholar

15 R v Banks (2001), 55 OR (3e) 374 (Ct J Ont); (2005) 248 DLR (4e) 118 (CA Ont); Federated Anti-Poverty Groups of B.C. v British Columbia, [1991] BCJ no 3047 (BC CS).

16 Oudart a fait valoir que le sujet est cousu dans le film spécifiquement par le biais du champ-contrechamp : Jean-Pierre Oudart « La Suture. » (1969) Cahiers du Cinéma, 211 (avril-mai), 36–39.

17 Madan Sarup, Modern Cultural Theorists: Jacques Lacan (Harvester Wheatsheaf, 1992), cité dans Peter Brooker « Suture », dans A Glossary of Literary and Cultural Theory (Abingdon, R.-U. : Taylor & Francis Ltd., 2016), 271–273.

18 Brooker, supra note 19 à la p. 273.

19 de Valk, Mark et Arnold, Sarah, The Film Handbook (Londres et New York : Routledge, 2013), 87, se référant à Oudart, supra note 18 [notre traduction].CrossRefGoogle Scholar

20 Ibid., p. 88.

21 Voir Jocelyn Simonson, « Copwatching », California Law Review 104 (2016): 391.

22 La surveillance, selon le champ d’études en expansion qui lui est consacré, est un réseau de processus dynamiques qui se produit dans des situations d’interaction où des données personnelles sont recueillies à des fins de gestion des populations par la gouvernance, la régulation et le contrôle : Gary Marx, « Desperately Seeking Surveillance Studies: Players in Search of a Field », Contemporary Sociology 35, no 2 (2007), 222. Kevin Haggerty, Laura Huey et Richard Ericson, « The Politics of Sight/Site: Locating Cameras in Vancouver’s Public Spaces », dans Surveillance and Governance: Crime Control and Beyond. (Bradford, R.-U. : Emerald Group Publishing Limited, 2008).

23 Les collectifs Copwatch sont issus du modèle de patrouille pédestre du parti Black Panther dans les années 1960 : « Refuse to Be Abused », Copwatch. <http://www.berkeleyCopwatch.org/>.

24 Il s’agit d’un objectif normatif connexe, mais différent, qui sous-tend l’obligation faite à la police de porter des caméras corporelles : Jocelyne Simonson, « Beyond Body Cameras: Defending a Robust Right to Record the Police » The Georgetown Law Journal 104 (2016) : 1559–1579.

25 Copwatch a peut-être recours à des pratiques « antidémocratiques » : Laura Huey, Keith Wallaby et Aaron Doyle « Cop Watching in the Downtown Eastside », dans Surveillance and Security: Technological Politics and Power in Everyday Life, dir. Torin Monahan (Abingdon, R.-U., et New York :Routledge, 2006), 149–165. Cependant, Simonson défend leur observation « agoniste » comme « des gestes civiques dignes de respect » : ibid., p. 407.

26 Deleuze, Gilles, L’Image-mouvement. Cinéma 1 (Paris : Éditions de Minuit, 1983), 97 et 126.Google Scholar

27 Bela Balazs, Theory of the Film: Character and Growth of a New Art, (Roy Publishers, 1953), 123, se référant à Asta Nielsen dans Erdgeist (1923) [notre traduction].

28 Selon lui, « le gros plan c’est le visage ». Deleuze, supra note 27, p. 141. Pour une vue d’ensemble critique des économies du gros plan : Mary Ann Doane, « The Close-up: Scale and Detail in the Cinema », Differences: A Journal of Feminist Cultural Studies 14 (2003): 89.

29 Deleuze, supra note 27, p. 88.

30 Alors qu’un contrôle approfondi du faciès peut être approprié entre des personnes relativement étrangères dans d’autres contextes (par exemple, faire vérifier sa photo d’identité à la porte d’un bar) ou dans des contextes marqués par l’intimité, le concept « d’inattention civile » de Goffman a un poids normatif important dans nos interactions de rue. Ses interlocuteurs ont illustré que l’inattention civile est une présentation culturellement spécifique de soi, basée sur des normes hétéronormatives, anglo-protestantes et de classe moyenne, qui ne saisit pas beaucoup d’interactions entre les identités ou les groupes marginalisées. Voir, par exemple : Davina Cooper, « Being in Public: The Threat and Promise of Stranger Contact », Law and Social Inquiry 32, no 1 (2007) : 203.

31 Le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) comporte plus de 90 organisations à but non-lucratif : Le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (2010). <http://www.rapsim.org/fr/default.aspx?sortcode=1.0>.

32 Le Commissaire à la déontologie policière du Québec reçoit et classe les plaintes contre la police; le Comité de déontologie policière est le tribunal administratif qui entend et tranche les affaires. Gouvernement du Québec, Système déontologique policier. <http://www.deontologie-policiere.gouv.qc.ca/>.

33 Jean-Pierre Lizotte, qui faisait régulièrement la manche sur la rue Saint-Laurent, a été battu par deux policiers et est décédé à l’hôpital des suites de ses blessures. Gilles Mignault, qui a présidé le Comité de déontologie policière dans l’affaire, a conclu que les agents avaient fait preuve de négligence mais n’avaient pas fait un usage excessif de la force. Comité de déontologie policière (Montréal) Dossier : C-2004-3210-3 (99-1142-1) (le 13 août 2008) et C-2004-3211-3 (99-1142-2) (le 13 août 2008). Tous deux ont été suspendus sans solde pendant 25 jours. En appel devant un jury à la Cour supérieure du Québec, toutes les accusations ont été abandonnées.

35 Par exemple, le Code de déontologie des policiers du Québec, RLRQ c P-13.1, r.1; la Loi sur la police, LRQ, c P-13.1; et la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12.

36 Bazin, supra note 2, p. 127.

37 Suzanne Bouclin, « Homeless Nation: Producing Legal Subjectivities through New Media », dans Identity Technologies: Constructing the Self Online, dir. Anna Poletti et Julie Rak (Madison, WI : The University of Wisconsin Press : 2018), 229–244, à la p 229 [notre traduction].

38 Ibid., p. 231.

39 En ce qui concerne la manière dont une caméra mobile peut servir de dispositif cartographique pour des formes urbaines architecturales et sociales incarnées, amenant ainsi les spectateurs à des endroits autrement inconnaissables, voir : Suzanne Bouclin, « Favela Law and the City of God », The Annual Review of Interdisciplinary Justice Research 7 (2018), 42–67.

40 Bouclin, supra note 39, p. 132.

41 Entrevue avec Chris Aung-Thwin, ancien coordonnateur national (document personnel de l’auteur) [notre traduction].